PÉJU Marcel

Par Gilles Manceron

Né le 13 octobre 1922 à Lyon (Rhône), mort le 4 décembre 2005 à Paris  ; journaliste et intellectuel, secrétaire général de la revue Les Temps modernes de 1953 à 1962.

Son père, Élie Péju, après avoir été communiste au lendemain du congrès de Tours, puis très vite oppositionnel après un voyage en URSS en 1922, a été l’un des fondateurs, sous l’Occupation, du mouvement de résistance Franc-Tireur, puis, de 1944 à 1957, directeur du quotidien Franc-Tireur. Sa mère, Marthe Capelle qu’Élie avait rencontrée en 1919 à la 6e section des Jeunesses socialistes (les Brotteaux), avait suivi ensuite le même itinéraire engagé. Marcel Péju, après des études à Lyon, au lycée Ampère puis au lycée du Parc, a participé lui aussi dans cette ville pendant la guerre aux activités du mouvement Franc-Tireur, s’occupant notamment de la presse et des publications, tout en suivant jusqu’en 1942 à la Faculté des Lettres des études de philosophie et d’égyptologie qu’il reprendrait après la Libération, mais qu’il a dû interrompre au moment où, réfractaire au STO, il entra en clandestinité. Le 8 avril 1943, il ne reprit ses vrais papiers que durant une heure, pour épouser Paulette Flachat (Paulette Péju), comme lui étudiante en philosophie à cette faculté.

À la Libération, il travailla comme responsable de politique étrangère au quotidien issu de la Résistance, Lyon libre, dont le directeur, André Ferrat, et le rédacteur en chef, Victor Fay, étaient deux anciens dirigeants communistes. À la disparition de ce journal en 1950, ils vinrent s’installer à Paris où Marcel Péju travailla comme journaliste à Samedi-Soir, que Paul Winkler, directeur de l’agence de la maison d’édition Opera Mundi, venait de racheter, ainsi qu’à France-Dimanche. Cela le conduisit notamment à rencontrer Jean-Paul Sartre*, à l’occasion d’une interview, au moment où celui-ci préparait la création de sa pièce Le Diable et le Bon Dieu. En 1951, Sartre lui proposa d’entrer dans l’équipe de sa revue Les Temps modernes, dont il devint, en 1953, le secrétaire général, au moment où le rapprochement de Sartre avec le Parti communiste avait provoqué le départ de la revue de Claude Lefort et de celui qui avait été jusque-là le responsable effectif de sa rédaction, Maurice Merleau-Ponty. Jusqu’en 1962, Marcel Péju participa aux conférences de rédaction chez Sartre le dimanche, il le tenait au courant des choix rédactionnels et lui soumettait les éditoriaux, signés TM, écrits par lui ou par Jean Pouillon.

Marcel Péju, qui avait fait la connaissance à Lyon de Frantz Fanon, alors étudiant en médecine, qu’il avait mis en relation avec Sartre, était résolument partisan des mouvements d’émancipation des colonies et favorable à l’indépendance de l’Indochine ainsi que des pays du Maghreb, y compris l’Algérie. Il rencontra dans ces années à Paris des responsables algériens, ceux de l’Union démocratique du Manifeste algérien (UDMA), dont Ferhat Abbas, et ceux du Parti du peuple algérien, devenu Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (PPA-MTLD), dont M’hammed Yazid. Ce dernier publiait à Paris son organe, L’Algérie libre, qui était souvent censuré, et Péju en fit imprimer plusieurs numéros sur les presses de Franc-Tireur, avec la complicité de son père et aussi de Jean Rous, membre comme lui de l’équipe de rédaction des Temps modernes. Le déclenchement de la guerre d’indépendance algérienne, le 1er novembre 1954, le laissa d’abord perplexe en raison des conflits en France entre les militants du FLN et ceux du MNA restés fidèles au leader historique des nationalistes algériens, Messali Hadj, mais, informé notamment par Jean Rous du rôle joué par le FLN dans la conduite de la lutte en Algérie, il commença à avoir des rapports suivis avec le FLN, notamment après la venue de Salah Louanchi, envoyé rencontrer en France l’intelligentsia de gauche pour l’éclairer sur le rôle du Front, et qui ait hébergé rue Saint-Benoît chez Dionys Mascolo. Marcel Péju était aussi en relation avec Francis Jeanson, partisan d’une aide directe aux militants du FLN, qui avait été écarté des Temps modernes par Sartre, très réservé sur cet engagement. En revanche, avec Jeanson et Vercors, Péju tint des réunions au sujet de la diffusion du journal clandestin Vérité pour… et, avec l’aide notamment de Claude Lanzmann, Simone de Beauvoir et Jean Pouillon, il s’efforça de trouver des lieux d’hébergement pour des militants du FLN recherchés.

