BILLOUX François. Pseudonymes : LAUDIER, G. FAUDET, autres pseudos Leclair, Roche, Roger, Joseph (dans les planques), H. Lero (dans les Cahiers du Bolchevisme)

Par Antoine Olivesi

Né le 21 mai 1903 à Saint-Romain-La-Motte (Loire), mort le 14 janvier 1978 à Menton (Alpes-Maritimes) ; employé ; militant socialiste puis communiste ; secrétaire général de la Jeunesse communiste en 1928-1930 ; membre du comité central du Parti communiste puis du bureau politique et du Secrétariat ; député des Bouches-du-Rhône (1936-1940, 1945-1978), conseiller municipal de Marseille (1945-1947, 1953-1971) ; commissaire d’État au CFLN, puis au gouvernement provisoire (1944), ministre de la Santé publique, puis de l’Economie nationale, puis de la Reconstruction et de l’Urbanisme, et enfin de la Défense nationale entre 1944 et 1947.

[Assemblée nationale, Notices et portraits, 1936]

« Je suis né dans une famille paysanne [...] mes parents étaient des métayers vignerons sur une terre qui appartenait à un propriétaire d’une usine de textiles de Roanne. Celui-ci comptait les fruits sur les arbres [...] Mon père était influencé depuis de nombreuses années par les idées du socialisme. Il admirait à la fois Jean Jaurès et Hervé, ce qui correspondait à son esprit de révolte de petit paysan constamment humilié, d’antimilitarisme et à sa soif sentimentale de justice ».

Ainsi, s’exprimait François Billoux, fils de Michel Billoux et de Marie, née Chavroche, dans un long article autobiographique publié dans l’Humanité du 21 avril 1956.

Le jeune Billoux put assister, le dimanche, aux discussions politiques tenues dans sa maison entre des ouvriers du textile roannais et son père. L’influence de ce dernier fut grande puisque, mobilisé en 1915, appartenant à un régiment marqué par les mutineries de 1917, enthousiasmé par la Révolution russe, il fit adhérer son fils, au mois de septembre de la même année, au cours d’une permission, aux Jeunesses socialistes de Roanne. Devenu ouvrier, il mourut en 1921 des suites d’un mal contracté à la guerre.

La famille Billoux avait dû, en raison du conflit, abandonner la métairie et la mère de François Billoux travailla dans une bonneterie de Roanne.

Après des études primaires à l’école de Riorges, jusqu’en 1915, François Billoux suivit, jusqu’en 1918, les cours de l’École pratique de commerce et d’industrie de Roanne. Il obtint son certificat d’aptitude commerciale, puis entra, comme employé, dans une quincaillerie spécialisée en fournitures pour les usines de textile de Roanne.

Dans cette ville de vieille tradition guesdiste, et dont la municipalité était socialiste, Billoux assista aux manifestations et aux grèves de 1917. Outre l’influence de son père et celle de cet environnement socio-politique, il a rappelé lui-même l’action déterminante « d’un camarade cheminot, Ferdinand Chevalier, qui était originaire de Marseille - ville dont il lui parlait beaucoup - et qui a éduqué, vers la fin de la Première Guerre mondiale, ce petit groupe de jeunes Roannais... qui nous a formés à l’idée qu’il fallait consacrer notre vie à la lutte de la classe ouvrière ». Dans son autobiographie d’avril 1932, il présentait ainsi son engagement : « Je suis venu à la J.S. à la suite d’un discours pacifiste d’Hélène Brion pendant la guerre (fin 1917)... J’étais connu par les militants de Roanne... en particulier le camarade Chevalier ».

En 1919, Billoux s’inscrivit au syndicat CGT de son entreprise, et en mai 1920, à la section SFIO de Roanne. Il participa aux grandes grèves de 1920. En novembre, il fut élu secrétaire des JS de Roanne - une soixantaine de membres - et les fit adhérer à l’Internationale communiste des Jeunes. Passé au communisme, après quelques hésitations pendant l’été 1920, après le congrès de Tours, il devint responsable des JC de la Loire. Véritable fondateur de ce groupe, donc, Billoux, comme il le déclara beaucoup plus tard, en 1970, à Jacques Varin, fit la différence entre un mouvement social-démocrate strictement éducatif et une organisation nouvelle tournée vers l’action, c’est-à-dire, essentiellement, la lutte économique, la bataille antimilitariste et enfin l’action culturelle et sportive.

En 1921, il fut perquisitionné et connut son premier interrogatoire par la police. La même année il assista au comité national élargi de la JC à Paris où il rencontra Gabriel Péri. Il participa au 2e congrès national de Paris du PC en octobre 1922. Il était « membre actif de la fraction de gauche » contre les frossardistes et lutta en particulier contre E. Lafont et Ferdinand Faure. Au début de 1923, il fit partie de ceux qui à Roanne, ne suivirent pas Frossard lorsque ce dernier quitta le PC. Il contribua à la réorganisation de la fédération départementale de ce parti, avec Benoît Frachon qui militait alors à Saint-Chamond. Il faisait déjà partie du comité exécutif de cette dernière depuis le 11 juin 1922. Au mois de mai, il participa au congrès national des JC à Villeurbanne où il fit la connaissance de Maurice Thorez. Il y fut désigné comme secrétaire à la propagande de la 17e Entente régionale des JC, avec Ambroise Croizat, dont le siège était Lyon et qui regroupait dix départements, de l’Ain à la Drôme et de la Haute-Loire à la Haute-Savoie. Devenu permanent, il parcourut toute cette région pour y consolider ou y créer des groupes de JC, transformer des sections en cellules, animer des grèves à Saint-Étienne, Rive-de-Gier, Vienne, Romans, Roanne, créer des cellules d’usines à Digoin etc. Il était, par ailleurs, membre du comité fédéral du PC de la Loire en 1923, puis du Rhône en 1924 ; il intervint à la tribune au congrès de Lyon le 20 janvier 1924. Fin 1923-début 1924, il fit partie avec Rieux d’une opposition « pour éliminer les opportunistes, tels Sellier et Pavy. Mais cette fraction ayant dérivé vers l’ouvriérisme et l’ultra-gauchisme, il rompit publiquement en avril 1924.

« En été 1924, ce fut la plus grande joie de ma vie ! J’étais délégué au 5e congrès de l’Internationale communiste des jeunes à Moscou, et, du même coup, j’assistais au 5e congrès de l’Internationale communiste », (article cité). À son retour, Billoux fut désigné comme secrétaire administratif de la Fédération nationale des JC et membre de leur comité central. Il quitta donc Lyon, à la fin de l’année, pour se fixer à Paris où il séjourna dans divers hôtels, le plus souvent dans le Xe arr., et où il se lia avec Jacques Doriot pour qui il avait fait campagne à Saint-Denis aux élections législatives de mai 1924 et qu’il ira voir, plus tard, à la prison de la Santé, en 1928. Il effectua alors diverses missions, notamment en novembre 1924, lors de la grève de Douarnenez, auprès de Charles Tillon qui le décrit physiquement ainsi : « court de taille et la tête casquée d’une brosse de cheveux noirs », orateur encore inexpérimenté - il s’améliorera - mais plein d’enthousiasme juvénile. En janvier 1925 il assista au 4e Congrès du parti à Clichy.

En 1925, on retrouve François Billoux à Roanne, momentanément employé à « l’Avenir Régional », coopérative locale, puis il partit pour le service militaire au mois de mai - il avait d’abord été ajourné en 1923. Il fit son service au 12e chasseurs alpins à Trèves en Rhénanie puis fut déplacé par décision ministérielle au 135e d’infanterie à Cholet où il organisa une quinzaine de soldats. Il fut démobilisé en mai 1926. Il assista, en tenue militaire, au congrès ouvrier et paysan organisé en août 1925, à Paris, contre la guerre du Maroc. Démobilisé, il fut élu pour la première fois l’année suivante, en juin, au congrès national du PC, à Lille, membre du comité central. Il y combattit, avec la majorité, Albert Treint et Suzanne Girault. Au mois d’août, il fut réélu membre du CC de la Jeunesse communiste et fut délégué, à ce titre, auprès de l’Internationale communiste des jeunes à Moscou. Il s’y rendit de novembre 1926 à décembre 1927.

Les années 1928-1931 furent pour François Billoux, comme pour d’autres militants, très importantes, compte tenu de la stratégie de Staline à un moment décisif du grand tournant de l’histoire intérieure de l’URSS et de celle du Komintern.

Ce fut à Moscou, en effet, au début de l’année 1928, qu’Henri Barbé, en présence de François Billoux, fut chargé par Manouilski de constituer un noyau de la Jeunesse chargé de contrôler le bureau politique et le secrétariat du PC français. Cette nouvelle équipe, « noyau de direction », ou « noyau de la Jeunesse », qu’on appellera plus tard « le groupe », fut mise en place au printemps 1928 avec Barbé, Célor, Lozeray, Guyot, Billoux, Ferrat, Croizat, etc. Officiellement, elle devait effectuer le travail préparatoire avant les réunions du bureau politique, et, du reste, certains membres de ce dernier, Thorez, Frachon, Monmousseau et Semard en étaient informés. S’il y avait activité fractionnelle, c’était bien avec l’accord complet du Komintern et à la connaissance des principaux dirigeants du parti. En fait, il s’agissait d’imprimer au PC une politique ultra-gauchiste destinée à la fois à durcir la lutte classe contre classe et à éliminer Boukharine en URSS ainsi que ses partisans en France ou ailleurs.

