LEVRAUD Edmond [Louis, Edmond], dit « Le grand bison » [Dictionnaire biographique du mouvement social francophone aux États-Unis]

Par Michel Cordillot

Né à Paris le 16 janvier 1837, mort à Nice en 1880 ; représentant de commerce en vins ; marié ; commandant de bataillon et chef de service à la préfecture de police, sous la Commune ; exilé durant quelques mois à New York, il contribua à jeter les bases du premier noyau blanquiste au sein des sections francophones de l’AIT.

Militant blanquiste dès 1864, Edmond Levraud appartint au groupe de militants qui constituait l’« embryon du Parti ». Il fut condamné à deux reprises, avant la Commune, pour son activité militante : le 16 février 1866, à Paris, à trois mois de prison pour cris séditieux ; à quinze mois de prison, le 14 mars 1867, toujours à Paris, pour participation à une société secrète par suite de sa présence à la réunion qui se tint, le 7 novembre 1866, au Café de la Renaissance, 1, boulevard Saint-Michel, dans le but de trancher le cas du blanquiste Protot. Ce dernier était en effet intervenu au congrès de Genève de l’Internationale, en septembre 1866, malgré la défense de Blanqui. La police, prévenue, arrêta 41 personnes et dix-huit condamnations furent prononcées.

Le 4 septembre 1870, Edmond Levraud joua un rôle très actif avec Granger et Balsenq, et tous les trois furent parmi les premiers à entrer au Corps législatif. Nommé rédacteur à La Patrie en Danger après la proclamation de la République, il habitait alors, 12, rue Gît-le-Cœur, dans le VIe arr. (vers la fin de l’Empire, il avait habité 1, place Voltaire, XIe arr.)

Chef du 204e bataillon jusqu’au lendemain du 31 octobre 1870, Edmond Levraud fut alors destitué, avant d’être condamné par contumace à la peine de mort le 11 mars 1871.

Sous la Commune, Edmond Levraud fut nommé chef de la 1re division à la préfecture de police. Par arrêté de Cournet en date du 9 mai, il fut désigné pour être membre de la commission « instituée pour veiller aux intérêts de l’art musical et des artistes ». Quelques jours plus tard, par arrêté du Comité de salut public en date du 12, il fut nommé juge titulaire à la cour martiale.

Le 6 septembre 1873, le 4e conseil de guerre condamna par contumace Edmond Levraud aux travaux forcés à perpétuité (le 9 août 1872, la cour d’assises de la Seine l’avait déjà condamné à la même peine).

Étant parvenu à échapper à l’arrestation, Edmond Levraud gagna New York en passant par Liverpool. Arrivé aux États-Unis le 22 août 1871 — il fut ainsi l’un des tout premiers réfugiés à débarquer outre-Atlantique — il y fit très vite la connaissance de Constant Christenert (dont Benjamin Flotte lui avait apparemment donné les coordonnées) et de Claude Pelletier (Lettre à Eudes, 24 août 1871). Il tenta dans un premier temps de s’associer avec les frères May pour se lancer dans le commerce de l’article de Paris et de la bijouterie de pacotille. Mais cette expérience fut sans lendemain (non sans avoir toutefois donné à Levraud l’occasion de laisser libre cours à son antisémitisme virulent et de procéder à quelques règlements de compte politiques).

Sans emploi, il dut vivre chichement de quelques rares leçons de violons (il n’avait en tout et pour tout que trois élèves en février 1872). Déçu et amer, Levraud se livra à une critique implacable de la société qu’il découvrit en Amérique (« C’est un pays insensé, qui est gouverné par le prêtre et la femme. Je n’ai jamais de ma vie vu autant d’églises qu’à New York. Tout est mensonge et hypocrisie dans ce pays et les habitants n’ont qu’une pensée, le dollard (sic). Les libertés américaines !!! Quelle bonne blague !!! Il y a plus d’aristocratie ici qu’en Angleterre. » (Lettre à Eudes, 26 septembre 1871).

Edmond Levraud s’efforça pourtant de constituer un premier noyau de militants blanquistes avec Edmond Mégy, Simon Dereure, Jules Bergeret, Galtier, Lorin, les frères May, mais le petit groupe fut bien vite la proie de dissensions internes ; et ses offres de collaboration militante à Eudes, qui était devenu le véritable chef du « parti » suite à la disparition de Tridon et à l’arrestation de Blanqui, furent reçues avec froideur, si bien que l’on en resta là. En revanche il fit montre de beaucoup de mépris pour les Internationaux franco-américains (à l’exception de Flotte – blanquiste éminent lui aussi), tournant même en dérision leur décision de retarder d’une semaine la grande manifestation organisée en décembre 1871 à la mémoire de Ferré, Bourgeois et Rossel.

C’est donc apparemment sans regret qu’Edmond Levraud quitta définitivement New York pour se rendre à Bruxelles où il arriva autour du 10 août 1872. Il en fut expulsé en 1876 ; il se trouvait à Genève dans les premiers mois de 1878, puis il revint à Londres où il était en septembre-octobre 1878. Il y aurait fréquenté « assidûment » les réunions de réfugiés et se serait livré « à une active propagande au bénéfice des doctrines socialistes ».

Gracié le 29 mai 1879, Edmond Levraud mourut à Nice en 1880, peu après que l’amnistie générale eut été proclamée.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article164291, notice LEVRAUD Edmond [Louis, Edmond], dit « Le grand bison » [Dictionnaire biographique du mouvement social francophone aux États-Unis] par Michel Cordillot, version mise en ligne le 21 septembre 2014, dernière modification le 3 novembre 2022.

Par Michel Cordillot

SOURCES : Arch. Nat., BB 24/858, n° 3010 ; Arch. Min. Guerre, 4e conseil ; IFHS, 14 AS 99 bis (correspondance Ed. Levraud-Eudes) ; Arch. Gén. Roy. Belgique, dossier de Sûreté n° 145 339 (en 1880) : selon les données de ce dossier, Levraud serait arrivé en Belgique le 11 décembre 1872 et en aurait été expulsé le 5 juillet 1873 ; Gazette des Tribunaux, 10 mars 1871 ; Jounal officiel de la Commune, 8 avril, 10 et 13 mai 1871 ; Maxime Vuillaume, Mes Cahiers rouges au temps de la Commune, passim ; Alexandre Zévaès, Histoire des Partis socialistes en France, t. VI, Les Blanquistes par Ch. Da Costa, Paris, Rivière, 1912, p. 42 ; Georges Bourgin et Gabriel Henriot, Procès verbaux de la Commune de Paris, Paris, Leroux-Lahure, 1924-1945, t. II, p. 320, n. 1, et p. 413-414, n. 3 ; Lucien Descaves, Philémon vieux de la vieille, Paris, Ollendorff, 1913, p. 191 ; Maurice Dommanget, Blanqui et l’opposition révolutionnaire à la fin du Second Empire, Paris, A. Colin, 1960, passim, et Blanqui, la guerre de 1870-71 et la Commune, Paris, Domat, 1947, passim ; Jean Maitron, « En dépouillant les archives du général Eudes », L’Actualité de l’Histoire, n° 6, janvier 1954 ; Michel Cordillot, « Les Blanquistes à New York », Bulletin de la Société d’Histoire de la Révolution de 1848, Paris, 1990.

rebonds ?
Les rebonds proposent trois biographies choisies aléatoirement en fonction de similarités thématiques (dictionnaires), chronologiques (périodes), géographiques (département) et socioprofessionnelles.
fiches auteur-e-s
Version imprimable