STÉPHANE Roger [WORMS Roger, André, Paul dit]

Par Claire Blandin

Né le 19 mai 1919 à Paris (XVIIe), mort le 4 décembre 1994 à Paris (VIIe arr.) ; résistant, journaliste, fondateur de France-observateur, producteur de télévision.

Né le 19 mai 1919 dans le XVIIe arrondissement de Paris, Roger Worms, fils de Pierre Worms, assureur, et de Marcelle Friedlander, sans profession, était le cadet d’une famille de banquiers. Rétif à la scolarisation, on lui attribua un répétiteur personnel en la personne de René Étiemble. Celui-ci engagea son jeune élève sur les chemins de la littérature, et convertit l’amateur de Stendhal à l’œuvre de Gide. Les deux hommes poursuivirent leur correspondance pendant de nombreuses années.

Même s’il participa à la contre-manifestation du 6 février 1934, ce fut le Front populaire qui sembla constituer le premier éveil politique du fils de bonne famille. Le tout jeune homme tenta de dialoguer avec les ouvriers grévistes. Il écrira ensuite avoir regretté de ne pas sauter le pas de l’engagement en Espagne. Les Accords de Munich le révoltèrent, mais après quelques réunions politiques au domicile familial, Roger Worms occupa surtout les derniers mois d’avant-guerre à rencontrer le tout Paris littéraire qui le fascinait. Il osa aborder Gide, puis Cocteau et Marais. Il rencontra surtout André Malraux, pour qui son admiration ne se démentit plus. Ce fut ce dernier qui resta son « contemporain capital, son maître à s’engager ». À vingt ans, son homosexualité ne fit plus pour lui question, et il ne songea pas à la cacher. Réformé pour raisons de santé, il quitta Paris dès le printemps 1940 et passa les premiers temps de l’Occupation dans le Midi. Quelques mois plus tard, il entra dans la Résistance parce qu’un coup de foudre amoureux (pour Jean-Pierre Susset) lui permettait de passer à l’acte de ses convictions politiques. Engagé dans le réseau Combat de P.H. Teitgen, il participa à la création du journal du réseau. Arrêté, il passa plusieurs mois au camp de Fort-Barraux, dont il parvint à s’évader. Repris, il ne sortit d’Evaux-les-Bains qu’en juin 1944 et termina la guerre, à vingt-cinq ans, en glorieux Capitaine Stéphane, libérateur de l’Hôtel de ville de Paris (après avoir été blessé devant Notre-Dame). Intégré à la brigade Alsace-Lorraine, il combatit aux côtés d’André Malraux. Dans les débats de la Libération, il défendit les choix des résistants. Sa vive réaction à la Lettre aux directeurs de la Résistance, lui valut de se faire traiter de « mauvais plaisant » par Jean Paulhan.

Son premier succès littéraire date de l’après Libération, lorsqu’il raconta ses souvenirs dans Chaque homme est lié au monde. Sa silhouette de dandy portant nœud papillon s’imposa dans Paris libéré. 1946 était aussi l’année d’une rencontre décisive, avec Jean-Jacques Rinieri, jeune philosophe normalien. Les deux hommes vivèrent quatre années de paisible bonheur conjugal, jusqu’à la mort de Rinieri à 24 ans, des suites d’un accident de voiture. Dans un récit publié quelques mois plus tard, Parce que c’était lui, Stéphane raconta l’agonie de son amant sans rien dissimuler de la nature de leurs liens.

Par amour, une fois de plus, pour Jean-Jacques Rinieri, Roger Stéphane s’était lancé dans une nouvelle aventure journalistique. Après avoir été pigiste à Match, puis à Paris-Soir d’avant-guerre, il finança, en effet, avec l’héritage de son père, le titre qui recomposait le paysage des journaux anticolonialistes au début des années 1950. Avec Claude Bourdet et Gilles Martinet, il lança L’Observateur, qui devint France-Observateur puis Le Nouvel Observateur. Rinieri mourut trop vite pour que cette tribune, qui devait être la sienne, le devint. Roger Stéphane poursuivit l’aventure de l’hebdomadaire jusqu’en 1958, prenant position pour la décolonisation de l’Indochine, puis du Maghreb. Il consacra une biographie à Habib Bourguiba, et fut emprisonné quelques semaines à Fresnes pour intelligence avec l’ennemi.

