TRONCHET Lucien [Dictionnaire des anarchistes]

Par Gianpiero Bottinelli, Marianne Enckell

Né à Lyon (Rhône) le 4 octobre 1902, mort à Genève le 25 février 1982 ; boulanger puis maçon ; militant anarchiste et syndicaliste, secrétaire syndical.

Lucien Tronchet en 1933.
Lucien Tronchet en 1933.

Lucien Tronchet fut élevé par sa mère à Carouge (Genève). À 16 ans, en novembre 1918, il se trouvait à Granges (Soleure) pendant la grève générale en Suisse, où l’armée fit 3 morts et de nombreux blessés parmi les grévistes. En 1922, objecteur de conscience, il fut condamné à 20 jours de détention. Il se lia alors avec Louis Bertoni. Avec les anarchistes italiens Pascal Tacchini, Giovanni Ruga, Pierre Leporati, Parisio Gaiba et le Français Jean Cariat, il recréa le Syndicat autonome des maçons et des manœuvres, de tendance syndicaliste révolutionnaire. En septembre 1922 il participa à la réunion internationale à Bienne et Saint-Imier, pour le cinquantenaire de l’Internationale, où se rendit aussi Malatesta.

Tronchet entra ensuite à la Fédération des ouvriers du bois et du bâtiment (FOBB, membre de l’Union syndicale suisse), tout en restant membre du syndicat autonome où les communistes étaient en train de prendre les commandes ; il essaya de faire adhérer les libertaires à la FOBB.

En 1926, les partis socialistes suisse et italien et le groupe du Réveil anarchiste tinrent un meeting à Genève en l’honneur de Giacomo Matteotti, assassiné deux ans auparavant. Une provocation d’un groupe fasciste suscita une bagarre, au cours de laquelle Tronchet tira un coup de pistolet. Arrêté, il fut condamné à une amende symbolique de 25 francs suisses.

Le 22 août 1927, il était à la tête d’une manifestation pour Nicola Sacco et Bartolomeo Vanzetti, quand la police intervint. Recherché par la police, il s’enfuit à Lyon. Il y fut emprisonné deux mois, suite à son intervention lors d’un meeting communiste. Il y fit aussi la connaissance de Francisco Ascaso et Buenaventura Durruti, qui venaient de sortir de prison. Il se réfugia ensuite un temps chez Attilio Copetti à Vienne (Isère).

Le 19 mai 1928, de retour à Genève, il lança une grève des maçons de la FOBB et du Syndicat autonome, soutenus par les manœuvres, les terrassiers, les peintres et les plâtriers. Il y eut 2200 grévistes, bien que les syndiqués soient moins de 200. La grève, qui dura un mois, fut un succès et obtint la conclusion de la première convention collective du secteur. Tronchet fut le porte-parole d’autres grèves cette année-là, menuisiers, ébénistes, ouvriers d’une tuilerie, ramoneurs.

En 1929 se fonda la Ligue d’action du bâtiment (LAB), section d’action directe de la FOBB contre les patrons qui n’observaient pas les conventions et contre les jaunes. Des chantiers furent endommagés, des bâtiments sabotés, des outils détruits ; la LAB, active d’abord avec les maçons et manœuvres de Genève, s’étendit rapidement à tous les secteurs du bâtiment du canton, puis à d’autres cantons et d’autres professions. Des condamnations nombreuses tombèrent sur les syndicalistes, Tronchet étant le premier visé.

Le 1er août 1931, jour de la fête nationale, treize compagnons dont Tronchet furent arrêtés lors d’une manifestation antimilitariste. Le 3 septembre 1931, Tronchet mena une grève générale du bâtiment contre la diminution des salaires et pour la semaine de 40 heures. Les gars de la LAB attaquèrent le chantier du Palais des Nations, où on travaillait malgré la grève. Ces années-là, la section genevoise de la FOBB dépassa les 3000 membres.

Le 9 novembre 1932, l’armée tira sur une manifestation antifasciste à Genève : il y eut 13 morts et 65 blessés. Pierre Tronchet, frère de Lucien, était au nombre des blessés. Recherché pour avoir organisé cette manifestation non autorisée, Tronchet s’enfuit à Paris avec son frère, qu’il avait libéré de l’hôpital avec un camarade. Ils se réfugièrent à Paris chez un anarchiste italien, cheminot. Le procès eut lieu le 15 mai 1933 ; Pierre et Lucien étaient rentrés en Suisse, déguisés l’un en étudiant, l’autre en prêtre, pour pouvoir s’y présenter libres. Le procès se conclut sur un non-lieu.

