COHEN Marcel, Samuel, Raphaël

Par Jean Maitron, Nicole Racine

Né le 6 février 1884 à Paris (IXe arr.), mort le 5 novembre 1974 à Cugand (Vendée) ; linguiste, professeur à l’École des Langues orientales et directeur d’études à l’École pratique des hautes études ; militant communiste.

Fils de Benjamin Cohen, polytechnicien, ingénieur principal aux Chemins de fer de l’Ouest et d’Anna Bechmann, Marcel Cohen appartint à la génération dont l’adolescence et la jeunesse furent marquées par la fin de l’Affaire Dreyfus. Il rompit avec les idées de sa famille et, après avoir été membre des Étudiants collectivistes, adhéra au Parti socialiste unifié en 1905. Henri Wallon, lors de l’hommage qu’il lui rendit à l’occasion de la célébration de son soixante-dixième anniversaire, évoqua les grands meetings de Jaurès et de Pressensé auxquels ils s’étaient retrouvés plusieurs fois.

Marcel Cohen effectua son service militaire en 1902-1903, après avoir fait ses études secondaires au lycée Condorcet à Paris. Lauréat de l’agrégation de grammaire en 1908 (2e/18), breveté de l’École des Langues orientales en 1909, de l’École pratique des hautes études en 1909, il continua les études qui allaient rapidement faire de lui un linguiste de réputation internationale. Il s’intéressa aux études éthiopiennes, puis étendit ses investigations au champ tout entier des langues chamito-sémitiques et consacra sa thèse de doctorat ès lettres au système verbal « sémitique et à l’expression du temps », soutenue en 1924. Chargé de mission par le ministère de l’Instruction publique en Abyssinie en 1910-1911, il enseigna les langues d’Abyssinie à l’École des Langues orientales à partir de novembre 1911. Professeur-adjoint en 1916, il fut nommé professeur titulaire de la chaire d’Abyssin en 1926. Il devint directeur d’études pour l’éthiopien à l’École pratique des hautes études (4e section), à partir de 1919. Chargé d’enseignement de linguistique descriptive à l’institut d’ethnologie de l’Université de Paris depuis 1926, administrateur de la Société de Linguistique (1919-1930), fondateur et organisateur du Groupe linguistique d’études chamito-sémitiques depuis 1931, il fut plusieurs fois candidat au Collège de France. Chargé d’une direction des recherches à la Caisse de la recherche scientifique, directeur de recherches (1937-1939), il cessa ses fonctions, le 20 décembre 1940 lors de sa mise à la retraite d’office.

Élève d’Antoine Meillet avec lequel il dirigea en 1924 le livre collectif Les Langues du Monde, il en dirigea seul une seconde édition qui parut en 1952. Il avait obtenu le Prix Volney en 1912, pour Le parler arabe des Juifs d’Alger, et en 1924, pour Le système verbal sémitique et l’expression du temps.

Marcel Cohen se maria à Marguerite Bloch le 29 juillet 1913 ; ils eurent trois enfants, dont Francis Cohen. Il fit la guerre de 1914-1918 comme caporal mitrailleur, durant laquelle il fut blessé, deux fois cité, et promu officier sur le champ de bataille.

Admirateur de la Révolution russe, il donna, dès décembre 1920, son adhésion à la majorité qui ralliait la IIIe Internationale. Il milita pour le développement du syndicalisme dans l’enseignement supérieur dès 1919. Georges Cogniot, dans ses Mémoires, dit avoir rencontré Marcel Cohen au Syndicat unitaire de l’enseignement de la Seine, au début des années vingt ; selon le même témoignage, Marcel Cohen écrivait en 1921 dans le bulletin syndical, Les Semailles. Avec Marcel Prenant et Ludovic Zoretti, il fut en 1926, un des fondateurs du syndicat de l’Enseignement supérieur. Militant français de l’Internationale des travailleurs de l’enseignement, il collabora au secrétariat dans les années 1920.

Dans les années trente, il fit partie de ce petit groupe de chercheurs qui découvrit le marxisme comme méthode scientifique. Il participa, autour de Langevin, au groupe d’études matérialistes formé à l’École de Physique et Chimie, rue Vauquelin. Il collabora au recueil issu des travaux du groupe, À la lumière du marxisme, avec une étude sur « Linguistique et société ». Il fut également un des fondateurs de l’« Université Ouvrière » en 1932, et y donna un enseignement régulier consacré à l’étude du français ; de cet enseignement sortit le livre : Histoire d’une langue : le français, terminé en 1938 mais qui ne put sortir qu’en 1947. Il était signalé par la police en 1932 comme le véritable animateur de la cellule communiste de Viroflay (Seine-et-Oise, Yvelines), commune où il demeurait (voir André Guichard).

Marcel Cohen voulait appliquer les règles du matérialisme dialectique aux études linguistiques. Il avait adhéré au marxisme comme savant et ne perdit jamais de vue les exigences de la recherche ; c’est ainsi qu’il marqua dès 1936 son opposition aux théories de Marx sur la linguistique, que certains voulaient identifier avec le marxisme.

