VÉSINIER Pierre

Né le 5 juillet 1824 à Mâcon (Saône-et-Loire), mort le 10 juin 1902 à Paris (XXe arr.) ; journaliste, homme de lettres ; provisoirement cheminot, « mécanicien » ; membre de l’Internationale et de la Commune, adhérent de la franc-maçonnerie.

Vésinier fit d’assez bonnes études au lycée de Mâcon. Lorsque survint le Coup d’État du 2 décembre 1851, il habitait Cluny, ville de Saône-et-Loire où son père était huissier et il exerçait les fonctions de clerc.

Il aurait donné le signal de la résistance et, maire de la localité pendant vingt-quatre heures, combattu contre les troupes envoyées pour le soumettre. Condamné à la transportation, il s’enfuit en Belgique, puis en Suisse, en Hollande et en Prusse. Son père serait mort pendant qu’il se trouvait en exil, du chagrin que lui causait son isolement. Après son décès, son étude aurait été fermée par arrêté ministériel, et sa veuve, qui ne reçut qu’une faible indemnité, aurait rejoint son fils en Prusse. Tels sont du moins les titres que Pierre Vésinier invoquera en octobre 1881 pour justifier sa demande de pension en qualité de victime du coup d’État (Arch. PPo., B a/1293).

En fait, le 4 décembre au soir, il avertit les démocrates de Saint-Gengoux-le-National (Saône-et-Loire) de l’insurrection qui a eu lieu à Tournus (Saône-et-Loire) la veille au soir.

Le 5 décembre, avertis de l’approche de la colonne partie le matin de Saint-Gengoux-le National, les démocrates de Cluny passèrent à l’action. Vésinier fut désigné comme maire provisoire de Cluny, fit réquisitionner les fonds de la perception et de la recette de l’Enregistrement, et envoya une patrouille à Château (Saône-et-Loire) pour mettre hors d’usage le télégraphe optique.

Il parvint à s’enfuir avant l’arrivée à Cluny (le 6 au soir) des forces de répression qui dispersèrent les insurgés aux portes de Mâcon.

La commission mixte le condamna à la transportation (Algérie plus).
Ce que l’on peut aussi vérifier, c’est qu’après le coup d’État, Vésinier se rendit en Belgique, puis en Suisse où il travailla dans l’horlogerie, ce qui l’autorisa peut-être à se qualifier de mécanicien. Selon ses dires, le gouvernement radical de James Fazy l’expulsa dans le courant de 1852, pour sa participation à la formation d’une caisse d’entraide pour les proscrits. Cela ne l’empêcha pas de revenir fréquemment à Genève où il séjourna illégalement. Il résida aussi un certain temps à Lausanne et s’y lia avec Flocon qui l’engagea pour le seconder dans la publication des Mystères du Peuple d’Eugène Sue. Il publia à cette époque des brochures graveleuses destinées au colportage clandestin comme Les Nuits de Saint-Cloud, des Tuileries et de Compiègne, ce qui lui valut des poursuites. Il se cacha et passa plusieurs mois dans le canton de Neuchâtel où il travailla à la construction du chemin de fer du Val de Travers. Un non lieu lui permit de rentrer à Lausanne. En février 1858, on le retrouve à Genève ; il demande sa naturalisation qui lui fut refusée, « le moment ne paraissant pas opportun » : on était au lendemain de l’attentat d’Orsini et les autorités françaises surveillaient avec vigilance les faits et gestes des républicains réfugiés en Suisse. Selon des rapports de la police française, Vésinier semble alors avoir joué un certain rôle dans les sociétés secrètes qui groupaient à Genève républicains français et italiens mazziniens. En 1859, il demanda à bénéficier de la grâce impériale et se fit délivrer un passeport par le consulat de France.

Il s’opposa vivement à l’annexion de la Savoie par la France et demanda son occupation par la Suisse. Pour exprimer ses vues, il disposait alors d’un petit hebdomadaire, le Progrès, qui ne parut que quelques mois. Vésinier prétendit s’être rendu secrètement, le 29 mars 1860, en compagnie d’autres réfugiés et de quelques radicaux genevois, à Bonneville pour tenter, d’ailleurs en vain, de provoquer un mouvement en faveur du rattachement à la Suisse. Il fit retomber toute la responsabilité de cet échec sur James Fazy, le chef du radicalisme genevois, qu’il accusa de bonapartisme.

