LAUPRÊTRE Julien, Claude

Par Marc Giovaninetti

Né le 26 janvier 1926 à Paris (XIIe arr.), mort le 26 avril 2019 ; tailleur de glaces ; militant communiste parisien ; résistant JC ; membre de la direction parisienne des JC puis de l’UJRF ; membre du comité fédéral de la Seine puis de Paris (1953-1957) ; membre du comité central du PCF (1964-2000) ; secrétaire général puis président du Secours populaire français (à partir de 1955).

Julien Lauprêtre en 1943
Julien Lauprêtre en 1943
Extrait de Nos vies s’appellent… solidarités, Geai bleu éditions, 2001

Julien Lauprêtre naquit dans ce XIIe arrondissement parisien auquel il resta fidèle sa vie durant, exemple type de ces ouvriers parisiens attachés à leur ville, à leur quartier et à leur origine populaire. Son père, Jean Lauprêtre, d’une famille de paysans bourbonnais, était de ces innombrables grands blessés de la Grande guerre. Il fut d’abord ouvrier agricole, puis cheminot, militant syndical, communiste, résistant. C’était une figure du communisme parisien à la Libération, et il fut conseiller municipal et conseiller général de la Seine dans les années 1950-1960. La mère de Julien, Marie Girard, était originaire du Doubs. Leur fils unique, un gosse costaud, dégourdi et d’un bon naturel, suivit ses études primaires, plus un an de cours complémentaire, avant de commencer à travailler à quatorze ans. Il avait pensé devenir ébéniste, le métier d’excellence de son quartier, mais comme la place d’apprentissage qu’il briguait était déjà prise, il opta pour une spécialité voisine, celle de tailleur de glaces.

En 1942, à l’exemple de son père, entré en clandestinité pour diriger un réseau de cheminots résistants et qu’il ne voyait plus, Julien Lauprêtre organisa un groupe de jeunes dans l’Est parisien pour de petites actions clandestines, tracts et affichettes. Mais ils avaient aussi caché un revolver, pour d’éventuelles actions plus offensives. Il fut arrêté le 20 novembre 1943, car un des responsables de son groupe cachait chez lui rue des Immeubles industriels Marcel Rayman, un des membres de l’équipe de Missak Manouchian. Torturé, il avait donné son nom. C’est ainsi que Julien Lauprêtre côtoya pendant quelques jours à la brigade spéciale de la Préfecture de police les hommes qui devaient bientôt illustrer de leurs photos l’Affiche rouge, et surtout leur chef, le célèbre militant arménien, le visage déjà affreusement tuméfié, qui conversa avec lui tandis qu’ils étaient en attente dans un bureau. L’homme savait déjà que lui était perdu, mais il tenta de donner confiance et espoir à son jeune interlocuteur. Ses paroles lui firent une très forte impression, et cette rencontre fut un moment déterminant dans sa vie. Lui ne fut pas trop maltraité, et il passa quatre mois en prison, à la Santé, jusqu’à ses dix-huit ans passés. Transporté avec d’autres à la Préfecture, il vit que son copain Lucien Vernet avait expliqué qu’il était relâché parce qu’il avait un certificat de travail. Il lui demanda de lui en procurer un, ce qui fut fait, et il se retrouva ainsi en liberté surveillée, grâce à son patron compréhensif. Mais dès le mois d’avril 1944, il décida de se dérober au Service du travail obligatoire, et il se cacha quelques mois chez des parents dans la région de Lyon. Il manqua les contacts prévus avec les JC de la zone Sud, mais participa néanmoins aux combats de la Libération à Paris où il avait pu revenir à temps. Il échappa de justesse à la fusillade d’une patrouille allemande, alors qu’il avait été mis en joue place du Combat.

À la Libération, sa notoriété et celle de son père lui valurent naturellement d’être nommé secrétaire dans le XIIe arr. des JC, qui se transformaient bientôt en UJRF. Il était alors un des membres de la direction de l’UJRF de Paris, avec à leur tête Guy Ducoloné, assisté d’Henri Krasucki, Jean Faucher, Jean Mérot, Paul Laurent, etc. ; une seule jeune fille dans cette équipe, Paulette Bouchoux.

