BRIOSNE Louis, Alfred, dit Auguste, dit, en 1848, Rabussier Louis

Par Jean Maitron

Né le 1er mars 1825 à Paris, mort le 18 juillet 1873 à Levallois-Perret (Seine) ; courtier en lingerie, puis feuillagiste ; marié en 1853 à une veuve Massignat, mère d’un enfant, lingère ; enterré civilement ; Briosne fut un des grands orateurs populaires de la fin du Second Empire.

Mutuelliste, il avait ses propres théories artisanales, que son ami Lefrançais a définies et commentées ainsi dans ses Souvenirs d’un Révolutionnaire (p. 310) : " A chacun la part d’outillage que, seul, il peut mettre en œuvre. C’est l’individualisme limité à ses propres forces, sans pouvoir user de celles d’autrui. "

Briosne semble avoir eu, étant jeune homme, un train de vie au-dessus de ses moyens et avoir contracté souvent des dettes ce qui lui valut plus d’un reproche de son père (Cf. les lettres de celui-ci, pour l’année 1842, aux Archives de la préfecture de police).

En janvier 1848, il entra au ministère de l’Intérieur grâce à l’appui d’un député de l’Indre et, en mai de l’année suivante, fut nommé surnuméraire. Moins d’un an plus tard, le 26 février 1850, il était révoqué, en raison de ses opinions d’avant-garde.

C’est sans doute à cette époque, ou après son mariage, en 1853, qu’il se fit courtier en lingerie. Il milita activement contre l’Empire et encourut plusieurs condamnations. Arrêté le 17 septembre 1856, il fit cinq mois de prévention à Mazas et fut condamné à trois ans de prison, le 6 février 1857. Du 28 février au 12 octobre 1857, il séjourna à Sainte-Pélagie, puis fut interné à Poissy. En 1856 il était l’un des chefs de la société née de la fusion des sociétés Labouret et Lemaitre. Ils furent 25 coinculpés : Labouret, Bourzat, Briosne, Comté, Coppi, Courtois, Dubosc, Foubon, Guiard, Nerbaux, Lacroix, Millet, Nérat, Roux (les 9 derniers, de la société Labouret), Lemaitre, Constant Arnould, Jules Arnould, Barbier, Boudet, Belin père, Émile Belin fils, Alexandre-Désiré Durand, Priivat, Sermet, Tournel (société Lemaitre).

Aux élections de mai 1869, il fut candidat démocrate socialiste. À nouveau condamné, le 5 mars, à un an de prison, 1 000 F d’amende et dix ans d’interdiction de ses droits civiques il bénéficia d’une amnistie. Selon d’autres informations, toujours puisées aux Archives de la préfecture de police, c’est à huit mois de prison qu’il fut condamné, et le 30 avril. S’agit-il d’une autre condamnation ? Arrêté en mai, il aurait fait huit mois de prison. Selon un autre rapport, il y aurait eu mainlevée du complot contre la sûreté de l’État, le 29 juin.

Il était alors atteint de phtisie, mais ne cessa pas pour autant son activité militante. Selon une pièce saisie plus tard chez Louis Redon, communard contumax, arrêté le 15 janvier 1875, il aurait fait pression sur Rochefort, lors de l’enterrement de Victor Noir, le 12 janvier 1870, pour qu’il entraînât la foule sur Paris.

Le 4 septembre 1870, Briosne signait l’appel au peuple allemand rédigé par les délégués de l’Internationale et de la Chambre fédérale des sociétés ouvrières réunies à la Corderie-du-Temple, appel qui suggérait une alliance en vue de fonder les États-Unis d’Europe et affirmait que " le peuple français ne fait point la paix avec un ennemi qui occupe son territoire. " Briosne fit partie du Comité central républicain des vingt arrondissements (J. Dautry, L. Scheler, Le Comité central républicain des vingt arrondissements de Paris), signa l’affiche rouge du 6 janvier 1871 qui demandait la levée en masse, appartint au Comité de vigilance du Xe arrondissement et fut nommé commandant du 128e bataillon fédéré. Candidat à la Commune dans le IXe arrondissement, aux élections complémentaires du 16 avril, il fut élu mais démissionna, n’ayant pas obtenu un nombre de voix correspondant au huitième des électeurs inscrits. (Lettre de démission reproduite dans les Procès-verbaux de la Commune de 1871 et dans le Journal Officiel de la Commune du 23 avril 1871). Briosne habitait alors, 216, rue Saint-Maur, Paris, Xe arr.

Il n’est plus mentionné par la suite et mourut deux ans plus tard, le 18 juillet 1873. Sa femme, le présentant comme une « victime du coup d’État du 2 décembre », demanda une pension, le 12 septembre 1881, son mari, ayant selon elle, consacré sa fortune à la défense de la cause républicaine.

