LELIÈVRE Claude, Georges, Maurice

Par Bruno Poucet

Né le 25 juin 1941 à Vouziers (Ardennes) ; agrégé de philosophie puis professeur en sciences de l’éducation, titulaire d’une chaire d’histoire de l’éducation ; ancien responsable de l’UEC à Lille (Nord) ; membre de la commission du débat national sur l’avenir de l’école.

Claude Lelièvre naquit dans une famille d’origine modeste. Son père, Charles Lelièvre, avait quitté l’école avant la fin de sa scolarité (en principe) obligatoire. Il fut successivement ouvrier agricole, scieur de long, commerçant ambulant. Sa mère, Jeanne Husson, ancienne normalienne, était institutrice. Claude Lelièvre eut donc très jeune une perception très partagée de l’école : émancipatrice pour sa mère et très problématique pour son père. Ses parents, pourtant dans la mouvance d’une tradition laïque de type spiritualiste, lui firent donner une éducation religieuse catholique. Le couple avait trois enfants, la première devint professeur de lettres et le troisième professeur d’allemand.

Claude Lelièvre fit ses études primaires à l’école communale, où il découvrit, fasciné, l’histoire dans le petit manuel d’Ernest Lavisse. Ayant réussi le concours d’entrée à l’École normale de Charleville (Ardennes), il poursuivit sa scolarité à celle de Douai (Nord) où il obtint un baccalauréat de philosophie. Il fit ensuite partie de la première promotion de formation en deux ans des maîtres de cours complémentaires (rebaptisés PEGC), de 1960 à1962, ce qui lui permit d’exercer deux ans au collège d’enseignement général de Lomme (Nord). Ayant réussi le concours des IPES en lettres modernes (faute de place en philosophie), il entama des études en lettres modernes à la faculté des lettres de Lille jusqu’à la maîtrise. Il s’intéressa beaucoup alors à la linguistique tout en continuant, à titre personnel, à lire des philosophes contemporains, tel Derrida, Foucault et surtout Althusser, le maître à penser du renouveau marxiste à l’époque.

Marié une première fois, il eut une fille, Corinne, mais divorça rapidement et se remaria quelques années plus tard, le 6 juin 1970, avec Françoise Roussel, future professeure de lettres modernes et future déléguée régionale aux droits des femmes en Picardie, (connue désormais comme artiste peintre sous le nom de Silère). Deux enfants naquirent de cette union : François (1972), futur énarque, et Anne-Laure (1975), future musicienne claveciniste professionnelle.

La rencontre de Françoise Roussel, alors étudiante en philosophie, raviva l’intérêt de Claude Lelièvre pour cette discipline et provoqua un changement dans son orientation professionnelle : en 1971, il se présenta avec succès au concours de l’agrégation de philosophie sans avoir fait préalablement le cursus habituel des études de philosophie. Il fut ainsi nommé professeur de philosophie au lycée Jean-Bart à Dunkerque dans le Nord (1971-1973), puis à l’école normale des filles d’Amiens (Somme), comme professeur de psychopédagogie (1973-1982). Il intégra un groupe de recherche de l’INRP avec des enseignants de lettres et de linguistique, dont Christian Nique, futur conseiller à l’Éducation du président de la République, François Mitterrand. En 1979, il soutint une thèse de troisième cycle en sciences de l’éducation (de type socio-pédagogique) sous la direction de Georges Snyders. Élu en 1982 maître de conférences en sciences de l’éducation à l’université Jules-Verne de Picardie, il soutint, toujours sous la direction de Georges Snyders, sa thèse d’État en sciences de l’éducation en 1985. Très marquée par la philosophie marxiste, sa thèse est une mise à l’épreuve des thèses de Louis Althusser sur les appareils idéologiques d’État en regard du développement et du fonctionnement des enseignements post-élémentaires dans la Somme durant la seconde partie du XIXe siècle. Néanmoins, elle marque aussi le passage d’une réflexion de philosophie politique à un travail d’historien, s’appuyant sur des enquêtes approfondies dans les archives, travail reconnu comme tel par les historiens de profession. En 1987, il fut élu professeur en sciences de l’éducation à la chaire d’histoire de l’éducation à l’université de Paris V René-Descartes jusqu’à sa retraite en 2006, date à laquelle il fut nommé professeur émérite. Il participa à de nombreux jurys de thèse – plus d’une centaine – et en dirigea une trentaine, exerça de nombreuses fonctions administratives au sein de l’UFR de sciences humaines et sociales de la Sorbonne dont celle de directeur. Il fut secrétaire de l’Association des chercheurs en sciences de l’éducation et fit de nombreuses missions d’expertise. En revanche, il refusa de siéger au CNU comme on le lui avait demandé à maintes reprises ou d’exercer des fonctions telles que recteur.
Dans les années 1960, Claude Lelièvre avait été à l’université de Lille un membre très actif de l’Union des étudiants communistes (UEC) dont il avait été le responsable au niveau régional et un temps membre du bureau national, chargé de la formation théorique. Il resta vingt ans membre du Parti communiste et le quitta fin 1980, en désaccord avec les orientations finales de Georges Marchais, notamment lors de l’intervention soviétique en Afghanistan. Il fut, sans responsabilités majeures, membre du SNES, puis du SNPEN et enfin du SNESUP, avant d’abandonner toute activité militante partisane à la fin des années 1990.