Fin 1945, il partit faire son service militaire, qu’il passa essentiellement en Alsace. Déclaré moniteur, il put développer ses capacités sportives, et il participa à un championnat dans son sport préféré, la natation.

À son retour d’armée, on lui proposa de passer permanent au bureau de l’UJRF, mais tout en militant toujours avec fougue, il donna priorité à sa vie personnelle. Il se maria en août 1947 avec Jeannette Antoine, une "midinette" qui habitait également le XIIe et qu’il connaissait depuis l’enfance, grâce aux colonies de vacances. Leur premier enfant naquit en novembre 1948, trois autres devaient suivre, soit un garçon et trois filles, dont deux jumelles, et son salaire aurait été amputé d’un bon tiers par rapport à ce qu’il gagnait comme miroitier s’il s’était engagé comme permanent. Il refusa donc, se contentant de siéger au comité national, en s’investissant surtout dans la direction de la fédération parisienne, qui devenait celle de toute la Seine en 1946.

C’est pourtant Raymond Guyot, l’ancien président des JC et de l’UJRF qui provoqua un tournant important dans sa vie. Devenu secrétaire de la Fédération de la Seine, député de surcroit, il avait besoin d’un assistant de confiance. Il vint le voir chez lui, et Julien Lauprêtre ne put pas se dérober. C’était en 1951. Ainsi devint-il un habitué du vieux siège historique du 120 rue La Fayette, portant la cravate et accompagnant un peu partout son patron.

Le paroxysme de violence fut atteint le soir de la manifestation anti-Ridgway, le 28 mai 1952. Lui-même aurait aimé se trouver parmi les manifestants, car il savait qu’il y aurait de la bagarre avec la police. Mais Guyot, l’organisateur, voulait qu’il l’accompagne à son QG au siège de l’Humanité. Alors, fâché, il rentra chez lui. À peine arrivé, deux camarades de la Fédération sont venus le chercher d’urgence en lui annonçant l’arrestation de Jacques Duclos. Il fut envoyé devant au « 120 », avec pour mission de détruire les papiers, les archives, et notamment tout ce qui concernait l’armée, en vue d’une inéluctable perquisition. Guyot lui téléphona en hurlant le numéro pour ouvrir le coffre où il gardait les documents les plus confidentiels, et il brûla tout dans la chaudière.

D’autres affrontements devaient suivre, au cours desquels il eut l’occasion de montrer sa combativité, en particulier celui contre les militants d’extrême droite qui attaquèrent les locaux du comité central et de l’Humanité le soir de l’intervention soviétique en Hongrie, le 7 novembre 1956. Au métro Charonne, le 8 février 1962, il put échapper à la charge policière mortelle mais son père, toujours conseiller parisien et pourtant revêtu de son écharpe tricolore, fut sérieusement blessé, la peau du crâne ouverte d’un coup de matraque.

Avec Guyot, Julien Lauprêtre continua à accomplir une tâche qu’il avait déjà entreprise à l’UJRF, en direction de l’armée, en contactant et tâchant d’encadrer les conscrits. Avec le titre de président de l’Amicale des jeunes conscrits, il parcourait les régions de France et, en relation avec les secrétaires départementaux de l’UJRF, organisait des manifestations aux sorties des conseils de révisions, les pots de départ, les colis de Noël, etc. En 1951, il présida un congrès des conscrits parisiens à la mairie d’Ivry-sur-Seine (Seine, Val-de-Marne). Sous la tutelle de Guyot, il fut en outre mêlé à un travail plus strictement conspiratif, celui de la petite équipe de confiance, sélectionnée et supervisée par le secrétaire fédéral et membre du BP, qui rédigeait et diffusait partout en France le journal Soldat de France, destiné aux jeunes du contingent. En le faisant pénétrer dans les casernes, en le distribuant dans les trains de permissionnaires, ils y dénonçaient les guerres coloniales tout en se faisant l’écho des revendications ou des incidents dans les casernes. Jean Collet, un autre résistant issu des Jeunesses, en fut le premier responsable, avec les collaborations puis responsabilités successives de Jacques Grosman, Alfred Gerson et François Hilsum. Au début de la guerre d’Algérie, Julien Lauprêtre fut ainsi mêlé aux premières manifestations de refus des rappelés, en 1955, et notamment la mutinerie de la caserne Richepanse à Rouen au mois d’octobre.

