DUTILLEUL Mounette, Andrée [épouse BAYER puis épouse NICOLAS]

Par Jean Maitron, Claude Pennetier

Née le 1er mars 1910 à Paris (XVIIIe arr.), morte le 19 septembre 1996 ; sténodactylographe ; militante communiste, permanente de la commission des cadres, membre du comité central (1945-1950).

Née sur la Butte Montmartre, Mounette Dutilleul était la fille aînée du militant libertaire puis communiste Émile Dutilleul. Celui-ci, originaire du Nord (Douaisis), vint à Paris en 1905 et fréquenta alors les milieux anarchistes individualistes et, parfois, illégalistes. Il avait épousé à Douai, en 1908, la fille de Sébastien Broutchoux (frère de Benoît Broutchoux). Mounette vécut ses toutes premières années entourée de militants anarchistes et, selon son témoignage, Callemin* (dit « Raymond la Science ») la conduisait à l’occasion au square Saint-Pierre et lui donnait le biberon. Son père ayant rompu avec ces milieux vers 1911 lorsque se constitua la « bande à Bonnot », Mounette ne fut, en aucune façon, influencée par eux. Elle vécut les années de la guerre à Paris, jouant avec les enfants du quartier, suivit les cours de la Communale et, bonne élève, obtint le Certificat d’études primaires avec la mention « Très bien » puis fut admise première au concours d’entrée à l’EPS Edgard Quinet. Son père veillait à son éducation artistique : elle apprit le violon, la danse classique, chanta dans la chorale populaire d’Albert Doyen au Trocadéro, fréquenta les théâtres et les musées. À l’âge de quinze ans, Mounette fut reçue au Brevet d’enseignement primaire supérieur (BEPS). Elle fit une année de préparation à l’entrée à l’École normale d’instituteurs et passa la 1re partie du brevet supérieur. Mais, depuis 1924, Émile Dutilleul se consacrait à plein-temps à ses fonctions de secrétaire général du Secours ouvrier international (SOI) et à ses activités communistes. Les revenus de la famille ayant baissé, elle dut abandonner ses études pour permettre à sa sœur d’en entreprendre à son tour. Profondément marquée par cet abandon forcé, elle renonça à regret à son ambition de devenir professeur d’histoire.

Devenue sténo-dactylo, Mounette Dutilleul commença à travailler en septembre 1927 à la Banque ouvrière et paysanne (600 F par mois) jusque février-mars 1928 et se syndiqua alors au syndicat unitaire des employés de banque. De mars 1928 à avril 1929, elle fut employée chez Schloss, commission-exportation pour l’Amérique comme sténo-dactylo français-anglais, puis d’avril à août 1929 à la Royal Bank of Canada (1 150 à 1 500 F par mois). Elle fit sa première demande d’adhésion au Parti communiste cette année-là, mais elle ne sera effective qu’en 1931.

Elle épousa en août 1929 Aloys Bayer, un électricien allemand, fils d’Otto Bayer, greffier retraité à Cologne et de Catherine Drolshagen, tous deux très catholiques (ce qui les opposera plus tard au régime hitlérien, disait-elle dans son autobiographie du 15 décembre 1937). Adhérent du PC allemand depuis 1927, responsable du SOI en 1930, Bayer représenta cette organisation à Moscou. Plus tard, en 1937, il travaillera dans l’appareil de diffusion de la littérature illégale destinée à la zone franquiste et se rendra en Espagne. Mounette Dutilleul eut une fille, Hélène (Hélène Nicolas), le 3 septembre 1936. Son mari fut, avec son père, à l’origine, par des discussions, de sa culture politique. Elle cessa de travailler après son mariage et suivit des cours d’anglais, de français et d’histoire. Ils partirent tous deux au printemps 1930 à Berlin puis, en août, se rendirent à Moscou où jusque mars 1931 elle travailla comme dactylo française au Komintern, faisant des traductions d’anglais. Elle fut candidate aux Komsomols, parrainée par Raymond Guyot et participa à deux ou trois cours à l’école léniniste et à cinq ou six d’économie politique à l’hôtel Lux.

Revenue en France à la fin mars 1931, elle adhéra officiellement au PC et milita dans une cellule du XVIIIe arr. Plus tard, affectée à la cellule du quai de Valmy dans le Xe arr., elle en devint secrétaire et membre du comité de section. En 1931-1932, elle participa au mouvement des chômeurs du XVIIIe avec Montjauvis* et Henri Raynaud*, surtout à la fin septembre 1931 lorsque, après un travail à mi-temps à la Fédération des métaux, elle fut sans travail.

Le séjour de son mari étant menacé, celui-ci quitta la France (sur le conseil de Duisabou*) et elle le rejoignit au printemps 1932 à Berlin. Disponible, car ayant conservé sa nationalité, elle était en possession d’un passeport français, elle effectua deux voyages en France, envoyée pour l’un par Willy Munzenberg afin d’y lancer une campagne pour la libération d’un militant chinois (Huan Ping ?). Adhérente au KPD, elle ne pouvait guère militer en Allemagne, cependant elle participa aux grèves du métro de Berlin en 1932 et à des manifestations de femmes contre la vie chère. Elle gagnait sa vie en faisant des traductions soit pour des personnes privées, soit pour la presse communiste : pour Imprekorr (avec « Julius »), pour la Correspondance syndicale internationale (avec Claude Calzan). Elle tint un cours de français à l’Université ouvrière de Berlin. Elle correspondait par ailleurs avec L’Ouvrière.