Progressivement, après avoir renoncé à un engagement politique explicite au sein du PCF, Claude Lelièvre se rapprocha du Parti socialiste, sans en être membre, et devint l’un des acteurs essentiels du débat sur l’école en France, en posant que la question de l’école transcende les clivages politiques. Cette influence se manifesta d’abord par des contacts de plus en plus fréquents et réguliers avec les journalistes auprès desquels il livra ses analyses sur l’école de la République, sur la nécessité de refonder une école véritablement républicaine, dans la lignée des intuitions de Condorcet, ouverte au plus grand nombre et moins inégalitaire que par le passé. Il engagea ainsi le débat sur l’école, tant par ses ouvrages, que par ses prises de position et ses contacts avec les syndicats de l’enseignement public et privé ainsi que les mouvements pédagogiques à l’interface de la recherche intellectuelle et des milieux politiques et syndicaux. Il devint ainsi progressivement un passeur d’idées et participa à la rédaction de manifestes, de prises de position, telles en 1997 « Défendre et transformer l’École pour tous » ou, plus récemment en 2010, « L’Appel de Bobigny ».

C’est l’une des raisons qui explique sa nomination, par le gouvernement de Jacques Chirac, comme membre de la commission sur l’avenir de l’école en France (dite communément commission Thélot, du nom de son président) : il intervint avec succès pour faire avancer l’idée d’un socle commun des connaissances, que l’école s’intéresse enfin au plancher et non seulement au plafond des connaissances, qu’elle offre au plus grand nombre les savoirs élémentaires, la matrice des savoirs, ceux dont il est impossible de se passer pour être citoyen dans le monde d’aujourd’hui. La loi d’orientation de 2005 et les textes d’application qui en découlent reprirent en partie ces idées. Par ailleurs, tout en continuant à être consulté par les journalistes, il fut chargé à partir de 2008 par Médiapart, journal électronique qui paraît sur le web, d’un blog sur les questions de l’éducation en France et il participa un temps à une émission du service public sur France Culture (2009-2010). À partir de 2009, le président du conseil général de la Somme, Christian Manable, lui demanda de présider un groupe de réflexion sur l’école.

Claude Lelièvre fut fait chevalier de l’ordre national du Mérite.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article137261, notice LELIÈVRE Claude, Georges, Maurice par Bruno Poucet, version mise en ligne le 4 juin 2011, dernière modification le 2 juillet 2022.

Par Bruno Poucet

ŒUVRE : Nombreux articles dans Histoire de l’Éducation, Revue historique, Carrefours de l’Éducation, Mouvements, etc., et interventions dans des médias généralistes, la presse syndicale, pédagogique et associative. Ne sont cités ici que les principaux ouvrages : Faut-il en finir avec le collège unique ? (avec B. Kuntz et Ph. Meirieu), Magnard, 2009. —Les politiques scolaires mises en examen, onze questions en débat, ESF, 2008. — Histoires vraies des violences à l’École (avec Francis Lec), Fayard, 2007. — Les profs, l’école et la sexualité (avec Francis Lec), Odile Jacob, 2005. — L’école obligatoire, pour quoi faire ? : une question trop souvent éludée, Retz, 2004. — Jules Ferry, la République éducatrice, Hachette, 1999. — Les rois de France, enfants chéris de la République, Bartillat, 1999. — L’histoire des femmes publiques contée aux enfants (avec Françoise Lelièvre), PUF, 2001. — L’école française en danger, Nathan, 1996. — L’école des présidents (avec Christian Nique), Odile Jacob, 1995. — Bâtisseurs d’école (avec Christian Nique) Nathan, 1994. — La République n’éduquera plus, la fin du mythe Ferry (avec Christian Nique), Plon, 1993. — Histoire de la scolarisation des filles (avec Françoise Lelièvre), Nathan, 1991. — Histoire des institutions scolaires, Nathan, 1990.

SOURCES : Who’s who in France. — Perspectives documentaires en Éducation, n° 136, 1995. — Témoignage oral et écrit de Claude Lelièvre.

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