LAMAZE Fernand [LAMAZE Fernand, François, Eugène]

Par Marianne Caron-Leulliez

Né le 20 juin 1891 à Mirecourt (Vosges), mort le 6 mars 1957 à Paris (VIe arr.) ; médecin ; résistant ; chef du service d’obstétrique de la policlinique des métallurgistes (CGT) et introducteur en France, en 1952, de « l’accouchement sans douleur ».

Fernand Lamaze
Fernand Lamaze

Dans les cinquante premières années de sa vie, rien ne destinait Fernand Lamaze à entrer dans un dictionnaire du mouvement ouvrier. Cet accoucheur, installé à Paris (VIe arr.) depuis 1923, était un médecin connu, à la clientèle nombreuse et souvent fortunée, dont il mettait au monde les enfants soit à domicile, soit dans la luxueuse clinique privée du Belvédère à Boulogne-sur-Seine. Ce médecin du Tout-Paris n’en était pas moins étranger à la grande bourgeoisie médicale d’alors, dont il n’avait ni les titres, ni les origines sociales. Il était issu d’une famille modeste : son père, Prosper, fut instituteur à Vincey (Vosges) ; sa mère, Berthe Tresse, était la fille d’un instituteur d’un bourg voisin. Fils unique, Fernand Lamaze entra comme boursier au lycée d’Épinal et obtint le baccalauréat en 1909. Il entama des études de médecine à Nancy puis à Paris. La guerre les interrompit : en août 1914, il fut mobilisé comme ambulancier. En juin 1915, il fut nommé médecin-auxiliaire au 294e régiment d’infanterie et il quitta l’ambulance d’Amiens pour les tranchées de l’Artois. Sa conduite au front lui valut la médaille militaire, puis la Croix de guerre. Blessé en juin 1917, ce fut à l’hôpital qu’il rencontra sa future femme, Louise Hunebelle (1886-1975), infirmière bénévole à Paris. Cette jeune femme sans profession était issue de la grande bourgeoisie d’affaires du Second Empire ; mais la fortune faite par son grand-père avait beaucoup fondu. Après leur mariage, célébré le 3 juillet 1919 à Paris (VIe arr.), ils n’eurent d’abord qu’une modeste aisance. La guerre finie, Lamaze reprit ses études et soutint sa thèse de doctorat en 1922. Pour des raisons financières, il renonça à préparer l’internat et les concours des hôpitaux, et il s’installa comme médecin libéral.

En bon fils d’un instituteur lorrain, il était profondément républicain, patriote et laïque, sans autre engagement politique. Passionné de culture classique et de littérature contemporaine, il était aussi curieux de la société de son temps et des hommes qui cherchaient à la rendre plus juste et plus efficace : avide d’échanges d’idées, il se lia d’amitié aussi bien avec le grand patron « technocrate » et catholique Auguste Detœuf qu’avec le militant communiste le Dr Pierre Rouquès. Son patriotisme de toujours l’amena presque naturellement à la Résistance : contacté par le Dr Paul Milliez*, il servit de « boite aux lettres » au Comité médical de la Résistance et il cacha chez lui certains de ses membres, comme son vieil ami Rouquès ou comme l’accoucheur Maurice Mayer. Après la Libération, ses actes de résistance l’amenèrent à siéger à la section régionale d’épuration du conseil de l’Ordre des médecins.

La Résistance lui fit découvrir le Parti communiste et le lia avec des militants ouvriers comme Auguste Gillot et Simone Gillot. Il resta méfiant envers tout enrôlement et n’adhéra jamais au PC, mais il vit en lui, pendant la guerre, l’incarnation de l’engagement populaire au service de la nation. En 1947, il accepta l’offre du Dr Rouquès de prendre la tête de la maternité de la policlinique des métallurgistes que dirigeait ce dernier. Ce faisant, il resserra ses liens avec le parti. Cette policlinique, située rue des Bluets à Paris (XIe arr.), appartenait, comme d’autres œuvres sociales, à l’Union des syndicats des travailleurs de la métallurgie de la région parisienne (USTM), dont le secrétaire général de 1948 à 1963 était André Lunet*, également membre du comité central du PCF de 1947 à 1954. Elle était gérée par l’Union fraternelle des métallurgistes (UFM). Lamaze rejoignit ainsi « aux Bluets » une équipe médicale d’anciens résistants, souvent jeunes, souvent communistes, et qui avaient tous la fierté d’œuvrer dans une structure hospitalière originale, propriété d’ouvriers syndiqués.

