FLOTTE Benjamin [FLOTTE Pierre, Adrien, Louis, Benjamin]

Par Notice reprise et complétée par Michel Cordillot

Né le 23 février 1812 à Cuers (Var), mort le 12 août 1888 ; cuisinier-restaurateur. Organisateur de coopérative de production ; républicain et révolutionnaire d’affinité communiste ; ami et disciple d’Auguste Blanqui.

Ses prénoms varient suivant les sources. Benjamin, toujours, et Pierre, celui de son père, sont les plus réguliers. Le patronyme de Flotte semble assez répandu dans des milieux identiques ou proches : outre son jeune frère, Benoît Flotte, garçon boulanger, qui fut à plusieurs reprises arrêté avec lui : deux boulangers, habitant le même arrondissement, étaient comme lui membres de la Société des Droits de l’Homme : César Flotte et Pierre Flotte, avec toujours, parmi leurs multiples prénoms, celui de Pierre. Nous ne disposons pas d’éléments qui nous permettent d’établir d’autres rapports. Voir ces noms.

Cet homme ouvert, franc, fraternel, mais qui était sujet aux sautes d’humeur misanthropiques, fit son apprentissage de cuisinier chez le restaurateur en vogue Véry où il avait été placé tout jeune. Il participa aux Trois Glorieuses (27-29 juillet 1830) et fut à cet occasion blessé place du Palais-Royal, mais nul ne sait comment il devint véritablement un militant révolutionnaire.

Il semble avoir été membre ou proche de la Société des Amis du Peuple. Il fut membre de la Société des Droits de l’Homme, section Phocion, du IIIe arr., mais ne semble pas avoir été inquiété à la suite des journées insurrectionnelles d’avril 1834. Par contre, demeurant 5, rue de Louvois (IIe arr., ancien et actuel), membre de la Société des Familles, accusé de détention de munitions de guerre, Flotte fut écroué à La Force le 14 septembre 1835. Il fut libéré dès le 2 octobre 1835 (d’après le registre d’écrou) sur décision de la Cour des pairs, où il n’a pourtant pas de dossier particulier en dehors de sa participation à la SDH. Membre de la Société des Saisons, il faisait sans doute partie, comme les frères Bonnefonds, du personnel de cuisine du restaurant Foy, un des lieux de rendez-vous de membres de Saisons. Lié sans doute aussi à Dubosc, il fut accusé de participation aux journées insurrectionnelles de mai 1839, inculpé au procès de la Cour des pairs intenté aux accusés de la deuxième catégorie, mais incarcéré pour d’autres causes, sa remise en liberté fut demandée par le ministère public dès l’ouverture du procès (15 décembre 1839) et il fut relaxé. Il resta cependant en prison, puisque, toujours inculpé de détention illicite d’armes, de poudre et de munitions de guerre, demeurant 6, rue de la Cossonnerie (IVe arr., maintenant Ier), il avait été écroué le 13 juin1839 à La Force pour avoir caché chez lui un tube en fer et des tôles pouvant servir à la fabrication d’un "canon". Les deux autres inculpés dans cette affaire, le tourneur en cuivre Jean Lapierre et le chaudronnier Jean-Baptiste Menellotte avaient été remis en liberté. Chez Vandersippe, voisin de palier de Flotte, la police trouva, entre autres, une Histoire générale de la Bastille, le numéro du 22 mai 1839 du National, et des numéros de L’Intelligence. Son écrou à La Force fut renouvelé à l’issue du procès, le 11 janvier 1840, et il fut condamné à 2 ans de prison plus 2 ans de surveillance, le 3 avril 1840 par le tribunal correctionnel de la Seine, et transféré au dépôt des condamnés (?) sur ordre du préfet, le 27 juin 1840. Il y a des variantes : on lit aussi qu’il avait été arrêté au domicile du serrurier Gendry alors qu’il prenait livraison du « canon » précité ; un linge, note la police, portait les initiales « L. B » d’une fille avec laquelle vivait Flotte ; enfin c’est à deux ans de prison, 25 francs d’amende et 5 ans de surveillance que Flotte aurait été condamné en avril 1840.