Dans cette nouvelle ligne, François Billoux déploya une activité considérable. Revenu en France, il épousa à Lyon (IVe arr.), le 27 mars 1928, une militante communiste, Josette Rampinini – dactylo au 120 rue Lafayette, fille de brodeurs sur soie devenus marchands forains à Roquebrune, le père était membre du PC (le couple eut une fille, Hélène, née le 18 avril 1939 à Marseille). François Billoux remplaça, à la même époque, Barbé au poste de secrétaire général de la JC et entra, en février 1928 au nouveau comité de rédaction des Cahiers du Bolchevisme. Il semble qu’on lui ait confié une sorte de responsabilité dans le domaine idéologique - puisqu’il sera présenté, plus tard, comme « le théoricien du groupe ».

Quoi qu’il en soit, il se rendit de nouveau à Moscou au cours de l’été 1928 pour assister au VIe congrès mondial de l’Internationale, congrès « gauchissant, stalinien et antiboukharinien » et il y prit la parole le 18 juillet pour affirmer le rôle joué par les membres de la JC dans la critique de leurs « camarades adultes », pour redresser les erreurs opportunistes au sein du parti et combattre le pacifisme bourgeois. « C’est seulement par une propagande, par une action de masse interne à l’intérieur de l’usine, à la caserne, sur les bateaux, dans les camps de préparation militaire où se trouvent les jeunes travailleurs que nous réussirons à les arracher aux illusions du pacifisme et de l’antimilitarisme négatif pour les entraîner dans une lutte bolchevique antimilitariste ». Il rappela aussi l’impulsion déterminante des JC pour entraîner le Parti dans la campagne contre la guerre du Maroc, ainsi que la réorganisation, par ses soins, du travail antimilitariste grâce à des commissions « anti-mixtes », c’est-à-dire des commissions antimilitaristes composées à la fois de militants du PC et de membres de la JC.

Ce discours est à l’origine d’une brochure inédite destinée aux Cahiers du Bolchevisme et qui s’intitulait « Le rôle de la Jeunesse communiste dans la formation bolchevique du parti ». Idées qu’il reprit à nouveau, au nom de la JC au congrès de Saint-Denis, en mars-avril 1929, où il fut réélu au comité central et selon les Mémoires d’Albert Vassart, il entra momentanément au bureau politique. Ces thèses, par ailleurs, paraissent avoir également influencé le manuel d’André Ferrat, Histoire du Parti Communiste français, publié en 1931. Sa conviction d’être dans la ligne orthodoxe fut renforcée, chez Billoux, par sa nomination, en août 1928, comme membre du comité exécutif de l’Internationale des Jeunes et par la scène à laquelle il assista, toujours à Moscou, lors de la séance de Praesidium de l’IC, le 19 décembre, quand Staline condamna brutalement Humbert-Droz pour son attitude « opportuniste et droitière ».

Outre les tâches idéologiques, François Billoux fut chargé de renouveler les cadres du parti à Paris et en province, au sein du PC comme dans les syndicats et peut-être fut-il, un temps, en septembre 1929, élu secrétaire de la CGTU. Mais le domaine essentiel de son action militante fut, bien entendu, dans cette période éprouvante pour le parti, la lutte antimilitariste. Il occupa, entre autres postes, celui de « Technique », c’est-à-dire de responsable national à l’organisation technique du travail de propagande. Il dirigeait donc, au tournant des années 1930, la Jeunesse Communiste et l’appareil militaire illégal du PC.

« Au printemps de 1929, je totalisais, écrivit-il, une trentaine d’années de prison, et plus d’une dizaine de milliers de francs d’amendes comme propriétaire présumé de l’Avant-Garde et du Conscrit. À partir de l’été 1929 et jusqu’à l’été 1932, ce fut la vie clandestine terminée par une amnistie », et une peine effective de trois mois de prison. En septembre 1929, notamment, appelé pour effectuer une période militaire, il ne rejoignit pas le 121e régiment d’infanterie auquel il était affecté, d’où sa condamnation, l’année suivante. Sur l’ordre du bureau politique, il vécut dans la clandestinité pour échapper aux poursuites et se fit adresser sa correspondance, sous divers noms d’emprunt, chez Mademoiselle Mailloux, à Houilles, en Seine-et-Oise chez qui son épouse résidait (ainsi que chez la compagne de Galopin).

François Billoux avait été condamné à nouveau, le 11 mars 1930, à deux ans de prison et à 3 000 francs d’amende pour provocation de militaires à la désobéissance, le 29 juillet à un an de prison pour insoumission, le 14 octobre, à quatre ans de prison et à 5 000 francs d’amende pour des motifs similaires. Il avait signé, sous des pseudonymes, de nombreux articles antimilitaristes dans les journaux cités plus haut ainsi que dans La Caserne, et animé avec Guyot, en août 1929, « le mois d’action antimilitariste ».

Dans cette conjoncture, il adressa, en particulier, une circulaire signée G. Faudet, en date du 16 février 1929, aux secrétaires d’Ententes des JC pour la célébration du 11e anniversaire de l’Armée Rouge : « Faire connaître davantage l’armée rouge, la faire aimer par les travailleurs », telle devait être la mission des JC « en ce moment », car beaucoup d’ouvriers n’étaient pas suffisamment convaincus par la propagande du parti sur ce point. Sa période d’illégalité dura trois ans, sous le contrôle du parti. Il fit alors quelques séjours à l’étranger : en Belgique, en août-septembre 1929, et un ou deux voyages en U.R.S.S.

Mais au moment même où François Billoux et le noyau de la JC étaient engagés à fond dans cette politique ultra-gauchiste, une nouvelle orientation, justifiée à la fois par la consolidation du pouvoir de Staline et par la situation catastrophique du Parti communiste en France, s’était déjà amorcée à Moscou. Il fallait donc en même temps effectuer un changement d’équipe et désigner des boucs-émissaires. Ce fut l’affaire dite « du groupe » - ou Barbé-Celor - et aussi la première manifestation d’un procès de type stalinien à Paris dont Billoux sera l’un des accusés, entre juillet et décembre 1931.

Bien entendu les versions divergent, sur cette affaire, selon les témoignages fournis, entre autres, par Thorez, Tillon, Barbé ou Billoux lui-même.

« Notre parti était en plein gauchisme théorisant, avec l’appui de l’IC », écrira plus tard Charles Tillon (op. cit.), lequel est en désaccord sur ce point avec les explications fournies ailleurs, dans ses nombreux écrits, par Maurice Thorez et par François Billoux lui-même, coresponsable avec Jacques Duclos de l’Histoire du PCF (manuel publié aux Éditions sociales en 1964). Il y est écrit (p. 225) que Billoux et Guyot aidèrent le Comité central à combattre pour la liquidation du groupe Barbé-Célor.

Si l’on se réfère à l’Humanité de l’époque (10 septembre 1931), il apparaît qu’après la session du CC (26, 27 et 28 août), « le camarade Billoux se déclare d’accord avec l’appréciation des groupes donnée par le bureau politique dans le discours du camarade Thorez et souligne l’esprit d’étroitesse politique qui est à la base des groupes ». Et, le 2 novembre, Billoux écrivit lui-même un article intitulé : « Recherchons les responsabilités du groupe ». Il y déclara que les origines de ce dernier remontaient en 1923, ce qui semble peu vraisemblable. Sans doute s’agit-il d’une faute d’impression et faut-il lire 1928 ou 1926 ? Du reste, lors d’un entretien avec J. Varin, en novembre 1974, Billoux date de la fin de 1926 les premières réunions des « anciens de la Jeunesses et de la direction en place de la JC ». Il évoque « une fausse conception des rapports de la Jeunesse et du parti » et rappelle la défiance des jeunes à l’égard de « l’anarcho-syndicaliste Monmousseau et du réformiste Cachin ». Billoux appréciait Semard, mais ne le jugeait pas assez ferme. Quant à Thorez, il n’était pas passé par les JC. Ces dernières espérèrent d’abord que Jacques Doriot deviendrait le secrétaire du PC puis reportèrent leurs espoirs sur Barbé. Les réunions fractionnelles se multiplièrent en 1930. « Outre l’aspect anti-démocratique de cette attitude, ce qui était le plus grave, c’est que tout cela couvrait une politique sectaire et étroite ».

Mais d’après les Souvenirs inédits de Barbé, reproduits par Philippe Robrieux (op. cit.), Manouilski aurait dénoncé en pleine séance du bureau politique, en juillet 1931, à Paris, les activités fractionnelles du groupe Barbé-Célor-Lozeray, en présence de ces derniers, avec la complicité de Raymond Guyot et l’appui de Thorez. Tandis que Barbé et Célor allaient connaître les destins que l’on sait, André Marty commença son enquête sur le groupe, au nom du Komintern et du bureau politique. Pour certains, Billoux aurait voulu résister un moment, par solidarité avec Barbé, puis il céda à son tour et rédigea son autocritique citée plus haut. Eut-il conscience, alors, que la JC avait été manipulée en France par l’Internationale communiste, poussée en avant pour pratiquer une politique « gauchiste » conforme aux intérêts de Staline, puis abandonnée lors d’un nouveau tournant soviétique ? Crut-il que « le noyau de la Jeunesse » ou « l’équipe des Jeunesses », allait éliminer « les anciens » et prendre définitivement la direction du Parti en 1929-1930 ? Quoi qu’il en soit, il tira la leçon de ce « procès » et ne sera plus jamais, par la suite, pris en défaut quant à la rectitude de la ligne à suivre.