À l’été 1960, Marcel Péju fut l’un des animateurs du Manifeste des 121, la « Déclaration sur le droit à l’insoumission dans la guerre d’Algérie », dont Maurice Blanchot avait écrit la première version avec Dionys Mascolo, qu’ils lui avaient ensuite soumise. C’est lui qui avait la charge vis-à-vis de la presse de rassembler et authentifier les signatures. Il informait notamment Pierre Vianson-Ponté des nouveaux soutiens afin que Le Monde puisse relancer l’information au sujet de ce texte qu’il n’avait pas publié à cause de la censure mais qui circulait néanmoins en suscitant de multiples controverses. Peu après, lors du procès du réseau Jeanson en septembre 1960, il a joué un rôle actif dans la popularisation des débats dont il publiera le procès-verbal aux éditions François Maspero en janvier 1961. Après avoir en vain supplié Sartre de revenir, même brièvement, d’un séjour au Brésil pour y apporter son témoignage, c’est Péju qui, avec son accord, a écrit en son nom une lettre dactylographiée au bas de laquelle le dessinateur Siné a imité sa signature. Il l’a apportée au domicile de l’un des avocats, Roland Dumas, qui l’a lue au Tribunal et remise au président qui n’a pas cherché à l’authentifier.

Marcel Péju a fait partie de la Fédération de France du FLN comme responsable du « bureau de presse » du collectif d’avocats qui travaillait sous son autorité. Il a aussi collaboré à l’organe clandestin du FLN, El Moudjahid. Avec sa femme, Paulette Péju, il s’est fortement impliqué dans la dénonciation de la répression de la manifestation pacifique des Algériens du 17 octobre 1961, publiant dans le n° 186, de novembre 1961, des Temps modernes un appel de 229 intellectuels, daté du 18 octobre, appelant à la solidarité avec eux. Mais le livre qu’il devait publier sur cet événement chez l’éditeur François Maspero à l’été 1962 ne paraîtra pas, en raison de différentes pressions, notamment du nouveau pouvoir algérien ; il ne fut publié, par l’éditeur La Découverte, qu’en 2011. En 1961, Péju rencontra plusieurs fois Ahmed Ben Bella, au château de Turquant, où il était détenu avec Mohamed Khidder, Hocine Aït Ahmed, Mohamed Boudiaf et Rabah Bitat, puis à Garches, où il avait été hospitalisé en novembre après une grève de la faim, et ensuite à Aulnoy. Avec Claude Lanzmann, il a aussi rencontré à ce moment, à la prison de Fresnes, Boudiaf et Bitat, qui, brouillés avec Ben Bella, avaient préféré y être incarcérés. Dans cette période, Péju était allé aussi à plusieurs reprises à Tunis où il avait vu les présidents du GPRA, Ferhat Abbas et Ben Khedda, puis à Genève où, durant les négociations, il avait rencontré les délégués du FLN, Krim Belkacem, Mohamed Ben Yahia et Malek Redha. Dès la signature des Accords d’Evian, il s’était rendu à Rabat pour attendre l’arrivée de France de Ben Bella et de ses compagnons de détention, à ce moment où éclata le conflit qui divisa les wilayas et l’armée des frontières, ce qui l’avait mis dans l’embarras car il avait surtout des liens avec les responsables de la Fédération de France du FLN, qui s’opposaient au groupe dirigé par Boumediene et Ben Bella. En même temps, son engagement résolu du côté du FLN n’était pas du goût de Sartre, qui l’a démis en juin 1962 de sa responsabilité aux Temps modernes, provoquant, le mois suivant, un échange de missives peu amènes entre Sartre et lui dans la revue.

