BARRAINE Elsa [BARRAINE Jacqueline, Elsa]. Pseudonymes sous l’Occupation : BONNARD Catherine et TRIOLET pour l’association Gloxinia

Par Daniel Virieux

Née le 13 février 1910 à Paris (XVIIIe arr.), morte le 20 mars 1999 à Strasbourg ; compositeur ; animatrice du Front national des musiciens dès l’automne 1941.

Fille de Mathieu Barraine, violoncelliste solo de l’orchestre de l’Opéra de Paris, et de Jeanne Barraine, pianiste, soliste dans les chœurs de la Société des concerts du Conservatoire, Elsa Barraine a fait ses études au Conservatoire national supérieur de musique de Paris où elle fut l’élève de Paul Dukas. Premier grand prix de Rome en 1929 avec sa cantate la Vierge guerrière (Jeanne d’Arc), triptyque saint sur un poème d’Armand Foucher, Elsa Barraine composa sa première symphonie en 1931.

Chef de chant à l’Orchestre national de 1936 à 1940, elle devait connaître une situation professionnelle précaire pendant les années de guerre. De même qu’elle avait adhéré au PCF en réaction aux accords de Munich, Elsa Barraine s’efforça alors de traduire en actes son refus de l’Occupation. Elle date de l’automne 1940 ses premiers contacts en ce sens avec Roger Désormière*, chef d’orchestre à l’Opéra-comique, et Louis Durey*, compositeur du « Groupe des Six », tous deux piliers de la Fédération musicale populaire et militants du PCF. À ce moment, Louis Durey résidait en fait à Saint-Tropez mais il fut bientôt en rapport avec la « direction des intellectuels communistes » (Georges Politzer* et Danielle Casanova*) par le canal du chirurgien Raymond Leibovici*. À la constitution du comité de Front national des musiciens, en septembre 1941, Elsa Barraine fut chargée - par Roger Désormière ? - d’animer les réunions du groupement clandestin. Elle rendait compte de cette tâche à Georges Dudach*, agent de liaison de Georges Politzer, mais il semble qu’elle était également en contact avec René Blech*, un ancien de la Maison de la Culture. Toutefois, Elsa Barraine ne relevait pas de l’appareil technique central des comités d’intellectuels que Pierre Maucherat*, André Voguet* et André Fougeron* avaient progressivement compartimenté en six ensembles (enseignants, médecins, écrivains-artistes, techniciens, étudiants et juristes). Les musiciens appartenaient au troisième, lequel se différencia au printemps 1942 en sous-groupes dont un « III. M. ». C’est le compositeur Roland-Manuel qui avait en charge d’organiser l’élaboration et la diffusion des matériaux de propagande - plate-forme du comité (septembre 1941), tracts, Musiciens d’Aujourd’hui (avril 1942). Quoique dépendant de l’appareil communiste, le comité de Front national n’était pas soumis à l’acceptation des conceptions du PCF, en particulier la lutte armée, et ses membres n’étaient liés que par leur plate-forme commune. Celle-ci allait jusqu’à prendre appui sur les objectifs affichés par Vichy pour s’adresser à un milieu pénétré de musique allemande et, par là, potentiellement perméable au discours nazi sur cette musique. En juillet 1942, une lettre-directive précisait en conséquence les terrains et le mode d’intervention d’Elsa Barraine au sein du comité qui comptait alors quinze personnalités. Arrêtée au cours du deuxième semestre 1942, elle fut relâchée sur l’intervention d’un fonctionnaire de la Préfecture de Police de Paris.

Au printemps 1943, elle rédigea avec Roger Désormière et Louis Durey - de retour à Paris -, le manifeste fondateur du « Front national des musiciens », groupement professionnel affilié au Front national (FN), mouvement de Résistance nouvellement constitué (mars 1943). Elle participa ainsi à la réactualisation des mandats qui engageaient les membres du comité : boycott des manifestations nazies et vichystes, contre-propagande (Musiciens d’Aujourd’hui, Pensée Libre), contrebande musicale et défense des créations de « l’esprit français », solidarité avec les victimes de l’oppression, action revendicative et lutte contre le Comité d’organisation des entreprises du spectacle (COES), résistance à la réquisition des musiciens au titre du STO... Louis Durey succéda alors à Elsa Barraine au « secrétariat » du groupement.
En 1944, recherchée par les Allemands et prévenue par sa concierge, elle entra dans la clandestinité et se procura des faux papiers au nom de Catherine Bonnard. Elle usa de cette identité pour signer Avis, créé pour le poème de Paul Éluard* : comme le préconisait Musiciens d’Aujourd’hui (février 1944), il s’agissait de « collaborer musicalement à l’œuvre des poètes patriotes et [de] donner des auditions clandestines d’œuvres patriotiques ». Comme la plupart des musiciens du FN, Elsa Barraine participa ainsi aux enregistrements du Studio d’Essai de Pierre Schaeffer destinés à préparer les programmes de la Radio de la Libération.
De l’automne 1944 à 1947, elle travailla à nouveau à l’Orchestre National et dirigea la maison de disques « Chants du Monde ». Avec Roger Désormière, elle contribua à la fondation (fin 1947) de l’Association française des musiciens progressistes dont Louis Durey était le secrétaire général, Charles Koechlin* acceptant la présidence d’honneur. Elle participa aussi au « Gloxinia » créé par Roland-Manuel et présidé par Darius Milhaud, « société-farce » qui rassemblait, dès la fin 1944, tous les anciens du Front national des musiciens, à l’exception de Louis Durey, en une amicale dont la longévité (jusqu’en 1968) n’eut rien à envier à celle du très sérieux Comité national des écrivains. Elsa Barraine enseigna au Conservatoire de 1953 à 1974, date à laquelle elle cessa d’être inspecteur des Théâtres lyriques nationaux, fonction qu’elle assurait depuis 1969. Célibataire, elle mourut en 1999 à Strasbourg.

