KORZUCH Mordka, Lajb

Par Daniel Grason

Né le 19 janvier 1899 à Dombrova (Pologne), fusillé comme otage le 21 février 1942 au Mont-Valérien, commune de Suresnes (Seine, Hauts-de-Seine) ; tailleur d’habits.

Mordka Korzuch, fils de Alter et de Altman, Chawa, née Marjuia, arriva en France au cours de l’année 1925. Le 26 février de la même année, il se maria avec Perla Grinchole, née le 18 mars 1906 à Tomaszow (Pologne). La cérémonie eut lieu à la mairie du IVe arrondissement de Paris. Ils eurent deux filles Anna, née le 2 avril 1927 (XIIe arr.), et Sara le 5 septembre 1933 (IIIe arr.). Le couple respecta la législation qui réglementait le séjour des étrangers. Ils habitèrent le XVIIIe arrondissement, le IVe arrondissement, puis, à partir de 1936, au 27 rue Eugène-Sue (XVIIIe arr.).
Jusqu’en septembre 1939 Mordka Korzuch exerça le métier de tailleur d’habits à son domicile, répondant aux demandes de particuliers, et pour le compte de la maison Gabriel Chabaud et Cie, installée boulevard de Charonne à Paris (XIe et XXe arr.). La guerre, le premier et le second statut des Juifs, promulgué par le gouvernement de Vichy, le 3 octobre 1940, puis le 2 juin 1941, déstabilisa l’activité professionnelle de Mordka Korzuch. L’article 4 indiquait : « Les Juifs ne peuvent exercer une profession libérale, une profession commerciale, industrielle et artisanale ».
Il fut créé au sein des Renseignements généraux, en 1937, une Section spéciale de recherche (SSR) chargée de la surveillance politique des étrangers dans le département de la Seine. Il y eut plusieurs « rayons » : « espagnol », « russe », « italien », « allemand », « polonais »... Rompant avec le principe de la nationalité, fut créé en octobre 1941 un « rayon juif », chargé de surveiller les étrangers comme les français. Les Allemands étant à Paris, il n’était plus question de les surveiller, et la direction du « rayon juif » fut confiée à son ex-responsable, le brigadier-chef Louis Sadosky, promu inspecteur principal adjoint en janvier 1941. Celui-ci n’eut qu’un objectif : donner satisfaction à ses chefs de la direction des Renseignements généraux. Chargé d’arrêter des Juifs, il ne faillira pas, il établira un fichier des « Juifs suspects ». Il n’hésitera pas à falsifier les rapports des inspecteurs qu’il eut sous ses ordres. Lui-même se vantait d’avoir fait fusiller entre soixante et quatre-vingts personnes.
Une lettre anonyme manuscrite fut adressée au préfet de police, le 4 septembre 1941. Une personne dénonçait un « Max Korsuche » qui habitait à l’adresse de Mordka Korzuch. Celui-ci était traité de « feignant » passant ses journées « dans les cafés où il fait de la propagande communiste et dit des propos malveillants contre Pétain ». Et le dénonciateur l’accusait de vivre « sans doute du marché noir », d’avoir des relations avec des policiers français et deux officiers allemands. Le délateur concluait : « Vous voudrez bien faire le nécessaire pour qu’il [ne] nous empoisonne [plus] l’existence ». Une deuxième lettre de dénonciation arriva le 20 septembre, menaçant si rien n’était fait : « Je m’adresserais à la Reich Kommandantur qui fera le nécessaire sûrement. » Les protecteurs étaient imaginaires, un inspecteur accompagné de policiers perquisitionnèrent le domicile le 11 octobre 1941. Aucun tract communiste ne fut trouvé, mais des boîtes de conserves : lait concentré, petits pois, haricots verts, sardines, saumon, des sachets de thé. L’inspecteur laissa à Perla Korzuch ce qu’il estimait nécessaire à leur consommation (à l’exception du saumon), les policiers emportèrent soixante-seize sachets de thé, soixante boîtes de sardines, dix boîtes de petits pois et haricots verts, et vingt et une boîtes de saumon. Mordka Korzuch fut accusé de commerce sans autorisation et de « marché noir ». Le brigadier-chef écrivit : « Propagandiste communiste, suspect du point de vue politique, susceptible de constituer un élément dangereux pour l’ordre intérieur. Trafiquant de marché noir. Détenteur d’un stock important de conserves ». Il fut envoyé le 13 octobre 1941 au camp de Drancy (Seine, Seine-Saint-Denis), réservé aux Juifs.
Dans la nuit du 5 au 6 février 1942, une sentinelle allemande fut très grièvement blessée à Tours (Indre-et-Loire), l’homme mourut le 9 avril 1942. S’y ajoutait l’attentat commis à Rouen (Seine-Inférieure, Seine-Maritime) le 4 février 1942 contre des militaires allemands. En représailles, les Allemands décidèrent de fusiller ou de déporter cinquante otages ; ils désignèrent quatorze otages à exécuter au Mont-Valérien dont treize Juifs internés au camp de Drancy : Szmul Balbin, Abraham Gärtner, Léon Jolles, Josef Kape, Max Kawer, Mordka Korzuch, Towja Lipka, Samuel Marhaim, Aron Miller, Jankiel Minsky, Israël Rubin, Lejbus Wajnberg et Israël Wirtheim, ainsi que Henri Debray militant communiste interné à à la prison de la Santé à Paris (XIVe arr.).
Mordka Korzuch écrivit le samedi 21 février 1942, une dernière lettre à sa femme où il lui annonçait : « J’ai été condamné à la peine de mort et je vais être fusillé » ; il fut passé par les armes en ce jour du 21 février 1942 au Mont-Valérien avec les treize autres otages. Il fut inhumé au cimetière parisien d’Ivry-sur-Seine (Seine, Val-de-Marne) le lundi 23 février 1942, division 39, ligne 2, n° 36.
Sa femme Perla se présenta le 26 février 1942 à la 3e section des Renseignements généraux. Elle reconnut l’inspecteur, elle l’accusa d’avoir « noirci le dossier de son mari ». Elle ajouta qu’il aurait « dû le laisser en liberté et déclarer à son service » qu’il « ne l’avait pas trouvé ».
Mordka Korzuch fut reconnu membre isolé de la Résistance intérieure française (RIF).
Le nom de Mordka Korzuch figure sur la cloche du Mémorial de la France combattante au Mont-Valérien.