Après l’indépendance, Marcel Péju participa en février 1963 au lancement de l’hebdomadaire Révolution africaine, dirigé par Jacques Vergès* et dont le rédacteur en chef était Gérard Chaliand. Péju dirigeait son bureau parisien, chargé notamment de faire imprimer les exemplaires destinés à la France et plusieurs pays africains. Le journal soutenait les mouvements anticolonialistes, comme les mouvements d’indépendance des colonies portugaises, l’Union des populations du Cameroun (UPC) et l’African National Congress (ANC) d’Afrique du sud, dont le leader, Nelson Mandela, lui avait rendu visite peu avant son arrestation. Péju travailla aussi à la rédaction de Al Djazaïri, l’organe de l’Amicale des Algériens en France. Mais le vif conflit qui a opposé Ahmed Ben Bella à Mohamed Khidder, puis le départ précipité d’Alger de Jacques Vergès, pour des raisons politiques et personnelles, ont favorisé la prise en main de Révolution africaine, comme de l’Amicale, par le pouvoir issu de l’armée et de l’appareil du parti FLN. En juin 1965, le coup d’État de Boumediene, pour Marcel Péju, a mis fin définitivement à sa « période algérienne ».

Dès lors, il poursuivit une carrière de journaliste en France, travaillant au mensuel Constellation, qu’il quitta en 1966 pour Sciences et Vie, puis, aux éditions américaines Grolier International, tout en tenant la rubrique scientifique du Figaro littéraire. En même temps, durant ces années, il s’intéressa de plus en plus à la Pologne, où il avait eu l’occasion de se rendre à plusieurs reprises depuis 1956 et dont il avait fait découvrir pour la première fois en français, dans Les Temps modernes, des écrivains comme Brandys, Mrozek, Rudniki et Kolakowski (n° 132-133 spécial, fév.-mars 1957, « Le socialisme polonais ») Il avait appris le polonais à Paris, à l’École des langues orientales, en même temps qu’il avait fait à la Sorbonne une maîtrise et un DEA d’histoire et effectué de fréquents séjours dans ce pays. Sa femme, Paulette, étant morte en 1979, il se remaria en 1980 avec Ludmila Murawska, artiste-peintre polonaise, qui avait aussi été, entre 1955 et 1963, la comédienne la plus en vue du célèbre théâtre privé de Varsovie, le Teatr Osobny, fondé par son « père », Ludwik Hering, et le poète Miron Bialoszewski. Malgré ce tropisme polonais qui a marqué ses vingt-cinq dernières années, il n’en avait pas pour autant abandonné son intérêt pour les questions africaines puisqu’il continua à collaborer régulièrement, de 1979 à sa fin, à l’hebdomadaire Jeune Afrique. Il reçut la médaille de la Résistance ainsi que, peu avant sa mort, la médaille d’honneur et de reconnaissance de la République algérienne, dont la remise intervint après sa mort, le 13 janvier 2006, en même temps qu’à trente-six autres personnalités dont beaucoup, elles aussi, avaient disparu depuis.

Vers la fin des années 1990, il avait ouvert, avec son frère Georges, une Librairie consacrée aux loisirs ludiques sur les quais de Lyon.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article145648, notice PÉJU Marcel par Gilles Manceron, version mise en ligne le 18 mars 2013, dernière modification le 4 juillet 2022.

Par Gilles Manceron

ŒUVRE choisie : Nombreux articles de Marcel Péju dans Les Temps modernes (de 1951 à 1962), Révolution africaine (de 1963 à 1965) et Jeune Afrique (de 1979 à 2005). — Marcel Péju (présenté par), Le procès du réseau Jeanson, éditions François Maspero, Paris, 1961, rééd. avec une préface inédite de Marcel Péju, La Découverte, Paris, 2002 ; Casbah éditions, Alger, 2004. — Marcel et Paulette Péju, Le 17 octobre des Algériens, suivi de La triple occultation d’un massacre par Gilles Manceron, La Découverte, Paris, 2011.

SOURCES : « Le “père tranquille” et les siens. Dans Lyon, capitale de la Résistance, la famille Péju en action », in Dominique Missika et Dominique Veillon, Résistance. Histoires de familles. 1940-1945, Armand Colin, Paris, 2009, p. 56-61. — « Marcel Péju », in Jacques Charby, Les porteurs d’espoir. Les réseaux de soutien au FLN pendant la guerre d’Algérie : les acteurs parlent, p. 233-241, La Découverte, Paris, 2004. — « Marcel Péju. A voix nue », France culture, 16 au 20 novembre 1992, entretien réalisé par Robert Grelier. — Les Temps modernes, film documentaire réalisé par Herta Alvarez-Escudero, 57 mn., production France 3, Les Films à Lou, 1997, série « Qu’est-ce qu’elle dit Zazie ? ». Forum des images, collection parisienne, VDP11025.

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