GUILBERT Madeleine [née GAZUT Madeleine]

Par Marie-Hélène Zylberberg-Hocquard

Née le 4 octobre 1910 à Deneuille-les-Mines (Allier), morte le 17 mars 2006 à Rognes (Bouches-du-Rhône) ; sociologue du travail ; engagée auprès de la CGT ; militante communiste.

Fille d’instituteurs, Madeleine disait de son père, un laïque proche du radicalisme, que « son anticléricalisme lui servait de ligne politique ».

Madeleine Gazut fit des études secondaires à Montluçon (Allier), puis à Moulins (Allier) ; elle obtint une licence de philosophie à Paris, et adhéra alors aux Jeunesses Socialistes.

Elle passa une partie de la guerre à Marseille, où son époux, le linguiste et syndicaliste, Louis Guilbert, avait été nommé professeur. Il entra en 1943 au Parti communiste, elle en devint membre, à son tour, après la Libération.

En 1946, elle fut chargée de mission au Centre d’études et statistiques du ministère du Travail et de la Sécurité Sociale. Ambroise Croizat, ministre communiste, encouragea les études qu’elle entreprit sur le travail salarié des femmes, alors à l’ordre du jour, du fait des besoins de la Reconstruction. Elle publia dans La Revue Française du Travail trois articles novateurs (numéros 8, 9 et 18, 1946 et 1947). Pour la première fois en France, était exposée et commentée, à travers les recensements successifs depuis 1866, l’évolution en nombre et en pourcentage, de la participation des femmes dans les différentes branches industrielles et étaient évoqués les problèmes que les ouvrières rencontraient dans les syndicats. À la demande du ministre, elle entreprit ensuite une enquête destinée à attirer l’attention des représentants du personnel des comités d’entreprise sur les possibilités que leur offrait désormais la loi dans le domaine économique. Non reconduite dans son poste de chargée de mission après le départ d’Ambroise Croizat, elle vint, à la demande de celui-ci, travailler à la CGT où elle contribua, en tant que secrétaire de rédaction, à la création de la Revue des Comités d’entreprise.

Désireuse de poursuivre au CNRS ses études sur le travail des femmes, elle élabora un projet qui, dans le cadre des premiers développements de la sociologie du travail, intéressa Georges Friedmann. Elle entra en 1950 au CNRS. Après une tentative, non aboutie, aux usines Renault, où elle cherchait à donner la parole aux ouvrières, elle entreprit avec Viviane Isambert-Jamati une recherche auprès des travailleuses à domicile dans la confection de la Région parisienne. Ces femmes s’efforçaient alors de concilier un travail salarié parfois très dur, et une conception traditionnelle, encore très répandue, de leur rôle d’épouse au foyer.

Par la suite, Madeleine Guilbert se consacra à sa thèse principale Les fonctions des femmes dans l’industrie, et à sa thèse complémentaire, devenue un ouvrage de référence, Les femmes et l’organisation syndicale jusqu’en 1914. Cette dernière, sous la direction d’Ernest Labrousse, s’appuyait sur une analyse des congrès fédéraux et confédéraux, sur un dépouillement de la presse syndicale et d’une partie de la presse politique, ainsi que sur des documents de l’Office du Travail. Pour sa thèse principale (directeur Georges Gurvitch), elle étudia sur place, dans les ateliers, le travail d’un important échantillon représentatif de l’emploi des femmes dans l’industrie métallurgique, suivant, à dessein, le schéma classique des études de postes (contenu de la tâche, rythmes, contraintes). Le constat qui se dégagea de cette étude était sans équivoque. Il existait bien des spécificités communes aux travaux spécialement réservés aux femmes dans l’industrie, spécificités confirmées par le discours patronal. Madeleine Guilbert estima avoir, par cette étude, sorti de l’ombre un secteur négligé de la sociologie du travail : celui concernant l’emploi féminin. Elle avait ainsi ouvert la voie à de nombreuses recherches.

Elle conduisit également les premières recherches sur les modes de recrutement de la main-d’œuvre ; et, le plus souvent en collaboration avec Nicole Lowit et Joseph Creusen, elle entreprit une série d’études sur les « budgets-temps » : s’intéressant aux problèmes de méthode en premier lieu, puis conduisant une analyse comparative des budgets-temps hommes/femmes exerçant une profession. Toujours en collaboration, elle réalisa la première étude parue en France sur les toutes nouvelles entreprises de travail temporaire, alors en pleine croissance, et mit en lumière les problèmes qu’elles posaient.

Divorcée, elle fut professeure de sociologie à la nouvelle université de Tours (Indre-et-Loire), de 1969 à 1979. Elle fut membre du Comité national du CNRS comme élue syndicale (durant deux sessions successives), membre du Comité du travail féminin depuis sa création (1965) jusqu’à 1981, responsable de diverses commissions, notamment sur l’égalité des salaires masculins et féminins, et membre de la Commission de la main-d’œuvre du Ve plan.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article88329, notice GUILBERT Madeleine [née GAZUT Madeleine] par Marie-Hélène Zylberberg-Hocquard, version mise en ligne le 25 juin 2010, dernière modification le 12 octobre 2022.

Par Marie-Hélène Zylberberg-Hocquard

ŒUVRE : Madeleine Guilbert, Viviane Isambert-Jamati, Travail féminin et travail à domicile, Travaux du Centre d’Études Sociologiques, Publication du CNRS, 1956. — Madeleine Guilbert, Les femmes et l’organisation syndicale avant 1914, (Présentation et commentaire de documents pour une étude du syndicalisme féminin), CNRS, La Haye, Paris, Mouton, 1966. — Madeleine Guilbert, Les fonctions des femmes dans l’industrie, CNRS, La Haye/Paris, Mouton, 1966.
Dans La Revue Française de Sociologie :
Articles sur les modes de recrutement du personnel, (1962 et 1964)
Articles sur les budgets-temps, en collaboration avec N. Lowit et J. Cresen, (1965 et 1966).
Madeleine Guilbert, Nicole Lowit, Joseph. Cresen, Le travail temporaire, Recherche effectuée pour le Fond National de l’Emploi, Centre d’Études Sociologiques, CNRS, 1970. —
Madeleine Guilbert, Nicole Lowit, Marie-Hélène Zylberberg-Hocquard, Travail et condition féminine, Biographie commentée, Paris, Éditions de la Courtille, 1977.
Les notices écrites par Madeleine Guilbert dans le Maitron.

SOURCES : Entretien de Madeleine Guilbert avec Margaret Maruani et Chantal Rogerat, Travail, Genre et Sociétés, numéro 1, avril 1999. — Rencontre de Madeleine Guilbert et Marie-Hélène Zylberberg-Hocquard, Aix, juin 2001. — Le Monde, 25 mars 2006 : annonce de décès "professeur honoraire à l’université de Tours, ancienne présidente déléguée de l’Association France-URSS".

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