VOILQUIN Suzanne, née MONNIER Suzanne

Par Notice revue et complétée par Philippe Régnier

Née le 17 décembre 1801 à Paris, morte à Saint-Mandé (Val-de-Marne) le 24 octobre 1876 ; ouvrière brodeuse ; saint-simonienne.

Suzanne Monnier fréquenta dans son enfance une école religieuse avant de se rapprocher des convictions de son père, un maître-artisan chapelier nommé Raymond Monnier, républicain et disciple des Lumières. Sa personnalité de femme fut marquée par deux expériences cruelles : la mort de sa mère, qui, par pudeur, n’avait pas osé parler de son cancer à un médecin-homme, et son propre abandon, à 20 ans, pour cause de différence de statut social, par un étudiant en médecine dont elle était devenue la compagne. Ouvrière brodeuse, Suzanne se maria en 1825 au charpentier Eugène Voilquin.

Républicains et déçus par l’issue de la révolution de Juillet 1830, tous deux entrèrent en contact avec les saint-simoniens dès l’automne suivant par l’intermédiaire d’ouvriers de l’imprimerie Firmin Didot. Suzanne devint alors l’une des femmes les plus actives du « comité féminin » constitué autour de Claire Bazard*. Au printemps de 1832, refusant l’autorité d’Aglaé Saint-Hilaire*, à ses yeux trop proche de Prosper Enfantin*, elle se joignit à la tentative des femmes saint-simoniennes pour se regrouper autour d’un journal autonome, La Femme libre (qui deviendra La Tribune des femmes). S’imposant bientôt comme l’une des principales collaboratrices de ce périodique et aussi comme l’une de ses codirectrices, elle y appelait à l’union des « femmes privilégiées » avec les « femmes prolétaires » tout en attirant fermement l’attention sur les besoins spécifiques des secondes, notamment en matière d’instruction. C’est à cette époque que Suzanne rendit sa liberté à Voilquin, tombé amoureux d’une jeune saint-simonienne avec laquelle il embarqua pour les États-Unis en avril 1833.

Partie en Egypte en novembre 1834 en compagnie de Alexandre Massol* et de Rogé*, elle se fixa au Vieux-Caire, s’occupant d’abord du linge des apôtres-hommes, puis comme préceptrice des enfants du Dr Dussap, auquel elle servit également d’assistante pendant la peste de 1835, tout en suivant des cours avec l’espoir de devenir sage-femme. En application de la morale d’Enfantin et des rédactrices de La Femme libre, c’est sous son nom de jeune fille et avec les prénoms de ses pères selon la chair (le Dr Alfred Delong) et selon l’esprit (Charles Lambert* et Prosper Enfantin*), qu’elle déclara la naissance, le 19 mai 1836, d’« Alfred Charles Prosper, fils de Jeanne Suzanne Monnier » — lequel mourut le 4 juin suivant. La politique du pacha d’Égypte s’infléchissant dans un sens moins favorable à la coopération avec l’Europe, Suzanne Voilquin regagna la France en septembre-octobre 1836.

En 1837, année où elle publia en feuilleton dans Le Siècle des souvenirs d’Égypte qui constituent le noyau de son livre de 1866, Suzanne Voilquin reprit sa place militante parmi les femmes saint-simoniennes de Paris, obtint son diplôme de sage-femme à la Faculté de médecine de Paris et s’initia à l’homéopathie. Installée à son compte, elle essaya, parallèlement à sa clientèle privée, de fonder une « Association maternelle » en faveur des filles-mères, pour laquelle elle aurait aimé bénéficier du concours d’Enfantin. Elle rêvait alors, plus fondamentalement, d’une « association » exclusivement féminine reposant sur des séances régulières, entretenant des « centres de réunion » et conservant des « archives de femmes » à l’instar des archives constituées par les hommes du mouvement saint-simonien.

La nécessité de subvenir à l’entretien de son vieux père l’amena cependant à choisir de s’exiler à nouveau, en Russie cette fois, dans l’espoir d’y acquérir plus d’aisance. Il faut croire que ce séjour de sept ans (mai 1839-juin 1846) n’aboutit pas au résultat escompté, puisqu’à son retour, Suzanne dut reprendre son métier dans le Marais, non sans repartir au combat, dès janvier 1847, en projetant une « Maison centrale pour le louage des nourrices » et, en mars 1848, en écrivant dans La Voix des femmes et en pétitionnant pour réclamer du Gouvernement provisoire la fonctionnarisation des sages-femmes. Son action sous la Deuxième République n’alla pas au-delà : aurait-elle prévenu par un nouvel exil des poursuites consécutives aux journées de Juin ? Le fait est qu’appelée en Louisianne au chevet de sa sœur gravement malade, elle se rendit aux États-Unis dans le courant de la même année 1848 en y emmenant son père et sa nièce.

La trace de Suzanne Voilquin ne se retrouve qu’en 1859, en France, alors qu’elle achète un terrain à bâtir à Saint-Maur, en vue de s’y retirer, non loin de la maison de Vinçard aîné*. Mais des raisons inconnues l’amenèrent, en octobre 1860, à réembarquer pour la Louisiane. Elle en revint en 1864 au plus tard. Enfantin et Arlès-Dufour lui firent alors une rente pour l’aider à entrer dans la maison de retraite de Sainte-Perrine (à Auteuil). Affaiblie et souffrante, Suzanne Voilquin paraît avoir dès lors eu pour souci principal de léguer à la postérité la mémoire de ses combats : c’est entre 1865 et 1876 qu’elle rédigea ses souvenirs et confia à Gauny* les papiers qu’elle avait archivés.

Suzanne Voilquin mourut à Saint Mandé, dans la clinique du docteur Brierre de Boismont, le 24 octobre 1876. Le premier déclarant était Antoine Louis Boissy, fabricant de cartonnages, poète et saint-simonien.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article24365, notice VOILQUIN Suzanne, née MONNIER Suzanne par Notice revue et complétée par Philippe Régnier , version mise en ligne le 27 janvier 2009, dernière modification le 13 février 2022.

Par Notice revue et complétée par Philippe Régnier

ŒUVRE : Souvenirs d’une fille du peuple, ou la Saint-Simonienne en Égypte, 1834 à 1836, Paris, Sauzet, 1866, 7, 501 p., rééd. par Lydia Elhadad chez François Maspero, 1978. — Mémoires d’une saint-simonienne en Russie, éd. par Maïté Albistur et Daniel Armogathe, Paris, des femmes, 1977.

SOURCE : État-civil de Saint-Mandé, acte de décès n° 241, 1876. — Bibl. Arsenal, Fonds Enfantin, en part. mss. 7 791/14 et 137-139. — Bibl. Mun. Saint-Denis, Fonds Gauny. — Bibl. Marguerite Durand. — Jehan d’Ivray, L’Aventure saint-simonienne et les femmes, Paris, 1924. — Philippe Régnier, Les Saint-simoniens en Égypte (1833-1851), Le Caire, Banque de l’Union Européenne-Amin F. Abdelnour, 1989. – Notes de Daniel Chérouvrier.

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