CHÂTELET Albert

Par Jean-François Condette

Né le 24 octobre 1883 à Valhuon (Pas-de-Calais), mort le 30 juin 1960 à Paris ; professeur d’arithmétique et de théorie des nombres ; recteur de l’Académie de Lille (1924-1936) ; responsable national de la Ligue de l’Enseignement ; président de la Fédération des Éclaireurs de France (février 1937-juillet 1946) ; président de l’Union rationaliste (juillet 1955-juin 1960) ; président du Comité Maurice Audin (mars 1958) ; candidat à la présidence de la République présenté par l’Union des forces démocratiques en 1958 ; militant pacifiste.

Fils d’instituteur, Albert Châtelet fut l’élève de son père à l’école communale de Valhuon. Il effectua ses études secondaires au collège de Saint-Pol-sur-Ternoise jusqu’à l’obtention du baccalauréat en juillet 1901, puis intégra la classe de mathématiques spéciales du lycée de Douai (octobre 1901-juin 1904). Admis à l’École normale supérieure de la rue d’Ulm au concours 1904, il y poursuivit sa scolarité (1905-1908) après avoir effectué son service militaire (1904-1905). Durant ses années normaliennes, il rejoignit brièvement les troupes jaurésiennes du quartier latin. Licencié ès sciences (1907), il fut admis à l’agrégation de mathématiques en 1908.

Il décida de rester sur Paris pour préparer sa thèse de doctorat et occupa alors différents postes temporaires. Il fut tour à tour suppléant et interrogateur dans les classes de mathématiques spéciales des lycées Saint-Louis, Condorcet, Chaptal (1908-1911) et bénéficia d’une bourse de la Fondation Commercy (janvier-octobre 1909). Il fut aussi chargé de cours de la Fondation Peccot (1911-1912). Il soutint sa thèse en Sorbonne le 27 avril 1911 : « Sur certains ensembles de tableaux et leur application à la théorie des nombres. »

Professeur de mathématiques spéciales au lycée de Tours (1911-1913), Albert Châtelet fut ensuite chargé de cours de mécanique rationnelle et appliquée à la faculté des sciences de Toulouse à partir de janvier 1913. Nommé maître de conférences de mécanique à la faculté des sciences de Lille (5 août 1914), il ne put rejoindre son poste, étant mobilisé. Il fut officier d’administration du Service de santé et travailla dans le Train sanitaire à l’évacuation des blessés. En mars 1916, il fut détaché à la Commission d’expériences d’artillerie navale de Gavres (Morbihan) où il contribua à l’amélioration de la balistique des tirs aériens et des trajectoires des obus, jusqu’à sa démobilisation en février 1919.

Ayant rejoint son poste lillois, il fut rapidement élu professeur de mathématiques générales (1920) puis professeur de mécanique rationnelle et appliquée (1922). Doyen de la faculté des sciences de Lille (octobre 1921-mai 1924), il travailla à la reconstruction des laboratoires et des instituts dévastés par la guerre et l’occupation allemande. Dans le même temps, il fut examinateur d’entrée à l’École navale, à l’École normale supérieure et membre du jury de l’agrégation de mathématiques.

Albert Châtelet fut ensuite recteur de l’académie de Lille (décret du 30 mai 1924). À la tête de son académie, qui regroupait cinq départements (Nord, Pas-de-Calais, Aisne, Ardennes, Somme), il se transforma en recteur bâtisseur et en rénovateur des structures éducatives. Défenseur habile des dossiers et des projets de son académie, il participa à la fondation de nombreuses institutions d’enseignement et de recherche : Institut commercial, Institut de la Houille, Institut radiotechnique, Institut agricole avec sa station d’essais de semences, Institut de mécanique des fluides, etc. Il lança l’immense chantier de la construction d’une nouvelle faculté de médecine intégrée au Centre hospitalier et les travaux de construction d’une nouvelle faculté de droit. Soucieux d’améliorer la vie étudiante, il fit construire les deux premières résidences étudiantes. Partisan des méthodes actives, militant de l’École unique, il œuvra au rapprochement des filières primaire et secondaire, en particulier des écoles primaires supérieures et des classes équivalentes des collèges et des lycées. Il fut l’un des principaux artisans de la fondation du « collège unique » de Saint-Amand, inauguré le 4 juillet 1926 et qui lui assura une notoriété nationale. Il fut aussi le principal organisateur du Congrès de l’enseignement du second degré organisé au Havre du 31 mai au 4 juin 1936.

