MEUNIER Pierre (alias Morlay, Marmet)

Par Jacques Varin

Né le 15 août 1908 à Dijon, mort le 16 avril 1996 à Arnay-le-Duc (Côte-d’Or) ; haut-fonctionnaire du ministère des Finances, proche de Pierre Cot et Jean Moulin ; résistant, secrétaire général du Conseil National de la Résistance, membre de l’Assemblée consultative en 1944-1945, chef de cabinet de Maurice Thorez, ministre d’État, député de Côte-d’Or de 1946 à 1958, conseiller général d’Arnay-le-Duc, conseiller régional de Bourgogne, animateur de l’Union Républicaine et Résistante puis de l’Union progressiste.

Pierre Meunier
Pierre Meunier

Fils de Claude Meunier et de Jeanne Avril, né dans une famille paysanne républicaine de Côte-d’Or, Pierre Meunier, après un baccalauréat obtenu à Besançon et des études de droit à poursuivies à Paris, fut reçu en 1929 au concours de rédacteur au ministère des Finances.
Après avoir été sursitaire, Il effectua son service militaire dans l’armée de l’Air d’abord à Metz, avant d’être muté à Paris au 1er Bataillon, dépendant directement du ministère de l’Air, dont le titulaire était alors Pierre Cot. Le cabinet du ministre – dont le chef de cabinet adjoint était Jean Moulin - cherchant un secrétaire au fait des questions financières, il y est en février 1934 détaché.
Deux jours après cette affectation, le Président du Conseil Edouard Daladier ayant démissionné suite aux émeutes du 6 février, Pierre Cot perdit son poste ministériel. Son cabinet – qui comprenait outre Moulin des hommes tel que Louis Joxe, futur ministre du général de Gaulle, Henri Puget, qui deviendra conseiller d’État, René Corbin, au domicile duquel allait se tenir, en 1943, la première réunion du Conseil National de la Résistance, Daniel Haguenau qui sera ingénieur général des Ponts et Chaussées – se dispersa. Toutefois, resté au secrétariat de René Corbin, directeur du personnel et du budget au ministère de l’Air, Pierre Meunier sera parallèlement le secrétaire parlementaire de Pierre Cot redevenu député de Savoie, département où il avait connu Moulin, alors jeune sous-préfet d’Albertville.
« Le jeune homme de gauche que j’étais, plein d’admiration pour les aînés qu’il venait de rencontrer, avait - écrira Pierre Meunier - eu le temps d’estimer à sa juste valeur l’action de Pierre Cot et de son équipe qui comprenait des gens aussi brillants Jean Moulin… Et une soudaine amitié m’avait lié à ce dernier, une amitié née au milieu des luttes pour la République et la démocratie et qui devait, sous ce signe, se perpétuer pendant dix ans ou presque … » (Pierre Meunier : Jean Moulin mon ami, idem pour les citations suivantes).
Après la victoire du Front populaire lors des élections de mai 1936 et la formation du Gouvernement Léon Blum qui s’ensuit, Pierre Cot redevient ministre de l’Air : il va faire appel à Jean Moulin pour diriger son cabinet civil et à Pierre Meunier pour diriger son secrétariat particulier. Outre à des anciens de son cabinet ministériel de 1934, tels Louis Joxe, Henri Puget ou René Corbin, Pierre Cot fera aussi appel à des hommes tels André Labarthe, qui sera directeur de l’armement au ministère de l’Air, le journaliste Jacques Kayser, Henri Manhès, officier de réserve.
Début 1937, Pierre Meunier, tombé malade, suggéra, pour pallier son absence, de faire appel à un militaire du 1er bataillon de l’Air, d’où lui-même était venu trois ans plus tôt. Effectuant après son sursis son service militaire à la base aérienne 117 proche du Ministère de l’Air, où il était affecté à un service administratif, Robert Chambeiron, jeune conscrit étant lui aussi de l’administration des Finances, sollicité par son colonel, accepta la proposition et vint ainsi début mars 1937 travailler au cabinet de Pierre Cot, sous l’autorité de Jean Moulin.