Si Briosne ne perdit pas, en défendant la République, une fortune qu’il n’eût jamais, semble-t-il — d’après le brouillon d’une lettre qu’il écrivit sous l’Empire et que nous citons plus loin, ce fut son père qui perdit la sienne " qui consistait en terrains à Paris ", au lendemain de la révolution de 1848, et qui fut obligé de vendre, " pour couvrir les hypothèques qui le [sic] grevaient " — il contribua certainement avec efficacité à la lutte menée contre l’Empire au sein des classes populaires, et son rôle dans les réunions publiques fut de premier plan. Dans ses Souvenirs d’un Révolutionnaire, Lefrançais l’a présenté ainsi :

" Lorsque apparaît à la tribune cette figure tourmentée, encadrée de barbe et de cheveux noirs, le front coupé d’épais sourcils, les yeux brillants de fièvre, le silence se fait aussitôt. On sent quelqu’un dans ce corps grêle, usé par la maladie.

" La voix, un peu faible au début, prend bientôt l’ampleur suffisante pour emplir la salle et se faire entendre de tous les points. Tour à tour fin, caustique, sentimental, amer et terrible, Briosne fait passer l’auditoire par les sensations les plus diverses. Jamais il ne cherche le mot. D’argumentation très serrée, il ne permet guère, pour le combattre, de trouver le joint. Comme socialiste, il professe une sorte d’éclectisme, non de parti-pris, mais résultant de l’originalité même de son esprit, ce qui le rend inclassable.

" Presque communiste lorsqu’il réfute les proudhoniens, il redevient individualiste avec les défenseurs de Babeuf, de Cabet. Aussi les a-t-il tous contre lui. Pourtant, tous l’aiment et l’acclament car on le sait sincère et désintéressé. "

Jules Vallès, de son côté, a été frappé par " ses yeux qui ont l’air de trous faits au couteau, crevant le plafond fumeux des salles de club, comme un prédicateur chrétien crève, d’un regard extasié, la voûte des cathédrales et va chercher le ciel " ; et il a magnifié ce croyant, ce moribond qui débordait de vie : " Après tout, il aura eu son content d’existence ! Il vit, pendant trois heures, chaque soir, plus que d’autres pendant une année — élargissant, de son éloquence, le temps présent ; empiétant par le rêve, sur l’avenir ; jetant, ce malade, la santé de sa parole à une légion d’ouvriers, aux épaules d’athlètes et aux poitrines de fer, tout émus de voir ce prolétaire sans poumons se tuer en défendant leurs droits. " (L’Insurgé).

Et pourtant, en dépit de cette hagiographie, des bruits ont couru, du vivant même de Briosne, après la chute de Napoléon III, sur certains rapports qui auraient existé entre le militant et la police impériale. C’est pour s’en indigner que Lefrançais s’en fit l’écho dans l’article nécrologique qu’il publia dans le n° 17 du Bulletin de la Fédération jurassienne (3 août 1873), et il stigmatisa ceux qui avaient colporté ces bruits, " agents soudoyés par le gouvernement dit de la défense nationale ".

Que convient-il de penser ? Nous ne pouvons mieux faire, à défaut de réponse catégorique, que de reproduire l’essentiel du brouillon d’une lettre de Briosne, non datée, mais postérieure à l’élection du président de la République, 10 décembre 1848, et antérieure, croyons-nous, à la révocation de l’auteur, 26 février 1850, lettre par laquelle il sollicitait, du ministre de l’Intérieur sans doute, " quelques indemnités " :

" Monsieur le Ministre,

" J’ai eu l’honneur d’adresser, il y a quelques jours, une demande à M. le Secrétaire général, et en réponse à cette demande, M. le Directeur de la Surté [sic] général [sic] m’a parlé d’un rapport [trois mots rayés : adressé contre moi] au sujet de certaines publications, rapport qui nécessite une explication de ma part [...]

" Je suis entré au Ministère au mois de janvier 1848 avec l’appui de Mr [illisible], député du département de l’Indre.

" [...] Le lendemain de la révolution, sa fortune [de mon père] qui consistait en terrains à Paris, fut perdue, mon père obligé de vendre pour couvrir les hypothèques qui le [sic] grevaient [illisible]. Dans cette situation, je me rattachai [sic] à ma place car il est difficile de se créer une nouvelle position sans fortune.

" La république étant proclamée, j’embrassai [sic] franchement ce principe et comme, chaque jour, il me fallait gagner ma vie, je [me] mis à faire des brochures.

" J’avais un éditeur qui m’achetait mes manuscrits et qui les signait, excepté lorsqu’il y avait quelque danger à le faire, alors j’y mettais un pseudonyme, non pour me cacher, car j’avais une même adresse pour mes deux noms et sur [illisible] que j’ai l’honneur de vous envoyer je signe [ou signai] [sic] conjointement L. Rabussier Alfred Briosne, mais parce que je ne reconnaissais pas assez de valeur à ces feuilles pour y mettre mon nom véritable.

" Je n’ai pas à apprécier mes publications. Je vous les envoie toutes, excepté les deux dernières intitulées : L’état de siège et le N° 4 de Napoléon que vous pourrez vous procurer chez Mr [illisible], car elles ne sont pas sorties de son imprimerie.