Très intéressé par le scoutisme et ses méthodes actives au service d’une éducation globale de la jeunesse, il devint l’un des cadres du mouvement des Éclaireurs de France pour la région Nord. Ses neuf enfants pratiquèrent le « scoutisme laïque » et remplirent ensuite des fonctions importantes au sein des mouvements féminins et masculins. En février 1937, il succéda à Georges Bertier comme président des Éclaireurs de France et demeura à la tête du mouvement jusqu’en juillet 1946. Le recteur Châtelet fut aussi un membre actif de la Ligue française de l’Enseignement depuis sa refondation en 1926 et participa, au sein de son académie, à de nombreuses manifestations en lien avec les comités laïques. À Lille, il fonda l’Office cinématographique d’enseignement et d’éducation de la région du Nord (OCEN), avec Georges Selliez, président de l’Union des amicales laïques du Nord, et Léon Ousselin, directeur d’école. Face à l’inaction de l’État, il participa à la mise en place de la Fédération nationale des Offices, fondée le 7 novembre 1929.

Par le décret du 31 décembre 1936, Jean Zay, ministre du Front populaire, l’appela à ses côtés et le nomma directeur de l’Enseignement du Second degré. Il occupa ce poste jusqu’en septembre 1940 et, dans l’attente du vote de la loi de réforme de l’enseignement (projet déposé le 5 mars à la Chambre des députés mais qui ne sera jamais examiné par le Parlement), travailla activement à la réforme des structures et des programmes de l’enseignement secondaire. Par arrêtés et par décrets, il œuvra au rapprochement et à la modernisation des programmes entre les classes du secondaire et celles des écoles primaires supérieures, lança l’expérimentation de la classe d’orientation (sorte de sixième de détermination) et mit en place les loisirs dirigés. Entre septembre 1939 et septembre 1940, il lutta pour maintenir l’activité de l’enseignement secondaire malgré la mobilisation, les évacuations puis l’exode, rejoignant Bordeaux puis Vichy.

Il dut démissionner le 14 septembre 1940 puis fut rapidement sanctionné par le Régime de Vichy. « Monsieur Albert Châtelet, recteur hors cadre, directeur de l’Enseignement du second degré est replacé dans le cadre des professeurs des facultés des sciences des départements. » (arrêté du 19 octobre 1940) Le régime tenta de le muter à la faculté de Caen mais Châtelet réussit à rester sur Paris où il fut chargé d’un enseignement d’arithmétique supérieure.

Il fut nommé maître de conférences d’arithmétique à la Sorbonne (20 avril 1945), puis professeur d’arithmétique et de théorie des nombres (décret du 31 juillet 1945). Chargé temporairement de la direction des Mouvements de Jeunesse et de l’Éducation Populaire au ministère de l’Éducation nationale (16 juillet 1945-juillet 1946), il y fut confronté à de nombreuses tensions entre services et à une absence chronique de moyens. Élu par deux fois doyen de la faculté des sciences de Paris (arrêtés des 7 avril 1949 et 7 avril 1952), il fit face à une forte augmentation des effectifs étudiants de la faculté (7 842 en juin 1949 et 11 038 en juin 1954) et multiplia les réalisations concrètes, lançant aussi les démarches en vue de la construction d’une nouvelle faculté des sciences. Il fut également membre du directoire et du conseil d’administration du CNRS (1950), président du Bureau universitaire de statistiques (1958), structure à laquelle il avait été associé dès sa création en 1933, et membre du conseil d’administration de la Fondation sanatorium des étudiants de France. Auteur de nombreuses publications sur l’enseignement des mathématiques, il dirigea chez l’éditeur Bourrelier une collection de manuels du primaire, puis une collection de livres de sciences pour le secondaire chez Baillière. Il synthétisa ses recherches en mathématiques dans Arithmétique et algèbre modernes (trois tomes pour les Presses universitaires de France, à partir de 1954).