Parallèlement au développement de son œuvre scientifique, il prenait part au développement du mouvement antifasciste. Membre du Comité de vigilance des intellectuels antifascistes, membre du Comité national du Mouvement Amsterdam-Pleyel, il milita en 1935 dans le Comité international pour la défense du peuple éthiopien et de la paix qui dénonçait l’agression de Mussolini. Il écrivit au nom de ce dernier Comité une petite brochure intitulée L’Abyssinie doit rester indépendant qui parut au Bureau d’éditions. Il participa à l’hommage organisé par la Maison de la Culture en l’honneur de Gorki (Commune, août 1936) et donna également un article à l’Humanité (2 août 1938) en mémoire de Gorki.

En 1941, Marcel Cohen fut frappé par les lois raciales de Vichy. Il entra dans la clandestinité, collabora avec Jacques Solomon, écrivit dans L’Université libre. Il travailla à partir de 1943 dans l’état-major FTP de Marcel Prenant.
À la Libération de Paris, il appartint à l’état-major de Rol-Tanguy.

Victime des lois d’exception de Vichy, il obtint la reconnaissance d’annuités au titre de la résistance. Réintégré dans l’Université comme directeur d’études à l’EPHE (16 octobre 1944), il retrouva ses titres de professeur à la Sorbonne et à l’École nationale des langues orientales vivantes, détaché à l’EPHE. Il y poursuivit ses recherches sur la linguistique comparative d’une part, et les rapports entre la langue et la société d’autre part. Citons seulement pour les premières, outre la nouvelle édition des Langues du Monde, La Grande invention de l’écriture et son évolution ; pour les seconds, Histoire d’une langue, le français, Pour une sociologie du langage. Soucieux de l’éducation du public populaire, il donna, de 1960 à 1974, à l’Humanité ses Regards sur la langue française qui furent publiés en volumes.
Marcel Cohen sut combiner harmonieusement les tâches du militant et celles du chercheur. Il contribua à faire connaître l’ouvrage de Staline sur la linguistique et les travaux soviétiques et il reçut à l’occasion de son 70e anniversaire un chaleureux hommage de ses camarades, le 17 février 1954. Il prit sa retraite professionnelle en 1955.

Après avoir légué son corps à la recherche, Marcel Cohen mourut le 5 novembre 1974 à la maison de la MGEN de la Chimotaie en Vendée.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article20276, notice COHEN Marcel, Samuel, Raphaël par Jean Maitron, Nicole Racine, version mise en ligne le 25 octobre 2008, dernière modification le 18 février 2022.

Par Jean Maitron, Nicole Racine

ŒUVRE : Pour une bibliographie complète de l’œuvre de Marcel Cohen jusqu’en 1955 nous renvoyons à : M. Cohen, Cinquante années de recherches linguistiques, ethnographiques, sociologiques, critiques et pédagogiques, bibliographie complète, rééditions et éditions d’études diverses, recueil publié par ses amis. Préf. de Joseph Vendryes. Introduction de Régis Blachère. Klincksieck, 1955, XVIII-388 p.
Parmi les écrits plus militants de Marcel Cohen citons : « Linguistique et société », A la lumière du marxisme, introduction d’Henri Wallon, Paris, Éditions sociales internationales, 1935. — L’Abyssinie doit rester indépendante. Une des conditions essentielles pour le maintien de la paix et pour la sécurité collective. Bureau d’éditions, 1936, 32 p. Cahiers du Comité international pour la défense du peuple éthiopien et de la paix (1). — Préface à Schlauch (Margaret), Qu’est-ce qu’un aryen ? Traduit de l’anglais par B. Friedl. Paris, Bureau d’éditions, 1937, 40 p. — Linguistique et matérialisme dialectique, Conférence 7 avril 1948 à La Sorbonne, Gap, Ophrys, 1948, 20 p. — Les chroniques linguistiques parues dans les Étoiles en 1945-1946, dans L’Humanité ont été réunies dans Regards sur la langue française. Paris, Sedes, 1950, 143 p. — Nouveaux regards sur la langue française, Éditions Sociales, 1963, 317 p. — Encore des regards sur la langue française, Éditions Sociales, 1966, 311 p.

SOURCES : Fonds Marcel Cohen, Arch. dép. de Seine-Saint-Denis (336 J), inventaire en ligne. — Arch. Nat, F17/ 26484 (dépouillé par Jacques Girault) — RGASPI, 534, 6, 106 (dépouillé par Jacques Girault). — Qui est-ce ? Ceux dont on parle, Paris, 1934, Éditions de la Vie Moderne, 611 p. — Dictionnaire biographique français contemporain, 2e éd., 1954-55, Agence internationale de documentation contemporaine, Pharos, 708 p. — Who’s Who in France ? J. Laffite, 1969-1970. — Maxime Rodinson, Marcel Cohen, Orbis, t. II, n° 1, 1953, Louvain, Centre international de Dialectologie générale. — Hommage à Marcel Cohen. Union Française Universitaire, 1954, 31 p. — L’Humanité, 6 et 7 novembre 1974. — Le Monde, 7 novembre 1974. — Interview de son fils Francis Cohen, décembre 1978.

ICONOGRAPHIE : Hommage à Marcel... Hommage à Marcel Cohen, op. cit. — Maxime Rodinson, Marcel Cohen, op. cit. — Cinquante années de recherches 1955.

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