Pierre Cot restera ministre de l’Air jusqu’en juin 1937 dans le gouvernement Blum puis jusqu’au 14 janvier 1938 dans le Gouvernement Chautemps qui lui succéda, avant de devenir ministre du Commerce, poste ministériel qu’il occupera jusqu’au 8 avril 1938 dans un autre cabinet Chautemps puis dans un second cabinet Blum.
Le ministère de l’Air, dirigé par Pierre Cot avec à ses côtés Jean Moulin, prépara les nationalisations de l’industrie aéronautique et sa modernisation, encouragea le développement du sport aérien, pépinière de pilotes pour l’Armée de l’Air. De nombreux sous-officiers de l’Armée de l’Air furent promus officiers et des officiers de réserve, tel Henri Manhès, intégrés dans l’active.
« Et surtout – rappelle Pierre Meunier, à Jean et à moi, fut confiée la tâche délicate d’aider clandestinement la République espagnole. Face à la rébellion de Franco contre le gouvernement légal, rébellion activement soutenue par Mussolini et par Hitler, il n’était pas possible de rester inactifs (…). Un fonctionnaire des Douanes, Gaston Cusin, qui était chef de cabinet de Vincent Auriol, ministre des Finances, joua, à l’instigation de ce dernier, un rôle capital dans cette tâche clandestine. Cusin rejoignit d’ailleurs le cabinet de Pierre Cot lorsqu’il devint ministre du Commerce et de l’Industrie … »
La chute le 8 avril 1938, après à peine un mois d’existence, du second gouvernement Blum, dans lequel Pierre Cot avait gardé le portefeuille du Commerce, marqua la fin du Front populaire et la dispersion de l’équipe Cot : Jean Moulin partit à Rodez, nommé préfet de l’Aveyron, Pierre Meunier réintégra le ministère des Finances, Robert Chambeiron rejoignit la Caisse des marchés de l’Etat nouvellement créée… Les profonds liens d’amitié existant entre Moulin et Meunier furent cependant plus forts que l’éloignement : à plusieurs reprises, Meunier prit le chemin de l’Aveyron…
En février 1939, Jean Moulin, nommé à Chartres préfet d’Eure-et-Loir, regagna la Région parisienne ; le 3 septembre suivant, l’Allemagne nazie ayant envahi la Pologne, la France et la Grande-Bretagne lui déclarèrent la Guerre. Mobilisé dans l’Armée de l’Air à la déclaration de guerre, Pierre Meunier connut la « Drôle de guerre » - période durant laquelle il ne rencontra pas Jean Moulin, tout en gardant le contact avec lui - et la débâcle de mai-juin 1940, avant d’être démobilisé à Montpellier en juillet suivant.
Affecté dans les services du ministère des Finances maintenus à Paris, Pierre Meunier dès son retour dans la capitale se rendit début septembre à Chartres pour y revoir dans sa préfecture son ami, découvrant sous la grande écharpe qu’il portait autour du cou les traces de sa tentative de suicide dans la nuit du 17 juin précédent afin de ne pas risquer de céder aux exigences des nazis entrés dans Chartres de le voir accuser faussement de crimes des soldats sénégalais de l’Armée française. Le 2 novembre 1940, l’administration pétainiste révoqua Jean Moulin de son poste de Préfet...
« A la mi-novembre 1940… - se rappelle Pierre Meunier, je reçus la visite de Jean Moulin qui venait de quitter Chartres... Je me souviens que c’est dans un café de la place de la Madeleine, le Colibri, qu’il m’exposa ses projets et me fixa ma première mission. Je devrais, au hasard de mes rencontres, un hasard qui devrait être au besoin sollicité, prospecter parmi mes amis qui avaient appartenu au Rassemblement Universel pour la Paix et commencer à recenser ceux qui étaient décidés à se battre. Lui, franchissant la ligne de démarcation, il passerait en Zone non-Occupée et, quand il se serait rendu compte de la situation, il partirait pour Londres et obtenir du général de Gaulle une mission de coordination de la Résistance(…).
