PROT Louis, Victor

Par Yves le Maner

Né le 28 juin 1889 à Tonnerre (Yonne), mort le 19 octobre 1972 à Longueau (Somme) ; cheminot mécanicien ; militant communiste et syndicaliste de la Somme ; député (1936-1940, 1945-1958).

[Assemblée nationale, Notices et portraits, 1936]

Fils d’un manouvrier, Louis Prot, ouvrier paveur dans l’Yonne devint mécanicien aux chemins de fer à Tonnerre puis à la Compagnie des chemins de fer du Nord à partir de 1912, adhéra à la CGT en 1916 et fonda, en 1917, le syndicat des cheminots de l’important centre ferroviaire de Longueau, dont il demeura le dirigeant pendant plusieurs années et qu’il affilia à la CGTU dès sa constitution. Élu en 1923 délégué du personnel auprès de la direction de la Compagnie du Nord, Louis Prot conserva ce poste jusqu’à son élection à la députation en 1936. Il fut délégué au IVe congrès national de la CGTU (Bordeaux, 19 au 20 septembre 1927).

Mais, c’est dans le domaine politique que Louis Prot marqua le mouvement ouvrier de la Somme dans l’entre-deux-guerres, grâce à son caractère direct et énergique pouvant aller jusqu’à la rudesse. Adhérent du Parti communiste depuis 1922, il fut élu conseiller municipal de Longueau en 1925 et fut désigné comme maire. Il fit de cette commune une tête de pont du Parti communiste, bastion qui permit plus tard la conquête de la mairie d’Amiens. Prot fut réélu en 1929 et en 1935, cette fois sans liste concurrente, preuve de sa grande popularité locale. Son succès dans le combat électoral aux échelons supérieurs fut plus long à se dessiner : candidat malheureux aux élections cantonales de 1928 et de 1934, aux élections législatives de 1928 et 1932, Louis Prot, porté par le courant du Front populaire, fut élu député de la 2e circonscription d’Amiens aux élections de 1936, au second tour, avec 10 190 voix contre 8 523 au républicain indépendant Garnier. Secrétaire de l’une des cinq cellules de Longueau, membre du Bureau fédéral de la Somme du PC, il quitta son emploi à ce qui venait de devenir la SNCF pour se consacrer entièrement à son mandat de député et à l’implantation du PC dans la région amiénoise. En 1937, le PC regroupait 4 800 adhérents pour l’ensemble du département de la Somme.

Ayant, avec vingt-six autres députés du groupe communiste à l’Assemblée, maintenu sa fidélité au PC dissous par le gouvernement Daladier dès le début de la guerre, Louis Prot fut arrêté le 8 octobre 1939 et accusé de « reconstitution de ligue dissoute », en l’occurrence, le Groupe ouvrier et paysan français. Déchu de son mandat de député le 21 janvier 1940, il fut condamné le 3 avril 1940 par le 3e Tribunal militaire de Paris à cinq ans de prison, 4 000 francs d’amende et cinq ans de privation de ses droits civiques, pour infraction au décret-loi de septembre 1939.

En 1940, Louis Prot quitta la prison de la Santé à Paris pour être déporté en Algérie, où il fut détenu à Maison-Carrée. Libéré par les troupes anglo-américaines, il fut rapatrié en France en 1944. En URSS, Maurice Thorez, sous le pseudonyme de Jean, fit sur lui une note de synthèse favorable le 20 février 1943 : « Cheminot, élu député en 1936. Dirigeant du syndicat des cheminots et maire, dans le centre le plus important des Chemins de fer du Nord (Longueau). Intelligent et actif. Dévoué. Spécialiste des questions syndicales et revendicatives. Bonne attitude au procès. »