Entre-temps, il avait fait son entrée au comité fédéral de la Seine à la conférence d’Aubervilliers, début mars 1953, puis il fut maintenu au même poste à Paris lors de la « décentralisation » à partir du mois d’octobre. Il y siégea jusqu’en 1957, se retirant de sa propre volonté lorsque Bernard Jourd’hui succéda à Guyot. Déjà au mois d’octobre 1952, Guyot lui avait annoncé son intention de le faire élire au Conseil de Paris en le mettant sur la liste aux prochaines élections, en remplacement de son père qui dépassait alors la soixantaine. Mais une erreur d’une dactylo du « 44 » maintint Jean à la place de Julien. Guyot entra en fureur lorsqu’il découvrit la confusion. Julien Lauprêtre, pour sa part, considérait rétrospectivement avec amusement cet incident qui infléchit le cours de son destin. Cependant, preuve qu’on le destinait à plus de responsabilités, il fut inscrit l’année suivante à l’École centrale de quatre mois du PCF. Marcel Servin vint lui parler en fin de stage : « On a parlé de toi avec Raymond [Guyot]. Tu vas pouvoir voler de tes propres ailes. On te propose d’aller au Secours populaire. » Comme cela ne suscitait pas son enthousiasme, il ajouta : « On a autre chose en vue, à terme, le Mouvement de la paix ». Quand Lauprêtre en parla à ses camarades de stage, il déclencha leurs moqueries, car le Secours populaire avait très mauvaise presse. Héritier du Secours rouge d’avant-guerre, c’était devenu une « organisation de masse » étroite, sectaire et peu efficace, sous la dépendance d’André Marty avant sa déchéance.

Julien Lauprêtre fit contre mauvaise fortune bon cœur, et se présenta au siège du 4 cité Monthiers, près de la place de Clichy (XVIIe arr.), pour prendre ses fonctions de secrétaire administratif au mois de février 1954. C’était juste après l’appel de l’Abbé Pierre, qui correspondait à ce que lui pensait que le Secours populaire aurait du faire. Malgré ses réticences initiales, ce fut le début d’un investissement total de sa part, qui dura près de soixante-cinq ans, et qui métamorphosa la vieille société de lutte pour la défense des victimes de la répression politique en une des plus importantes organisations humanitaires de solidarité françaises, agissant dans le monde entier.

Le secrétaire général, Pierre Éloire, était au sanatorium, tuberculeux, et le président, depuis la Libération, l’artiste décorateur Francis Jourdain, s’avançait dans le grand âge. Lors de la première réunion du bureau national, Julien Lauprêtre demanda : « et qu’est-ce qu’on fait pour les pauvres ? » Malgré l’incongruité de ses premières interventions, il fut promu secrétaire général dès le congrès suivant, en 1955, à Gennevilliers, en raison du dynamisme qu’il affichait et du soutien de Francis Jourdain. Pierre Éloire fut très heureux d’accepter un titre de vice-président, et continua à faire acte de présence avant de prendre d’autres fonctions. Quant à Lauprêtre, il demanda d’emblée à ce qu’un non communiste soit admis au secrétariat. Il multiplia les initiatives pour « faire la preuve qu’on existait », en commençant par une exposition rue du Château, en créant un Comité d’honneur auxquels acceptèrent de participer des personnalités comme Aragon ou Claude Autant-Lara. En 1958, à la mort de Francis Jourdain, qui avait notablement contribué à infléchir dans un sens humaniste ses convictions communistes, Julien Lauprêtre adopta lui-même le titre de président, sans rien perdre de sa simplicité et de son implication.