Selon d’autres hypothèses, auxquelles se rallie notamment Charles Tillon (cf. On chantait rouge, p. 151, 204 et 205), Billoux, comme Guyot, après une entrevue avec Manouilski en juillet 1931, se serait prêté à une mise en scène permettant l’élimination de Barbé et aurait joué le rôle de bouc-émissaire volontaire, acceptant d’être « mis au vert » pour quelque temps et conservant ainsi, pour l’avenir, la reconnaissance de Thorez.

Dans l’immédiat en effet, c’est-à-dire lorsque le groupe fut éliminé, François Billoux fit l’objet d’un blâme public et perdit toutes les fonctions qu’il occupait au PC ou à la CGTU à la fin de l’année, mais ne fut pas totalement disgracié. Le comité central - dont il ne fut réélu que comme membre suppléant au congrès de Paris, en mars 1932 - l’envoya, sans doute, en décembre 1931, comme instructeur en Alsace-Lorraine, chargé de réorganiser le parti dans cette région où des militants de Strasbourg et des députés de la Moselle étaient en conflit avec la direction nationale. Il s’agissait, écrit Billoux, d’y « faire triompher une ligne juste [...] qui aboutisse à ce que les communistes de cette région défendent d’une façon intransigeante les revendications de caractère national sans tomber pour autant dans le nationalisme bourgeois ainsi que venait de l’expliquer Maurice Thorez » (article cité). En fait, il appliqua la politique officielle du parti de lutte contre « l’impérialisme français ».

La mise à l’épreuve – épreuve difficile – fut surmontée par Billoux qui se vit aussitôt confier une autre tâche non moins complexe : celle de reprendre en main la Fédération communiste des Bouches-du-Rhône. Il y retrouvera Charles Nedelec qu’il avait si durement attaqué deux années auparavant, chargé de réorganiser la 8e région CGTU.

C’est en effet à partir de janvier 1934 que la carrière politique de François Billoux allait être liée de façon durable à l’histoire de Marseille. « Je ne suis parti d’abord que pour quelques semaines, et puis finalement, je devais y rester. » Billoux, en effet, arriva en qualité d’instructeur pour la région marseillaise, qui comprenait six départements. Au congrès de Pâques, il en devint le secrétaire. A cette époque, le Parti communiste marseillais se trouvait dans une situation délicate, devant la solide implantation locale de la SFIO et surtout en raison de l’occupation du pouvoir municipal par Simon Sabiani, ancien communiste, « qui avait malheureusement conservé une grande influence parmi la classe ouvrière et, notamment, chez les travailleurs du port », précise Billoux (article cité) ; et il ajoute : « A la veille du 12 février, nous avions rassemblé tous les communistes de Marseille, il y avait là 83 camarades. En entrant dans la salle, je manifestai un peu ma surprise. »

Son nom est mentionné pour la première fois, dans Rouge-Midi, le 10 février 1934 : Billoux devait prendre la parole le 15 dans le quartier ouvrier de La Capelette, puis le 16 à Saint-Henri, le 17 à La Belle-de-Mai etc. Le 3 mars, il porta la contradiction à Vincent Auriol, à Pertuis, et le même jour, parut son premier éditorial dans Rouge-Midi : « Malgré et contre les chefs socialistes, le Front unique à la base fait des progrès. » Il y invitait, en conclusion, « les camarades socialistes » à quitter un parti « qu’on ne peut redresser » pour rejoindre « le seul parti du prolétariat, le Parti communiste ». Désormais, il expliquera régulièrement, presque chaque semaine, la politique du PC. Il attaque le 10 mars, Paul Faure et « le provocateur fasciste Pietro Nenni » qui accompagnait ce dernier dans sa tournée de propagande dans le Midi. Les appels de Paul Faure à l’unité, sa proposition de trêve et d’oubli du passé étaient qualifiés de « phrases démagogiques qui peuvent semer la confusion, mais qui constituent aussi des armes à double tranchant ». Et Billoux se prononce contre le CVIA, pour le front unique à la base - « ligne juste » - en annonçant le prochain avènement des Soviets en France. Pourtant, le 24 mars, il se réjouit de la création de nombreux comités antifascistes à Marseille avec des délégués SFIO, tels Calvelli ou Berthelot, et le 12 mai, s’il continuait d’attaquer les chefs socialistes - « il ne s’agit pas d’insultes mais de faits » - parce que certains refusaient l’action commune, il considérait comme « une date importante dans la lutte antifasciste de notre région, [...] un nouveau pas en avant dans l’organisation d’un front unique d’action », les rassemblements antifascistes d’Avignon et de Marseille.

Et le 24 mai, Le Petit Provençal, grand quotidien de la gauche marseillaise qui « occultait » jusqu’alors les informations concernant les communistes, mentionne pour la première fois le nom de Billoux, « du Comité central », qui assiste le soir même à une grande manifestation organisée contre la répression dont sont victimes les fonctionnaires à la Bourse du travail de Marseille. Devant « plusieurs milliers de personnes », sous la présidence d’honneur de Jean Cristofol et en présence d’un autre douanier révoqué, des leaders de la SFIO, du PC, de la CGT, de la CGTU et d’une dizaine d’autres organisations politiques, syndicales et culturelles de la gauche locale sont rassemblés. Billoux est parmi les orateurs qui sont acclamés lorsque sont adoptés trois ordres du jour favorables à l’unité d’action et on se sépare aux accents de l’Internationale.

Le 5 juin, François Billoux prit encore la parole, avec des socialistes, dans une réunion du Comité antifasciste de Saint-Barnabé, banlieue où Jean Calvelli, SFIO, est très influent.

Le 30 juin, le tournant était effectué. François Billoux avait assisté à la conférence nationale d’Ivry, quelques jours plus tôt. Il faut donner, écrit-il, la priorité à la lutte contre le fascisme « dans les conditions actuelles », ce qui n’empêche pas Doriot d’avoir été scissionniste. Il faut défendre « toutes les libertés démocratiques » et réaliser l’unité syndicale, à l’exemple des cheminots des Bouches-du-Rhône. « Nous saluons le front unique réalisé à Toulon entre le rayon communiste et la section socialiste [...] La Fédération socialiste des Bouches-du-Rhône accepte une entrevue avec notre région du Parti communiste. » Et, Billoux conclut sur « la défense des victimes du régime capitaliste pour leurs plus petites revendications tout en les conduisant à la prise du pouvoir par le triomphe de la révolution prolétarienne ». Le 7 juillet, le titre de son article reproduit le slogan nouvellement adopté par la direction du PC : « Dans les conditions actuelles, le PC veut obtenir à tout prix l’unité d’action des masses », et le 11, Billoux participait au premier grand meeting d’unité d’action tenu à Marseille avec Rémy Roux, secrétaire fédéral SFIO, au Racati, devant 4 000 personnes. Les expressions Unité d’action et Front unique d’action étaient simultanément utilisées par Billoux qui précisait « Nous n’abandonnons rien de notre idéologie [...] si nous organisons l’unité d’action pour sauver Thaelmann et Wallisch nous devons maintenir cette unité d’action pour sauver les travailleurs de la ville et des campagnes des décrets-lois, du fascisme, de la guerre impérialiste et du régime capitaliste lui-même. » Billoux combattit ensuite pour « renforcer les points faibles de l’Unité d’action », écarter « tous les obstacles au Front unique d’action », tel que le cas Rouvier à Marseille ; il salua ensuite, le 4 août, la signature du pacte d’action antifasciste conclu entre la SFIO et le PC et « le fait que dans l’ensemble de la région marseillaise nous assistons à la réalisation de cette unité d’action contre le fascisme et la guerre impérialiste ». Cette guerre, « si elle se déclenchait malgré nos efforts, alors suivant la grande expérience des bolcheviks et de Staline, nous travaillerons sans répit à la transformer en guerre civile ». Ainsi interfèrent, en juillet-août 1934, les anciens slogans et les nouvelles orientations communistes. Puis Billoux s’engagea dans la lutte contre les sabianistes pour les élections cantonales, les candidats communistes devant être présents partout au premier tour. Il se réjouit, le 20 octobre, des succès remportés grâce à l’unité d’action, et déjà, à l’exemple de Thorez, invitait au « rassemblement des masses laborieuses dans le Front populaire antifasciste ». Pour édifier un Parti communiste plus fort, « nous le disons tout net, il faut écraser chez nous les restes de sectarisme et extirper définitivement les vains bavardages ». Et, le 3 novembre, Billoux qui avait participé, quelques jours plus tôt, à Marseille, le 28 octobre, à un grand meeting antifasciste avec Duclos, Zyromski et Rémy Roux, lançait l’appel aux militants radicaux de la base déçus par leurs chefs. Le 17 novembre, il rappelait les mots d’ordre : « Dissolution des ligues fascistes. Défense de nos libertés », en même temps qu’il insistait sur l’urgence de réaliser l’unité syndicale à l’usine. Le 1er décembre, Billoux était amené à définir une « Unité d’action sans confusion politique » en désapprouvant la formation d’une liste d’union socialiste et communiste aux élections municipales partielles à Brignoles. L’action commune entreprise contre la baisse des salaires par le PC et la SFIO « ne doit pas cacher les divergences fondamentales qui subsistent entre les deux partis [...]. Nous, communistes [et cette expression revient comme un leit-motiv] nous ne défendons pas les intérêts brignolais mais ceux des travailleurs brignolais contre la bourgeoisie brignolaise ». Le 15, Billoux déplorait qu’Henri Tasso ait refusé de participer à un meeting contre la guerre et, le 22, qu’il se soit abstenu lors du vote des nouveaux crédits militaires. L’année 1934 s’achevait cependant sur des actions communes en faveur des travailleurs antifascistes espagnols et des grévistes de Roanne, ces derniers particulièrement chers à Billoux qui estimait positive la constitution du Comité de coordination, « grand pas en avant vers la réalisation du Front populaire ». (29 décembre). Billoux paya même de sa personne pour faire élire, au second tour, le candidat socialiste Giraud, conseiller d’arrondissement du 10e canton, au cours d’une campagne quotidienne unitaire très animée (Le Petit Provençal, 2 à 9 décembre 1934).