Réélu maire de Longueau, élu conseiller général, poste qu’il conserva jusqu’en 1951, Louis Prot recouvra son mandat de député de la Somme à la première Assemblée constituante (octobre 1945), puis à la seconde (juin 1946), enfin à l’Assemblée nationale (novembre 1946) où il siégea jusqu’en 1958. Il siégea au bureau fédéral de la Somme et fut responsable de l’Amicale des élus. Mais, la vie politique de Louis Prot dans l’après-guerre fut surtout marquée par « l’affaire Prot », dont il fut le personnage central. Celle-ci débuta par un incident apparemment anodin, l’exclusion du PC de Marie-Jeanne Boulanger, amie de Louis Prot et deuxième adjoint au maire de Longueau, mais prit très vite une tout autre ampleur qui en fit un exemple type des nombreux remous qui agitèrent le PCF au début des années cinquante. L’affaire éclata officiellement en avril 1949 (soit plusieurs mois après l’exclusion de M.-J. Boulanger survenue en juillet 1948), lorsque Prot adressa à Maurice Thorez sa démission du Parti communiste. Prot, qui avait décidé de conserver tous ses mandats électoraux, justifiait officiellement son geste par des « raisons d’ordre local » et affirmait rester fidèle à la ligne générale du parti. Analysée initialement comme une querelle de générations » entre Louis Prot et « les jeunes turcs » du PC local (et en particulier René Lamps, ancien instituteur, membre du Comité central et futur maire d’Amiens), « l’affaire » prit une toute autre envergure et une toute autre signification lorsque Prot dévoila en public des événements relevant du droit commun : il accusa certains dirigeants locaux du PC d’être au centre d’une affaire de mœurs et de détournement de fonds et, en particulier, de l’accaparement de six millions de francs provenant d’un « coup » réalisé le 22 juin 1944 contre la Banque de France d’Abbeville, sous le couvert de la Résistance. La gravité de ces accusations et leurs conséquences juridiques nécessitèrent la réunion exceptionnelle du Bureau politique du PC en mai 1949 et l’intervention personnelle de Maurice Thorez : une commission d’enquête fut désignée, comprenant Waldeck Rochet*, Roucaute et sept militants de la Somme choisis en accord avec Louis Prot. La commission rendit ses conclusions devant le BP le 27 mai 1949, et Louis Prot fut blâmé. En septembre, une solution de compromis, largement favorable aux thèses de Prot, intervint : réintégration de M.-J. Boulanger avec un blâme de principe, blâme à Louis Prot pour la forme de ses accusations et non pour le fond, avertissement à la Fédération de la Somme pour « avoir enfreint les principes du centralisme démocratique ». Estimant que la « maison était nettoyée », Prot réintégra immédiatement le parti. En 1950, un document de synthèse communiqué par la SMC (commission des cadres à Moscou) ne faisant même plus allusion à cette affaire et rappelait qu’il était membre du comité fédéral, maire et député (RGASPI, 496 270 1940).

Cette affaire fut certainement, de manière indirecte, à l’origine des difficultés graves que le PC connut en matière d’effectifs au début des années cinquante : le nombre des adhérents passa en effet de 11 189 en 1946 à 4 600 en 1952, le nombre des sections passant de 45 à 40, celui des cellules d’entreprise de 53 à 14, et les cellules locales ou rurales de 447 à 156 pour la même période. Cet effondrement incita le BP du parti à envoyer l’écrivain André Stil, membre du Comité central, en mission d’enquête dans le département de la Somme pendant plusieurs semaines de 1952. Stil fit paraître ses conclusions dans France nouvelle. Elles furent sévères : Stil concluait à des fautes graves de la part des dirigeants fédéraux, jugés responsables de « la grande faiblesse des liaisons du parti avec les masses ». Ce rapport fut suivi, de facto, par la mise à l’écart des militants de la Somme de la génération d’avant-guerre : Jean Roguet*, Henri Lenglet* et Louis Prot. Ce dernier demeura pourtant conseiller général jusqu’en 1951 et fut à nouveau candidat aux législatives de 1958, mais cette fois dans la circonscription de Montdidier : il fut battu au second tour par Doublet (Indépendant).

Son nom disparut du comité fédéral communiste de la Somme en 1964. Louis Prot conserva son mandat de maire de Longueau jusqu’en 1966, date à laquelle il démissionna, pour prendre sa retraite politique à l’âge de soixante-dix sept ans. Louis Prot ne pouvait mourir qu’à Longueau, son « fief » de toujours ; il s’y éteignit à l’âge de quatre-vingt-trois ans.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article7784, notice PROT Louis, Victor par Yves le Maner, version mise en ligne le 30 juin 2008, dernière modification le 22 juillet 2022.

Par Yves le Maner

[Assemblée nationale, Notices et portraits, 1936]

SOURCES : RGASPI, Moscou : 495 270 1940 (consulté par Claude Pennetier). — Arch. comité national du PCF, comité fédéraux. — Arch. Nat. F7/13118 et 13130. — Arch. Dép. Somme, M 90367, Z 691 (Le Travailleur de Somme et Oise), 29 septembre-5 octobre 1934 et 20-26 février 1937). — Arch. Dép. Gironde, 1 M 577. — Cahiers du bolchevisme, 15 mai 1936. — Le Monde, 28-29 avril, 14 et 29-30 mai 1949, 27 décembre 1952, 21 octobre 1972. — L’Humanité, 20 juillet et 9 septembre 1949. — Rens. mairie Longueau. — Rens. de Maryse Berger.

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