LAPICQUE Louis, Édouard

Par Justinien Raymond

Né le 1er août 1866 à Épinal (Vosges), mort le 6 décembre 1952 à Paris (Ve arr.) ; universitaire ; pionnier du socialisme dans les Vosges.

Louis Lapicque était le fils d’Auguste, vétérinaire, né à Épinal en 1836, un des républicains de la première heure dans le chef-lieu des Vosges. Cet Auguste Lapicque entra dans la franc-maçonnerie le 10 décembre 1862 et fit partie de « la Fraternité » d’Épinal. En 1873, il fut porté, au temps de l’ordre moral, sur la « liste des individus qui ont arboré des drapeaux au 4 septembre » (Arch. Dép. 105 / 131). En 1897, il fonda le patronage laïque, l’Union vosgienne d’Éducation populaire, dont il fut le président. Lorsqu’il mourut en 1908 à Not-Eric en Ploubazlanec (Côtes-du-Nord), l’organe socialiste L’Ouvrier vosgien lui consacra une notice nécrologique rappelant que c’était grâce à sa confiance et à son concours pécuniaire qu’avait pu être créé l’atelier socialiste de l’Imprimerie nouvelle.

Louis Lapicque resta fidèle à l’exemple paternel. Après avoir fréquenté le collège de sa ville natale, il poursuivit des études supérieures à Paris, devint licencié ès sciences et docteur en médecine. Au cours de ses études, il épousa une étudiante en Sorbonne, Mlle de Hérédia. Pendant une dizaine d’années, il travailla, aux côtés de son compatriote E. Gley, au laboratoire de la clinique de l’Hôtel-Dieu, et étudia la physiologie avec Dastre. Il fit plusieurs voyages en Extrême-Orient pour y poursuivre des études d’anthropologie. En 1899, il était maître de conférences à la Faculté des Sciences de Paris, avant d’y devenir professeur. Il fut membre des Académies des sciences et de médecine, président de la Société de biologie.

Louis Lapicque garda longtemps des liens étroits avec sa petite patrie d’origine, y fut mêlé à la vie de la F. M. et de la Libre Pensée. Il fut, au début du XXe siècle, un des fondateurs de l’Université populaire, unie par des liens étroits à la Libre Pensée. Dans les locaux de l’Université populaire, il fit une conférence publique et contradictoire le 23 mai 1904 avec Victor Charbonnel, du journal La Raison, à l’occasion du congrès de la Libre Pensée. Parallèlement, se déroulait à Épinal le congrès fédéral de l’Est du Sillon catholique. Le 22 mai, Louis Lapicque apporta la contradiction à Marc Sangnier. Il se présenta comme un « libre penseur athée » à un congrès au bureau duquel siégeait sa femme ; il y présenta Marc Sangnier « comme un apôtre convaincu d’un socialisme différent qui fatalement se confondra avec le socialisme rationnel » (Arch. Dép. rapport de police, 24 mai 1904). En mars 1905, au nom des libres penseurs, il prononça l’éloge funèbre d’Ernest Humbert, gérant de l’Université populaire.

Dans les mêmes années, il fut un des premiers militants à parler de socialisme dans les Vosges. En 1902, alors qu’il était maître de conférences à la Sorbonne, il fut un des fondateurs du journal socialiste l’Ouvrier vosgien. Aidé par son père, il fut un des bailleurs de fonds. Il y collabora durant plusieurs années, y exposant la doctrine socialiste, l’éclairant à la lumière des événements ; il y combattit le cléricalisme, y dénonça les répressions du tsarisme. C’est essentiellement grâce à la propagande de Louis Lapicque et d’une petite poignée de militants qu’à l’heure de l’unité, le Parti socialiste SFIO trouva une petite fédération des Vosges groupant les sections d’Épinal, Chatel, Saint-Dié, Eloyes, Rambervillers. C’est grâce à lui aussi que cette jeune organisation put combattre dans toutes les circonscriptions aux élections législatives de 1906. Non seulement il en supporta largement les frais, mais il assura, personnellement, la seule campagne vraiment fructueuse dans l’arr. de Remiremont, où il recueillit 2 123 voix. Cette même année, il représenta sa fédération au congrès national de Limoges. Il y regretta qu’un article de Bracke condamnant dans Le Socialiste la voie parlementaire vers le socialisme n’engageât le parti et ne pût être utilisé contre ses candidats.