François Billoux se prononça, le 26 janvier 1935, contre la formation de listes communes avec la SFIO aux élections municipales, afin d’éviter les confusions et les marchandages et il préconisa des désistements loyaux dans l’esprit de l’unité d’action. Ce ne fut qu’à l’automne 1935, devant les progrès de cette dernière, qu’il commença sa campagne en faveur d’un parti unique du prolétariat.

L’arrivée de François Billoux coïncida ainsi avec le changement d’orientation de la politique générale du PC et ses qualités d’organisateur purent donc s’exprimer dans un climat plus favorable.

En outre, sa collaboration avec Nédelec sur le plan syndical, et le pacte d’unité d’action conclu avec les socialistes par Billoux lui-même permirent d’améliorer rapidement la situation. Billoux donna l’impulsion à la réorganisation ou à la création des cellules, multiplia les réunions de quartiers ou de villages, le soir, après six heures, fit preuve d’autorité et de méthode à la fois. Le Petit Provençal écrira, à son sujet, le 2 mai 1936 : « Esprit vigoureux, organisateur émérite, dialecticien puissant, il est de la race des chefs. »

L’une de ses réussites fut « la reconquête du port de Marseille » où les sabianistes contrôlaient la majeure partie des syndicats des dockers et les socialistes ceux des inscrits maritimes. Ce fut un travail de longue haleine, marqué par la propagande, la défense quotidienne des revendications concrètes et surtout le succès de la grève des dockers contre les acconiers en janvier 1936 qui entraîna un changement dans la direction syndicale à la CGTU, puis à la CGT, et de nombreuses adhésions au PC.

Dans d’autres domaines, Billoux ouvrit une école régionale du PC pour la formation des cadres, en décembre 1935 et créa une Université ouvrière où il enseigna lui-même l’histoire du mouvement ouvrier. Il aurait voulu, également, étendre cette formation aux militants algériens, mais faute de crédits, on dut se borner à quelques conférences dans des bars marseillais. Pourtant, les écoles de la région de Marseille étaient citées en exemple, à l’occasion du congrès d’Arles, dans un rapport secret du commissaire Sallet (22 décembre 1937). De même, en mars 1938, Billoux enseigna à « l’École permanente de six mois » organisée alors par le PC à Marseille et où des cours étaient dispensés tous les samedis.

Les progrès du PC à Marseille et dans la région du Sud-Est se traduisirent sur le plan des effectifs : 3 200 membres environ selon un rapport préfectoral du 31 décembre 1935, au lieu de 400 en 1932, 9 000 selon Billoux parlant en public le 22 juin 1936, dont 3 500 pour la seule ville de Marseille. Progrès également, dans la vente des journaux : 14 000 exemplaires pour Rouge-Midi, qui comptait 1 100 abonnés dans les Bouches-du-Rhône, et 6 000 ventes de l’Humanité, au lieu de 2 500. Ces progrès valurent à la région marseillaise les félicitations du comité central et la décoration du ruban bleu de Lénine. Cette région, du reste, déclara Billoux dans son discours de clôture du congrès régional, le 31 décembre 1935, doit faire l’objet d’une décentralisation. Ecartant sévèrement les critiques « d’ordre tout à fait local » émanant de certains délégués, tels Bartolini, Arnal, David et Baudin, Billoux fit adopter une résolution finale proclamant que « les communistes marseillais sont plus que jamais attachés à la Russie soviétique, et ses maîtres Lénine, Staline et Dimitrov ».

Ces progrès furent plus spectaculaires encore sur le plan électoral. Au scrutin pour les élections municipales de 1935, les communistes rassemblèrent 18 000 suffrages environ, en moyenne, à Marseille, dont 7 840 pour Billoux, tête de liste dans la 2e section et qui se désista, au second tour, pour la SFIO. Mais ce fut l’année suivante, à l’occasion des élections législatives que la poussée communiste et le succès personnel de Billoux s’affirmèrent le plus fortement.

François Billoux, qui habitait boulevard de Strasbourg, dans des quartiers populaires, fut désigné pour affronter Sabiani, député sortant, dans la troisième circonscription. Il fit une campagne ardente sur le thème de « Marseille propre » - en plus du programme général du Front populaire - dont le point culminant fut la réunion contradictoire de la place Marceau avec Sabiani. Ce dernier, entouré de ses gardes du corps armés, recula devant la détermination de Billoux et la foule de ses partisans et n’osa pas provoquer des incidents et des bagarres - parfois sanglantes - comme cela s’était déjà produit précédemment. Billoux, qui avait obtenu au premier tour 4 476 voix, fut élu au second avec 7 285 suffrages contre 6 323 voix à Sabiani, sur 17 323 électeurs inscrits, ayant bénéficié du désistement du candidat SFIO, Ferri-Pisani.

Déjà en janvier 1936, au congrès national du PC, à Villeurbanne, François Billoux avait été élu membre suppléant du Bureau politique et retrouvé ainsi des responsabilités nationales au sein du Parti. Jusqu’en 1940, son activité va se partager entre son action régionale, ses missions en Espagne, et ses activités parlementaires.

À Marseille, pendant les premières grèves, de juin 1936, il adopta un comportement plutôt modérateur, à l’image de Maurice Thorez. Il conseilla, par exemple, le 23 juin 1936, aux marins en grève, d’arborer le drapeau tricolore et non le drapeau rouge. La veille, au cours d’un meeting, il avait déclaré qu’il ne fallait « pas dépasser les impossibilités [...] ne pas indisposer une certaine catégorie de citoyens et l’opinion publique », préserver l’alliance avec les classes moyennes, reconnaître le drapeau tricolore, le bonnet phrygien et la Marseillaise en même temps que l’Internationale, savoir reculer, comme Lénine, en vrai bolchevik. Il demanda également, comme il le fit aussi dans une interpellation à la Chambre, l’arrestation de Sabiani responsable d’incidents violents, le 21 juin, avec des grévistes.

Le 4 novembre, dans une conférence d’information réservée aux secrétaires de rayons et de cellules, François Billoux définit clairement la ligne qu’il fallait expliquer aux militants et leur faire adopter : le PC n’a pas abandonné sa doctrine conforme aux enseignements de Marx, d’Engels et de Lénine : « Nous ne pouvons faire l’application de notre doctrine et encore moins inaugurer la dictature du prolétariat » dans la période actuelle et en raison des engagements pris avec les alliés du Front populaire. Pour le moment, il s’agit de respecter les lois démocratiques actuelles que le fascisme cherche à détruire et faire aboutir le programme du Front populaire. « Les communistes ne doivent pour le moment que soutenir cette thèse » - cette phrase est soulignée par le préfet dans son rapport du 6 novembre - thèse « qui est celle du chef Thorez et du Comité central », réaffirma Billoux le 31 janvier 1937, après la conférence nationale de Montreuil.

À l’égard des socialistes, Billoux fit jouer à la fois l’esprit de compétition et de collaboration politique. C’est ainsi qu’il protesta le 27 novembre 1937 auprès du préfet, contre des fraudes électorales survenues dans le neuvième canton, ce qui mettait en cause Fernand Bouisson et certains élus socialistes, lors du renouvellement des conseillers généraux et d’arrondissement en octobre. Billoux, revenu d’Espagne, et qui avait délégué ses pouvoirs à Eychenne et à Brinetti->17961] (voir ces noms), reprit la direction de la région marseillaise, mécontent du résultat obtenu par le PC aux élections cantonales (10 000 voix de moins qu’en 1936). Il dénonça « les fautes politiques et de tactique », qui doivent être sanctionnées, déplora l’hostilité des militants à l’égard de la SFIO dont certains chefs, certes, étaient critiquables. Mais l’ensemble du Parti socialiste, ajouta-t-il, est propre et honnête. Il faut marcher avec lui contre le fascisme.

En décembre, au congrès national du PC, à Arles, François Billoux devint membre titulaire du bureau politique. Il devait le demeurer jusqu’en 1973.

