SOULÈS Georges (dit ABELLIO Raymond)

Par Jean-Louis Panné

Né le 11 novembre 1907 à Toulouse (Haute-Garonne), mort le 27 août 1986 à Nice (Alpes-Maritimes) ; polytechnicien, ingénieur des Ponts et Chaussées ; dirigeant de la Gauche révolutionnaire ; dirigeant du Mouvement social révolutionnaire pendant l’Occupation ; romancier, ésotériste et kabbaliste.

Fils d’un employé chez un épicier en gros, Georges Soulès fut baptisé et élevé dans un catholicisme ayant subi des influences cathares, un « catholicisme en marge » comme il devait l’écrire. Grâce à une bourse, il put poursuivre ses études secondaires et obtenir les baccalauréats de mathématiques et de philosophie qui lui ouvrirent le chemin de l’École polytechnique, en octobre 1927. Déjà socialiste, « non marxiste mais d’un socialisme populaire », toujours catholique pratiquant, il rencontra Marc Sangnier* mais ne fut pas attiré par le « scoutisme » de son mouvement, Jeune république. Déjà de nouvelles influences nourrissaient son « romantisme de compensation » : le Sorel de la grève générale insurrectionnelle, le Lénine du « défaitisme révolutionnaire » et de la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile. Soulès rompit avec l’Église lorsqu’un aumônier voulut le persuader d’aller faire du prosélytisme dans la banlieue ouvrière. Devenu lecteur de la presse de gauche, L’œuvre, Le Quotidien, parfois l’Humanité, il lut également le Manifeste du Parti communiste.

Au sortir de l’X, Georges Soulès effectua son service militaire dans le génie à Versailles, Avignon et dans les Alpes, avant d’entrer pour deux ans à l’École des Ponts et Chaussées d’où il sortit ingénieur. Pendant cette période, il compléta sa formation idéologique, dévorant « tout Marx, ou presque,..., tout Engels et même tout Lénine, tout Trotsky, tous les classiques du marxisme », c’est-à-dire G. Plékhanov, A. Labriola, Rosa Luxembourg dont L’Accumulation du capital fut un temps son livre de chevet.

Après son service militaire, Georges Soulès entra à l’administration de la Démocratie paysanne, journal électoral créé par un candidat radicalisant. Cette expérience fut l’occasion pour lui d’observer certaines mœurs politiques de la IIIe République. Il passa ensuite au service du journal de Georges Ponsot, La Gauche. Simultanément il adhéra au Groupe parisien des Étudiants socialistes qui, placé sous la tutelle d’un directoire composé de Marcel Déat*, Marceau Pivert* et Jean Zyromski* , fut son « université parallèle ». En 1931, Soulès adhéra aux Jeunesses socialistes du XIVe arr. de Paris puis à la 14e section. Mais sa vie militante ne commença réellement qu’en décembre 1931 avec la création du Centre polytechnicien d’études économiques où il rencontra notamment Jules Moch* et Louis Vallon* qui créèrent ensuite le Centre polytechnicien d’études collectivistes, au printemps de 1932. Georges Soulès en devint l’un des secrétaires. Poussé par l’un de ses membres, il entra au printemps de 1932 à la Loge maçonnique « Lalande » mais s’en retira rapidement. À la fin de l’automne 1932, il prit ses fonctions d’ingénieur dans le département de la Drôme dont Jules Moch était le député et où militait également Louis Vallon. Pendant près de quatre ans, il administra l’hebdomadaire fédéral, La Volonté socialiste, et fut l’une des chevilles ouvrières de la fédération. En 1934, il rejoignit le groupe « Révolution constructive », tendance de la SFIO.

En octobre 1935, Georges Soulès participa à la création de la tendance de la Gauche révolutionnaire (voir Marceau Pivert*) et fut l’un des membres de son comité directeur. Avec cinq de ses camarades, il la représenta à la Commission administrative permanente à l’issue du congrès national de Marseille (juillet 1937), auquel il avait été délégué.