Délégué de la Fédération socialiste des Vosges au congrès national du Parti Socialiste SFIO à Limoges (1906), Louis Lapicque fit sa dernière apparition à des assises nationales. Dans L’Ouvrier vosgien du 24 février 1907, il annonça sa volonté de ne plus être délégué : « Je n’ai plus, en ce moment, l’enthousiasme nécessaire pour faire besogne utile de militant. D’ailleurs, la démocratie et le socialisme sont maintenant éveillés dans les Vosges ; je demande aux camarades de me laisser à ma vie scientifique, si le danger revient, je me trouverai d’un bond à leurs côtés. » L’évolution d’un homme, qui n’avait pu s’adapter à la discipline du nouveau socialisme, s’achevait au vif regret de ses amis. Il précisa, dans L’Ouvrier vosgien, que s’il abandonnait la lutte, il ne désespérait pas du socialisme tout en estimant que le parti était tombé dans « l’embuscade guesdiste ».

La coupure de la guerre de 1914 à 1918, l’âge venu, les hautes fonctions occupées à Paris éloignèrent Lapicque de la petite capitale vosgienne et le firent oublier et méconnaître de la jeune génération. Non sans susciter des réprobations ; Aimé Piton l’attaqua dès 1922 dans Le Travailleur vosgien. Quatre ans plus tard, dans le même organe, Poinçot, venu tardivement au socialisme reprocha à Lapicque son adhésion à la Ligue de défense de l’Économie nationale, pendant la guerre. Lapicque répliqua en plaidant la cause de la liberté dans le socialisme dont il avait été un des pionniers dans les Vosges. « J’ai été, écrivit-il, parmi les premiers champions des trois huit pour l’ouvrier d’usine. Je me souviens même d’avoir une fois, seul de tout l’enseignement supérieur français, signé un appel pour ce principe. Eh bien ! je n’ai pas changé » (Le Travailleur vosgien, 25 septembre 1926). Poinçot ne désarma pas, mais tout en lui reprochant de ne plus militer activement, il reconnut son rôle passé. « M. Lapicque, répondit-il, se considère comme l’aîné du socialisme vosgien. Il a effectivement défriché un sol ingrat, dans des conditions plutôt dures. Il a planté dans ce département le drapeau du parti, c’est un mérite. Il n’a point travaillé à l’y maintenir, c’est un tort » (ibid., 18 septembre et 2 octobre 1926).

En 1924, il fut candidat socialiste indépendant sur la liste du Cartel des gauches conduites par le radical Camille Picard à l’occasion des élections législatives. Sa dernière intervention dans la politique vosgienne eut lieu pendant la campagne électorale de 1936, lorsqu’il vint participer, à Épinal, à une réunion de soutien au radical Marc Rucart.

Pendant la Deuxième Guerre mondiale, en dépit de son âge, Louis Lapicque encourut une arrestation pour son attitude de résistant. Il fut adhérent du Front national et un des organisateurs du mouvement maçonnique de résistance Patriam recuperare.

Il survécut plusieurs années à ces épreuves.

Louis Lapicque s’était marié le 14 mai 1902 à Paris (XVIIe arr.). Un lycée et un quai d’Épinal portent son nom.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article115887, notice LAPICQUE Louis, Édouard par Justinien Raymond, version mise en ligne le 24 novembre 2010, dernière modification le 18 septembre 2014.

Par Justinien Raymond

Louis Lapicque
Louis Lapicque
Louis Lapicque dans son laboratoire de la Sorbonne
Louis Lapicque dans son laboratoire de la Sorbonne

SOURCES : Arch. Dép. Vosges, 8 M 64 et 77 — 10 M 31. Rapports du commissaire spécial d’Épinal. — L’Ouvrier vosgien des 22 mai, 19 juin, 7 août, 4 septembre, 23 octobre 1904 et des semaines suivantes. — Le Courrier des Vosges, 7 octobre 1922. — Le Travailleur vosgien. — Hubert-Rouger, Les Fédérations socialistes I, op. cit., pp. 561-562. — Compte rendu du congrès socialiste de Limoges, 1-4 novembre 1906, pp. 34-35. — Arch. Dép. Vosges, 8 M 64 et 77, IO M 31, 13 M 54, 13 M 71. — L’Ouvrier vosgien, 1902-1913. — La République des Vosges, 9 mai 1936. — Le Pays lorrain, n° 4, 1952, pp. 143-144. — Renseignements communiqués par R. Martin.

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