Militant de gauche et gaulliste de toujours, Roger Stéphane a refusé toutes les formes d’engagement. Dans Après la mort de Dieu, publié en 1957 chez Fasquelle il dit son refus, à la fois du marxisme et du cynisme de la droite, et l’importance des choix esthétiques pour lui. Ce fut autour de cette question de l’engagement que tournèrent ses romans des années 1950 (Les Fausses passions, Une singulière affinité…). Stéphane ne cherchait pas seulement une carrière littéraire. Il participa et conçut de nombreuses émissions de télévision et devient producteur dès la fin des années 1950. Ce fut, par exemple, lui qui imagina « Le Temps des cathédrales », l’émission « Pour le plaisir » avec Roland Darbois. Pendant deux ans, il fut même conseiller auprès de la direction de l’ORTF. L’image le préoccupait et il fonda en 1969 l’Agence française d’images. Mais Roger Stéphane fut aussi l’auteur de nombreux essais, et surtout, les interviews littéraires. Ecrivain, critique littéraire, Roger Stéphane fut un grand admirateur… d’écrivains. Ses conversations avec Malraux font aujourd’hui entièrement partie d’un corpus de référence sur le gaullisme et la littérature : Chaque homme est lié au monde (1946), Malraux. Entretiens et précisions (1984). Le documentaire qu’il consacra à Marcel Proust en 1971 avec Guy Gilles (« Proust, l’art et la douleur ») permit de retrouver les voix des contemporains de l’auteur de La Recherche, disparu en 1922.

Roger Stéphane choisit de se donner la mort à soixante-quinze ans, le 4 décembre 1994. Dans la lettre qu’il laissa à ses amis, leur demandant de l’excuser pour ce « départ brutal » il cita une phrase du Rouge et le Noir, sur la montée de Sorel à l’échafaud : « Tout se passa simplement, convenablement, et de sa part sans aucune affectation ». Il a été inhumé au Cimetière parisien d’Ivry, avec Jean-Jacques Rinieri.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article173190, notice STÉPHANE Roger [WORMS Roger, André, Paul dit] par Claire Blandin, version mise en ligne le 30 juin 2015, dernière modification le 9 septembre 2015.

Par Claire Blandin

ŒUVRE : Chaque homme est lié au monde, Sagittaire, 1946 ; La Tunisie de Bourguiba, Plon, 1958 ; L’Ascenseur, roman, Laffont, 1960 ; T. E. Lawrence, Gallimard/Bibliothèque idéale, 1960 ; Georges Simenon, RTF, 1963 ; (avec Roland Darbois) Jean Cocteau, RTF, 1964 ; Toutes choses ont leur raison, Fayard, 1979 ; Autour de Montaigne, Stock, 1986 ; Tout est bien, chronique, Quai Voltaire, 1989 ; Portrait-souvenir de Georges Simenon, Quai Voltaire, 1989 ; Rue Laszlo Rajk, une tragédie hongroise, Odile Jacob, 1991 ; La Gloire de Stendhal, textes réunis et préfacés par Roger Stéphane, Quai Voltaire, 1994 ; Des hommes libres, 1940-1945 : La France libre par ceux qui l’ont faite, Grasset, 1998 (avec Daniel Rondeau) ; Portrait de l’aventurier ; Fin d’une jeunesse, Carnets 1944-1947, Table ronde, 2004 ; Parce que c’était lui, récit (1952), H&O 2005, préface d’Olivier Delorme

SOURCES :
Régine Deforges, Roger Stéphane ou la passion d’admirer, Paris, Fayard/Spengler, 1995 ; - Patrick Lienhardt et Olivier Philipponnat, Roger Stéphane : enquête sur un aventurier, Paris, Grasset, 2004 ; - Bertrand Poirot-Delpech, « Roger Stéphane ou le talent d’admirer », Le Monde, mardi 6 décembre 1994 ; Mathieu Lindon, « Le suicide de l’aventurier », Libération. — État civil.

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