Le Secours populaire, malgré sa volonté d’ouverture, continua d’abord à se montrer actif sur son terrain d’action traditionnel, l’aide aux victimes de la répression. L’Algérie était désormais le premier pays visé. En mars 1955 furent envoyés à son initiative les quatre premiers avocats, tous issus du Parti communiste, chargés de défendre les militants du FLN et de la cause indépendantiste. À partir de 1957, une véritable noria aérienne transportait jusqu’à une soixantaine de défenseurs au-delà de la Méditerranée. Cette même année, il se lançait dans la grande campagne pour la libération d’Alban Liechti, le premier jeune appelé communiste à avoir refusé de combattre dans cette guerre coloniale, qui fut condamné à deux ans de prison. Une quarantaine d’autres devaient suivre l’exemple au cours des deux années suivantes. Julien Lauprêtre se démenait alors en France, de meetings en réunions, correspondant avec Fernande et Raymond Guyot dont le fils était aussi concerné, s’affichant aux côtés des dirigeants des Jeunesses communistes, et surtout de la mère d’Alban Liechti, une ardente militante communiste de la banlieue parisienne.

Le Parti communiste, gêné sur la question algérienne par ses espoirs de rapprochement avec la SFIO, s’en remettait à son « organisation de masse » pour ces campagnes, et celle-ci se montrait bien plus audacieuse que son « organisation matricielle », évoquant le « fait national algérien » dès décembre 1955, et l’« indépendance nationale » dès juin 1956, avec plusieurs mois d’avance sur le PCF. Le Secours populaire soutint également les victimes algériennes de la manifestation du 17 octobre 1961, et celles des attentats de l’OAS. Mais pour ce qui est des soldats insoumis, il y eut un revirement sensible en 1959. Certes, ni le PCF ni le SPF n’avaient jamais soutenu à fond l’exemple des « soldats du refus », qui était très peu compris par la population à ses débuts. Lauprêtre évoque des prises de parole « difficiles » pour des collectes infructueuses à la sortie d’usines de banlieue. Mais à la session du CC de septembre 1957, Guyot s’enflamma en poussant à « exalter l’action de Liechti et ses camarades », et était clairement soutenu par Maurice Thorez. Deux, ans plus tard, en mai 1959 à la conférence fédérale de Paris, Lauprêtre avait cru pouvoir relancer la même expression, l’« exaltation », et avait soulevé une tempête d’applaudissements. Il se fit critiquer par le même Thorez, qui recommandait dans un discours retranscrit le lendemain dans l’Humanité d’abandonner au contraire cette action de désobéissance et préconisait que les jeunes soldats communistes restent parmi leurs camarades de régiment, même en Algérie. Cependant, le secrétaire général avait eu la courtoisie, au moment d’une suspension de séance, de prévenir Lauprêtre qu’il le contredirait.

Ensuite, au cours des années suivantes, le Secours populaire apporta son soutien aux victimes du franquisme en Espagne, bientôt à celles de la guerre américaine au Vietnam. Pour celles-ci, il initia avec d’autres organisations la campagne « un bateau pour le Vietnam ». Il agit de même en faveur des affamés de la guerre du Biafra, pour le Chili, le Cambodge, pour les prisonniers d’opinion au Maroc, en Afrique du Sud, pour les victimes du Rwanda, pour l’aide aux habitants des Balkans en guerre…

Petit à petit, par la volonté de Julien Lauprêtre, l’association commençait à ne plus s’aligner systématiquement sur les positions politiques du PCF. La dernière erreur qu’il reconnut fut d’avoir appelé à voter « non » au referendum de 1958. Convoqué par Marcel Servin, secrétaire à l’organisation, il l’entendit grincer face à son embarras désapprobateur : « Tu ne vas quand même pas être responsable de la victoire du fascisme en France ! » Il céda à l’injonction.