En 1933, Tronchet figurait sur les listes noires des patrons et ne trouvait plus d’embauche. En mars, il empêcha avec un demi-millier de personnes qu’un chômeur soit mis à la rue. Ses activités se tournèrent alors surtout sur le front du chômage. En décembre 1935, avec un groupe de copains bien déterminés, il organisa la destruction de taudis, d’immeubles insalubres dénoncés depuis longtemps : à trois heures du matin, trois groupes d’hommes se mirent à démolir les toits. La police ne réussit pas à les déloger, mais finit par arrêter trente ouvriers devant deux mille personnes qui applaudissaient l’action des syndicalistes. Lors du procès, la foule se retrouva devant le Palais de justice ; Tronchet fut condamné à un mois de prison, les huit autres à deux semaines.

Il travailla ensuite un temps à la Coopérative des ouvriers du bâtiment (fondée par Etienne Vaglio et autres en 1920), alla chercher du travail à Zurich, et finit par devenir secrétaire rémunéré de la FOBB à Genève, le 1er janvier 1936. Cela n’alla pas sans susciter des débats parmi les anarchistes genevois ; Louis Bertoni, qui mettait beaucoup d’espoir en Tronchet, le critiqua violemment.

En août 1936, il organisa pour le Réveil anarchiste un service d’informations sur la révolution espagnole, diffusant des informations provenant de la CNT-FAI. Il fonda avec Adrien Buffat et Octave Heger de Lausanne le groupe Adelante pour envoyer des armes, de l’argent et des fournitures à la révolution ; il était en revanche réservé quant à l’envoi de volontaires. En octobre 1936, il se rendit en Espagne avec Louis Bertoni ; il raconta le voyage dans le Réveil anarchiste ainsi que, sous une autre forme, dans une brochure des syndicats suisses. En février 1937, il organisa avec le soutien de Fabra Ribas, ministre socialiste d’Espagne à Berne, l’Office ibérique d’expansion économique (OIDEE), qui liait les collectivités agricoles d’Espagne avec les coopératives de consommation en Suisse. Il fut aussi chargé par la Fédération syndicale internationale, avec le socialiste Charles Rosselet, de fournir des machines outils à l’Espagne républicaine.

Le 6 mars 1940, lors de la mobilisation, il fut à nouveau condamné comme « objecteur de raison » à 8 mois de prison et 5 ans de privation des droits civiques, et à trois mois de plus pour un tract accusant les juges de partialité et d’intérêts communs avec le patronat. Sorti de prison le 19 février 1941, il s’éloigna peu à peu du mouvement anarchiste, reprenant les rênes de la FOBB genevoise, organisant des grèves et des chantiers pour éviter la militarisation des chômeurs.

En 1949, il adhéra au Parti socialiste et son itinéraire s’éloigne de l’anarchisme. Un de ses derniers engagements, comme secrétaire et président de la FOBB genevoise, fut le soutien aux occupations d’immeubles dans le quartier des Grottes à Genève, en 1978. Après sa retraite, il reprit des contacts avec quelques anarchistes, jeunes ou vieux, et écrivit ses mémoires.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article153982, notice TRONCHET Lucien [Dictionnaire des anarchistes] par Gianpiero Bottinelli, Marianne Enckell, version mise en ligne le 7 avril 2014, dernière modification le 14 août 2021.

Par Gianpiero Bottinelli, Marianne Enckell

Lucien Tronchet en 1933.
Lucien Tronchet en 1933.

ŒUVRE : Face à la guerre… : devant le tribunal militaire de la Première Division, à Lausanne, le 6 mars 1940 ; défense de Lucien Tronchet, plaidoirie de Louis Bertoni. — Un homme dans la Mêlée sociale. Louis Bertoni, pour son 70e anniversaire, Genève 1942. — 1922-1942, 20e anniversaire de l’union FOBB, les batailles syndicalistes des bâtisseurs à Genève, Genève 1943. — Ie partie : Cent ans de lutte des gars du bâtiment à Genève/IIe partie : La semaine de cinq jours, Genève 1948. — Les actions héroïques des gars du bâtiment, FOBB, Genève 1954. — Clovis Pignat, qui est-ce ? ou la vocation syndicale, Lausanne 1971. — Combats pour la dignité ouvrière, Genève 1979. Ses archives sont conservées au Collège du Travail de Genève, qu’il a fondé en 1978, et au CIRA-Lausanne.

SOURCES : Combats…, op. cit. — Fonds du Colllège du travail, Genève — « Lucien Tronchet est mort », Le Réveil anarchiste n° 9, 1982 — Confrontations, Cahier No 2, Fondation du Collège du Travail, Genève 1998 — Claire Auzias, Mémoires libertaires, Lyon 1919-1939, L’Harmattan, 1993 — Alexandre Elsig, La ligue d’action du bâtiment. Genève et Lausanne, Éditions d’en bas et Collège du travail, 2015.

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