SERVAT Gilles

Par Julien Lucchini, Tudi Kernalegenn

Né le 1er février 1945 à Tarbes (Hautes-Pyrénées) ; auteur, compositeur, interprète, figure de la chanson bretonne ; un temps militant de l’Union démocratique bretonne (UDB).

Biographie nouvelle

Fils d’André Servat, chef du personnel, et de Renée Litou, femme au foyer, Gilles Servat était le cadet d’une fratrie de trois enfants. Ses deux frères, Jean-Noël et Alain, étaient respectivement nés en 1933 et 1934. Son grand-père paternel, Gaston Servat, avait été conseiller général radical du canton de Vallet (Loire-Atlantique) de 1919 à 1925, et adjoint au maire de Nantes (Loire-Atlantique), où étaient nés les parents de Gilles. Après avoir vécu à Tarbes, où naquit leur troisième fils, ils s’étaient installés brièvement à Nantes, avant de s’établir à Cholet (Maine-et-Loire) pour des raisons professionnelles. Le couple était « de gauche » mais ne militait dans aucune organisation syndicale ou politique.

C’est à Cholet que Gilles Servat fit toute sa scolarité, jusqu’à son baccalauréat qu’il obtint en 1964. Entre temps, il avait commencé à jouer de la guitare à l’âge de dix-sept ans. Il entra ensuite aux Beaux-Arts d’Angers (Maine-et-Loire) et se prit de passion pour la peinture de Paul Gauguin. En 1968, il obtint le Certificat d’aptitude à une formation artistique supérieure (CAFAS). La même année, il vécut à Angers le mouvement social de mai-juin. Bien que le mouvement social angevin n’ait pas été aussi intense que dans d’autres villes du pays, Gilles Servat profita de l’arrêt des cours aux Beaux-Arts pour participer aux discussions réunissant alors étudiants de Nantes, jeunes d’Angers, et ouvriers de la région. Le printemps eut dès lors un réel impact sur son parcours et ses idées, et Gilles Servat devint alors de sensibilité anarchiste. Dans la foulée, il décida d’abandonner ses ambitions artistiques pour exprimer ses idées autrement. Bien qu’inscrit aux Beaux-Arts de Paris, il se fit embaucher au service des redevances de l’ORTF où il travailla quelque temps.

Au printemps 1969, sur invitation d’un ami rencontré à Angers, Gilles Servat se rendit sur l’île de Groix (Morbihan) où il découvrit avec enthousiasme la culture et la langue bretonnes. Ayant lié connaissance avec Claude Pouzoulic, qui tenait un hôtel-restaurant, il commença à chanter sur scène. Il fut alors repéré par Glenmor, qui l’encouragea à poursuivre dans la chanson et lui demanda de l’accompagner sur scène. Dans la même période, Gilles Servat fut fortement marqué par la figure d’Alan Stivell qui, selon ses propres mots, avait montré « que la tradition bretonne se rattachait au folk song mondial et qu’elle était tout sauf obsolète ; que la langue bretonne était belle et musicale ». Et Gilles Servat d’ajouter : « Terminées les hontes inculquées par la France ne serait-ce qu’en punissant les enfants qui parlaient breton à l’école. » De retour à Paris à l’automne, Gilles Servat y demeura jusqu’en 1971.

Dans cette période, il joua au restaurant « Ti Jos », à Montparnasse, estaminet emblématique de la culture bretonne à Paris. C’est dans ce lieu qu’il chanta pour la première fois, en 1970, l’une des chansons les plus célèbres de son répertoire et de la culture musicale bretonne des années 1970, « La Blanche Hermine ». Un 33 tours éponyme sortit deux ans plus tard et marqua les débuts de la notoriété de Gilles Servat. Depuis peu, il était aussi devenu militant de l’Union démocratique bretonne (UDB), formation politique autonomiste de gauche qu’il représenta lors des élections cantonales de 1982 à Nantes, recueillant 4,1 % des suffrages.

Tout au long des années 1970, Gilles Servat prit part à de nombreuses manifestations militantes et prêta sa voix à différents mouvements d’émancipation. Il cosigna en 1972 le Manifeste des chanteurs bretons, qui affirmait le soutien nécessaire aux luttes « de libération politique, économique, sociale et culturelle du peuple breton ». Pour cela, les signataires souhaitaient mettre leur expression « au service du peuple ». Après une première participation à la Fête de l’Humanité en 1971, il s’installa à Nantes. Sa maison de disque d’alors, Kelenn, avait ses locaux à Saint-Brieuc. Aussi, en 1972, comme il s’y rendait, Gilles Servat assista à la mobilisation des ouvriers du Joint français en grève, et lia connaissance avec eux. Il participa ensuite aux galas de soutien au mouvement des ouvriers de cette entreprise, en compagnie d’autres artistes comme Claude Nougaro ou Kirjuhel, et leur consacra une chanson, « La grève du Joint français ». Il y clamait : « Ouvriers du Joint français / Paysans des grèves du lait / Vos actes sont la semence / D’où germent nos espérances ». Bien que l’UDB, comme d’autres organisations de gauche, ait alors déconseillé à ses militants de se joindre à un mouvement soutenu par des groupes « gauchistes », Gilles Servat ignora le mot d’ordre et poursuivit son engagement au sein de cette lutte qui, rappelait-il rétrospectivement, eut un impact « extraordinaire » en bouleversant la perception du mouvement breton, autrefois qualifié « de droite » et désormais pleinement ancré auprès du mouvement social et des luttes ouvrières. Il créa bientôt son propre label, Kalondour, puis signa chez Phonogram.

