EUDES Émile, François, Désiré. Pseudonymes Deschamps, Gaïfer ou Sed

Par Jean Maitron

Né le 12 septembre 1843 à Roncey (Manche), mort le 5 août 1888 à Paris ; militant blanquiste ; franc-maçon ; général fédéré ; membre de la Commune de Paris ; chef de file des blanquistes après 1871.

Fils de Jean-Baptiste Eudes, 56 ans, marchand, et de Céleste Potier, 36 ans, Émile Eudes fit ses études secondaires au collège de Saint-Lo (Manche) et prit grade de bachelier à dix-sept ans. Après un stage à Coutances, il vint poursuivre ses études de pharmacie à Paris, mais se consacra très vite et entièrement à la politique socialiste et plus précisément blanquiste. Au cours des années 1865-1867, il se livra à une active propagande anticléricale. Il fut gérant de La Libre Pensée, du 21 octobre 1866 au 24 février 1867, et, le 8 mars, fut condamné, par la 6e chambre de la cour de Paris, à trois mois de prison et 300 f d’amende pour outrages à la morale publique et religieuse et outrage à la religion catholique. À sa sortie de Sainte-Pélagie, il prit en main l’administration de La Pensée nouvelle, qui avait succédé à La Libre Pensée. Il appartenait alors à la loge l’Écossaise 133, ancienne loge Saint-Vincent-de-Paul dont firent partie Vallès et Lefrançais, Les blanquistes s’efforçaient à cette époque d’organiser des groupes de combat, et on estime que, fin 1868 et pour tout Paris, ils groupaient quelque huit cents hommes dont une centaine étaient armés de fusils. Responsable avec Granger des formations de la rive gauche, Eudes adopta pour ce rôle les surnoms de Gaïfer et de Sed. Intime de Blanqui, il gagnait sa vie comme employé, mais sa subsistance était souvent assurée par Granger et Tridon. Il habita aux adresses suivantes : 10, rue des Charbonniers, XVe arr. ; rue Vavin, VIe arr. ; passage Jouvence, rue d’Alésia, XIVe arr.

En août 1870, la guerre étant déclarée et la fin de l’Empire semblant proche, les blanquistes voulurent passer à l’action et être des premiers à proclamer la République. Granger et Eudes réussirent, non sans mal, à convaincre Blanqui en affirmant « que les faubourgs n’attendent qu’un signal » (cf. Dommanget, Blanqui... et la Commune, op. cit., p. 12). La prise du fort de Vincennes fut fixée comme objectif, mais, finalement, Blanqui demanda qu’on s’attaque à la caserne des pompiers, boulevard de la Villette. Le dimanche 14, à trois heures et demie de l’après-midi, le signal fut donné, mais l’entreprise échoua : les assaillants ne parvinrent pas à se faire remettre les armes — il était convenu qu’ils n’useraient pas de violence — et, sur le boulevard qu’ils parcoururent un moment en poussant des cris, aucun passant ne se joignit à eux. Les auteurs de l’équipée se dispersèrent, mais, le soir même, devant le Palais de Justice, Eudes et son ami Brideau furent arrêtés, Eudes ayant été remarqué dans l’après-midi par un policier amateur en raison du revolver qu’il portait sous sa veste.