En mars 1861, il publia une brochure Pie IX, le dernier souverain temporel, imprimerie de J. Vernier à Carouge, Genève 1861, 16 p. Il était en relations avec les milieux blanquistes et, en compagnie de quelques amis, il publia dans la Nation suisse une protestation contre un article du correspondant parisien de ce journal radical qui, relatant la récente arrestation de Blanqui, accusait le vieux révolutionnaire d’être un provocateur (N° du 18-19 mars 1861).

Pour des raisons assez obscures (Fazy le soupçonnait d’être à l’origine de certaines attaques personnelles), Vésinier fut expulsé de Genève le 30 mars 1861. Il se rendit alors à Lausanne, puis en Italie avec le projet d’y travailler à la rédaction du Politecnico. Mais son ignorance de la langue italienne l’obligea à quitter le pays. Il rentra en France et s’établit à Oullins où il travailla comme mécanicien. Menacé d’être arrêté, il s’enfuit à Genève où il espérait qu’on le laisserait s’établir. Mais il y fut emprisonné pour rupture de ban. Défendu par un avocat conservateur, il fut acquitté, mais le gouvernement radical persista à lui refuser un permis de séjour. Malgré cela, Vésinier resta à Genève où il s’occupa de librairie.

En février 1863, il s’établit à Sion où il déclara comme profession « libraire et employé de chemin de fer ». Il dut quitter la Suisse en décembre 1863 ou au début de 1864 et se rendit à Bruxelles où il travailla comme commis de librairie. Il collabora à la Tribune du Peuple publiée à Bruxelles et à la Rive Gauche (20 octobre 1864-5 août 1866), organe des réfugiés français en Belgique, publié à Bruxelles, puis à Londres à partir de décembre 1865. Il continua ses publications à scandale avec Le Mariage d’une Espagnole et La Femme de César et fut condamné, le 5 août 1866, par la cour d’assises siégeant à Bruxelles, à dix-huit mois de prison et 1 000 F d’amende pour offenses envers l’empereur. Par la suite, il défendit dans La Cigale, tribune bruxelloise de la section française de Londres de l’Internationale (désavouée le 10 mai 1870 par le Conseil général), les mineurs de Charleroi en grève et fut expulsé de Belgique. Amnistié, il rentra en France où il collabora au Rappel et à la Réforme, se prodigua comme orateur de réunions publiques, notamment à Belleville, et fut condamné deux fois : vingt jours de prison le 4 décembre 1869, un mois le 11 février 1870, pour infraction à la loi sur les réunions publiques. Le 3 août 1870, il était condamné une troisième fois : deux mois de prison pour excitation à la haine et au mépris du gouvernement.

Il fut provisoirement cheminot, « mécanicien » d’après rapport, Arch. Nat., BB 24 ; lui-même s’est ainsi qualifié dans l’Affranchi du 23 avril 1871. Il représenta « la loge maçonnique républicaine » à un meeting à Londres, selon un rapport du 25 novembre 1872, Arch. PPo., B a/1293. voir E. Thirifocq.

