ODDON Yvonne, Suzanne, Julie

Par Anne-Marie Pavillard

Née le 18 juin 1902 à Gap (Hautes-Alpes), morte le 7 septembre 1982 à Paris ; bibliothécaire, pionnière de la lecture publique ; résistante, du réseau "Musée de l’Homme" ; déportée.

Yvonne Oddon
Yvonne Oddon
Cliché AERI

Yvonne Oddon faisait partie d’une famille protestante originaire du Diois. Son père était officier de carrière, mort en 1920. Elle fit ses études secondaires à Gap puis à Grenoble. Après une préparation à l’École normale supérieure de Sèvres, elle suivit les cours de l’École américaine de bibliothécaires, ouverte à Paris en 1924 par l’American Library Association. L’objectif de cette école était de développer la lecture publique, encore peu répandue en France, la seule formation professionnelle organisée étant alors celle de l’École des chartes, destinée aux bibliothèques dites « savantes ».

Après l’obtention du diplôme de bibliothécaire, Yvonne Oddon poursuivit sa formation par deux années aux États-Unis où elle visita différentes bibliothèques, universitaires mais aussi bibliothèques de lecture publique : elle y étudia tout particulièrement le système des bibliobus, rassemblant à chaque visite le maximum de documentation.

À son retour en France, elle travailla d’abord à l’École américaine de bibliothécaires puis fut recrutée en 1929 par Georges Henri Rivière pour organiser la bibliothèque du Musée d’ethnographie du Trocadéro. Elle y instaura tout de suite les règles de fonctionnement étudiées à l’étranger : une bibliothèque spécialisée, au service du personnel du musée et des chercheurs mais ouverte à tout public, avec accès libre aux rayons.

En 1934, la Fondation Rockefeller lui offrit une bourse d’études d’un an aux États-Unis, ce qui lui permit d’établir des contacts et d’instaurer des échanges avec plusieurs bibliothèques, musées et universités. Dès son retour, elle s’investit dans le déménagement et la réinstallation de sa bibliothèque dans le nouveau Musée de l’Homme, qui ouvrit ses portes en 1938 en remplacement du musée du Trocadéro. Les objectifs d’Yvonne Oddon rejoignaient totalement ceux de Paul Rivet*, le directeur du Musée de l’Homme, qui voulait faire de ce musée un « établissement d’enseignement populaire ».

Tout en œuvrant à l’essor et au rayonnement de cette bibliothèque, Yvonne Oddon continua à agir pour défendre la cause de la lecture publique. Elle adapta le Guide du bibliothécaire amateur de Charles-Henri Bach destiné aux bibliothèques paroissiales protestantes et en fit le célèbre « Manuel Bach et Oddon » qui eut plusieurs éditions de 1931 à 1964 et forma de nombreux professionnels. Elle aida sa collègue Victorine Vérine à obtenir un bibliobus pour la « bibliothèque circulante de l’Aisne » et fut une militante active de l’Association pour le développement de la lecture publique (ADLP) créée en 1936.

Durant la guerre, Yvonne Oddon fit partie des résistants de la première heure : lors de l’exode des Français devant l’occupation allemande, elle choisit, comme Paul Rivet, de rester en poste et de maintenir le musée ouvert, manifestant ainsi le refus de capituler devant l’ennemi. Pour protéger les collections, elle décida d’habiter sur place. Et très vite elle se chargea d’envois de livres et de vêtements aux soldats prisonniers dans les environs de Paris. « De cette préoccupation à celle de favoriser les évasions, il n’y avait qu’un pas qui fut vite franchi », écrivit-elle, après la guerre, dans son rapport sur son activité de résistance : elle assura l’hébergement de prisonniers évadés qu’elle aidait ensuite à passer la ligne de démarcation. En même temps, elle établit divers contacts – avec les bibliothécaires de l’Ambassade des États-Unis, avec l’ethnologue Germaine Tillion, lectrice régulière de sa bibliothèque – avec qui elle commença à discuter d’autres types d’actions.

Peu de temps après, avec le retour du linguiste Boris Vildé, évadé d’un camp de prisonniers, puis celui de l’anthropologue Anatole Lewitsky, le groupe du Musée de l’Homme se mit en place, animé par la volonté de défendre l’idéologie antiraciste sur laquelle reposait ce musée, l’affirmation de l’égale dignité de tous les hommes. Ce groupe chercha tout de suite à tisser des liens avec d’autres groupes, à fédérer tous ceux qui voulaient « faire quelque chose » mais agissaient jusque-là de façon isolée. Un des premiers objectifs fut de réaliser un « organe de propagande » pour dénoncer l’idéologie nazie et la politique collaborationniste. Cela se traduisit, le 15 décembre 1940, par le premier numéro du journal Résistance, dont le titre fut suggéré par Yvonne Oddon, en souvenir du mot « Résister » gravé dans la pierre de la Tour de Constance, à Aigues-Mortes, par la protestante Marie Durand qui y fut enfermée durant trente-huit ans, au 18e siècle, en raison de sa foi.