En août 1951, Lamaze fut invité à un voyage d’étude en URSS. Il admirait le pays et le peuple qui avaient résisté au nazisme, mais entendait rester un observateur lucide et critique du système. Il eut pourtant une véritable révélation en voyant à Léningrad un accouchement qui le stupéfia : « La douleur paraissait jusque-là la rançon fatale de l’accouchement. Cela n’est plus. J’ai, de mes yeux, vu une femme accoucher sans douleur. Je suis témoin. J’ai trente ans de pratique obstétricale, cela ne trompe pas. On n’a pas pu me bluffer. » « Il n’est personne qui n’aurait partagé mon émotion devant cette découverte qui […] suscitait en moi un irrépressible élan de prosélytisme […]. » Dès son retour d’URSS, il décida de mettre en œuvre à Paris la méthode soviétique ; il obtint le soutien total de l’équipe des Bluets ainsi que de l’USTM, qui finançait les besoins financiers nouveaux en matériel et en personnel. Cet accouchement sans douleur (ASD), sans usage de médicaments, était fondé sur la théorie de Pavlov du conditionnement des réflexes : la douleur ne serait pas inhérente à l’accouchement, mais socialement conditionnée par des millénaires de discours terrifiants .Une éducation appropriée de la future mère, durant sa grossesse, permettrait de transformer ce réflexe douloureux en réflexe constructif : ayant appris ce qui se passe en elle, puis soutenue psychologiquement par l’équipe médicale, elle répondrait à chaque contraction par un comportement adapté qui éviterait la douleur. Lamaze adhéra à cette théorie pavlovienne, fondée scientifiquement sur la neurologie. Mais il ne mesurait pas toujours, dans ses écrits, que le « pavlovisme » était idéologiquement utilisé, aux côtés de la pseudo-découverte de Lyssenko, comme fondement d’une « science prolétarienne ». Seuls lui importaient les résultats, réels, dans le domaine précis de l’accouchement : en mai 1953, 1000 femmes avaient « accouché sans douleur » aux Bluets.

Désormais, Lamaze mit tout en œuvre pour faire connaître et adopter l’ASD en France et dans le monde, car il vit en lui un moyen d’aller « vers une transformation foncière de la condition de la femme dans le monde. » Il multiplia les conférences en France et à l’étranger, il accueillit en stage aux Bluets des médecins et des sages femmes venus de partout. L’USTM le soutenait, car elle prouvait avec l’ASD que les œuvres sociales de la CGT étaient à la pointe du progrès. Le PCF mit tout son poids dans une campagne pour la diffusion de l’ASD, qui lui permettait à la fois de valoriser la science soviétique et d’affirmer son souci du bien-être des femmes : reportages dans ses journaux sur « la maternité où l’on ne crie plus » ; démarches de ses élus pour étendre l’application de l’ASD ; engagement massif de l’Union des femmes françaises dans sa promotion en 1954-1955. Pour le PCF, l’entente étroite entre l’intellectuel « sans parti » qu’était Lamaze et le mouvement ouvrier était un excellent exemple de « front uni », ligne suivie depuis la mort de Staline. Cette campagne de masse eut un double effet : son ampleur fit connaître le travail de Lamaze et éveilla l’attention sur l’amélioration possible des conditions d’accouchement. Mais sa politisation attira l’hostilité de nombre de médecins ; et certains cherchèrent à déconsidérer Lamaze en portant plainte contre lui, en 1953 et 1954, devant le conseil de l’Ordre des médecins pour usage de publicité. Lamaze fut blanchi par des non-lieux, mais durement blessé par ces attaques contre son intégrité. À partir de 1954 pourtant, il vit son œuvre de mieux en mieux reconnue : l’Assistance publique de Paris le fit expérimenter dans plusieurs hôpitaux en 1954 ; les médecins de tous bords politiques venus en stage aux Bluets furent conquis et diffusèrent l’ASD en province ; les accouchées témoignèrent du progrès qu’il représentait. Les milieux chrétiens s’y rallièrent assez vite, et Lamaze le pratiqua dans une clinique catholique dès 1953. Le 8 janvier 1956, le pape lui-même déclara solennellement que l’ASD, à l’intérêt médical prouvé, « n’a rien de critiquable au point de vue moral ». Le retentissement de ce discours fut immense. La Sécurité sociale, de son côté, accepta en juin 1956 le principe du remboursement des cours de préparation à l’ASD.