« J’aurais donc à chercher des contacts… Jean me conseilla cependant de conserver mon poste au ministère des Finances, ce qui constituerait une bonne couverture (…). Aussitôt que cette tâche me fut confiée, je proposai à mon ami de m’adjoindre une connaissance commune, Robert Chambeiron… Moulin ne comptait pas, de son côté, rester inactif. Quand il serait passé en Zone non-occupée, avant de partir pour Londres, il tâcherait d’entrer en contact avec Henri Manhès et ils chercheraient eux aussi ce qui était en train de s’organiser… Henri Manhès accepta et il devint, jusqu’à son arrestation [le 3 mars 1943], le principal adjoint de Moulin. J’eus alors la lourde responsabilité de lui succéder… »
Ainsi, pendant près de trois ans, Pierre Meunier, ayant à ses côtés Robert Chambeiron, va être en zone Nord, en contact avec les divers mouvements de Résistance tels CLL, CDLR, Libération-Nord et le « Front national », étroitement associé à l’action de rassemblement de la Résistance menée inlassablement par Jean Moulin, secondé par « Frédéric »-Henri Manhès.
À l’automne 1941, Jean Moulin – qui résidait en zone Sud depuis l’automne 1940 - avait quitté sous une fausse identité la France pour, via le Portugal, se rendre à Londres – où il arriva le 20 octobre - afin d’y rencontrer le général de Gaulle et lui présenter la situation de la Résistance intérieure et la nécessité de son rassemblement. De retour en France, parachuté dans les Alpilles dans la nuit du 1er au 2 janvier 1942, Jean Moulin ne vint brièvement à Paris que début juillet. C’est Frédéric-Henri Manhès qui, faisant fréquemment la navette entre la zone Sud et Paris, assura la liaison entre Pierre Meunier et Moulin.
Les dix mois qui suivirent – lors desquels Jean Moulin fit un second séjour à Londres du 13 février au 20 mars 1943 - furent une phase intense dans ce rassemblement de la Résistance qui conduisit, après avoir surmonté de nombreuses difficultés telle la méfiance de certains dirigeants de la Résistance à l’égard de Gaulle, des rivalités entre mouvements, l’hostilité de certains d’entre eux à la participation des partis politiques clandestins au processus d’unification, les différences de configuration des organisations de Résistance entre les zones Nord et Sud, des divergences quant à la lutte armée, à la tenue le 27 mai 1943 de la réunion constitutive du Conseil National de la Résistance, 48 rue du Four à Paris.
Pour autant, grâce à l’opiniâtreté de Jean Moulin, ces difficultés ayant été surmontées, la réunion constitutive du CNR fut avec le concours de Daniel Cordier, secrétaire de Jean Moulin venu de Lyon, préparée par Meunier et son adjoint : « C’est sur Chambeiron et sur moi que reposa toute l’organisation matérielle de la réunion. Il fallait rassembler une vingtaine de personnes. Un secret partagé entre vingt personnes n’est pas facile à tenir… Chambeiron et moi, nous quittâmes la salle avant la fin, pour nous assurer que la voie était libre… [et] n’assistâmes donc pas à l’ensemble des débats qui furent rondement menés : nous étions obligés d’en assurer la protection à la sortie, en faisant le guet, dans la rue ».
Lors de la réunion, Pierre Meunier (Mornay ou Marmet dans la clandestinité) avait été nommé secrétaire général du CNR : « Pendant la période clandestine, outre son président (Jean Moulin, puis Georges Bidault), le CNR comptait 16 membres ; j’en exerçais le secrétariat général (au sens où, à côté d’un préfet et sous son autorité, il y a un secrétaire général) et j’eus Robert Chambeiron pour adjoint. Les deux secrétaires n’avaient naturellement pas voix délibérative et ne prenaient pas part au vote. »