Vésinier adhéra à l’Internationale (sa carte porte la date d’adhésion du 19 septembre 1865) et fut un des fondateurs de la section française de Londres appelée Branche française - voir Dict., t. IV, p. 78. Il fut délégué à la Conférence de Londres, 25-29 septembre 1865. D’accord avec Le Lubez, membre du Conseil général, il attaqua dans l’Espiègle, paraissant en Belgique, le Bureau de Paris de l’Internationale. Le conflit s’envenima (cf. lettres de Marx à Engels, 5 et 15 janvier 1866, Correspondance, A. Costes, Paris, 1934, tome IX) et les Parisiens demandèrent l’exclusion des deux hommes, ce qui fut fait en septembre 1866. Deux ans plus tard, en octobre 1868, ce fut la Branche française de Londres, dont Vésinier était alors le secrétaire, qui fut exclue. Il n’en continua pas moins, toujours au nom de la Branche française, à lancer un certain nombre de proclamations retentissantes, qui agaçaient le Conseil fédéral de l’association. En juin 1869, au cours d’un meeting à Charing Cross, il proclamait « la négation de Dieu, de la famille, de la Patrie, le Droit au travail pour tous, l’atelier à tous, la propriété à tous ». Il eut de nombreux démêlés avec les Internationaux et avec les hommes de l’opposition, notamment Rochefort.
Après le 4 septembre 1870, Vésinier attaqua les hommes du gouvernement. Il fut membre du Comité de Vigilance du XXe arr. et fut l’un de ceux qui s’emparèrent, le 31 octobre, de la mairie de Belleville. Arrêté, il fit quatre mois de prévention, mais fut acquitté le 24 février 1871, par le 4e conseil de guerre. Il fut encore membre de la légion garibaldienne. Il collabora au Combat (16 septembre 1870-23 janvier 1871) de Pyat, puis au Vengeur qui lui succéda le 3 février ; également à La Nouvelle République (19 mars-1er avril) puis à l’Affranchi, journal des hommes libres (2-25 avril) de Paschal Grousset et à Paris-Libre (12 avril-24 mai) dont il fut rédacteur en chef.

Le 16 avril 1871, aux élections complémentaires, Pierre Vésinier était élu membre de la Commune, dans le Ier arr., par 2 626 voix. Il habitait alors, 1, rue Bréa, et appartenait, ainsi que sa femme Louise Déringer, aux sections de l’Internationale du Panthéon et du XIIIe arr. (cf. Dict., t. IV, p. 61 et 68). Comme membre de la section du Panthéon, il avait la carte n° 27 et sa femme la carte n° 28. Le 21 avril, il fut élu à la commission des Services publics. Le 8 mai, il fut nommé adjoint au secrétariat des séances de la Commune dirigé par Amouroux, pour s’occuper du Journal officiel et, le 12 mai, un décret du Comité de Salut public le désigna pour remplacer Ch. Longuet comme rédacteur en chef du Journal officiel. Le 19 mai, il remplaça Gambon à la commission de la Justice. Il vota pour le Comité de Salut public. Par contumace, le 3e conseil de guerre le condamna le 6 juin 1873, à la peine de mort. Un rapport signalétique, 2 septembre 1872, le présentait alors ainsi : « taille au-dessous de la moyenne, bossu, cheveux et sourcils châtain clair, yeux gris, nez pincé aquilin, teint bilieux, moustaches blond roux, visage osseux, pommettes saillantes, peau ridée » (Arch. PPo., B a/1293).

Et Lepelletier, dans son Histoire de la Commune, t. II, p. 122, a tracé le portrait suivant de celui que Rochefort appela Racine de Buis, Da Costa : Quasimodo, Serraillier : Tortillard et Delion : Triboulet, « une des personnalités les moins sympathiques de la Commune. Ce malheureux était contrefait et son esprit ne fut jamais bien droit. Sa difformité, son allure minable, le dédain et le mépris qu’il rencontra partout autour de lui aigrirent son caractère et enfiellèrent son âme ». Toutefois, au dire de K. Marx - qui n’était pas son ami - si Vésinier était « sans grande valeur littéraire » et dénué de tout scrupule, il avait « beaucoup de talent, grande puissance oratoire, beaucoup d’énergie » (Correspondance K. Marx — Fr. Engels, t. IX des Œuvres complètes de Karl Marx, Paris 1934, lettre du 15 janvier 1866).

Réfugié à Londres, il écrivit une Histoire de la Commune de Paris, 1871, in-16, IX-(3)-420 p. Il collabora au Qui Vive ! (3 octobre-10-11 décembre 1871) de Vermersch et fut un des fondateurs de la Section fédéraliste française de 1871. Cette section prétendit former à Londres, en décembre 1871, un Conseil fédéraliste universel destiné à remplacer le Conseil général, et une certaine Fédération universelle des Travailleurs tint un congrès constitutif du 16 au 19 septembre 1872. Vésinier fonda le journal La Fédération dont le premier numéro parut le 24 août 1872 et qu’il rédigea, notamment avec E. Oudet, L. Geoffroy et B. Landeck. Mais le journal fut qualifié de feuille policière par la Société des Réfugiés qui expulsa Vésinier de son sein par décision du 25 août. Son rôle fut assez effacé par la suite.