En octobre 1936, il avait quitté Valence pour assurer, comme technicien socialiste, la direction de la commission des grands travaux créée par Léon Blum* sous l’autorité de Jules Moch, secrétaire général du gouvernement, et collabora avec Charles Spinasse*. En octobre 1937, Georges Soulès abandonna volontairement cette commission et fut nommé ingénieur des Ponts et Chaussées à Versailles. Au congrès de Royan (juin 1938), il fut de ceux qui, avec Maurice Deixonne* et Berthe Fouchère* , se refusèrent à transformer la Gauche révolutionnaire en parti autonome et, par conséquent, n’entra pas au Parti socialiste ouvrier et paysan. La scission de Royan enclencha un processus de désengagement de sa part : « Je me suis mis à douter radicalement du socialisme français, du socialisme tout court », devait-il dire (Le Quotidien de Paris, 19 janvier 1981). Cependant, au sein de la SFIO, il apporta son soutien à l’action pacifiste de la tendance « Redressement pour la construction du socialisme et de la paix », animée par Ludovic Zoretti* , dont il devint le secrétaire administratif pour la région parisienne. Il signa en décembre 1938 la motion en vue du congrès extraordinaire du Parti socialiste qui eut lieu à la Noël 1938 à Montrouge. Cette tendance ne recueillit que soixante mandats sur plus de huit mille. Au congrès suivant (Nantes, 27-30 mai 1939), « Redressement » ne regroupa plus que 45 mandats ; Georges Soulès s’y prononça contre le vote du rapport du groupe parlementaire. La CAP de l’année précédente fut reconduite en bloc mais deux sièges supplémentaires furent créés pour sa tendance ; il en occupa un, l’autre étant attribué à Zoretti.

Mobilisé, Georges Soulès fut fait prisonnier en mai 1940 et le demeura jusqu’en mars 1941 à l’Oflag IV D où il participa à un groupe de réflexion. Ce fut lors de sa captivité qu’il commença à « réviser sa conception du nazisme », sous le choc de la réussite économique allemande, du plan Schacht, fondement de la victoire militaire. Libéré, il reprit ses fonctions à Versailles et contacta Marcel Déat pour faire libérer ses camarades. Sa méfiance envers l’ancien néo-socialiste, l’amena en mai 1941 à adhérer au Mouvement social révolutionnaire fondé en octobre 1940 par le chef de l’ancienne Cagoule, Eugène Deloncle, refusant cependant le serment de fidélité imposé. Georges Soulès devint l’un des collaborateurs d’Eugène Schueller, fondateur de la société L’Oréal, promu responsable « de l’action économique » du mouvement. Sur intervention d’Otto Abbetz, le MSR rejoignit le Rassemblement national populaire de M. Déat, tout en conservant une organisation distincte. Le 14 mai 1942, Soulès, André Mahé (voir Alain Sergent*) et Jean de Castellane déposèrent Deloncle et conservèrent la direction du MSR. Devenu l’un des collaborateurs attitrés de Révolution nationale, l’hebdomadaire du MSR, Georges Soulès posait, comme préalable à toute révolution institutionnelle et véritable, une révolution morale et spirituelle chez les révolutionnaires eux-mêmes. Il proclama le MSR parti « raciste », fasciné qu’il était par la dimension « vitaliste » du nazisme. Il s’agissait de créer « un ordre, à base d’honneur et de fidélité et d’esprit de sacrifice, capable de racheter les fautes et les erreurs de notre patrie et de construire le monde nouveau en conciliant ces deux volontés qui furent toujours celles de la race aryenne : la volonté de puissance et la volonté de pureté » (Révolution nationale, 15 février 1942). En 1943, Georges Soulès publia avec André Mahé La Fin du nihilisme, qui lui valut ces commentaires rétrospectifs de Marcel Déat : « Il ne manquait d’ailleurs ni d’idées ni d’une espèce de fanatisme têtu, et il avait rédigé (...) un livre suggestif et ingénieux sur la future organisation économique. »

Les rivalités internes au MSR, amenèrent Georges Soulès à restreindre son action au Centre d’études révolutionnaires qu’il animait avec André Mahé. Lié à Jean Rous* qui lui fit rencontrer Raymond Le Bourre* , Soulès changea une nouvelle fois d’orientation. Par Jean de Castellane, en contact avec Guillain de Bénouville, il commença, à l’automne 1942, à faire fonctionner le CER au service de la résistance gaulliste. En 1943, il participa à l’éphémère Front révolutionnaire national. La même année, il fit la connaissance de Pierre de Combas qui devait l’initier à la philosophie ésotérique, rencontre qui devait déterminer ses travaux ultérieurs.