En février 1937, il était parti pour la première fois en Espagne où il accomplit ensuite plusieurs missions, notamment sur le front de Madrid, dans les Brigades internationales. Il a évoqué (article cité), les souvenirs des combats et du reflux des républicains espagnols, au début de 1939, vers le col du Perthus. Il avait été, en effet, appelé par téléphone, pour une nouvelle mission, le 29 janvier, sur l’ordre du comité central et il présida à Perpignan, quelques jours plus tard, la réunion d’accueil aux réfugiés de l’armée espagnole en retraite. A propos du rôle de Billoux en Espagne, où il fut délégué par l’Internationale communiste pour le contrôle politique des Brigades internationales, Tillon évoque son désaccord avec Marty dont Billoux fut tantôt le suppléant, tantôt le surveillant, et laisse entendre, au sujet des événements d’Albacete, que Billoux fut « le véritable responsable du contrôle des cadres français, civils et militaires [...] des dossiers, des décisions de justice (op. cit., p. 243). Pour Tillon, Billoux était « un instructeur du Komintern choisi par Staline. »

Selon Roger Michaut, en revanche, Billoux exerça « de hautes responsabilités en tant que commissaire inspecteur des Brigades internationales qui lui permirent [...] de développer encore ses grandes qualités d’organisateur et de dirigeant profondément humain ».

Au Palais Bourbon, François Billoux déposa plusieurs propositions de lois concernant les marins et les pêcheurs, les mécaniciens et chauffeurs des Ponts-et-Chaussées, le statut juridique des Arméniens (nombreux à Marseille). Il fit partie des commissions des Affaires étrangères, de l’Alsace-Lorraine et de la Marine marchande. Il intervint, en 1938, lors du vote du budget de ce dernier ministère et, en 1939, à propos des compagnies maritimes subventionnées par l’État. Il protesta également contre le décret-loi imposant à Marseille, un administrateur de tutelle.

Résolument antimunichois, Billoux anima, dans les Bouches-du-Rhône, l’action contre la politique du gouvernement Daladier et au mois d’avril 1939, dans de nombreuses réunions, il réfuta la campagne de dénigrement dont le PC était l’objet. Le 11, à Marignane, par exemple, « il tenta de justifier pourquoi le parti reste un Parti de révolution. Les communistes sont internationalistes mais restent d’accord pour défendre la France démocratique contre les visées fascistes ». Le PC ne veut pas la guerre, mais c’est Munich qui a rendu cette dernière inévitable.

À cette époque, les rapports entre Billoux et les socialistes marseillais sont loin d’être aussi favorables qu’en 1936 où un communiqué signé en commun avec Calvelli au nom du Comité de coordination, témoigne de « la cordialité, de l’accord parfait » qui y règnent et de « la confiance au gouvernement du Front populaire » (Marseille Socialiste, 31 octobre 1936). Billoux réserve ses foudres aux trotskystes, à propos des procès de Moscou, et écrit dans Rouge-Midi (1er septembre 1936) : « Nous avons la preuve qu’à Marseille le soi-disant groupe trotskyste est un ramassis d’aventuriers politiques dans lequel se confondent des mouchards, des provocateurs, des escrocs d’organisations ouvrières. »

Mais à partir de l’été 1937 – grosso-modo – le problème de l’unité organique devint, par articles interposés, un sujet de polémiques de plus en plus acerbes, pour déboucher, au printemps 1939, dans le cadre d’une campagne antisocialiste systématique, au stade « de la pire insulte », selon l’expression d’un élu socialiste, Louis Rampal*. Ainsi peut-on lire, par exemple, sous la signature de Billoux, dans Rouge-Midi, les 12 et 16 mai 1939, que la Fédération SFIO des Bouches-du-Rhône « est inféodée à Fernand Bouisson », qu’elle abrite « des carriéristes et des aventuriers politiques » vivant directement ou indirectement de la prostitution, du trafic de la drogue, profitant de leur mandat et de la fraude électorale pour constituer des clans personnels etc... le tout s’achevant par l’appel traditionnel « aux bons militants socialistes ».

Pourtant, un rapprochement parut s’esquisser entre PC et SFIO devant certaines décisions du pouvoir qui frappèrent directement les travailleurs marseillais. En effet, au cours de l’été 1939, Billoux participa à de nombreux meetings contre les licenciements par décrets-lois de nombreux employés marseillais ainsi que contre la prorogation de la législature décidée par le gouvernement Daladier.

Après le Pacte germano-soviétique, Billoux et Cristofol adressèrent, le 29 août, au nom des élus communistes des Bouches-du-Rhône, une lettre au président de la République où ils proclamaient leur attachement à la démocratie et la République, leur volonté de défendre la patrie contre la barbarie hitlérienne, leur conviction, aussi, que le Pacte germano-soviétique n’était pas incompatible avec des négociations entre l’URSS, la France et la Grande-Bretagne. Ce texte ne reçut pas l’autorisation d’être imprimé. Le 14 septembre encore, Billoux expliquait aux militants communistes que la France et l’Angleterre avaient tout fait pour que la Russie et l’Allemagne se battent entre elle, mais que, malgré cette erreur, la guerre était juste car la Pologne avait été victime de l’agression nazie. Il fallait abattre l’État nazi, car si la Pologne était vaincue, ce serait ensuite le tour de la Roumanie, puis de la France, à qui l’Allemagne réclamera l’Alsace-Lorraine. Mais la Pologne fut envahie par les troupes soviétiques le 17 septembre.

Peu après, le 30 septembre et le 7 octobre, François Billoux et Cristofol protestèrent auprès du préfet et du ministre de l’Intérieur, contre la perquisition effectuée au siège du PC, la saisie de nombreux livres, disques, photos et documents, ainsi que contre les vexations policières. Billoux se plaignit personnellement, le 7 octobre, auprès du président de la Chambre, du pillage de son bureau et de la confiscation de ses affaires personnelles. Mais dès le lendemain, il fut arrêté à son domicile.

Accusé de constitution illégale du groupe ouvrier et paysan, il fut déchu de son mandat de député le 20 janvier 1940. Lors du procès des députés communistes, le 3 avril, il fit la lecture d’une déclaration commune, au nom du groupe des 27, dont il était le leader en sa qualité de seul représentant du Bureau politique. Billoux déclara : « Nous ne voulons ni être les esclaves d’Hitler, ni les vassaux de Chamberlain, ni les domestiques de Mussolini. Nous voulons être des Français, maîtres de leur vie. » Il accusa la bourgeoisie d’avoir « violé sa propre légalité », de poursuivre les communistes parce qu’ils s’étaient dressés « avec la dernière énergie contre la guerre impérialiste », comparable à celle de 1914-1918, contre « les fauteurs de guerre [...] qui mènent les peuples au massacre... », dénonçant les responsabilités du gouvernement français dans le déclenchement de la guerre. Trois versions de cette déclaration ont été publiées avec des variantes dans certaines parties du discours, notamment à propos de « la guerre impérialiste ».

François Billoux fut condamné à cinq ans de prison, 4 000 francs d’amende, et cinq ans de privation de droits civiques pour les motifs d’inculpation cités plus haut et pour avoir propagé des mots d’ordre émanant de la IIIe Internationale. Il fut d’abord détenu à la prison du Puy-en-Velay d’où le 14 juillet 1940, il adressa au préfet des Bouches-du-Rhône une lettre autographe qui a été conservée aux archives départementales. Billoux attirait « la bienveillante attention » du préfet sur la situation de son épouse, placée en résidence forcée à Orgon alors qu’elle avait un bébé de quatorze mois et des parents âgés. Il demanda que sa femme soit autorisée à vivre chez ses derniers à Pertuis et qu’elle puisse lui rendre visite au parloir de la prison du Puy. La mention « non » est inscrite, en marge de cette phrase, sur la lettre de Billoux.

De la maison d’arrêt du Puy, également, Billoux écrivit une autre lettre, beaucoup plus connue, celle-là, par les controverses qu’elle devait entraîner plus tard. Il s’agit de la lettre au maréchal Pétain datée du 19 décembre 1940, et écrite conformément à la ligne suivie à cette époque par la direction du PC, c’est-à-dire Thorez à Moscou et Duclos à Paris, qui mettait en accusation les chefs politiques et militaires des derniers gouvernements de la IIIe République.

François Billoux demanda à témoigner au procès de Riom contre les responsables de la guerre, en rappelant que les communistes avaient été les seuls à se « dresser contre la guerre » et qu’ils étaient « les seuls vrais partisans de la paix [...] de l’indépendance de la France et de la fraternité des peuples ». Il réclama en outre la libération des membres du Parti arrêtés.

En mars 1941, François Billoux fut transféré à la centrale de Maison-Carrée, près d’Alger, où les 27 députés communistes, ceux du « chemin de l’honneur », étaient isolés dans un quartier particulier. Il en assura la direction ainsi que la cohésion idéologique et morale et refusa vertement, selon le témoignage d’Étienne Fajon, les offres de l’amiral Darlan. Il fut libéré au début de février 1943, après une entrevue avec le général Giraud (cf. Quand nous étions ministres, p. 42), prit contact avec les dirigeants clandestins du Parti communiste algérien, alors illégal, et les responsables du Parti communiste français. Délégué à l’Assemblée consultative, il y intervint notamment, au sujet du renforcement de l’armée et de l’épuration des vichyssois. A propos de l’armée, Billoux, le 1er avril 1944, se prononça pour une armée française de libération et pour la guerre de partisans, citant en exemple la résistance espagnole contre Napoléon, les francs-tireurs de 1871 et la guérilla contemporaine en Europe, contre les Allemands.

Au moment de la formation du CFLN il négocia longuement avec Giraud, puis, surtout, avec de Gaulle au sujet de la participation des communistes à ce dernier organisme, et, en définitive, ce ne fut que le 4 avril 1944 qu’il y entra en qualité de commissaire d’État. Il s’y montra « habile et capable » comme l’écrit de Gaulle dans ses Mémoires de guerre (t. II, p. 175). Il devint ensuite ministre d’État lorsque le CFLN se transforma en gouvernement provisoire et s’occupa particulièrement des problèmes de la jeunesse dans la perspective de la libération du territoire.

