BERNARD Noël, Léon

Par Michel Pinault

Né le 13 mars 1874 à Paris, mort le 26 janvier 1911 à Saint-Benoît (Vienne), de la tuberculose ; normalien, reçu major à l’agrégation de Sciences naturelles (1898), naturaliste, botaniste et biologiste, universitaire ; dreyfusard, militant socialiste, premier trésorier de l’Amicale des personnels enseignants des facultés des Sciences, en 1906 ; membre fondateur du comité de rédaction de La Revue du Mois.

Archives familiales

Noël Bernard naquit le 13 mars 1874, dans une famille commerçante aisée originaire de Béziers et installée à Paris. Son père, Léon Bernard, négociant en drap, veuf depuis plusieurs années de Justine Bié-Moulat, était alors âgé de trente sept ans ; sa mère, Marie-Marguerite Sabot, non mariée et sans profession, n’avait que dix neuf ans. À sa naissance, Noël fut déclaré par son père à l’état-civil et reconnu ensuite comme enfant légitime après le mariage de ses parents, le 15 mars 1877. Ils ne le firent pas baptiser.

Léon Bernard décéda d’une pneumonie quand Noël avait 5 ans. Sa mère, désormais domiciliée dans le 11e arrondissement, rue Amelot, éleva alors son fils seule, en travaillant pour une modiste de la rue Daunou. Elle prit aussi en charge la demi-sœur de son fils, Julie, née du premier mariage de son mari et de cinq ans plus âgée que Noël. Confiée ensuite à son oncle paternel, Joseph Bernard, marchand tailleur comme son propre père et vivant toujours à Béziers, Julie devint professeure en collège, à Béziers. Elle décéda des suites de la tuberculose, en 1896, à 28 ans.

Noël Bernard fit de brillantes études au lycée Charlemagne puis, comme boursier, au lycée Condorcet. Après son succès au baccalauréat en juillet 1892, et une année de mathématiques spéciales, il fut admissible à l’École polytechnique en 1893. L’année suivante, il fut reçu, à vingt ans, à la fois au concours d’entrée à l’École polytechnique et au concours de l’École normale supérieure.

Il choisit l’ENS et bien qu’il manifestât de solides qualités pour les mathématiques et qu’il avait d’abord pensé s’orienter dans cette direction, il décida dès la seconde année de se tourner vers la botanique et de préparer l’agrégation de sciences naturelles. Il fut reçu, en août 1898, premier ex-æquo.

Dès ses années normaliennes, Noël Bernard fréquenta le large cercle de camarades et d’amis formé autour de Jean Perrin (promotion ENS 1891), futur prix Nobel de physique, alors agrégé-préparateur à l’ENS. Parmi eux, des normaliens des promotions encore récentes comme Émile Borel, Jules Drach, Henri Mouton, Paul Langevin, Pierre Massoulier, Paul Montel et Henri Lebesgue, les quatre derniers issus de la promotion de Bernard (1894), ou encore Aimé Cotton, Jacques Duclaux et aussi des non-normaliens comme Marie et Pierre Curie, André Debierne ou Georges Urbain ancien condisciple de Bernard au lycée Charlemagne. Les raisons de cette unité générationnelle résident dans les points communs, voisinages et passerelles qui existèrent, malgré et peut-être en raison de la diversité des disciplines choisies par eux, dans des domaines qui relevaient de la science et de l’expérimentation, aussi bien que de leurs engagements politiques et intellectuels, le tout sur un fond d’adhésion sans nuance à la conception positiviste et rationaliste de la science et du monde alors dominante. Avec Bernard et Langevin, cinq autres membres de la promotion sciences de 1894, soit près de la moitié, furent au nombre des « protestataires » de l’Aurore, en faveur de Dreyfus. Bernard se faisait remarquer par son tempérament radicalement « anti-talas », les « talas » désignant, dans l’argot normalien, ceux qui « vont t’à la messe ».
Un de ses camarades, Massoulier, dans une lettre à Langevin, parlait ainsi de Bernard : « Tout, à l’École, va comme à l’ordinaire mais la fin de l’affaire Dreyfus m’a rempli de tristesse et d’amertume. Car maintenant tout plie sous l’autorité militaire. Le goupillon et le sabre marchent la main dans la main, si j’ose ainsi parler, et c’est navrant. Pour toute consolation, nous avons le journal antitala que Bernard affiche de temps en temps au pot (pot pour réfectoire en argot normalien) et où il montre en particulier que les talas ont contribué pour une large part à la propagation des maladies microbiennes. (…) Dernièrement il a conclu un placard par cette formule : l’antitalatisme c’est l’antisepsie. »

Parmi ces normaliens des promotions de la fin du siècle, un certain nombre se réclamait du « socialisme », comme Perrin, Langevin et Bernard ; ils formaient un cercle autour du bibliothécaire de l’ENS, Lucien Herr, et à l’invitation de Noël Bernard, se retrouvaient souvent pour prendre le café du midi, à « la Nature » comme on appelait les locaux et le jardin botanique de l’ENS, donnant sur la rue Rataud.