Julien Lauprêtre estimait avoir gagné l’autonomie de son mouvement en trois étapes. En 1956 ou 1957, il demanda à être reçu par le secrétariat du Parti et demanda d’arrêter la création de comités ad hoc selon les besoins de l’actualité, l’exemple le plus significatif ayant été le Comité pour la libération d’Henri Martin, jadis impulsé par André Marty, et auquel il avait d’ailleurs participé ; d’arrêter aussi les associations de bienfaisance, du type du Bol d’Air des Gamins de Paris, patronné par son ancien tuteur Raymond Guyot. Jacques Duclos, Marcel Servin, Guy Ducoloné, Gaston Plissonnier l’écoutèrent mais rien ne changea.

En 1958, sur un coup de sang, Julien Lauprêtre alla voir Victor Michaut, le responsable des « organisations de masse » au comité central, pour lui dire : « J’abandonne ». Mais Michaut lui répondit : « Non, c’est toi qui as raison, continue, tu vas y arriver ». Déjà le Secours populaire s’était mobilisé sur une cause purement humanitaire, sans arrière-plan politique, avec l’aide aux victimes du tremblement de terre d’El Asnam en Algérie en septembre 1954. Mais l’événement décisif, d’après Lauprêtre, fut en décembre 1959, la catastrophe de Malpasset, ce barrage qui se rompit une nuit et dévasta la ville de Fréjus (Var). Dès qu’il l’apprit, il commanda : « On fonce ». Trois camions de matériel de survie partirent aussitôt, il se mit d’accord avec le maire (de droite) de Saint-Raphaël pour qu’il mette à leur disposition la salle des fêtes en guise de QG, et ils éditèrent une affiche : « L’argent destiné aux sinistrés doit servir aux sinistrés ». Il craignait un peu la réaction du PCF face à son initiative intempestive. Mais il fut rassuré par un appel de Marcel Paul, qui assistait à une réunion du CC, et qui lui dit qu’il était chargé de l’éditorial du lendemain dans l’Humanité : « Le parti a décidé de soutenir ». Désormais, le tournant en direction des actions de solidarité contre la pauvreté et la misère était pris.

En 1963, le Secours populaire organisa les premiers départs d’enfants en vacances. Au croisement de l’humanitaire et de la solidarité politique, il permit en 1969 l’accueil en Bretagne d’enfants d’Irlande du Nord. Ce furent ensuite, au cours des années 1970, les premières vacances organisées pour les personnes âgées, en 1976, la création des « Pères Noël verts » pour les distributions de cadeaux, les « journées des oubliés des vacances », et dans les années 1980, il mit en place le départ de familles entières en vacances.

L’aide alimentaire, en France même, restait une priorité. Dès le début des années 1970, l SPF obtint que soient soustraits à la destruction les surplus alimentaires, qu’il stockait pour les redistribuer. Il développa son réseau de permanences d’accueil et de solidarité. En 1988, furent créés les « tickets-repas de la solidarité », et à partir de 1994 les premiers « libres services de la solidarité ».

En 1980, Le SPF porta secours aux sinistrés du deuxième tremblement de terre d’El Asnam, en 1984, et soulagea les victimes de la famine en Éthiopie, puis ce furent tour à tour le Sahel, la Roumanie, l’Inde, le Rwanda, le Honduras, la Turquie, le Salvador, etc., partout où sévissent des catastrophes naturelles ou climatiques.

Le Secours populaire ciblait plusieurs campagnes spécifiques à destination des jeunes, comme le mouvement « Copains du monde », des « opérations-musée », la campagne « compte sur tes dix doigts », etc. De là, il investit résolument le champ culturel : en 1997, avec les initiatives « # la culture ça change la vie# », la création d’ateliers théâtre, la présence régulière au festival d’Avignon.

La notoriété venant, le soutien de personnalités s’élargit au-delà du traditionnel vivier des artistes engagés à gauche, auxquels s’ajoutaient les plus hautes personnalités politiques, y compris d’une orientation très opposée à la sienne. Les personnalités les plus diverses, du président de la République Jacques Chirac au trublion de l’Église catholique Monseigneur Gaillot, y allèrent de leurs citations élogieuses, reproduites en quatrième de couverture du livre biographique consacré à Julien Lauprêtre. Il est titulaire des distinctions d’Officier de la Légion d’honneur, remise par Mme Anthonioz-De Gaulle, alors présidente d’ATD Quart Monde, appuyé d’un très émouvant discours, et d’Officier des Arts et des Lettres.