Gilles Servat donna par la suite des tours de chant pour les paysans lors des grèves du lait, à certaines fêtes du Parti socialiste unifié (PSU) ou encore lors de rassemblements écologistes (contre le projet de centrale nucléaire de Plogoff, au moment de la marée noire de l’Amoco Cadiz, etc.). En 1974, il chanta également au Festival anti-impérialiste de Dublin. Repéré comme chanteur politisé et soutien de la culture bretonne, Gilles Servat participa, en 1976, à deux 33 tours emblématiques, Skoazell Vreizh, disque de soutien aux prisonniers politiques bretons, et Chansons politiques d’aujourd’hui, où il dénonçait en particulier la dictature de Pinochet au Chili.

Il quitta l’UDB au début des années 1980 car, expliquait-il ultérieurement, « il est très difficile d’être chanteur dans un parti politique. Si on chante quelque chose qui est dans la ligne du parti, on devient son porte-parole. Si on chante quelque chose qui n’est pas dans la ligne votée par le parti mais pour laquelle on a voté avec la minorité lors du congrès, on nous demande ce qu’on fait dans le parti. Je ne désire être le porte-parole de personne et je veux être libre de chanter ce que je veux. Quitte à me tromper. » Au début des années 1980, dans un contexte de reflux du militantisme, Gilles Servat, désabusé, prit davantage de distance avec l’univers militant. Aussi chanta-t-il, dans le 33 tours Je ne hurlerai pas avec les loups : « À l’ouest les cons d’or, à l’est les cons d’acier, au milieu les pauvres cons. Choisis ton con, camarade ! » Toutefois, il demeura proche des préoccupations sociales et politiques, ne refusant jamais de participer à des concerts de soutien, que ce soit pour des grévistes, des sans-papiers, les écoles Diwan ou des peuples en lutte. De même, il garda des liens étroits avec l’UDB en dépit de sa désaffiliation.

Dans les années 1980, Gilles Servat diversifia ses activités, faisant notamment ses débuts au théâtre, et retournant aux scènes plus modestes et à des chansons moins engagés, plus intimistes. Il s’investit dans le gorsedd (assemblée) des druides de Bretagne. Il commença également une carrière de romancier, publiant son premier ouvrage, La Naissance d’Arcturus, en 1986. En 1988, son 33 tours Mad in Sérénité fut primé par le grand-prix Paul Gilson de l’Académie Charles-Cros et obtint le prix du conseil régional de Bretagne. Dans les années qui suivirent, Gilles Servat poursuivit ses activités artistiques et littéraires. Il participa ainsi à partir de 1993 à l’aventure d’Héritage des Celtes. En 1996, après avoir appris que le Front national de Jean-Marie Le Pen entonnait, dans certains meetings, « La Blanche Hermine », il publia l’album Touche pas à la blanche hermine, enregistré en public, dans lequel il pourfendait l’organisation d’extrême droite et rappelait que l’hermine « a la queue noire » et que « l’été, sa robe devient marron », afin de « remettre les choses au clair » et de « ne pas être récupéré par ces gens-là ». En 2003, il participa à un gala organisé à Vigo (Espagne) contre la marée noire qui avait suivi le naufrage du Prestige. La même année, il reçut le collier de l’Hermine, pour son engagement au service du rayonnement de la Bretagne.

Marié à deux reprises, en 1972 puis 1997, Gilles Servat est père de deux enfants : Edern, né en 1977, et Bleuenn, née en 1997.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article196534, notice SERVAT Gilles par Julien Lucchini, Tudi Kernalegenn, version mise en ligne le 9 novembre 2017, dernière modification le 12 mars 2020.

Par Julien Lucchini, Tudi Kernalegenn

ŒUVRE choisie : Avec Guy Millières, Mise à mort des cultures populaires, Syros, 1978. — La Naissance d’Arcturus, Kornog, 1986. — Les Chroniques d’Arcturus (7 volumes), L’Atalante, 1995-2013.

SOURCES : Erwan Chartier, Gilles Servat. Portrait, Spézet, Coop Breizh, 2006. — Lionel Henry, Dictionnaire biographique du mouvement breton, Fouesnant, Yoran embanner, 2013. — Georges Cadiou, Emsav. Dictionnaire critique, historique et biographique. Le mouvement breton de A à Z, Spézet, Coop Breizh, 2013. — Tudi Kernalegenn, Romain Pasquier (sous la dir.), L’Union démocratique bretonne. Un parti autonomiste dans un État unitaire, Rennes, PUR, 2014. — Erwan Chartier, « Gilles Servat. Le barde imaginé », ArMen, n° 123, août 2001, p. 22-29. — Entretiens et correspondance avec l’intéressé (juin-octobre 2017). — Articles de presse. — Sites Internet.

rebonds ?
Les rebonds proposent trois biographies choisies aléatoirement en fonction de similarités thématiques (dictionnaires), chronologiques (périodes), géographiques (département) et socioprofessionnelles.
fiches auteur-e-s
Version imprimable