Le 17 août 1944, au cours d’une session plénière de la délégation du comité central à Alger, Billoux fit un rapport sévère pour de Gaulle, à propos de la participation communiste au gouvernement provisoire, et plutôt pessimiste quant à l’avenir : « En France, il faudra probablement continuer à participer, mais en ne se faisant aucune illusion sur la coexistence paisible, durable, des deux systèmes, ni entre États capitalistes et États socialistes, ni entre les partis politiques à l’intérieur de la France [...]. Ou bien de Gaulle sera à la tête d’un mouvement réactionnaire et nous nous y opposerons, ou bien de Gaulle tiendra compte de la volonté du Peuple de France et nous collaborerons avec lui, mais la situation en France permet d’être optimiste, quoi qu’il arrive. »

De retour en métropole avec tous les membres du GPRF, il fut nommé d’abord commissaire aux territoires occupés à la fin d’août 1944, puis devint, le 10 septembre, ministre de la Santé publique. « J’ai eu à résoudre bien des difficultés. Pendant l’hiver 1944-1945, nous ne disposions que de quelques doses de pénicilline quotidiennement [...]. En faire la répartition était chaque soir [...] un véritable drame. Nous avons alors tout fait pour que nous puissions fabriquer le plus rapidement possible de la pénicilline en France pour ne plus seulement compter sur celle qui était livrée par les services américains. ». (l’Humanité, article cité). Il s’occupa également de réorganiser La Croix-Rouge et l’Entraide française.

Sur le plan de la politique interne du parti, il aida Jacques Duclos à reconstituer les rouages qui fonctionnaient avant la guerre et à assurer la prééminence de l’équipe thorézienne face aux nouveaux dirigeants issus de la Résistance. C’est pourquoi Billoux dut accepter la dissolution des milices patriotiques conformément aux accords conclus entre de Gaulle et Thorez dont il adopta la nouvelle ligne : « S’unir-Combattre-Travailler-Produire ». La production - « grande épopée » - écrit-il dans son livre (p. 97), fut particulièrement de son domaine puisqu’il devint ministre de l’Economie nationale le 21 novembre 1945. Il défendit la ratification des accords de Bretton-Woods et exposa les raisons qui avaient rendu nécessaire la dévaluation du franc.

De même eut-il à affronter d’immenses problèmes au ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme qu’il occupa pendant un an dans les gouvernements Félix Gouin et Georges Bidault du 26 janvier 1946 au 22 janvier 1947. Il y trouva, écrit-il « la plus grande pagaille », et entreprit aussitôt un grand travail de réorganisation. Il créa en particulier la catégorie des ROP c’est-à-dire les représentants ouvriers à la construction qui établissaient la liaison entre le ministère et les syndicats. Il fut à ce sujet, accusé de « colonisation » communiste, voire de « noyautage » de ces ministères, mais le MRP et la SFIO procédaient de même dans leurs propres secteurs. Quoi qu’il en soit, François Billoux décida de donner la priorité au relogement des sinistrés par tous les moyens, fit voter la loi du 28 octobre 1946 sur la réparation des dommages de guerre (charte des sinistrés), accélérer les travaux de déblaiement et de déminage, commencer au plus tôt les travaux de reconstruction tout en interdisant les démolitions systématiques au profit des réparations de tout ce qui pouvait être utilisable. Il donne, dans son ouvrage, le bilan suivant en septembre 1946 : 725 000 habitations redevenues logeables, 425 000 familles relogées, et 300 000 logées dans de meilleures conditions. Il eut à étudier plusieurs dossiers et notamment ceux des quartiers du Vieux-Port de Marseille détruits par les Allemands en 1943, opération dont il attribuera, trente ans plus tard, au cours d’une émission télévisée spécialement consacrée à ce drame, en 1973, une grande responsabilité au gouvernement de Vichy.

À Marseille même, le 30 avril 1945, François Billoux fut, avec Gaston Defferre, le chef de file d’une liste d’Union de rassemblement des forces démocratiques (UFD) qui fut élue en totalité aux élections municipales.

Il obtint personnellement 141 783 suffrages, sur 299 710 électeurs inscrits, arrivant presque à la fin de la liste. Rouge-Midi souligna la « manœuvre » anti-unitaire des socialistes pour expliquer l’écart des voix entre Defferre et Billoux (3 mai 1945). Il faut ajouter que si Billoux présenta, le 15 avril, avec Thorez, la liste UFD au Stade vélodrome, il fut ensuite absent de la campagne électorale, étant délégué à la conférence de San Francisco.

En revanche, ce fut à la tête de la liste communiste qu’il fut largement élu, à la Constituante, député de la première circonscription des Bouches-du-Rhône avec 122 096 voix sur 345 000 inscrits, le 21 octobre 1945. Au cours de cette campagne électorale, les rapports entre communistes et socialistes, déjà tendus, passèrent au stade de la polémique violente. Le 16 octobre, Le Provençal publia de larges extraits de la lettre de Billoux à Pétain, à l’occasion du procès de ce dernier, et en se référant au Journal Officiel. Le lendemain, Rouge-Midi répondit « aux calomniateurs » par un éditorial du bureau fédéral du PCF. La lettre n’était pas niée, mais « Le Provençal du groupe Defferre » était accusé de « se charger de l’opération classique de l’anticommunisme », en utilisant les extraits de la lettre qui avait été lue par les avocats de Pétain et en oubliant d’autres. « Le 14 décembre 1940, notre camarade Billoux écrit au maréchal Pétain ? Pour se soumettre ? Non, pour dénoncer les mensonges du Maréchal traître qui vient de prendre dans son conseil national M. Paul Faure... et ceux qui, à la Chambre, au Sénat et au Conseil supérieur de la guerre, ont été responsables de la débâcle [...]. Il fallait comprendre là une dénonciation de Laval et de Pétain eux-mêmes ! Cette lettre valut à Billoux d’être déporté en Algérie. » L’éditorial s’achevait par un rappel de toutes les actions patriotiques des communistes et stigmatisait cette « falsification des vérités historiques ». Mais il ne mentionnait pas la demande de Billoux de témoigner au procès de Riom.

Les rapports de force, cependant, penchèrent en faveur des communistes à Marseille. Le 2 juin 1946, Billoux fut réélu avec 104 920 suffrages sur 353 648 inscrits à la deuxième Constituante et le 10 novembre, avec 113 448 suffrages sur 370 847, soit plus de 30 %, à l’Assemblée nationale.

Le 8 décembre suivant, devant la remontée inquiétante des forces du centre et de la droite, communistes et socialistes qui s’étaient, derechef, violemment querellés, à Marseille pour le premier tour des nouvelles élections municipales, improvisèrent pour le second, une liste Billoux-Defferre - cette fois - qui l’emporta de nouveau. Billoux laissa à Cristofol, son second, la direction municipale, se réservant lui-même pour des tâches plus importantes.

Le 22 janvier 1947, en effet, il fut nommé ministre de la Défense nationale dans le cabinet Paul Ramadier. « Mes attributions, écrit-il (op. cit., p. 142), ne furent jamais clairement fixées, sauf une : celle de préparer la nouvelle loi sur l’organisation de la Défense nationale. » Cette nomination, bien que, dans la réalité, Billoux ait été neutralisé dans ses fonctions, par trois autres ministres de tendances différentes préposés aux trois armes, eut pour conséquence d’alarmer le gouvernement des USA. Le général Billotte, en effet, chef de la délégation française à l’ONU, et gaulliste convaincu, présenta l’événement de telle façon que les Américains l’interprétèrent comme une étape supplémentaire de « l’emprise communiste » en Europe, ce qui accéléra le processus de la politique engagée par Truman pour l’enrayer. (cf. G. Elgey, La République des Illusions, pp. 248 et 249).

Évoquant Billoux ministre, Pierre Daix dans J’ai cru au matin (p. 175) le juge « méthodique et bureaucratique » mais n’exerçant pas assez d’ascendant sur les militaires. Billoux, quant à lui, défendit la conception d’une armée démocratique contre celle de l’armée de métier, mais la conjoncture politique ne lui laissa guère le temps de poursuivre son entreprise. Le 18 mars 1947, en effet, à l’Assemblée nationale, le ministre de la Défense nationale refusa de se lever pour rendre hommage aux soldats français combattant en Indochine, et s’abstint de voter les crédits militaires. Le 30, tout en protestant contre la répression à Madagascar, il resta encore solidaire du gouvernement. Mais le 4 mai, avec les autres ministres communistes, il vota contre le gouvernement dont il faisait partie. Il fut aussitôt relevé de ses fonctions par Ramadier. Il semblerait qu’en cette circonstance, Billoux ait été l’un des partisans d’une ligne intransigeante au sein du Parti communiste.

Peu de temps après, à la fin juillet, il fut questionné par le chef de la Sûreté, Boursicot, au sujet d’un émetteur clandestin nazi qui aurait fonctionné dans la banlieue marseillaise. Il ressortit de l’entrevue entre Boursicot et Billoux que cet émetteur n’avait jamais existé mais que le Parti communiste avait voulu tester, par ce biais, selon Billoux, le républicanisme et le patriotisme des services de police de l’État devant le problème des réseaux allemands rescapés de la collaboration. L’explication donnée par Wybot (cf. La Bataille pour la DST) est différente : elle rejoint celle du « chef d’orchestre clandestin » avancée à la même époque par Ramadier et la volonté du PC de se préparer à des actions subversives éventuelles, en organisant volontairement une fausse alerte destinée à éprouver l’efficacité de la DST (cf. p. 168) et la promptitude de ses réactions.