Au fil des ans, toujours sous la présidence et l’impulsion de Julien Lauprêtre, le Secours populaire a obtenu les plus hauts soutiens institutionnels : celui de l’Union européenne, en 1979, de l’État, qui lui accorda par deux fois le label de « Grande cause nationale », en 1991 et 1994, de l’UNESCO, qui lui ouvrit son siège pour réunir son 20e congrès à Paris en 1985, en même temps qu’il recevait la reconnaissance d’ « Utilité publique ».

Ce faisant, l’organisme s’entendait aussi avec ses concurrents traditionnels sur le plan de la solidarité, et notamment avec le Secours catholique. Julien Lauprêtre évoquait le jour où il proposa à Monseigneur Rodhain, son fondateur (mort en 1977) : « On arrête les guerres de religion ? », et il considérait que dès lors, il furent « à tu et à toi ». Au 22e congrès du SPF, à Toulouse en 1989, pas moins de quarante-huit associations humanitaires étaient invitées.

Au cours de ces « années Lauprêtre », le Secours populaire connut une croissance exponentielle. De la petite institution sectaire qui tournait avec une poignée de militants, elle devint une structure immense, comptant un million de membres donateurs, environ 82 000 bénévoles (les « collecteurs ») avec à terme un objectif de 100 000, qui s’activent dans 1 200 permanences, des congrès rassemblant autour de 800 délégués, ouverts au public, avec des stands proposés à toutes les associations. Le SPF est subventionné par des fonds publics, certes, mais pour moins de 20 % de son budget, qui dépasse les 60 000 000 d’euros annuels. Avec un comité d’administration composé pour moitié de bénévoles, le tout fonctionne avec moins de 500 salariés. La revue Convergence, qui a remplacé l’ancienne La Défense, est distribuée à 250 000 exemplaires.

À l’étage supérieur de l’immeuble du 9-11 de la rue Froissart dans le IIIe arrondissement, acquis et reconstruit dans les années 1970-1980, Julien Lauprêtre, assisté de plusieurs collaborateurs, occupait quotidiennement un bureau accueillant. Au rez-de-chaussée se tiennent les grandes manifestations de l’association, et notamment son fameux marché de Noël, qui pendant une semaine ou deux propose en décembre des cadeaux de toutes sortes à prix bradés. Julien Lauprêtre était aussi devenu une personnalité médiatique, habituée des radios et des télés. Lors d’une assemblée générale de l’association, il se flattait d’avoir invité et fait témoigner toute une brochette de grands patrons français, entre autres ceux de Suez, de Kinder-Ferrero, de Carrefour, ce dernier s’engageant à fournir de pleins camions de vêtements.

Julien Lauprêtre affirmait avec conviction l’indépendance acquise à l’égard du PCF. Et pour preuve, il signalait qu’une section syndicale CFDT a été fondée parmi les salariés du SPF. La plupart des vétérans du PCF le citent en exemple de responsable d’une « organisation de masse » qui a su se développer par elle-même. Exemple unique, parfois rapproché de celui du MRAP, à la tête duquel Albert Lévy n’a cependant jamais occupé de haute fonction au PCF. En revanche, pour Lauprêtre, la fin de l’allégeance n’a jamais signifié la mise à distance personnelle. En reconnaissance de son succès, il fut admis au comité central du PCF à son 17e Congrès à la Mutualité en mai 1964. Ce fut pour lui une surprise, il n’était présent qu’en tant qu’invité et avait prévu de passer le reste du week-end en famille. Cependant, il ne passa titulaire du CC qu’au 19e Congrès en février 1970 à Nanterre, et il considérait que le fait d’avoir été maintenu sur la marche inférieure pendant deux congrès consécutifs dénotait une pointe de réticence à son égard. Il siégea ensuite dans l’instance jusqu’à son 30e Congrès, en mars 2000. .

