échos d’histoire

Un siècle après, le Congrès de Tours dans le Maitron

Du 25 au 30 décembre 1920, le 18e congrès du « Parti socialiste – Section française de l’Internationale ouvrière » (SFIO) s’est tenu à Tours. Ce Congrès de Tours est entré dans l’histoire en raison de la scission qui s’y est produite, créant une division de long terme entre deux partis, qui se revendiquaient à l’origine tous deux de l’objectif du remplacement du mode de production capitaliste par une société collectiviste.

Le matin du 25 décembre 1920, c’est le secrétaire du parti, Louis-Oscar Frossard, qui ouvre le congrès à Tours. Mais en réalité, l’essentiel est déjà joué. Cela fait plus de cinq années que les socialistes se divisent : d’abord sur l’attitude à adopter face à la guerre mondiale ; puis par rapport aux révolutions qui se déclenchent en Russie, en Allemagne, en Hongrie ; enfin quant à la réalité ou non d’une situation prérévolutionnaire en France.
Une scission devait donc logiquement se produire, tôt ou tard. C’est, formellement, sur la question de l’adhésion ou non à l’Internationale communiste (dite Troisième Internationale), fondée en mars 1919, qu’elle va avoir lieu.

Depuis des semaines, dans les groupes, les sections, les fédérations départementales, les socialistes ont débattu et voté en faveur de l’un des textes proposés. Il y a trois choix essentiels, mais en réalité cinq textes au total sont en présence :

* La motion d’adhésion à l’Internationale communiste, que le congrès va adopter à une large majorité. Ce texte est présenté principalement par le Comité de la IIIe Internationale, qui regroupe depuis mai 1919 les adhérents de l’Internationale communiste en France (membres ou non de la SFIO). Ce comité est notamment dirigé par Fernand Loriot et Boris Souvarine, qui sont aussi les deux premiers signataires de la motion. S’est également rallié à ce texte un courant plus modéré, où l’on retrouve Louis-Oscar Frossard et Marcel Cachin. Parmi les autres signataires figurent René Reynaud, Marthe Bigot, Amédée Dunois et Daniel Renoult.

* Vient ensuite la motion d’adhésion « avec réserves », ou motion Jean Longuet-Paul Faure. En réalité, les réserves sont si importantes qu’elles empêchent en pratique l’adhésion. Longuet et Faure sont soutenus entre autres par Jean-Pierre Grandvallet, Maurice Maurin et Jean Zyromski.

* Le seul texte proclamant nettement le refus de l’adhésion est la motion Léon Blum-Dominique Paoli. Ils défendent cette position, qu’ils savent d’avance minoritaire, aux côtés notamment de Barthélemy Mayéras et Alexandre Bracke-Desrousseaux.

* Il y a encore l’amendement dit Maurice Heine-Georges Leroy, qui se base sur le texte du Comité de la IIIe Internationale, mais en prévoyant d’approuver l’intégralité des 21 conditions de l’Internationale communiste (qui, en fait, n’ont pas été adoptées à Tours).

* Enfin, une motion présentée par Adrien Pressemane se veut en faveur d’une unité internationale de tous les socialistes partisans de la lutte de classe. En pratique, elle est proche de la motion Longuet-Faure.

Au début du congrès, des délégués de chaque fédération départementale prennent la parole les uns après les autres. Parmi les très rares militantes qui sont déléguées au congrès, signalons Lucie Colliard, qui prend alors la parole pour la fédération socialiste du Calvados.

Puis, des orateurs s’expriment longuement pour chacune des motions proposées :
* Marcel Sembat et Léon Blum pour les opposants à l’adhésion.
* Marcel Cachin, Charles Rappoport, Louis-Oscar Frossard, Paul Vaillant-Couturier et Jean-Pierre Raffin-Dugens pour les partisans de l’adhésion (Fernand Loriot et Boris Souvarine sont alors emprisonnés depuis les grèves de mai 1920, et ne peuvent donc évidemment pas venir s’exprimer en faveur de leur motion).
* Paul Faure, Jean Longuet, Jean Lebas, Raoul Verfeuil et Paul Mistral pour les partisans d’une adhésion avec de (très) fortes réserves.
* Enfin, Georges Leroy vient défendre l’amendement pour l’adhésion sans réserve.

Avant le vote, les auteurs de la motion Blum-Paoli la retirent, et déclarent s’abstenir. Le résultat est le suivant : la motion Loriot-Souvarine remporte 68 % des mandats, auxquels s’ajoute le 1 % de l’amendement Heine-Leroy. La motion Longuet-Faure obtient 22 %, Pressemane 1 %. Enfin, il y a 8 % d’abstentions (dont la plupart vient des mandats de la motion Blum-Paoli retirée).

Par conséquent, le Parti socialiste change de nom et devient la Section française de l’Internationale communiste. Dans la nuit du 29 décembre, certains délégués minoritaires quittent le congrès – et le parti. Dès le lendemain, ils forment une nouvelle Section française de l’Internationale ouvrière.
Un seul congrès s’était ouvert le 25 décembre, mais ce sont deux congrès séparés qui s’achèvent cinq jours plus tard.
Il y a dès lors deux partis :
* Le Parti socialiste – Section française de l’Internationale communiste (PS-SFIC), plus tard renommé Parti communiste – Section française de l’Internationale communiste (PC-SFIC), désigné couramment comme « la SFIC », ou « le PC ».
* Et, du côté de la minorité, le Parti socialiste – Section française de l’Internationale ouvrière (PS-SFIO), que l’on appelle plus simplement « la SFIO », ou « le PS ».

* * *

Plus de 2500 notices du Maitron contiennent l’expression « congrès de Tours ». Néanmoins, toutes ne font pas référence à celui de 1920 : par exemple, dans la notice Jean Jaurès, le congrès de Tours qui est mentionné est celui du Parti socialiste français en mars 1902.
La grande majorité des notices qui mentionnent le Congrès de Tours de décembre 1920 ne concernent évidemment pas des militants qui y étaient présents, puisqu’il y avait environ 300 délégués dans la salle. Dans 1100 notices, on trouve l’expression « après le congrès de Tours » : par exemple, pour indiquer que Maurice Dommanget « adhéra au Parti communiste après le congrès de Tours ». Et inversement, on trouve 200 fois l’expression « avant le congrès de Tours ».
Ce statut de borne chronologique est révélateur du fait que cet événement entraîna un choix pour les militants, c’est-à-dire aller à la SFIC ou à la SFIO. Il semble ainsi représenter une rupture décisive.

Sur le long terme, pourtant, la suite de l’histoire ne fut pas si simple. Bien des militants changèrent de parti par la suite ; d’autres furent exclus de l’un ou de l’autre (il faut dire que ces partis changèrent d’orientation et de fonctionnement, surtout le PC à partir de la bolchevisation de 1924). Certains cherchèrent aussi à rétablir l’unité, par exemple avec l’Union socialiste communiste (emmenée par Paul Louis).
Le Congrès de Tours n’était qu’une étape dans les parcours militants, comme dans l’histoire des courants socialistes et communistes.

Par Julien Chuzeville

Un siècle après, le Congrès de Tours dans le Maitron
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