Par Claude Pennetier
Né le 3 avril 1895 à Pantin (Seine), mort le 17 avril 1968 à Paris ; avocat, journaliste, directeur de L’Aurore ; maire de Saint-Amand-Montrond (Cher) ; député socialiste SFIO du Cher.
Robert Lazurick était issu d’une famille juive russo-polonaise. Sur son acte de naissance, ses parents étaient qualifiés « marchands d’étoffe ». Il adhéra aux Jeunesses socialistes en 1910 et fut dès 1913 secrétaire de la 3e section de Paris. C’est à cette époque que, jeune étudiant en droit, il entra en contact avec l’avocat socialiste Pierre Laval et se lia avec lui.
Mobilisé en 1914, il fut incorporé au 4e régiment d’infanterie et fit un stage au Centre d’instruction des mitrailleurs de Bourges (Cher). Il affirma par la suite qu’il était alors hostile à l’Union sacrée. Selon des articles de presse, il aurait été blessé à l’armée d’Orient et aurait fini son temps au ministère de la Guerre. En 1919, il adhéra aux Étudiants socialistes révolutionnaires, obtint sa licence en droit, fut avocat stagiaire chez Henry Torrès et s’inscrivit, en février 1921, au Barreau de Paris. Membre du Parti socialiste en 1919, il adhéra au Parti communiste après le congrès de Tours (décembre 1920). En mars 1922, Lazurick participa à cinq réunions publiques organisées par la Fédération communiste du Cher. Il quitta le PC en janvier 1923 avec L.-O. Frossard, mais, contrairement à ce qui fut écrit alors dans la presse, il n’était pas encore franc-maçon. C’est L.-O. Frossard qui présenta sa demande d’admission à la Loge « l’Internationale » de Paris en novembre 1926. Il fut initié le 9 mars 1927.
Robert Lazurick fut candidat aux élections législatives du 11 mai 1924 sur la liste d’Unité socialiste et ouvrière de la 3e circonscription de la Seine (Sud de Paris) dirigée par Bracke et qui regroupait des socialistes SFIO et des socialistes-communistes. Il recueillit 10 457 voix sur 229 785 inscrits et 201 612 votants. Son adhésion au Parti socialiste SFIO date, semble-t-il, de cette année 1924. C’est en 1924, également, qu’il se maria avec Fernande, Renée Wolff, issue d’une famille riche. Lazurick était devenu le responsable, avec André Guénier, du secrétariat particulier de Pierre Laval. Ainsi, il accompagna ce dernier à Mamers en décembre 1924, pour ramener Joseph Caillaux à Paris et il fit partie de son cabinet lorsque le maire d’Aubervilliers devint ministre des Travaux publics dans le gouvernement Painlevé (avril-octobre 1925). A l’exemple de Laval, Lazurick partit à la conquête d’une municipalité de banlieue à l’occasion des élections de mai 1925. Il dut faire face à une vive campagne de la presse locale qui dénonçait « les procédés de l’arriviste israélite » (Journal du Raincy, n° 6, 1er avril 1925) et du Parti communiste qui écrivait ainsi la biographie de « Bucéphale Lazurick » : « Lazurick est le fils d’un forain interlope qui, par ses aptitudes spéciales dans le « bélide gommerce » sut édifier rapidement une fortune respectable. Dès sa plus tendre enfance, il fit preuve d’un tel orgueil que son paternel comprit qu’il ne pouvait espérer lui laisser sa succession au marché aux puces et qu’il résolut d’en faire un avocat (...) De tempérament frondeur, d’allure insolente, il estimait assez jeune qu’il avait des prédispositions pour militer dans les Jeunesses socialistes. C’est ainsi qu’il devint adhérent de la 3e section, où il se fit remarquer par sa prétention orgueilleuse de vouloir en imposer à tous (...) il manœuvre pour obtenir (en 1919) son transfert à la 13e, terrain plus favorable, pense-t-il, pour y cultiver l’accès au Palais-Bourbon. Démagogue au plus haut point, il feint de se libérer de ses préjugés petits-bourgeois et plaide un des premiers l’adhésion à la IIIe Internationale. » Toujours est-il que la greffe ne prit pas et que, si sa liste fit bonne figure, Lazurick subit un échec personnel. Lazurick étant battu c’est son second sur la liste, Jules Parmentier qui fut élu maire. L’avocat socialiste jugea plus prudent de chercher le succès en province. Une tentative pour s’implanter dans une circonscription du Loir-et-Cher s’avéra sans lendemain. Lazurick se consacra alors au journalisme dans le cadre du quotidien Le Soir avec L.-O. Frossard et à sa profession d’avocat : il bénéficiait de la clientèle du cabinet juridique de Laval mais travaillait aussi pour le Parti communiste. Il fut ainsi avocat de la Banque ouvrière et paysanne (l’Humanité, 24 août 1929), mais dans le même temps il proposait un plan de faillite de l’Humanité à Tardieu.