Quoi qu’il en soit, François Billoux se retrouva rapidement dans l’opposition. C’est chose faite à la fin de l’année 1947, dans un contexte de guerre froide où la journée du 12 novembre à Marseille, avec les incidents violents et les grèves qui l’entourent, doivent être replacés. Billoux se trouvait du reste à Paris ce jour-là. Mais, selon le témoignage de Raymonde Nédelec, il alerta le bureau fédéral des Bouches-du-Rhône, au nom de la direction du parti, pour freiner, le mouvement marseillais jugé excessif et décalé par rapport au reste du pays. Il intervint dans la discussion à l’Assemblée, le 13 novembre plaidant la provocation des élus SFIO, l’agression de « nervis » à la solde du RPF et la légitime défense des travailleurs. Dans les débats qui suivirent, il fut fréquemment interrompu à propos de sa lettre à Pétain, argument dont ses adversaires usèrent longtemps puisqu’en 1952 il demanda à son parti de le décharger de ses fonctions de président du groupe communiste à l’Assemblée nationale, selon le témoignage d’Auguste Lecœur. Billoux avait écrit un article au sujet de cette lettre dans l’Humanité du 18 mai 1951.

Billoux fut réélu député, à la tête de la liste communiste, en 1951 et 1956 (30,3 % puis 28,6 % par rapport aux inscrits), dans la première circonscription des Bouches-du-Rhône et siégea principalement à la commission des Affaires étrangères. Il intervint notamment, en juillet 1949, sur la ratification du pacte atlantique, en octobre 1950, contre le plan Pleven et une Europe qu’il qualifia « d’idée hitlérienne », en novembre, encore, contre la création du conseil de l’Europe ; en février 1952, il s’opposa au projet d’armée européenne, et, en décembre 1954, à la ratification des accords de Paris.

De même, il prit la parole, au nom du PC lors de l’investiture de |Pierre Mendès France->147602], le 17 juin 1954, en faveur de la paix au Viet-Nam. En 1957-58, il condamna l’expédition de Suez et l’extension de la guerre en Algérie. En matière de politique intérieure, il déposa à deux reprises, une proposition de loi tendant à la construction d’un million de logements populaires, et une autre réclamant la suppression de l’ordre des médecins.

Jusqu’à la fin de la IVe République, il demeura l’un des leaders du Parti communiste, dont il fut le secrétaire de 1954 à 1956 au sein du bureau politique en plein accord avec Maurice Thorez et spécialement chargé à partir de 1948 de la section idéologique du PCF, ce qui impliquait un droit de regard sur les publications politiques de ce dernier. Il fut notamment directeur politique de La Marseillaise et, de 1956 jusqu’à sa mort, de France Nouvelle, l’hebdomadaire du Parti dont il avait été l’un des fondateurs. Selon le témoignage de Dominique Desanti dans Les Staliniens (pp. 147 à 150), il aurait suggéré à cette dernière d’écrire, en 1949, un livre, qu’elle a renié depuis : Masques et visages de Tito et des siens. Cette fonction explique aussi l’importance attachée par Billoux au problème de la jeunesse. Dans son rapport du XIIIe congrès, celui d’Ivry, en juin 1954, il déplora l’audience insuffisante du Parti auprès des jeunes et proposa, tout en maintenant le principe de l’organisation par le Parti des mouvements de jeunes, de laisser à ces derniers une plus grande autonomie. « Avoir la jeunesse à ses côtés est une question décisive pour le sort de la France [...]. Ainsi que le démontrait Lénine en 1916 en se dressant contre la mise en tutelle des organisations de la jeunesse [...] elles doivent être indépendantes [...]. Nous payons durement, présentement, la politique de tutelle sur la jeunesse développée par Marty. »

Outre le problème du rajeunissement sociologique du Parti posé ainsi par l’ancien responsable des JC, l’allusion à Marty rappelle la crise survenue deux ans plus tôt au sein du PC. En l’absence de Thorez, soigné en URSS depuis octobre 1951, Billoux fut son porte-parole au bureau politique et « le dépositaire de sa pensée », après un voyage à Moscou au début de l’année 1952. Revenu en France le 11 avril, porteur d’une note de Thorez, il la soumit au bureau politique et il exposa, en mai, dans Les Cahiers du Communisme, les directives essentielles d’une « ligne dure » qui fut alors celle du Parti.

François Billoux y développait les tâches du parti deux ans après le XIIe congrès : essentiellement organiser et diriger l’action unie des masses pour imposer une politique de paix et d’indépendance nationale, tandis que « la bourgeoisie française organise et dirige la trahison nationale ». Cette politique, qui fut par la suite qualifiée « d’ultra gauchiste », se traduisit effectivement par une « action de masse » dont le point culminant fut la journée du 28 mai 1952 contre le général Ridgway.

Après l’arrestation de Duclos et l’échec de « la grève illimitée » qui s’ensuivit, Billoux ne fit pas l’objet de poursuites ni de levée de son immunité parlementaire, comme l’avait demandé le ministre de la Défense nationale en exercice. Il déclina l’offre de Lecœur d’assurer le secrétariat du parti, corrigea dans un nouvel article publié en août dans Les Cahiers du Communisme, les « erreurs sectaires » commises lors des événements précédents, et mit surtout l’accent, devant le Comité central, en décembre, sur les « déviations opportunistes » et leurs responsables.

Ce comportement n’était pas sans rapport avec l’affaire Marty-Tillon qui avait éclaté en septembre et qui permit, selon Charles Tillon, à Billoux et à Duclos de faire oublier, à ses dépens, l’échec de « l’opération ultra-gauchiste » du printemps 1952. Cette fois c’est Marty qui était au banc des accusés et Billoux qui faisait partie du « tribunal » à l’inverse de 1931. Tillon écrit, dans son ouvrage, Un procès de Moscou à Paris : « Je voyais éclater de vieilles rancunes. Billoux agitait son doigt qui menace depuis bientôt cinquante ans la société. (p. 125) »
Le 9 mars 1953, Billoux assista à Moscou, aux funérailles de Staline. Il resta dans la ligne adoptée par la direction du PCF au moment de la déstalinisation. En septembre 1953, il présida les journées nationales d’études des instituteurs communistes et les encouragea à « porter l’essentiel de leur activité dans le cadre de la démocratie syndicale » c’est-à-dire, au sein du SNI et de la FEN, ce qui impliquait une reconnaissance de cette dernière, cinq ans après la rupture de l’unité syndicale.

Après le XIVe congrès, en 1956, Billoux fut l’un des secrétaires du CC, Thorez demeurant seul secrétaire général.

Sous la Ve République, François Billoux fut, en novembre 1958, candidat dans la quatrième circonscription de Marseille nouvellement créée, correspondant aux quartiers et à la banlieue nord de la ville, la plus ouvrière, où il résidait et où il a toujours conservé une grande popularité personnelle. Mis de très peu en ballottage au premier tour (32,4 % des suffrages par rapport aux inscrits), il fut élu facilement au second avec 34,4 %. Il a toujours été réélu, depuis, au premier tour, avec 31,1 % en 1962, 37,9 % en 1967, 35,7 % en 1968 et 38 % en 1973.

Ses interventions à la tribune demeurèrent nombreuses, soit dans le domaine de la politique étrangère ou, en particulier, à propos des problèmes de l’Education nationale, en politique intérieure.

Sur le plan des luttes municipales à Marseille, François Billoux, non candidat en 1947, fut réélu conseiller en 1953 et en 1959, puis conduisit en 1965, avec Daniel Matalon, socialiste dissident, des listes d’Union des forces démocratiques (UFD) contre les listes Defferre-Rastoin et Comiti : elles obtinrent 23 ;6 % par rapport aux inscrits au premier tour et onze sièges au conseil municipal. Lui-même fut élu dans le huitième secteur, celui de la banlieue nord. Il ne se représenta pas en 1971, et il semble que le résultat médiocre obtenu, par les listes du PC dans l’ensemble de la ville (16 %) se soit en grande partie ressentie de son absence.

Le 7 avril 1975, trente ans après, presque jour pour jour, François Billoux et Gaston Defferre* se retrouvèrent ensemble, dans un grand meeting tenu à Marseille à la salle Vallier dans le cadre de l’union de la gauche. C’était quarante ans, également, après les actions unitaires du Front commun organisées dans la ville, pour les élections municipales de 1935, par les socialistes et les communistes. Ce qui n’empêcha pas, du reste, la reprise des polémiques, entre Defferre et Billoux, à propos des élections municipales d’Allauch, en septembre 1975 et de la constitution d’une liste commune PS-PC.

Quant aux élections municipales de mars 1977 à Marseille, elles se déroulèrent beaucoup plus sous le signe de la méfiance que de l’union, entre les deux partis de gauche. Billoux fut candidat, cette fois, comme tête de liste dans le 7e secteur (13e et 14e arrondissements), mais sans succès.