Parmi les étapes décisives de l’émancipation de son association, Julien Lauprêtre évoquait une réunion du Comité central au Colonel Fabien, sous le mandat Georges Marchais, dans les années 1970. Celui-ci affirmait l’exigence de liberté d’expression ; Lauprêtre leva alors la main et demanda « cela vaut aussi pour l’indépendance des organisations de masse ? ». « Oui, rétorqua le secrétaire général, sinon il n’y a pas de masses dedans ! ». Il invita alors le bureau politique à visiter le Secours populaire, ce qui fut fait, par Marchais et Plissonnier au moins, et il précisa encore qu’il était décidé à « agir sur les drames sans prendre position sur les causes ». Marchais lui donna « carte blanche  ».

Comme membre du CC, Julien Lauprêtre subit cependant quelques tracasseries. Son ami Paul Laurent, avec qui sa complicité remontait au temps des Jeunesses parisiennes, lui demanda au début de son mandat d’accepter une mutation dans l’Eure, car le CC comportait trop de Parisiens. Refusant de s’y fixer, il y créa néanmoins une cellule d’entreprise, aux établissements Luchaire, qui lui permit d’être élu au comité fédéral pendant plusieurs années. Ensuite le même Paul Laurent lui demanda d’aller redresser la fédération plus lointaine du Finistère. Il eut encore, comme tout membre du CC, la responsabilité de « suivre » d’autres fédérations, chacune pendant une période de quelques années, l’Eure-et-Loir, le Bas-Rhin, la Savoie, les Ardennes.

Autre preuve de son attachement à son parti de toujours, il supportait difficilement les dissidents communistes. Quand Robert Hue quitta le PCF, en 2009, il lui écrivit une longue lettre désapprobatrice. De même, cet homme simple et chaleureux saluait avec froideur ses ex-camarades élus locaux passés aux Verts ou au PS.

Compte tenu de son âge et malgré sa santé satisfaisante, il ne taisait pas le souci que posait au Secours populaire sa prochaine succession, et il s’y préparait sans réticences. Même s’il était bien conscient que personne ne pourrait jamais tenir une place équivalente à la sienne pour identifier l’organisation, il se montrait confiant dans l’équipe qui l’entourait et avait prouvé sa compétence au cours des ans et des campagnes passées.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article137510, notice LAUPRÊTRE Julien, Claude par Marc Giovaninetti, version mise en ligne le 10 juillet 2011, dernière modification le 4 octobre 2019.

Par Marc Giovaninetti

Julien Lauprêtre en 1943
Julien Lauprêtre en 1943
Extrait de Nos vies s’appellent… solidarités, Geai bleu éditions, 2001

ŒUVRE : Julien Lauprêtre, Nos vies s’appellent… solidarités, Geai bleu éditions, 2001.

SOURCES : Archives du PCF, Secrétariat 1946, 1953, 1971 ; fonds Raymond Guyot, 283 J 81. — Archives privées d’Alban Liechti. — L’Humanité, 3 juin 1959, discours de Maurice Thorez. — Cahiers du communisme, juin-juillet 1964, juin 1965, juin 1969. — David Diamant, Combattants, héros et martyrs de la Résistance, Renouveau, 1984. — Roger Bourderon, « De la pétition au refus d’aller en opération. Entretien avec Serge et Brigitte Magnien », Cahiers d’histoire de l’Institut de recherches marxistes, n° 50, hiver 1992-1993. —Alban Liechti, Le Refus, Le Temps des Cerises, 2005. — Axelle Brodiez, Le Secours populaire français, Presses de la Fondation nationale des Sciences politiques, 2006 ; « Le Secours populaire français dans la guerre d’Algérie. Mobilisation communiste et tournant identitaire d’une organisation de masse », Vingtième siècle, revue d’histoire, n°90, avril-juin 2006. — Yves Bérani, « Julien Lauprêtre, tout pour la solidarité », Viva, 3 mars 2006. — Paul Dunez, Julien Lauprêtre, sa vie, son œuvre au Secours populaire, L’Harmattan, 2009. — Entretiens avec l’intéressé, mars 2004, avril 2006, juin 2011.

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