L’abbé Franz Stock évoque les 13 Juifs exécutés le 21 février 1942 dans son Journal de guerre :

« Samedi 21.2.42
14 exécutions.
Venu me prendre à 8h pour le Cherche-Midi, 14 otages doivent être exécutés à 11 heures : 13 juifs, d’origine germano-polonaises, du camp de Drancy ; un Français de la Santé.
....
Un jeune juif me dit : "Ils peuvent bien nous tuer mais d’autres se lèveront, il est impossible d’exterminer la race juive." Certains juifs étaient pieux, récitaient des psaumes, l’un s’est entouré de son châle de prière en soie, il voulait être enterré avec. Question : aucun rabbin ne vient ? Les 14 doivent être enterrés lundi seulement. Le seront à Ivry. »

Voir Mont-Valérien, Suresnes (Hauts-de-Seine)

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article144864, notice KORZUCH Mordka, Lajb par Daniel Grason, version mise en ligne le 9 février 2013, dernière modification le 24 janvier 2022.

Par Daniel Grason

SOURCES : Arch. PPo, KB 95, 77W 19. — DAVCC, Caen, B VIII dossier 3 (Notes Thomas Pouty), AC 21 P 470 117. — SHD Vincennes GR 16 P 322436 (nc). — Louis Sadosky, brigadier-chef des RG, Berlin 1942, CNRS Éd., 2009. — S. Klarsfeld, Le livre des otages. — Site Internet CDJC. — Site Internet Mémoire des Hommes. — MémorialGenWeb. — Franz Stock, Journal de guerre. Écrits inédits de l’aumônier du Mont Valérien, Cerf, 2017, p. 66. — Répertoire des fusillés inhumés au cimetière parisien d’Ivry.

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