L’arrivée au pouvoir d’Hitler l’obligea à quitter l’Allemagne précipitamment, Dimitrov qui s’occupait de la Ligue contre l’Impérialisme lui demandant de mettre des papiers à l’abri. Fin mars 1933, elle était de retour à Paris. Elle suivit une école de cellule animée par Pierre Villon* D’avril à juin, elle était secrétaire au journal Regards et en juillet-août au CDLP (avec Bensan). Elle participa certes aux journées des 9-12 février 1934 mais son activité publique de parti fut ralentie par son travail de liaison avec les illégaux qui fut prédominant d’août 1933 à août 1935. Elle travailla d’abord à la Correspondance syndicale internationale où elle devait remplacer Calzan. Elle assurait un travail de dactylo, de traductions (anglais, allemand, à la rigueur espagnol et italien), de mise en pages, de correction et même de réécriture d’articles rédigés en mauvais français. Elle était en liaison avec des responsables étrangers, en particulier Polonais, tels que Romer (ou René) de l’ISR, Mareck (pseudos : Jules ou Leblanc, en fait Michel Feintuch), Léon Harry (Robinson Henri).

Elle avait été priée de « ne pas militer ouvertement » dans le PC. D’août 1935 à août 1936, elle fut secrétaire de Gaston Monmousseau alors secrétaire du bureau européen de l’ISR (bureau qui sera liquidé en été 1936). Elle accoucha le 3 septembre. Elle travailla à partir du 15 octobre chez Bunuel, pour organisme de propagande par le film pour l’Espagne.

L’autobiographie du 15 décembre 1937 permet de connaître l’étendue des lectures théoriques de Mounette Dutilleul car, outre les traditionnels textes de Marx, Engels, Lénine et Staline, elle mentionne trois fois Boukharine dont Le Matérialisme historique a été sérieusement étudié et les Principes d’économie politique de Lapidus. Elle lisait, chaque jour, l’Humanité, Le Populaire, L’Œuvre et, en plus des revues théoriques du parti, la revue austro-marxiste Der Kampf d’Otto Bauer. Mais elle a toujours tenu à mentionner, en réponse à la question rituelle sur le nom des parents ou corps étrangers au parti : son oncle Benoit Broutchoux, son cousin doriotiste Pierre Dutilleul et, après la guerre, André Seigneur (mari de la sœur Lily ?...). Également, en septembre 1949, relevons cette remarque sur les opinions de sa mère : « n’agirait pas contre le parti, tout au moins consciemment ».

En 1937, elle entra à la Commission des cadres où, secrétaire de Maurice Tréand, elle travailla avec Arthur Dallidet auquel elle se lia. Legros (Tréand) portait sur elle un jugement très favorable montrant l’étendue de ses capacités : « très dévouée, sûre, attachée au parti, très attachée au travail des cadres qui a été une révélation pour elle ». Tâche énorme puisqu’elle recevait tout le courrier, l’enregistrait, le répartissait dans les différents services, expédiait chaque jour les affaires courantes, recevant les coups de téléphone et prenant tous les rendez-vous, écrivait les projets de lettres et tenait toutes les archives centrales des cadres (mais, précisait Tréand), « excepté les affaires délicate ou secrète qui sont enfermés dans un grand coffre-fort dont seul je possède les clefs ». Selon Tréand, Mounette Dutilleul lui aurait alors indiqué que, mariée à un allemand, le parti pourrait peut-être n’avoir pas toute confiance en elle à cause de ce mariage et qu’elle le quitterait « amicalement à son retour car elle préférait travailler toute entière pour le parti ».

Elle procéda alors à la mise en place des « planques » pour militants et joua un rôle important auprès des Partis communistes illégaux dans leur pays et dont les directions extérieures se trouvaient à Paris.

Lors des menaces de guerre, en septembre 1938 particulièrement, elle déploya une intense activité et participa au déménagement et à la mise en lieu sûr des archives biographiques du Parti. Fin septembre, elle accomplit de nombreuses missions et, début octobre (dans la nuit du 1er au 2 octobre), elle convoya Thorez jusqu’à la frontière belge. Elle fut par la suite un des agents de liaison entre le Centre parisien et Bruxelles. Durant la drôle de guerre, elle se rendit illégalement à Moscou où elle rencontra des militants français et Dimitrov. De retour à Paris, elle fut mêlée — et elle en reste le seul témoin vivant — aux tentatives de contact entre le ministre De Monzie et les dirigeants du PCF. C’est elle qui transmit l’information à Benoît Frachon. Celui-ci rédigea alors avec Georges Politzer et Arthur Dallidet la lettre dite du 6 juin dans laquelle étaient indiquées les propositions du PCF en cas de menace contre Paris (voir Denis Peschanski, « L’été 40 du Parti communiste français », L’Histoire, n° 60, octobre 1983).