En 1929, il décida de se constituer un fief électoral dans le sud du Cher. La SFIO était quasi absente. Il prit ses premiers contacts par l’intermédiaire de frères francs-maçons, en particulier de Paul Renaud. En bon journaliste, Lazurick commença par créer un journal Le Réveil socialiste, puis alla démarcher tous les notables réputés de gauche, de l’arrondissement de Saint-Amand-Montrond. Les instituteurs furent particulièrement réceptifs à sa volonté d’action. L’un d’eux, Lucien Coffin, devint son fidèle adjoint. Le premier objectif était de faire un bon score lors des élections législatives de mai 1932. Les communistes, très influents dans le Saint-amandois, l’attaquèrent violemment dans L’Émancipateur. Lazurick se voyait accusé d’appartenir aux « deux cents familles » et qualifié « d’avocat arriviste et millionnaire recherchant le soutien des gros bourgeois dits socialistes ». Lazurick répondait : « Millionnaire, tout le monde sait que, malheureusement pour lui, ce n’est pas vrai. Tout le monde sait qu’issu de la classe ouvrière, il n’a pas fait comme ces parvenus qui renient leur origine. » L’activité débordante qu’il déployait, le faisait craindre : « Il parcourt l’arrondissement de Saint-Amand depuis plus d’un an, il n’y a pas une commune et le plus petit hameau qui n’a pas eu quatre ou cinq visites de l’avocat millionnaire. » Il obtint 17 % des suffrages des électeurs inscrits contre 14,7 % au communiste Jules Bornet, mais il se retira au second tour. Au congrès départemental socialiste de février 1933, Lazurick fut élu secrétaire fédéral en remplacement du néo-socialiste Henri Laudier qui quitta le parti. Il soutint la motion de Vincent Auriol acceptant la participation au pouvoir avec les radicaux-socialistes, mais avec une majorité de ministres SFIO. Cependant, P. Ségoin affirma dans un tract en 1936 que Lazurick désigné au congrès national en 1933 pour « attribuer les 21 mandats de la fédération à la motion de Paul Faure » (pas de participation)... « les attribua à une motion Blumel, rédigée à la dernière heure, et acceptant la participation au gouvernement sans aucune condition ». Lazurick fut élu maire de Saint-Amand en 1935. Il rencontra dans sa circonscription l’hostilité de Henri Vallette qui tenta de lui ravir l’investiture pour les législatives de 1936, et de P. Ségoin qui au nom d’un « groupe d’électeurs ouvriers et socialistes » dénonça « ce faux-frère, membre des deux cents familles » et appela à voter pour le communiste Bornet. Au premier tour, Lazurick le distança de peu de voix (PC 21,1 %, SFIO 22,2 %), il fut élu au second tour. Munichois, il affirma au conseil national de novembre 1938 : « Quant aux accords de Munich, je continue à leur donner mon adhésion »... « Ils ne sont que la suite logique de la politique internationale suivie par le socialisme. »
Pour connaître l’attitude de Robert Lazurick pendant la période difficile de la guerre, nous disposons essentiellement de renseignements qu’il a fournis en 1945 à la commission des conflits du Parti socialiste. Selon son témoignage, il fut « un des rares parlementaires qui n’a même pas voulu envisager l’Armistice ». Il aurait défendu cette position aussi bien à Tours qu’à Bordeaux et aurait même eu une vive altercation avec Pierre Laval dans le cabinet de Frossard. Il prit place le 17 juin 1940 à bord du Massilia à destination de l’Algérie et ne prit pas part au vote du 10 juillet 1940. Revenu par Marseille, il se rendit à Vichy où la police lui signifia un arrêté d’interdiction pour les départements de l’Allier et du Cher sous menace d’internement. Il fut suspendu de ses fonctions de maire. Lazurick se rendit alors à Boussac (Creuse) et trouva refuge chez Albert Rivière, député socialiste de la Creuse, ancien ministre des Colonies dans le premier gouvernement Pétain. Il vécut ensuite à Montauban (Tarn-et-Garonne) où, vers la fin 1941 semble-t-il, un chargé de mission de la France libre prit contact avec lui et lui demanda de l’aider à entrer en relation avec des élus républicains. Au début de l’année 1942, il lui demanda de rédiger et de diffuser un journal « rassemblant les élus qui avaient dit : « non » à l’Armistice et : « non » au coup d’état Pétain-Laval ». Ce fut l’origine de L’Aurore qui vit le jour sans l’aval du Parti socialiste clandestin. Au début de l’année 1944, Daniel Mayer le rencontra à Lyon et lui déclara qu’il cherchait à le joindre depuis plusieurs mois pour lui demander, au nom du Parti socialiste clandestin, des explications sur la nature du journal L’Aurore. « Daniel Mayer, en me signifiant la décision du parti clandestin de ne pas me conserver ma qualité de parlementaire socialiste, m’a déclaré que nul ne mettait en cause ma qualité de résistant, mais, que pour des raisons morales, le comité exécutif n’avait pas cru devoir m’admettre. » La section socialiste SFIO de Saint-Amand, réunie le 8 octobre 1944, déclara « après avoir entendu les explications du camarade Lazurick sur la vie qu’il a menée depuis juin 1940 jusqu’à ce jour, approuve son attitude et lui maintient sa confiance qu’elle lui a accordée depuis 1930 ». Mais, dans le même temps Lazurick n’hésitait pas à dénoncer dans L’Aurore « l’esprit de secte » du Parti socialiste (28 septembre 1944, éditorial). En 1945, la Fédération socialiste du Cher fit appel de la décision d’exclusion et obtint sa réintégration. Lazurick démissionna de la SFIO le 15 février 1946 et se consacra à la direction du quotidien L’Aurore jusqu’à sa mort accidentelle en 1968. Il s’était remarié le 20 septembre 1949 avec Francine Bonitzer (née en 1909), avocate et ancienne collaboratrice du journal La Justice, qui fut co-directrice de L’Aurore. Ils signaient ensemble les éditoriaux sous le nom de Robert Bony.