Pour autant, leur rôle sera important dans le fonctionnement du CNR ainsi que de son Bureau jusqu’à la Libération, préparant les réunions, trouvant les lieux pour les tenir et assurant leur sécurité. Le CNR, que Georges Bidault présidera après l’arrestation de Jean Moulin à Caluire le 21 juin 1943 - suite à une trahison, dont Pierre Meunier fut toujours convaincu qu’elle fut l’œuvre de René Hardy - et sa mort le 8 juillet suite aux tortures subies de la part de Barbie.
La libération intervenue, l’Assemblée Consultative Provisoire - venant d’Alger – s’installa à Paris et intégra en son sein 150 résistants de l’Intérieur, dont le Président et les 16 membres du CNR, ainsi que le Secrétaire général du CNR et son adjoint. Pierre Meunier y participa à diverses commissions : Finances, France d’outre-mer, réforme de l’Etat et de la législation, commission du règlement, commission supérieure des caisses d’épargne. En mars 1945, il déposa un projet de résolution invitant le gouvernement à taxer les accroissements de fortune réalisés depuis le début de la guerre. En 1945-46, Pierre Meunier est chef de cabinet de Maurice Thorez, ministre d’État chargé de la fonction publique puis vice-président du Conseil ; à ce titre, il participa à l’élaboration du statut des fonctionnaires.
Élu conseiller général d’Arnay-le-Duc en septembre 1945, Pierre Meunier le resta jusqu’en1985. Exclu du Parti radical-socialiste le 2 mai 1946, après la rupture entre le Parti radical et son aile gauche conduite par Pierre Cot, il participa à la fondation de l’Union progressiste, dont il fut l’un des animateurs et qui fut lors des différents scrutins apparentée au Parti communiste. Élu député de la Côte-d’Or en novembre 1946, il fu réélu en 1951 et 1956 jusqu’à 1958, siégeant à la Commission des finances, pour successivement les groupes de l’Union Républicaine et Résistante (URR) et des Républicains progressistes. Il s’opposa à la Guerre d’Indochine et prôna la négociation en Algérie. À l’automne 1956, il avait condamné l’intervention soviétique en Hongrie.
Opposé au retour aux affaires du général de Gaulle en 1958, il ne fut pas réélu député de Côte-d’Or sous la Ve République. Il fut conseiller régional de Bourgogne de 1971 à 1983 et de 1971 à 1983 maire d’Arnay-le-Duc, dont il fut conseiller municipal jusqu’en 1989 et où une école porte son nom. À la fin de sa vie, il s’investit dans le Parc régional du Morvan, dont il présida la Commission des finances.
Pierre Meunier avait rejoint l’ANACR dès sa fondation en 1954 et en fut membre du Comité d’honneur national de 1954 jusqu’à sa disparition le 16 avril 1996.
Il était Grand Officier de la Légion d’Honneur, dont la plaque lui avait été remise en 1989 par le Président Mitterrand, commandeur de l’Ordre national du mérite, médaillé de la Résistance avec rosette, Croix de guerre 1939-1945 avec palme.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article184790, notice MEUNIER Pierre (alias Morlay, Marmet) par Jacques Varin, version mise en ligne le 4 septembre 2016, dernière modification le 5 novembre 2019.

Par Jacques Varin

Pierre Meunier
Pierre Meunier

SOURCES : Archives ANACR. — Pierre Meunier, Jean Moulin mon ami, avec la collaboration de Maurice Voutey, Éditions de l’Armançon 1993. — Laure Moulin, Jean Moulin, Éditions des presses de la Cité, 1969, Éditions Famot, 1976. — Assemblée nationale, Base des députés français depuis 1789.

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