Les débuts dans la recherche de Noël Bernard furent marqués par un « coup d’éclat ». Il découvrir le mécanisme par lequel les graines d’orchidées ne pouvaient germer qu’en présence de champignons dont le mycélium se mêlait à leurs racines. Il en fit son sujet de thèse (1901). Il posa l’hypothèse que cette association, la symbiose, était très courante dans le règne végétal, voire générale ; il en fit la ligne directrice de ses travaux futurs. La hardiesse de ses hypothèses, son goût pour « les idées générales », l’extrême méticulosité de ses expérimentations, la patience qu’il savait allier avec l’obstination, ses talents de vulgarisateur et de pédagogue, ses liens avec les horticulteurs lui assurèrent rapidement une réputation incontournable dans la vie scientifique, en France et en Europe.

Pourtant, la carrière universitaire de Noël Bernard fut difficile : nommé agrégé-préparateur de botanique à l’ENS, en septembre 1899, il aurait pu le rester jusqu’à ce qu’un poste se libère sur Paris ou dans une grande université de province, mais au lieu de cela, il fut affecté sur une maîtrise de conférence de botanique à la faculté des sciences de Caen, ce qu’il considéra comme une relégation ; il y resta sept années (1901-1908). En 1908, il fut enfin nommé chargé de cours à Poitiers, puis professeur, le 1er septembre 1909.

Noël Bernard, resté célibataire jusqu’à l’âge de 33 ans, épousa le 8 août 1907, à Fontenay-aux-Roses (Seine), Marie-Louise Martin, née le 7 décembre 1878 à Pierrefeu (Var), normalienne (ENS Fontenay 1898), mathématicienne, alors répétitrice à l’École normale de jeunes filles de Fontenay. Ils eurent un fils, Francis, né le 30 avril 1908, grand prématuré ; sa vie resta menacée pendant près de deux ans et exigeant des soins constants, son père lui appliquant les méthodes pasteuriennes d’asepsie et de prophylaxie et, prés de cinquante ans avant leur mise en œuvre, les principes de la couveuse.

À Caen, Noël Bernard se fit connaître comme militant de la fédération du Calvados de la SFIO et, particulièrement, comme orateur de talent. Dans le même temps, il fut un des promoteurs de l’idée de créer une Association amicale des personnels enseignants des facultés des sciences, en ces temps où le syndicalisme était interdit aux fonctionnaires. Partie de Caen, la campagne en faveur de cette amicale aboutit au début de 1906 ; elle fut la première dans tout l’enseignement supérieur, rallia immédiatement la moitié des enseignants susceptibles d’y adhérer et Bernard en devint le trésorier.

Lorsqu’Émile Borel, un mathématicien de premier rang qu’il avait beaucoup fréquenté à l’ENS, dans l’entourage de Perrin et Langevin, décida de fonder une revue scientifique et intellectuelle destinée à un large public cultivé, Noël Bernard s’enthousiasma ; La Revue du Mois naquit au début de 1906 et il fut membre de son comité de rédaction. Les articles qu’il écrivit pour La Revue du Mois montrèrent à quel point Bernard était épris de ce qu’il appelait « les idées générales ». Il s’attacha à faire connaître les débats qui parcouraient le monde de la biologie et à promouvoir les théories qui, au-delà du Lamarckisme et du Darwinisme, tentaient d’apporter des réponses aux mystères de la naissance et de l’évolution des espèces, entre adaptation au milieu, hérédité des caractères acquis et/ou mutations génétiques. Il promut aussi l’idée qu’une future « société mendélienne », organisée selon les principes de l’hérédité, permettrait d’améliorer l’humanité.