Socialiste convaincu dans sa jeunesse, Robert Lazurick fut marqué par l’exemple de Pierre Laval, qu’il admirait. Comme lui, il chercha à conquérir un fief électoral tout en disposant d’appuis dans la presse. Sa réussite comme maire de la ville moyenne de Saint-Amand est certaine. Plusieurs décennies plus tard de nombreux habitants gardent le souvenir d’un édile dynamique, entreprenant, qui sortit la capitale du Boischaut de sa torpeur. Si certains s’étonnaient de sa brusque disparition en 1940, Lazurick avait des arguments pour sa défense, il est probable que son retour à la mairie de Saint-Amand aurait été aisé et durable. Mais le Parti socialiste et Lazurick avaient fait d’autres choix. Pour le PS issu de la clandestinité, Lazurick était non seulement un homme formé à l’école de Laval, même s’il n’avait rien de commun avec son évolution politique pendant la guerre, et un fidèle ami de Frossard, homme politique déconsidéré par son soutien au gouvernement de Vichy. De plus, agissant dans la clandestinité pour un regroupement des élus républicains, sans l’aval et encore moins le contrôle de son parti, il représentait un danger réel. Daniel Mayer qui ne croyait guère à l’attachement de Lazurick au socialisme fit preuve d’une grande intransigeance. Quant à l’intéressé, il ne demanda sa réintégration au Parti socialiste que pour le principe et ne tenta pas de reprendre pied dans le Berry. Son ambition était de profiter de l’existence d’un titre né dans la Résistance pour créer un grand quotidien parisien. Son journal, qui s’adressait à un public populaire ou petit-bourgeois, bénéficia du soutien financier du groupe Marcel Boussac (par ailleurs propriétaire de la principale entreprise saint-amandoise). Lazurick y défendit « l’Algérie française » dans les années 1956-1962 sans cependant cesser de se présenter comme un homme de gauche.
Par Claude Pennetier
ŒUVRE : Robert Lazurick a collaboré à de nombreux journaux nationaux : il a été chroniqueur judiciaire de L’Ére nouvelle et de La Volonté, fondateur et membre du comité de rédaction du journal quotidien Le Soir (1925-1932), créateur en 1937 du quotidien La Justice, puis directeur de L’Aurore.
SOURCES : Arch. Dép. Cher, 20 M 46-47, 23 M 278-279. — Arch. OURS. — Arch. Com. Noisy-le-Sec. — Arch. Com. Saint-Amand-Montrond. — Journal du Raincy, n° 6, 1er avril 1925. — L’Aube sociale, mai 1925. — L’Émancipateur. — Le Réveil du Cher. — L’Aurore, 19 avril 1968. — Bulletin intérieur du Parti socialiste, n° 11, février-mars 1946. — M. Ollivier, Un Bolchevick dangereux, op. cit. — Catherine Marx, Biographie d’un groupe politique : l’entourage de Pierre Laval de 1923 à 1940, Mémoire de Maîtrise, Paris X, 1978. — Michel Gaudart de Soulages et Hubert Lamant, Dictionnaire des francs-maçons français, Paris, Albatros, 1980. — Who’s who in France, Lafitte, Paris, 1979-1980. — H. Coston, Dictionnaire de la politique française, op. cit. — Témoignage de J. Roger, ancien secrétaire de la Fédération socialiste du Cher. — État civil de Pantin.