" J’y embrasse avec ardeur la défense de la république. J’ai cru que L.-N. Bonaparte était le seul homme capable de nous sauver de la légitimité qui nous menace. J’ai fait de la propagande pour lui au moyen d’un petit journal et en faisant partie d’un comité central lors de son élection.

" Pour ce qui a suivi l’élection du président, il fallait me taire ou appuyer ses actes, peut-être inévitables, mais que ma conscience réprouvait. Je ne le pouvais pas, car il me fallait vivre, et comme chaque fois que je voulais faire deux ou trois cents lignes, j’en trouvais de l’argent, quand la nécessité m’y obligeait, je les faisais.

" Voilà tout, Monsieur le Ministre, d’ailleurs je n’ai rien à cacher, mes travaux comme employé sont en dehors de cela. Si vous trouvez quelque différence entre mes brochures, c’est que j’ai défendu ce que je croyais être le parti de l’ouvrier avec d’autant plus d’ardeur qu’il devenait dangereux de le faire. J’ai pu être violent dans la forme, je ne le crois pas pourtant. Mais je n’ai jamais, vous pourrez vous en assurer, recommandé que le désintéressement et l’humanité.

" Nous sommes dans une malheureuse époque où il ne faut pas faire un crime à un homme de sa manière d’apprécier les événements, quand cette [sic] homme est de bonne foi. Pour mes publications, je ne leur accorde aucune valeur, ce sont les œuvres perdues d’un homme qui n’est encore bon à rien et je ne voudrais pas y mettre un nom, que j’espère mettre un jour en bas d’ouvrages sérieux [une phrase rayée : une pareille lettre en restant dans mon dossier peut être un jour dangereuse pour moi cependant]. Monsieur le Ministre, je n’hésite pas à vous [une lettre rayée : l’] adresser cette explication et à renouveler avec confiance auprès de vous la demande que la nécessité m’a forcé de faire à Monsieur le Secrétaire général tendant à obtenir quelques indemnités. [trois mots rayés : en attendant que] jusqu’au jour où l’administration [illisible] employé appointé. "

Avant de laisser le lecteur juge, il convient également de rappeler la réponse d’Antonin Dubost, secrétaire général de la préfecture — 1er octobre 1870 — à la Commission d’enquête du Comité central républicain des vingt arrondissements, au sujet des menaces de révélations policières contre des citoyens appartenant au parti socialiste :

" Sans pouvoir fournir aucune explication relativement à plusieurs des citoyens désignés, à l’égard desquels l’instruction n’est pas encore faite, M. Antonin Dubost peut, dès à présent, affirmer qu’il n’existe aucun document d’où l’on puisse tirer aucune espèce de prétexte pour faire concevoir le moindre soupçon contre les citoyens Briosne et Gaillard père ".

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article181075, notice BRIOSNE Louis, Alfred, dit Auguste, dit, en 1848, Rabussier Louis par Jean Maitron, version mise en ligne le 24 mai 2016, dernière modification le 28 mars 2020.

Par Jean Maitron

ŒUVRE : Alfred Briosne, Remaniement de l’Europe, réflexions sur la question polonaise, Paris, E. Dentu, 1863, in-16, 34 p. Bibl. Nat., Mp/5298. — Éd. Les Magasins de Paris illustrés, journal industriel commercial et littéraire paraissant deux fois par mois, Paris, 1854, 2 fasc. en 1 volume in-fol. Bibl. Nat. V/3577. — Louis Rabussier, Les cosaques à Paris, A. Pierre, 1849, in-fol., 2 p. fig. Bibl. Nat, Fol. Lb 55/769. — Lettre au citoyen Goudchaux, Ministre des Finances par un créancier de la Caisse d’Épargne, Paris, s. d., in-fol., 2 p., Bibl. Nat., Fol. Lb 54/1063. — Éd. L’État de siège... N° 1, 1849, Paris, in-fol., Bibl. Nat., Fol. Lc 2/2057.

SOURCES : Arch. PPo. — Journal Officiel de la Commune, 23 avril 1871, réimpression, Paris, V. Bunel, éditeur, 1872. — Procès-Verbaux de la Commune de 1871, Édition critique par G. Bourgin et G. Henriot, tome I, Paris, 1924, p. 339, 340. — Lefrançais, « Nécrologie », Bulletin de la Fédération jurassienne, n° 17, 3 août 1873. — Jules Vallès, L’Insurgé, Paris, E. Fasquelle, 1926, p. 131-133. — Gustave Lefrançais, Souvenirs d’un Révolutionnaire, Bibl. des « Temps nouveaux », n° 27, Bruxelles s. d., préface de L. Descaves, fév. 1902, XII + 604 p., p. 310 et 323, rééd. Paris, SEF/Tête de Feuilles, 1972. — J. Dautry, L. Scheler, Le Comité central républicain des 20 arrondissements de Paris, Paris, Les Éditions Sociales, 1960. — Gazette des Tribunaux, 4 et 5 février 1857.

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