La retraite professionnelle (janvier 1954) permit de mettre de côté le devoir de réserve de l’administrateur et Albert Châtelet s’engagea en intellectuel dans de nombreux combats pour la paix et la démocratie. On le retrouva ainsi président de la société de libre-pensée, l’Union Rationaliste (à partir de juillet 1955) où il milita pour le développement de l’esprit scientifique et la laïcité scolaire. Il fut encore membre de la section française du Conseil mondial de la paix et participa à la conférence internationale des Nations Unies sur l’utilisation de l’énergie atomique à des fins pacifiques (Genève, septembre 1958). Il s’engagea très activement contre la poursuite de la guerre en Algérie et contre l’usage de la torture, rejoignit divers comités de lutte, organisa et présida quatre colloques universitaires pour la solution du problème algérien (2 juin 1957, 12 janvier 1958, 27 avril 1958 et 30 mai 1959). Il participa à la création puis au développement du comité Maurice Audin dont il fut le premier président d’honneur (mars 1958).

Partisan d’une reconnaissance par la France de la Chine et de la République démocratique allemande, il multiplia les combats pour la promotion des contacts culturels entre les nations et les peuples au-delà des coupures géopolitiques liées à la guerre froide. À ce titre, on le retrouva au sein de l’Association des amitiés franco-chinoises et de l’Association France-URSS. Il joua un rôle important dans la fondation et le développement de l’Association française pour les échanges franco-allemands, créée en 1958, dont il fut un temps le président. Associé au plan de développement du nucléaire civil français en tant qu’expert (missions au Centre de Saclay), il dénonça en revanche la politique française de fabrication de la bombe atomique.

Refusant le retour au pouvoir du général de Gaulle, opposé au projet constitutionnel de ce dernier, il fut membre, à partir de juillet 1958, du bureau national de l’Union des forces démocratiques (UFD), regroupant le Parti socialiste autonome, l’Union de la Gauche socialiste, les amis de Pierre Mendès France et ceux de François Mitterrand. Il participa aux travaux du bureau et à la rédaction du programme (Manifeste du 18 juillet 1958). Sur l’insistance de Daniel Mayer, il accepta d’être le candidat désigné par l’UFD pour l’élection présidentielle du 21 décembre 1958 où il fut l’un des deux opposants à la candidature de Charles de Gaulle avec Georges Maranne (PCF). Il obtint 8,4 % des suffrages exprimés. Face au ralliement de la SFIO au nouveau régime et au positionnement du Parti communiste français, il affirma ainsi l’existence d’une gauche démocratique. Il fut aussi membre du bureau du Comité national universitaire de défense de la République à l’automne 1958.

Commandeur de la Légion d’honneur, il mourut le 30 juin 1960. Plusieurs établissements portent son nom, dont deux lycées (Saint-Pol-sur-Ternoise et Douai), une résidence universitaire lilloise et un centre universitaire à Paris.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article19611, notice CHÂTELET Albert par Jean-François Condette, version mise en ligne le 25 octobre 2008, dernière modification le 6 avril 2022.

Par Jean-François Condette

SOURCES : Arch. Nat., 72AJ/251, F17 25623. — Arch. Dép. Pas-de-Calais, 81 J 1 à 117 : archives personnelles d’Albert Châtelet. — Annales de l’Université de Paris, 1960, p. 578-582. — Tribune du Peuple, 23 octobre 1958. — « Les Offices régionaux du cinéma éducatif », Albert Châtelet, Ciné-document, octobre 1932. — Natalie Sévilla, La Ligue de l’enseignement, confédération générale des œuvres laïques, 1919-1939, thèse de doctorat d’histoire, Paris, IEP, 2004. — Gilles Morin, L’Opposition socialiste à la guerre d’Algérie et le Parti socialiste autonome, un courant politique de la SFIO au PSU (1954-1960), thèse d’histoire, université de Paris 1, 1992. — Jean-François Condette, Les Recteurs d’académie en France de 1808 à 1940, t. II : Dictionnaire biographique, Lyon, INRP, 2006, p. 111-113. — Jean-François Condette, Albert Châtelet ou la République par l’École (1883-1960), à paraître.

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