Elle avait obtenu le prix du Portique et la médaille de Chevalier des arts et des lettres

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article15749, notice BARRAINE Elsa [BARRAINE Jacqueline, Elsa]. Pseudonymes sous l'Occupation : BONNARD Catherine et TRIOLET pour l'association Gloxinia par Daniel Virieux, version mise en ligne le 20 octobre 2008, dernière modification le 27 septembre 2018.

Par Daniel Virieux

Elsa Baraine en 1929.
Elsa Baraine en 1929.
La Rampe, 1er juillet 1929.

ŒUVRE : Symphoniste talentueuse, on lui doit de la musique pour orchestre (trois symphonies, une Fantaisie pour piano et orchestre, une Suite astrologique pour petit orchestre...), de la musique pour la scène (Le Roi-bossu, Le Mur, La Chanson du mal-aimé, Les Paysans...), de la musique de chambre et instrumentale (Quintette à vent, Suite juive pour violon et piano, Musique rituelle pour orgue, gongs et xylorimba...) et de la musique chorale (Hymne à la lumière pour soprano et orchestre, Poésie ininterrompue, Cantate du Vendredi Saint).
Parmi ses compositions : Pogromes, ouverture pour orchestre (1933), Voïna, deuxième symphonie (1938). — Avis, poème de Paul Éluard pour chœur mixte et orchestre à la mémoire de Georges Dudach (1944). — Le Fleuve Rouge (Song-Koï), variations pour orchestre (1945). — Au cœur de l’orage, musique pour le film de Jean-Paul Le Chanois sur le maquis du Vercors (1946). — Printemps de la liberté, musique pour la pièce de Jean Grémillon sur la Révolution de 1848 (1948). — Poésie ininterrompue, cantate pour trois voix et orchestre pour le poème de Paul Éluard (1948). — L’homme sur terre, poème de Paul Éluard pour chœur mixte et orchestre (1949). — Hommage à Prokofiev, pour orchestre (1953). — Musique rituelle, d’après le Livre des morts tibétain pour grand orgue, xylophone et gongs (1967). — De premier mai en premier mai, poème de Paul Éluard pour chœur a capella (1977).

SOURCES : Archives du Musée de la Résistance Nationale : « Monsieur X..., musicien », texte dactylographié [fin 1941]. — « Pour Elsa », lettre-directive non signée et non datée (juillet 1942). — « Front National des intellectuels (rapport reçu le 24 décembre) [1942] », notes manuscrites de Georges Cogniot. — Manifeste, document incomplet [printemps 1943]. — « Musiciens. Mars 1943-mars 1944 », rapport interne. — « Nous refusons de trahir... déclarent les musiciens », L’Université Libre, numéro spécial imprimé, en date de septembre-octobre 1941 (MRN). — Musiciens d’Aujourd’hui, numéros 3 (avril 1942), 4 (octobre 1942), 5 (novembre 1942), 6 (juin 1943), 7 (juillet 1943), 8 (février 1944). — Archives privées (Elsa Barraine).
Témoignages : Elsa Barraine, témoignage recueilli par Daniel Virieux, juillet-août 1998. — Arlette Durey, témoignage recueilli par Nicolas Guillot, avril 1999. — Henri Dutilleux, témoignage recueilli par Guy Krivopissko et Christian Beerman, juillet 1996. — Manuel Rosenthal, témoignage recueilli par Guy Krivopissko et Christian Beerman, juillet 1997. — Henri Barraud, interview in Cahiers d’Histoire de la Radiodiffusion, n° 43, décembre 1994.
Bibliographie : Thierry Adhumeau, « Le « Gloxinia » ou l’époque de l’amitié », Les Cahiers Boëllmann-Gigout, n° 2-3, Paris, décembre 1997-mars 1998. — Henri Dutilleux, Mystères et mémoires des sons, Éditions Belfond, 1993 ; Henri Dutilleux « Pierre Schaeffer », La Lettre du Musicien, janvier 1999. — Pierrette Mari, Henri Dutilleux, Éditions Aug. Zurfluh. SA., Paris, 1988. — Catherine Morgan, « Roland-Manuel nous dit l’action de quatre ans des Musiciens Français », Les Lettres Françaises, n° 21, 16 septembre 1944. — Louis Parrot, L’Intelligence en guerre, Paris, Éditions La Jeune Parque, 1945. — Frédéric Robert, Louis Durey l’aîné des ’Six’Editeurs Français Réunis, 1968. — Pierre Schaeffer, Les antennes de Jéricho, Éditions Stock, 1978. — Jane F. Fulcher, « Style musical et enjeux politiques en France à la veille de la seconde guerre mondiale », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 10, décembre 1995.

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