Le 29 août, ils comparurent devant un conseil de guerre. « J’ai voulu repousser l’invasion, déclara Eudes, et, pour cela, renverser d’abord l’Empire. J’ai pensé que le salut était là. »
« C’est une infâme calomnie, poursuivit-il, que de prétendre que j’étais de connivence avec les Prussiens. Je mets quiconque au défi de prouver rien de semblable. J’ai agi avec toute mon ardeur de patriote, pour la France et pour la République. Si c’est ma tête que vous voulez, prenez-la ; mais ne me déshonorez pas. » (Dommanget, op. cit., p. 17.) La peine capitale n’en fut pas moins prononcée contre les deux accusés. De nombreuses interventions en leur faveur et la capitulation de Sedan, le 2 septembre, leur sauvèrent la vie.
Le 5, après une manifestation de rue, ils étaient délivrés de la prison du Cherche-Midi où ils étaient incarcérés. Bien que les blanquistes eussent été évincés du nouveau gouvernement, Eudes et ses amis n’en signèrent pas moins une déclaration qui disait :
« En présence de l’ennemi, plus de partis ni de nuances. Avec un pouvoir qui trahissait la nation, le concours était impossible. Le gouvernement sorti du grand mouvement du 4 septembre représente la pensée républicaine et la défense nationale.
« Cela suffit.
« Toute opposition, toute contradiction doit disparaître devant le salut commun.
« Il n’existe plus qu’un ennemi, le Prussien et son complice, le partisan de la dynastie déchue qui voudrait faire de l’ordre dans Paris avec les baïonnettes prussiennes... » (Dommanget, op. cit., p. 28).
Pendant le Siège, Eudes et quelques-uns de ses amis blanquistes « jouèrent obscurément un rôle en tant qu’organisateurs et agents de liaison » au Comité central des vingt arrondissements (Ibid., p. 69). Chef du 138e bataillon de la Garde nationale, Eudes fut destitué après la journée populaire du 31 octobre à laquelle il prit part (cf. biographie Duval, lettre d’Eudes). Il fut toutefois acquitté le 9 mars par le 4e conseil de guerre.
Aux élections générales du 8 février 1871, il échoua comme échouèrent tous les blanquistes « de stricte observance ». (Louis Blanc, premier élu, recueillit plus de 200 000 voix, Blanqui, un peu plus de 50 000, Eudes, 33 000).

Collaborateur de La Patrie en danger, chef élu de la XXe légion, Émile Eudes fut particulièrement actif durant la semaine qui précéda le 18 mars — Voir Émile Duval ; et, le soir de ce jour-là, avec Ranvier, à la tête des bataillons de Belleville auxquels se joignirent ceux de Montmartre conduits par Pindy, ils s’emparèrent de l’Hôtel de Ville sur lequel fut hissé le drapeau rouge. Eudes fut de ceux qui, ce soir là, songèrent à marcher sur Versailles. Le 24 mars, le comité central de la Garde nationale, après avoir liquidé Lullier, nommait Brunel, Eudes et Duval délégués à la Guerre. Le 26 mars, Eudes était élu, dans le XIe arr., membre de la Commune par 19 276 voix sur 25 183 votants. Le 29, il était premier élu avec 43 voix à la commission exécutive et membre de la commission militaire. Ce même jour, c’est sur sa proposition que la nouvelle assemblée prit le nom de Commune de Paris. Le 3 avril, en raison de son rôle militaire, il cessa de faire partie de la commission exécutive. Il prit part ce jour-là à la malheureuse sortie sur Versailles — Voir Émile Duval. Le 20 avril, il reçut le titre d’inspecteur général des forts de la rive gauche de la Seine et, le 5 mai, sur décision de Rossel, délégué à la Guerre, il fut nommé commandant de la 2e brigade active de réserve, le palais de la Légion d’honneur étant son quartier général. Lors du renouvellement du Comité de salut public, le 9 mai, il y fut élu ainsi que Ranvier, Ant. Arnaud, Gambon et Delescluze. Eudes prit part aux combats de rue durant la Semaine sanglante, et sa présence aux côtés de Varlin, rue de Rennes et carrefour de la Croix-Rouge, est signalée le mardi 23 mai. Le lendemain, il s’opposa à l’exécution de Charles de Beaufort, en vain.
Il réussit cependant à fuir et, par la Suisse, où sa femme Victorine le rejoignit, gagna Londres en septembre 1871. Par contumace, le 3e conseil de guerre le condamna à la peine de mort, le 2 août 1872, après que le 5e conseil l’eut déjà condamné, le 23 novembre précédent, à vingt ans de travaux forcés et 5 000 f d’amende.