Il fut transféré à la maison centrale de Doullens où il retrouva les condamnés du procès de la « machine infernale de la rue Montpensier » dont Pierre Béraud, ainsi que Thomas et Levayer. À Doullens, où il arriva le 10 juillet, il ne participa pas à l’évasion collective du 13 septembre 1840, mais par contre signa la pétition pour Lombard du 10 octobre 1840. Il fut transféré avec Béraud, A. Huber, Bordon et Nouguès au Mont-Saint-Michel, où ils arrivèrent le 28 février 1841. Au Mont, il subit comme les autres les pires répression, mais put aider quelque temps Bordon, qui devenait fou, à conserver la raison en lui apprenant la cuisine. Après avoir pu maîtriser ses nefs quelques temps, Flotte se révolta, brisa ses grilles et la cloison qui le séparait de Quignot... Au Mont, au cours des différents qui opposaient les partisans de Barbès à ceux de Blanqui, il était toujours avec ces derniers. Il fut libéré pour Orléans le 2 avril 1842.

À partir de l’été 1844 et pour près d’une année, Benjamin Flotte a été, avec Victor Bouton, l’un des rédacteurs d’un périodique extrêmement original, La Table, qui était à la fois un journal gastronomique classique et l’organe de la corporation des cuisiniers, dénonçant les pratiques scandaleuses des bureaux de placement de la profession et les conditions faites aux cuisiniers dans certains établissements. Avec un nommé Simon, tous deux publièrent La table à Paris. Mystères des restaurants, cafés et comestibles. Promenade d’un friand à travers les rues de la capitale, Paris, Victor Bouton, 1845, 72 p.

En 1845, Flotte était administrateur élu au premier conseil de la « Compagnie des Industries unies », société en commandite pour la formation de coopératives de production. Cuisinier-restaurateur, il habitait, 43, rue Saint-Denis, à Paris (IVe arr., maintenant Ier).

Membre de la société des Nouvelles Saisons. En 1847, il conçut avec Lacambre et quelques autres le projet de prendre les Tuileries d’assaut, puis réorganisa un groupe de militants avec pour but de renverser le gouvernement. Mais la police ayant été alertée par une explosion survenue dans un atelier de fabrications de bombes, le mouvement fut démantelé et Flotte écopa en octobre 1847 d’une nouvelle condamnation à 15 mois de prison.

Libéré au lendemain du 24 février, il participait le 17 mars à la manifestation aux côtés de Blanqui. La révolution de 1848 le mit en vedette à la fois sur le plan professionnel et sur le plan politique. C’est chez lui, rue Boucher (IVe arr., maintenant Ier), que Blanqui habitait, et c’est là qu’était le secrétariat de la Société républicaine centrale. Président honoraire du « club de la barrière du Maine » (ou club des cuisiniers), il était également franc-maçon.
Au printemps 1848, Benjamin Flotte fut l’un des élus de la corporation des cuisiniers au Luxembourg. Il fut sans doute le rédacteur et en tout cas premier signataire, avec Pierre Bonnefond, Eugène Saint-Aignan et Sosthène Driard, de la Pétition des cuisiniers et pâtissiers aux membres de la commission du gouvernement pour l’organisation du travail.
Et, d’autre part, il géra la trésorerie de la Société républicaine centrale de Blanqui. En avril, il fut candidat pour la Constituante sur la liste du Luxembourg, sur la base d’une profession de foi rédigée par Blanqui. Bien qu’ayant recueilli 31 517 voix, il ne fut pas élu.

Flotte joua un rôle important dans la journée du 15 mai en faveur de la Pologne. Il comparut devant la Haute Cour de Bourges. Le 5 avril 1849, il était condamné à cinq ans de détention. À la dernière audience, il prit à partie Barbès qui avait tiré argument contre Blanqui du document Taschereau. « Vous vous êtes déshonoré aujourd’hui, citoyen ! » Il fit de même afficher sur les murs de Paris un placard in-folio intitulé Les calomniateurs démasqués. Protestation du citoyen B. Flotte, accusé devant la Haute Cour de justice séant à Bourges, dans lequel il dénonçait les machinations des membres du gouvernement provisoire et s’expliquait sur sa décision de ne pas se défendre.