Après le débarquement allié (6 juin 1944), Georges Soulès dut se cacher pour échapper à la fois à la Gestapo, à la Milice et à la Résistance. Il gagna le Loiret qu’il quitta en février 1947 pour la Suisse. Condamné le 10 octobre 1948 par la Cour de justice de la Seine à dix ans de travaux forcés par contumace, Georges Soulès devint le précepteur du fils de Jean Jardin, l’ancien directeur de cabinet de Pierre Laval, avec lequel il avait été en relation pour le financement du MSR. Lorsqu’en 1947 son roman, signé Raymond Abellio, Heureux les pacifiques reçut le prix Sainte-Beuve, Pierre Hervé, dans l’Humanité, révéla la véritable identité de l’auteur. Soulès-Abellio se vit alors notifier un avis d’expulsion qui fut rapporté sur intervention de Jean Jardin.

Rentré en France en 1951, il fut incarcéré à la Santé quelques heures puis mis en liberté provisoire. A son procès vinrent témoigner Jean Gemaehling, ex-chef du réseau Kasanga (service de renseignements du MLN) et compagnon de la Libération, et le général de Bénouville. Il fut acquitté. Depuis 1946, il se consacrait à l’étude du sens de la numérologie de la Bible (dans l’alphabet hébreux chaque lettre possède une valeur numérale). Désormais, Georges Soulès-Abellio, allait poursuivre de front ses études kabbalistiques et son œuvre de romancier, peuplée de personnages rencontrés et transposés, tout en poursuivant une carrière d’ingénieur conseil jusqu’en 1974.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article131527, notice SOULÈS Georges (dit ABELLIO Raymond) par Jean-Louis Panné, version mise en ligne le 30 novembre 2010, dernière modification le 21 octobre 2011.

Par Jean-Louis Panné

ŒUVRE : Vers un nouveau prophétisme, Bruxelles, À l’Enseigne du cheval ailé, 1947 (rééd. Gallimard). — Heureux les pacifiques (roman), Le Portulan, 1947 (rééd. Flammarion, 1979). — Les Yeux d’Ézéchiel sont ouverts (roman), Gallimard, 1950. — La Fosse de Babel, Gallimard, 1962. — La Bible, document chiffré (2 vol.), Gallimard, 1962. — La Structure absolue, Gallimard, 1965. — Un Faubourg de Toulouse (1907-1927), Ma Dernière mémoire I, Gallimard, 1973. — Les Militants (1927-1939), Ma Dernière mémoire II, Gallimard, 1975. — Sol invictus, Ma Dernière mémoire III, Ramsay, 1980 (Prix des Deux-Magots, 1981). — Visages immobiles (roman), Gallimard, 1983.

SOURCES : G. Lefranc, « Histoire d’un groupe du Parti socialiste SFIO, Révolution constructive (1930-1938) », Essais sur les problèmes socialistes et syndicaux, Payot, 1970. — J.-P. Joubert, Marceau Pivert* et le pivertisme, Révolutionnaires de la SFIO, Presses de la FNSP, 1977. — P. Ory, Les Collaborateurs (1940-1945), Seuil, 1977. — P. Assouline, Une Éminence grise, Jean Jardin (1904-1976), Balland, 1986. — Cahiers de l’Herne, n° 36, 1979. — Océaniques : Raymond Abellio (Émission de télévision, 15-16 février 1973). — M. Déat, Mémoires politiques, Denoël, 1989. — S. Clouet, De la rénovation à l’utopie socialistes. Révolution constructive, un groupe d’intellectuels socialistes des années trente, Presses universitaires de Nancy, 1991.

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