Au moment où l’œuvre qui l’avait entièrement mobilisé depuis cinq ans était enfin reconnue par tous, Lamaze vit ses relations avec la CGT se dégrader. Le déficit financier de la maternité des Bluets incita l’UFM, en janvier 1957, à proposer un plan de redressement qui modifiait en profondeur l’organisation de l’équipe de l’ASD, en diminuait le personnel et mit en cause la place du collaborateur le plus proche de Lamaze, le Dr Pierre Vellay. Lamaze, soutenu par le directeur de la policlinique François Le Guay – un cégétiste chrétien de gauche – s’opposa à ce projet où il vit un risque majeur pour l’essor de l’ASD. Il en appela à l’arbitrage de Benoît Frachon et menaça de démissionner. Mais l’heure n’était plus, au sommet, à donner la priorité au « front uni » et à l’alliance avec Lamaze. Elle était plutôt à restaurer partout la discipline et le centralisme, en cette année où de nombreux communistes se rebellaient contre la direction (voir Katz Victor). Aux Bluets, le Dr Vellay et F. Le Guay furent particulièrement visés. Le premier, avec son beau-père le Dr Jean Dalsace – un médecin communiste influent – s’était opposé à la campagne lancée en avril 1956 par Jeannette Vermeersch contre le « birth control ». F. Le Guay, membre du conseil national du Mouvement de la paix, y fut un des inspirateurs d’une motion qui, en décembre 1956, condamnait formellement l’intervention soviétique en Hongrie. Lamaze et Dalsace, eux aussi membres du conseil national, l’avaient votée. Dans ce contexte, la réforme de la maternité, outre ses motifs financiers, avait aussi une visée politique : faire partir des Bluets Le Guay et Vellay. Lamaze ne put accepter ce démantèlement de l’équipe qui avait porté avec lui l’ASD. Le 5 mars 1957, une réunion houleuse l’opposa avec d’autres médecins des Bluets aux dirigeants ouvriers de l’UFM. Le 6 mars 1957 à l’aube, une crise cardiaque emporta cet homme, déjà usé par 5 ans de travail acharné et de combats pour l’ASD.

Dans les semaines qui suivirent, la mort de Lamaze donna lieu à une polémique. La presse communiste et la CGT nièrent sans vergogne qu’il n’y eut jamais eu la moindre opposition entre Lamaze et l’USTM, et exaltèrent à nouveau l’alliance exemplaire d’un médecin humaniste avec la classe ouvrière. Mais la mise au pas politique des Bluets fut immédiate : Le Guay fut renvoyé, Vellay démissionna, suivi de la plupart des collaborateurs de Lamaze. L’union politique de diverses sensibilités née dans la Résistance, qui caractérisait les Bluets, éclata ; durant quelques années, n’y œuvrèrent que des communistes. La maternité des métallurgistes prit le nom de Maternité Fernand Lamaze en octobre 1957 et resta un centre majeur d’accouchement sans douleur.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article136171, notice LAMAZE Fernand [LAMAZE Fernand, François, Eugène] par Marianne Caron-Leulliez, version mise en ligne le 24 janvier 2011, dernière modification le 9 septembre 2011.

Par Marianne Caron-Leulliez

Fernand Lamaze
Fernand Lamaze

ŒUVRE CHOISIE : « L’accouchement sans douleur par la méthode psychophysique. Premiers résultats portant sur 500 cas. Travail de la maternité des Métallurgistes », Gazette médicale de France,, tome 59, 23, décembre 1952. — « Expérience pratiquée à la maternité du Centre Pierre-Rouquès sur la méthode d’accouchement sans douleur par psychoprophylaxie », Bulletin de l’Académie nationale de médecine, 3-4, séance du 26 janvier 1954, pp. 52-58. — « L’accouchement sans douleur », Revue de la nouvelle médecine, n° 3, mai 1954. — Qu’est-ce que l’accouchement sans douleur ?, Éditions Savoir et connaître, 1956.

SOURCES : Arch. Union des syndicats des travailleurs de la métallurgie de la région parisienne, Maison des métallos, Paris. — Arch. Union fraternelle des métallurgistes, Maison des métallos, Paris. — Arch. Mouvement de la paix. — Arch. départementales de Seine-Saint-Denis, Bobigny. — Arch. Dr Yves Cachin, président de la commission nationale des médecins communistes de 1947 à 1957. — État civil de Mirecourt (Vosges) et de Paris (VIe arr.). — Marianne Caron-Leulliez, Jocelyne George, L’accouchement sans douleur. Histoire d’une révolution oubliée, Les Éditions de l’Atelier, 2004. — Caroline Gutmann, Le testament du docteur Lamaze, médecin accoucheur, J.C. Lattès, 1999.

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