Mounette Dutilleul quitta Paris lors de l’arrivée des Allemands et participa, fin juin 1940, dans la banlieue de Limoges à une réunion avec Cadras*, Arthur Dallidet*, Benoît Frachon et Victor Michaut* puis regagna la capitale début août. À partir de novembre, elle aida à la réorganisation du Parti en groupes de trois. Adjointe de Benoît Frachon et d’Arthur Dallidet, elle témoigne de l’opposition de ces responsables à la politique légaliste suivie, entre autres capitales de l’Europe occupée, à Paris durant l’été 1940 par le Parti communiste (démarches pour la reparution légale de l’Humanité, réoccupation des mairies dans la région parisienne). Agent de liaison de la direction puis de Benoît Frachon en particulier, elle fut en contact avec la plupart des responsables communistes présents dans la région parisienne, notamment Jean Catelas* et Gabriel Péri*.

Arrêtée le 15 mai 1941, Mounette Dutilleul fut confrontée le 18 avec Catelas puis avec Péri au commissariat d’Asnières. Ni elle, ni les autres inculpés n’ayant livré sa véritable identité, elle fut condamnée sous le nom de Jeanne Dessart à quatre ans d’emprisonnement, lors du procès Catelas devant la Section spéciale. Elle séjourna dans les prisons de la Petite Roquette, de Fresnes et de Rennes. La police l’identifia moins d’un an plus tard, sans doute en mars 1942 (rapports de la police de Vichy, Arch. Tasca, fondation Feltrinelli, communiqué par D. Peschanski). Elle fut, l’année suivante, déportée à Ravensbrück.

De retour des camps, Mounette Dutilleul participa au congrès du PC tenu à Paris du 26 au 30 juin 1945 et fut élue suppléante du comité central et membre de la Commission centrale de contrôle politique qui comptait six membres. Elle fut réélue au CC à l’issue du congrès de Strasbourg, 25-28 juin 1947. En juin 1948, encore marquée par les épreuves de la déportation, elle refusa, en dépit de la demande de son oncle Léonard, d’intercéder auprès du ministère de la Justice en faveur de Pierre Dutilleul, son cousin, doriotiste condamné à la peine de mort, peine commuée par la suite en cinq années de travaux forcés. Cette même année 1948, au comité central tenu en juillet, elle ne s’associa pas à la condamnation de Tito par le PCF à la suite du Kominform. Pour cette raison, elle ne fut pas réélue en avril 1950, membre du comité central.

Après 1945, elle fut au secrétariat de la Fédération internationale des femmes et à l’Union des Femmes françaises membre du Comité local du XVe arrondissement.

Par la suite, Mounette Dutilleul fut journaliste à la Vie ouvrière. Jusqu’à la mort de Benoît Frachon en août 1975, elle demeura très proche de lui. Selon l’Humanité du 14 mars 1980, elle se prononça pour le soutien à Georges Marchais.

Elle épousa, peu après la Seconde Guerre mondiale, l’architecte Jean Nicolas qui mourut fin juillet-août 1980.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article23561, notice DUTILLEUL Mounette, Andrée [épouse BAYER puis épouse NICOLAS] par Jean Maitron, Claude Pennetier, version mise en ligne le 25 octobre 2008, dernière modification le 20 août 2021.

Par Jean Maitron, Claude Pennetier

SOURCES : Jacques Duclos, Mémoires, tome III, première partie, p. 138-141. — Francis Crémieux et Jacques Estager, Sur le Parti 1939-1940, Temps actuels, 1983. — Guillaume Bourgeois, Communistes et anticommunistes pendant la drôle de guerre, thèse de 3e cycle, Paris X Nanterre, 1983. — Denis Peschanski, « La demande de parution légale de l’Humanité (17 juin 1940-27 août 1940) », Le Mouvement social, n° 113, octobre-décembre 1980. — Denis Peschanski, « L’été 40 du Parti communiste français », L’Histoire, n° 60, octobre 1983. — Entretiens de Jean Maitron avec Mounette Dutilleul et correspondance. — Arch. Komintern, RGASPI, Moscou 495 270 54. — Deux questionnaires pour le CE de l’IC, les 13 août et 29 septembre 1930. — Autobiographie du 15 décembre 1937 ; note de Tréand (1938 ?) ; questionnaire biographique du 23 septembre 1949 (consulté par Claude Pennetier, reporté par René Lemarquis). — Mémoires de Mounette Dutilleul, inédites sur papier mai accessibles sur Internet. — Roger Bourderon, La négociation. Été 1940 : crise au PCF, Syllepse, 2001. — Jean-Pierre Besse, Claude Pennetier, Juin 40. La négociation secrète, Les Éditions de l’Atelier, 2006. — Alain Ruscio, Nous et moi. Grandeurs et servitudes communistes, Éditions Térésias, 2003, p. 105-107.

ICONOGRAPHIE : A. Guérin, La Résistance, tome II, p. 164.

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