Après avoir purgé sa peine à Doullens puis au pénitencier de Belle-Île qu’il quitta en 1854, il opta pour partir aux États-Unis. Il s’installa à San Francisco, où il exerça ses talents de cuisinier. Il y connut un franc succès et, en 1870, son hôtel-restaurant était « de gros rapport ». Pourtant, lorsque Blanqui, jugeant l’Empire à l’agonie, lança le signal du ralliement de ses troupes, Flotte n’hésita pas un instant (tout comme sans doute Casimir Bouis, autre blanquiste varois également parti aux États-Unis). Cédant sa maison à son neveu, il rentra à Paris peu avant la guerre franco-prussienne. Il se précipita chez Mme Antoine pour y retrouver le « Vieux » ; mais alors qu’il s’attendait à une chaude étreinte il fut accueilli assez froidement par Blanqui, qui lui tendit la main sans même se lever. Sans doute tenait-il rigueur à son compagnon d’avoir peu donné de nouvelles au cours d’une trop longue absence considérée comme une désertion dans la lutte.

Cela n’empêcha pas Flotte de reprendre sa place dans le mouvement révolutionnaire. Selon Zévaès, il aurait participé à la tentative de coup de main contre la caserne des pompiers de La Villette le 14 août 1870. Après le 4 septembre, il fut un des rédacteurs du journal de Blanqui, La Patrie en danger, 7 septembre-8 décembre 1870.

En tant que délégué des vingt arrondissements, il fut un des signataires de l’Affiche rouge du 6 janvier 1871, proclamation au peuple de Paris pour dénoncer « la trahison » du gouvernement du 4 septembre et pour mettre en avant trois mots d’ordre : Réquisition générale, rationnement gratuit, attaque en masse. Elle se terminait par ces mots : « Place au peuple ! Place à la Commune ! » Voir Ansel. Flotte fut au nombre des 43 socialistes révolutionnaires présentés aux élections du 8 février par l’Internationale, la Chambre fédérale des sociétés ouvrières et la Délégation des vingt arrondissements de Paris. Il ne fut pas élu.

Après le Siège, le 12 février, Flotte avait quitté Paris pour Cuers, dans le Var, où l’appelaient ses affaires. Le 27 mars, il reçut une lettre de Tridon le rappelant et, 48 heures plus tard, il était à Paris.

Le 6 avril, sur l’insistance de Tridon, Flotte se chargeait de négocier avec Versailles ; le 9, Rigault lui donnait mission d’aller voir l’archevêque prisonnier à Mazas, et lui remettait un laisser-passer. Flotte se rendit à la prison et offrit à Mgr Darboy, en échange de la libération de Blanqui, celle de l’archevêque, de son grand vicaire, du président Bonjean, de l’abbé Deguerry curé de la Madeleine. L’archevêque suggéra de choisir ce dernier comme porteur de la lettre qu’il destinait à Thiers, mais Rigault refusa de se dessaisir d’un otage aussi précieux. Flotte servant toujours d’intermédiaire, l’archevêque désigna pour messager l’abbé Lagarde. Flotte l’alla prendre à Mazas, le laissa parler librement à son supérieur et le conduisit à la gare de Lyon ; l’abbé Lagarde promit de revenir ... mais il écrivit dans les jours suivants à Flotte et à Mgr Darboy qu’il lui fallait attendre. Flotte rendait à Mazas des visites quotidiennes. Le 23, l’archevêque envoya au grand vicaire l’ordre de rentrer à Paris, mais l’abbé Lagarde resta à Versailles.

Le 28 avril, Mgr Darboy manda Flotte et lui dit l’intervention en faveur de Blanqui de l’ambassadeur américain Washburne, du nonce du pape, du maire de Londres. Flotte s’étant proposé pour continuer la négociation, Beslay l’envoya à un prêtre breton de ses amis qui le fit introduire auprès de Thiers. Le 12 mai, Flotte se rendait à Versailles ; le 13, il vit le chef du gouvernement qui refusa de croire au danger pour les otages et, le 14, lui opposa un refus absolu ; Thiers ne voulait pas donner un chef à la révolution parisienne, disait-il. Flotte a raconté l’échec de ses négociations entre Versailles et la Commune pour l’échange de l’archevêque de Paris contre Blanqui dans une brochure très intéressante : Blanqui et les otages en 1871, documents historiques, Paris, impr. de Jeannette, 1885, in-8°, 31 pp. (Bibl. Nat., 8° Lb 57/8743).

Après la Semaine sanglante, protégé par sa nationalité américaine, Flotte put quitter la France sans être inquiété. Il passa par Londres, où il laissa en dépôt à Édouard Vaillant le manuscrit de son opuscule sur la question des otages (lequel ne fut publié que 14 ans plus tard). Début octobre 1872, il était de passage à New York, comme en témoigne la publication par Le Socialiste d’une lettre signée F. Benjamin (sic), dans laquelle Gambetta était sévèrement pris à parti pour avoir « demandé la tête de Blanqui » (Le Socialiste, 6 octobre 1872). Début décembre, il était de nouveau à San Francisco, participant à la souscription en faveur des veuves et des orphelins des combattants de la Commune et dénonçant avec véhémence l’envoi de fonds à Greppo, qu’il considérait comme un traître par suite d’un malentendu.