Rentré en France après l’amnistie, il collabora en 1880 à l’éphémère Commune de Pyat et fut condamné à Paris, le 22 mars 1881, par la 8e Chambre correctionnelle, à six mois de prison et 2 000 F d’amende (ramenés à trois mois le 17 mai, confirmés le 13 juillet), en tant que rédacteur en chef de Juvénal pour apologie de fait qualifié crime, en l’occurrence la glorification des meurtriers du tsar Alexandre II (le n° 1 du Juvénal est daté 18 mars 1881 ; on le trouve aux Arch. Nat. F 18/376).

Il habitait, en 1882, 22, rue des Pavillons à Paris et reçut, à partir du 5 octobre de cette année, une pension viagère de 1 200 F au titre de victime du coup d’État de 1851.

En 1883, il fut délégué du Cercle collectiviste du XXe arr. au 4e congrès régional de l’Agglomération parisienne (Parti ouvrier) et assura, jusqu’en 1886, de nombreuses réunions publiques. En 1892, il fit paraître un ouvrage : Comment a péri la Commune qui contenait des attaques contre certains Communards, ce qui lui valut d’être assigné devant les tribunaux par Albert Goullé.

Il s’était marié deux fois : la première à Louise Déringer, puis, après la mort de celle-ci, postérieurement à la Commune, une seconde fois à la fille de Gabriel Ranvier.

Il fut enterré civilement le 12 juin 1902 (il habitait alors, 18, rue de Belleville, à Paris).

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article9350, notice VÉSINIER Pierre, version mise en ligne le 30 juin 2008, dernière modification le 11 octobre 2020.

ŒUVRE : (cotes de la Bibl. Nat.) : Les Amours de Napoléon III, Londres, 1863, Lb 56/431 (Réserve). — La Vie du nouveau César, Genève, 1865, Lb 56/440. — L’Histoire du nouveau César, Londres, 1866, Lb 56/441. — Scènes d’intérieur sous l’Empire, s.l.n.d. (Paris, 1871) Lb 56/498. — Le Mariage d’une Espagnole, Londres, 1866, Rés. 8° Lb 56/1594 ; 2e édition, Londres, 1869, Rés. 8° Lb 56/1594 A. — Le Mariage de la cousine d’une Espagnole, Londres, 1868, 2 vol., 16° Lb 56/3273. — Histoire de la Commune de Paris, Londres, 1871, Lb 57/1658. — Comment a péri la Commune, Paris, 1892, XIX-474 p., Lb 57/10690. — Le Martyr de la liberté des nègres ou John Brown, Berlin, 1864, in-8°, Pz 471
ARCHIVES : Les papiers de Vésinier se trouvent aujourd’hui à l’Institut international d’Histoire sociale d’Amsterdam ; ils comprennent de la correspondance, un manuscrit inédit sur l’histoire de l’Internationale et divers autres manuscrits.

SOURCES : Arch. Nat., BB 24/859 A, n° 3403 et BB 30/396, 400 ; F 18/376, dossier Le Juvénal. — Arch. Min. Guerre, 3e conseil, dossier 923. — Arch. PPo., B a/439, a/1293, E a/104/9 et listes de contumaces. — Arch. Dép. Côte-d’Or, U IV E5. — Arch. Dép. Saône-et-Loire, M 122. — Procès-Verbaux de la Commune de 1871, op. cit. — Archives Bakounine..., op. cit., vol. II, p. 427, n. 208, p. 429, n. 217, p. 457-458, n. 348. — Notes de A. Jeannet et P. Lévêque. — Michel Cordillot (coord.), La Commune de Paris 1871. L’événement, les acteurs, les lieux, Ivry-sur-Seine, Les Éditions de l’Atelier, janvier 2021.

ICONOGRAPHIE : Arch. PPo., E a/104 et album 286/43. — G. Bourgin, La Commune, 1870-1871, op. cit., p. 235. — Bruhat, Dautry, Tersen, La Commune de 1871, op. cit., p. 133.

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