Rapidement des liens se nouèrent entre différents groupes, une véritable coordination commença à se mettre en place. Mais, très vite aussi, ces résistants furent dénoncés par un agent double et les arrestations se multiplièrent : Yvonne Oddon et Anatole Lewitsky furent arrêtés le 10 février 1941, Boris Vildé et plusieurs autres membres du groupe du Musée de l’Homme quelques semaines plus tard. Ils furent internés à la prison du Cherche-Midi, puis à Fresnes et la Santé, et jugés en février 1942 par une cour militaire allemande. Devant ses juges Yvonne Oddon « déclare être la fille d’un colonel, mort de ses blessures, et avoir agi en fille d’officier français ». Le procès se conclut par la condamnation à mort de dix d’entre eux. Les sept hommes furent fusillés au Mont Valérien le 23 février 1942. Voir Boris Vildé. Pour les femmes (Yvonne Oddon, Sylvette Leleu et Alice Simonet), l’exécution fut « suspendue » et leur peine commuée en déportation. Yvonne Oddon connut d’abord les prisons de Karlsruhe, Anrath, Lübeck et Cottbus, puis le camp de Ravensbrück le 23 novembre 1944 et celui de Mauthausen le 7 mars 1945. Elle fut libérée par la Croix-Rouge internationale le 22 avril 1945.

À son retour, elle reprit rapidement ses activités professionnelles à la bibliothèque du Musée de l’Homme mais aussi dans la région du Diois-Vercors, son pays natal, haut lieu de la Résistance particulièrement touché par les bombardements, les incendies et les fusillades : elle aida à créer l’Association pour la lecture populaire dans le Diois et le Vercors, fin 1945, et à obtenir de divers organismes des dons de livres importants pour la « bibliothèque circulante » mise sur pied dans la Drôme.

Elle continua de diriger la bibliothèque du Musée de l’Homme jusqu’à sa retraite en 1963, tout en consacrant une partie de son temps à d’autres activités : en 1947, elle fut nommée à mi-temps à l’Unesco pour s’occuper de la documentation sur l’enseignement de la bibliothéconomie. En 1948-1949, elle fit partie d’une mission de l’Unesco chargée d’étudier les moyens de lutter contre l’analphabétisme à Haïti. Elle participa également à la création, en 1948, du Centre de documentation muséologique Unesco-Icom (Conseil international des Musées), où elle fut chargée notamment de la Bibliographie muséographique internationale et du bulletin bilingue Icom News/Bulletin de l’Icom, ainsi que de nombreuses missions à l’étranger pour assurer la formation de spécialistes. Et, après sa retraite, elle s’investit totalement, pendant plus de dix ans, dans ces responsabilités au service des musées, tout particulièrement ceux des pays africains devenus indépendants qui manquaient beaucoup de personnels qualifiés : elle obtint la création par l’Unesco, en 1964, d’un centre régional de formation de techniciens de musée installé à Jos, au Nigeria, dans lequel elle se rendit à plusieurs reprises pour organiser des stages.

En même temps, elle participa très longtemps et de façon active à la vie de l’Association des anciennes déportées et internées de la Résistance (ADIR), dont elle était membre du conseil d’administration, et à celle de l’Association nationale des Résistants de 1940, dont elle fut vice-présidente.
Croix de guerre avec palmes, médaillée de la Résistance, Yvonne Oddon fut nommée commandeur de la Légion d’honneur en 1981.
Elle a été inhumée dans la tombe familiale à Menglon (Drôme).
Un hommage lui a été rendu en décembre 1982, Françoise Weil prononça ces paroles : « Elle a laissé à tous ceux qui l’ont connue " le souvenir d’une femme très volontaire et de grand coeur, défendant causes et gens avec acharnement ". »

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article147145, notice ODDON Yvonne, Suzanne, Julie par Anne-Marie Pavillard, version mise en ligne le 9 juin 2013, dernière modification le 25 juillet 2019.

Par Anne-Marie Pavillard

Yvonne Oddon
Yvonne Oddon
Cliché AERI
Communiqué par Jean-Pierre Ravery

SOURCES : Arch. Bibliothèque du MNHN, Fonds Yvonne Oddon. — Arch. BDIC, Fonds ADIR. — Julien Blanc, Au commencement de la Résistance. Du côté du Musée de l’Homme, 1940-1941, Paris, 2010. —– Martine Poulain (dir.), Histoire des bibliothèques françaises. 4 : Les bibliothèques au XXe siècle, 1914-1990, Paris, 2009 . — Weil, Françoise. Hommage à Yvonne Oddon (1902-1982). Bulletin des bibliothèques de France [en ligne], n° 12, 1982 . Disponible sur le Web : <http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-...> . — Notes Annie Pennetier.

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