Flotte jouissait d’un grand prestige au sein de la section locale de l’AIT, qu’il contribua à gagner aux idées blanquistes, agissant probablement de concert avec ses amis new yorkais qui s’efforçaient de prendre le contrôle de l’AIT à partir des sections francophones.

Lorsque l’évasion de Henri Rochefort et de ses cinq compagnons des bagnes de Nouvelle Calédonie fut connue et leur arrivée à San Francisco annoncée, Flotte fut élu le 16 avril 1874 président de la commission chargée d’organiser leur accueil et de collecter des fonds pour leur permettre de poursuivre leur route vers l’Europe via New York. Il fit à ce titre à Jourde et à Grousset le « plus fraternel accueil ».

Durant toutes ces années, Flotte garda le contact avec les blanquistes new yorkais. Ainsi, le 30 mars 1876, lors de la réunion extraordinaire de la société des réfugiés de la Commune qui se tint à Husch’s Hall, à New York, pour statuer sur la proposition d’exclusion définitive des frères Gustave May et Élie May, Jules Thomas donna lecture d’une lettre de Flotte très sévère à leur égard. L’année suivante, ce fut encore vraisemblablement lui qui adressa de San Francisco au Labor Standard de New York une correspondance concernant la question de l’échange des otages (17 mars 1877).

Après le vote de l’amnistie, Flotte rentra en France à une date inconnue. En 1885, il était de retour à Paris et habitait 18, Place d’Italie. Il se retira peu après dans son Var natal, où il mourut en août 1888.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article135920, notice FLOTTE Benjamin [FLOTTE Pierre, Adrien, Louis, Benjamin] par Notice reprise et complétée par Michel Cordillot, version mise en ligne le 1er décembre 2010, dernière modification le 18 septembre 2022.

Par Notice reprise et complétée par Michel Cordillot

SOURCES ET BIBLIOGRAPHIE : Arch. Nat., CC 728. — Arch. PPo., A a/428. — Arch. Dép. Paris (Seine), registres d’écrou DY/4 28-11020 ; DY/4 47-4654 ; DY/4 49-6673. — Cour des pairs. Procès politiques, 1830-1835, Inventaire dressé par J. Charon-Bordas, Paris, Archives Nationales, 1983, CC 587 d 1 n° 746. — Cour des pairs. Procès politiques, 1835-1848, Inventaire dressé par J. Charon-Bordas, Paris, Archives Nationales, 1984, CC 728 n° 461. — Courrier de San Francisco, 19 avril 1874. — La Table, 1844-1845. — F. Jourde, Souvenirs d’un membre de la Commune, Bruxelles, Kistemaeckers, 1877. — Chincholle, Les survivants de la Commune, Paris, 1885. — Jean Gaumont, Histoire générale de la Coopération en France, t. I, pp. 225-226. — Suzanne Wassermann, Les clubs de Barbès et de Blanqui en 1848.Maurice Dommanget, Blanqui et l’opposition révolutionnaire à la fin du Second Empire.Maurice Dommanget, Idées politiques et sociales d’Auguste Blanqui. — Maurice Dommanget, Blanqui, la guerre de 1870-71 et la Commune. — Maurice Dommanget, Édouard Vaillant, Paris, La Table-Ronde, 1956. — Maurice Dommanget A. Blanqui et la Révolution de 1848. — Michel Cordillot, « Les Blanquistes à New York », Bulletin de la Société d’Histoire de la Révolution de 1848, Paris, 1990. — L.-A. Blanqui, œuvres I. Des origines à la Révolution de 1848, textes présentés par D. Le Nuz, Nancy, Presses Universitaires, 1993. — P. de Flotte, [Réponse] Benjamin Flotte, L’Intermédiaire des Chercheurs et Curieux, 30 avril 1939, col. 373-4. — Notes de P.-J. Derainne, Jean Risacher et Pierre Baudrier. — Michel Cordillot (coord.), La Commune de Paris 1871. L’événement, les acteurs, les lieux, Ivry-sur-Seine, Les Éditions de l’Atelier, 2021.

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