Cette évocation chronologique d’assez longue durée, permet de mesurer non seulement l’importance du rôle tenu par François Billoux dans la vie politique marseillaise, mais encore de s’interroger sur la dimension de son influence nationale. Réélu membre du bureau politique du PCF au XIXe congrès, à Nanterre, en février 1970, mais seulement au comité central au XXe congrès, Billoux s’effaça peu à peu de la scène politique.

Au XXIIe congrès, le 5 février 1976, François Billoux prit la parole, très acclamé puis écouté avec respect. « Vétéran de la lutte révolutionnaire », écrit l’Humanité du 6, François Billoux a parlé carrément », sur le problème de la dictature du prolétariat. « Un homme de 73 ans est venu au micro, écrit Charles Silvestre. Petite taille, cheveux blancs, voix grave, c’est François Billoux. L’un de ces hommes que l’on dit de la vieille garde. Parce que sans doute ils la montent, cette garde, depuis des décennies autour de la Révolution. »

Dans son allocution, il définit la dictature du prolétariat, sous son double aspect : « défense de la révolution et démocratie de plus en plus large. » Dans un contexte historique nouveau, conclut-il, « nous avons beaucoup de respect pour les cendres de nos combats, mais nous portons toujours plus haut, plus loin, la flamme qui nous anime, la flamme du socialisme, du communisme. »

En avril 1977, puis dans une lettre publique à l’Humanité, le 13 juillet, François Billoux annonça qu’il renonçait à son mandat de député et à sa fonction dirigeante à la tête de la Fédération des Bouches-du-Rhône. Il « transmettait le flambeau » à Guy Hermier qu’il aiderait dans sa campagne pour les élections législatives de mars 1978 et décidait de se consacrer à la « promotion de la jeunesse ».

Mais la maladie l’obligea à prendre du repos dans sa famille, à la fin de l’année, à Roquebrune-Cap-Martin. Hospitalisé à Menton, il dut subir une opération et mourut dans cette ville le 14 janvier 1978. La population marseillaise lui rendit hommage à la Bourse du travail le 17 et ses obsèques eurent lieu le lendemain à Paris où François Billoux fut inhumé au Père-Lachaise près des autres leaders du Parti communiste français, Thorez, Cachin, Duclos, Frachon. Billoux était, en effet, avec Guyot et Fajon, l’un des derniers « chefs historiques » du PCF.

Après sa mort, la plupart des témoignages s’accordèrent pour saluer l’intelligence politique, le courage tranquille, la rigueur passionnée, mais non sectaire, la modestie nullement feinte, la fermeté sans faille, le souci permanent de clarté et de précision qui avaient toujours caractérisé François Billoux, demeuré, jusqu’à la fin de sa vie, l’homme de la certitude. Il fut cependant durement mis en cause par des témoins, notamment par Jacqueline Cristofol, veuve de |Jean Cristofol->21118] (Batailles pour Marseille, Flammarion, 1997).

Même si François Billoux occupa rarement le premier rang dans son parti, préférant, semble-t-il, adopter une position légèrement en retrait, il a en réalité, pesé lourd au sein de l’équipe dirigeante, par ses qualités d’homme d’appareil essentiellement, et d’organisateur, ainsi que par son sens inné de l’autorité. François Billoux, incontestablement, a donc tenu une place considérable, tant sur le plan doctrinal que par la pratique politique, dans l’évolution du Parti communiste français depuis plus d’un demi-siècle.

François Billoux était commandeur de l’Ordre de la Santé publique.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article16741, notice BILLOUX François. Pseudonymes : LAUDIER, G. FAUDET, autres pseudos Leclair, Roche, Roger, Joseph (dans les planques), H. Lero (dans les Cahiers du Bolchevisme) par Antoine Olivesi, version mise en ligne le 20 octobre 2008, dernière modification le 18 février 2022.

Par Antoine Olivesi

[Assemblée nationale, Notices et portraits, 1936]
[Assemblée nationale, Notices et portraits, 1956]

ŒUVRE : Quand nous étions ministres, Éditions sociales, Paris 1972, 190 pages. — L’Armée et la nation ; Le Parti communiste et la jeunesse. — Nombreux articles dans L’Avant-garde, l’Humanité, France-Nouvelle, Rouge-Midi, La Marseillaise, et autres publications communistes, comme Les Cahiers du Communisme, notamment en mai 1952, puis en septembre 1966, un article sur « Naissance et essor du Front populaire à Marseille et sa région », p. 139 à 145 ; cf. aussi « La situation politique en France », article in Revue internationale, (mai 1968). — Plusieurs préfaces, notamment celle du Petit guide de l’URSS par Georges Cogniot, de L’Allemagne jugée par un Allemand, par A. Abusch, de Réalité de la nation algérienne, et de Message d’un héros de notre temps, par Louis Gazagnaire.

SOURCES : Fonds François Billoux, Arch. dép. de Seine-Saint-Denis (288 J), inventaire en ligne. — RGASPI, 495 270. — Arch. Dép. Bouches-du-Rhône, II M3/60, 61 et 62 ; V M2/282, 283 et 289 ; M6/10808, rapport du 26 mars 1929 ; M6/10809, rapports des 27 octobre et 30 décembre 1935, des 1er, 16 et 22 janvier 1936, 19 mai et 6 novembre 1936, 23 octobre 1937, 15 mars 1938, 11 avril 1939 ; M6/10933, lettres citées des 30 septembre et 7 octobre 1939 ; M6/10839, rapports de police des 23 et 24 juin 1936 ; M6/11249, lettre citée du 29 août 1939 et rapport du 14 septembre, lettre autographe citée du 14 juillet 1940 ; M6/11379, rapports du 12 décembre 1935 et lettre de Billoux au préfet du 27 novembre 1937. — L’Humanité, 21 avril 1956, article autobiographique cité (avec photo), et 15 à 19 janvier 1978 (articles nécrologiques et nombreuses photos). — Biographie n° 83 éditée par l’association du BEIPI — Le Petit Provençal, 24 et 25 mai, 5 juin, 10 et 12 juillet, 1er août 1934, avril-mai 1935 ; avril-mai 1936, notamment le 21 avril et le 2 mai. — Rouge-Midi, même période (photos). — La Marseillaise, (cf. aussi du 15 au 19 janvier 1978 nécrologie et photos). — Le Provençal, et autres journaux marseillais, d’août 1944 à octobre 1947, notamment en octobre 1945, et la presse locale, dans les périodes ultérieures, lors des campagnes électorales. — De même, sur le plan national, cf. entre autres, l’Humanité, Le Monde, notamment les 27 — 28 avril 1947, 8 juin 1954, 17 janvier 1978 (nécrologie). — France Nouvelle, notamment le 23 janvier 1978, (hommage à F. Billoux et photos). — Who’s who in France 1973-1974, p. 253. — J. Jolly, Dictionnaire des parlementaires français..., op. cit., t. II, p. 604 à 606. — H. Coston, Dictionnaire de la politique française (t. I et II pp. 128, 548 et 549. — Livre d’or des valeurs humaines, p. 112 (photos). — Jacques Fauvet, en collaboration avec Alain Duhamel, Histoire du Parti communiste français (nouvelle édition de 1977). — Histoire du PCF (Manuel), notamment pp. 225, 538, 562. — A. Kriegel, Les Communistes français, pp. 27, 161, 162, 179, 223, 295, 300, 301. — P. Robrieux, Thorez..., op. cit. — Du même auteur, Histoire intérieure du Parti communiste, 1920 — 1945, t. I, Paris, 1980. — Danielle Tartakowsky, Les Premiers communistes français, Paris, 1980. — J.-P. Brunet, « L’affaire Barbé-Célor », in Revue d’Histoire moderne et contemporaine, juillet-septembre 1969, p. 439 à 461. — Des Français en qui la France peut avoir confiance pp. 31 et suivantes. — Florimond Bonte, Le Chemin de l’honneur (1949). — A. Rossi, Les Communistes pendant la drôle de guerre. — Henri Noguères, Histoire de la Résistance en France, notamment l’annexe X, pp. 484 et 487, reproduisant la lettre de Billoux à Pétain, (1975). — Charles Tillon, Un procès de Moscou à Paris (1971) et On chantait rouge (1977). — Jacques Varin, Jeunes comme JC, (1976) pp. 101, 114, 131, 143, 148, 151, 255. — E. Fajon, Ma vie s’appelle Liberté, op. cit. — Dominique Desanti, Les Staliniens (1975). — Robert Cheramy, 25 ans d’Unité à la FEN (1975). — Roger Wybot, op. cit. (1975). — A. Olivesi et M. Roncayolo, Géographie électorale des Bouches-du-Rhône..., op. cit. — M. Roncayolo, « L’élection de Gaston Defferre à Marseille », in Revue française de Science politique, octobre 1965. — Maurice Agulhon et Fernand Barrat, CRS à Marseille, 1971. — M. Agulhon, « Les Communistes et la Libération de la France », citation de Billoux du 17 août 1944 d’après les Archives André Marty, in « La Libération de la France » (Actes du colloque international tenu à Paris, du 28 mars au 31 octobre 1974), pp. 72 et 73, Paris 1976. — J. Bally, Le Mouvement ouvrier à Marseille, op. cit. — RGASPI, dossier personnel (consulté par Claude Pennetier et reporté dans la notice par René Lemarquis). — CAC, versement 199440500 (dossiers revenus de Moscou), dossier 187, fiche de police d’avril 1929. — Les carnets de François Billoux sont conservés par ADIAMOS, dans les locaux de Chenôve.

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