À Londres, où il s’exila de 1871 à 1880, il appartint au groupe blanquiste « la Commune révolutionnaire » et, comme tel, signa, en juin 1874, la brochure Aux Communeux. Il demeura adhérent de la franc-maçonnerie (cf. J. Bossu, « Une loge de proscrits à Londres », L’Idée libre, juin-juillet 1958.)
Contrairement à ce qu’affirma Léopold Caria, Émile Eudes était démuni d’argent et vécut à Londres assez pauvrement. Il tenta, en vain, d’entrer en possession de la part d’héritage que lui avait laissée son ami Tridon. La liquidation de cet héritage n’aura lieu qu’en 1885. Il reviendra alors à Eudes 25 833 F 19 sur lesquels il avait touché 20 000 F dont 12 500 F en 1880. La famille Eudes gagna un temps Edimbourg où la vie était plus facile. En 1877, sous le nom de Robert, Émile Eudes fut professeur de français à l’École navale de Yarmouth.
De retour en France après l’amnistie, Émile Eudes participa à la fondation de Ni Dieu ni Maître et fut vice-président de la « Ligue pour l’abolition de l’armée permanente ». Il habitait alors le XIIIe arr. Après la mort du « Vieux » (Blanqui), 1er janvier 1881, les blanquistes se groupèrent dans le Comité révolutionnaire central. Avec Édouard Vaillant, et aidé financièrement par Rochefort, Eudes lancera encore L’Homme libre où il publiera son dernier article... Il se présenta sous l’étiquette P.O. aux élections municipales du quartier Saint-Merri (Paris, IVe arr.) en 1881 où il obtint 0,5 % des voix et dans le quartier de la Salpétrière (Paris, XIIIe arr.) où il obtint 4,70 % des voix. En 1885 il fut candidat du C.R.C. dans le quartier Charonne (Paris, XXe arr.) où il obtint 23,60 % des voix au 1er tour et 24,62 % au second, dans le même quartier il obtint 24,45 % des voix en 1887.
Il mourut le 5 août 1888, salle Favié, à Belleville, au cours d’un meeting qu’il présidait, en prononçant un discours en faveur des terrassiers parisiens en grève. Des funérailles, qui s’accompagnèrent de rudes bagarres au milieu d’un déploiement considérable de forces policières, valurent aux archives de la préfecture de Police un énorme dossier. En 1892, le conseil municipal de Paris octroya à sa dépouille une concession à perpétuité.

Il était marié et père de quatre enfants. Une de ses filles, G. Farjat, domiciliée 61 rue Didot à Paris (XIVe arr.), correspondait avec André Marty et lui fit don en mars 1951 de livres et de papiers qui lui venait de son père. Elle avait alors quatre-vingt-trois ans.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article58730, notice EUDES Émile, François, Désiré. Pseudonymes Deschamps, Gaïfer ou Sed par Jean Maitron, version mise en ligne le 26 juillet 2009, dernière modification le 30 novembre 2022.

Par Jean Maitron

Émile Eudes
Émile Eudes
cc Le Monde illustré, 18 août 1888.

SOURCES ET BIBLIOGRAPHIE : Arch. Nat., BB 24/856, n° 2731. — Arch. Min. Guerre, 3e conseil. — Arch. PPo., B a/1067. — E. Lepelletier, Histoire de la Commune de 1871, t. III, pp. 228-230. — M. Dommanget, Blanqui et l’opposition révolutionnaire..., op. cit. ; Blanqui... et la Commune, op. cit. ; Hommes et Choses de la Commune. — M. Vuillaume, Mes Cahiers rouges, op. cit. — Clère, Les Hommes de la Commune, op. cit. — Da Costa, La Commune vécue, op. cit. — Michel Offerlé, Les socialistes et Paris, 1881-1900. Des communards aux conseillers municipaux, thèse de doctorat d’État en science politique, Paris 1, 1979. — Note de Louis Bretonnière.
Ce qui reste des archives Eudes a été remis par son fils à l’IFHS. Le fonds a été, en partie, utilisé par Jean Maitron — voir l’Actualité de l’Histoire, n°s 5 et 6, octobre 1953, janvier 1954. — Arch. Marty. — Etat civil de Roncey.
Pour la biographie de la plupart des militants cités et pour celle de Mme Eudes, se reporter au Dictionnaire, t. IV à IX.

ICONOGRAPHIE : G. Bourgin, La Commune 1870-1871, op. cit., p. 351. — Bruhat, Dautry, Tersen, La Commune de 1871, op. cit., p. 137.

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