Au cours de l’année 1910, Bernard, qui avait depuis longtemps une santé fragile et qui ne se ménageait pas, ressentit les attaques virulentes de la maladie ; en quelques mois, la tuberculose fut si violente que tout espoir fut perdu et, le 26 janvier 1911, il décéda, à 37 ans. Perrin, Langevin, Lebesgue et Pérez, quatre membres de la « bande » des normaliens à laquelle appartenait Bernard, assistèrent aux obsèques à Poitiers. Perrin lui dédia son ouvrage, Les Atomes publié à ce moment-là. Il écrivit : « (Noël Bernard) était le grand espoir de la botanique française et sa mort a été, peut-être, une perte sociale plus grande que celle de Curie ou de Poincaré. »
Dans Le Socialiste de la Vienne, organe local de la SFIO, on put lire un hommage : « Mr. Noël Bernard était des nôtres. Non seulement il fut toujours sympathique à nos idées, mais alors qu’il était professeur à l’Université de Caen, il était membre du parti socialiste (SFIO) et sa claire parole comme son sûr bon sens aidèrent bien souvent nos militants de la fédération du Calvados. »

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article216091, notice BERNARD Noël, Léon par Michel Pinault, version mise en ligne le 31 mai 2019, dernière modification le 23 novembre 2022.

Par Michel Pinault

Archives familiales

ŒUVRE : Bibliographie succincte de Noël Bernard : Titres et travaux, Caen, Valin imprimeur, 1907. — Études sur la tubérisation, thèse de doctorat, Paris, P. Dupont, 1901. — « Infection et tubérisation chez les végétaux », Revue générale des sciences pures et appliquées, t. 13, n° 1, 15 janvier 1902, p. 8-26. — « La matière et la vie », La Revue de Paris, 11e année, vol. 4, n° 16, 15 août 1904. — « L’évolution de la symbiose. Les orchidées et leurs champignons commensaux », Annales des Sciences naturelles, Botanique, 1909, 9e série, p. 1-196, plus planches, Paris, Masson, 1909. — L’évolution des plantes, 1916 (posthume, rédigé par Marie-Louise Bernard). — Principes de biologie végétale, Paris, Alcan, 1921 (posthume, avant-propos et rédaction de Marie-Louise Bernard). Articles dans La Revue du Mois : « Un préjugé dans l’enseignement des sciences naturelles » (1ère année, n° 2, 20 février 1906). — « Le mendélisme » (n° 25, 10 janvier 1908). — « Biologie appliquée : les méthodes de Luther Burbank », n° 31, 10 juillet 1908, p. 108-111. — « La crise du transformisme » (n° 40, 10 avril 1909). — « Un mariage en l’an 3000 » (n° 66, 10 juin 1911) . — « La notion d’espèce » (n° 110, 10 février 1915, p. 137-150).

SOURCES : Acte de naissance de Noël Bernard ; acte de mariage de Noël Bernard et Marie-Louise Martin. — Registre matricule 2436 de Noël Bernard, classe 1894, Paris 4e bureau, D4R1 810. — Archives nationales, dossiers administratifs de Marie-Louis et Noël Bernard. — Archives de la famille Bernard (correspondance) . — Papiers d’Émile Borel (archives de l’Académie des sciences), papiers de Marie et Pierre Curie (BNF, département des manuscrits). — La Revue du Mois ; Bulletin de l’Association amicale du personnel enseignant des facultés des Sciences (collection de la BNF, 1909-1939, numérisée à notre demande). — Le Combat, ouvrier, républicain, socialiste, Caen, 1907. — Le Socialiste de la Vienne ; Charles Pérez, « Noël Bernard (1874-1911) ». — La Revue du Mois, t. 9, 6e année, n° 66, 10 juin 1911, p. 641-657. — Julien Costantin, préface à Noël Bernard, L’évolution des plantes, ouvrage posthume, Alcan, Paris, 1916. — Marie-Louise Bernard, préface à Noël Bernard, Principe de Biologie végétale, ouvrage posthume, Alcan, Paris, 1921. — Louis Blaringhem et al, Symbiose et parasitisme, l’œuvre de Noël Bernard, Paris, Palais de la Découverte, Masson, 1937. — Bernard Boullard, Un biologiste d’exception, Noël Bernard (1874-1911), Faculté des Sciences de Rouen, 1985. — Michel Pinault, Émile Borel, une carrière intellectuelle sous la 3e République, Paris, L’Harmattan, 2017. — Michel Pinault, Noël Bernard (1874-1911), du maître des orchidées au pionnier de la symbiose végétale, Paris, L’Harmattan, 2021.

Version imprimable