ESTEVE MARTORELL Juan Bautista [dit BONAFULLA Leopoldo] [Dictionnaire des anarchistes]

Par Rolf Dupuy, Thierry Bertrand, Françoise Fontanelli Morel

Né le 8 décembre 1857 à Gràcia (actuellement quartier de Barcelone) (Catalogne) en Espagne, mort le 23 novembre 1925 à Barcelone (Catalogne, Espagne) ; cordonnier ; militant anarchiste et syndicaliste en Espagne et à Marseille.

Son nom est parfois noté ESTEVEN, ESTEBE, ESTEVEZ … il était plus connu sous le pseudonyme de Leopoldo Bonafulla (et parfois Léopold Bonnafouilla…).
Ses parents étaient Ramon Esteve et Llúcia Martorell.

Cordonnier dans le quartier de Gracia à Barcelone, Leopoldo Bonafulla, joua un rôle considérable dans le développement du mouvement anarchiste et révolutionnaire du début du vingtième siècle. Ses activités l’amenèrent à s’exiler à plusieurs reprises à Marseille.
Il fut mentionné comme collaborateur de la feuille révolutionnaire L’Aube Nouvelle rédigée par Léo Sivasty et publiée en 1900-1901 à Alès (Gard) pour trois numéros. La même année, il collabora également à la revue mensuelle libertaire internationale L’Effort Eclectique publiée à Bruxelles. Leopoldo Bonafulla fut d’ailleurs mentionné comme collaborateur régulier de l’éphémère Terre Libre, organe de la Fédération Anarchiste du Sud-est de la France en 1922.

Cordonnier de formation, donc, il dirigeait un atelier de fabrication de chaussures sur la Plaça del Diamant à Gràcia, atelier qui servait de lieu de rencontre et de discussion. Il développa alors une intense activité anarchiste et révolutionnaire et pour cette raison il fut arrêté et emprisonné à plusieurs reprises.
Le 10 juin 1896, il était arrêté suite à l’attentat du 7 juin contre le cortège du Corpus Christi dans la rue Canvis Nous à Barcelone.
Le 12 juin 1897 il était expulsé en France avec 52 autres collègues (Francesc Gana Armadàs, José López Montenegro, Anselmo Lorenzo Asperilla, Francisca Saperas Miró, etc.).
Installé à Marseille, il lança une intense campagne en faveur des détenus inculpés dans le dit "procès de Montjuic".
En 1899, depuis Marseille, il correspondait pour le supplément de La Revista Blanca et collaborait à l’hebdomadaire républicain madrilène Progreso.
Le 25 mars 1900, il organisait une réunion à Marseille, à la salle Juvénal, présidée par Sébastien Faure et Théodore Jean, où intervinrent également Luigi Campolonghi, Marius Escartefigue Jouvarin, Emili Junoy Gelabert, ancien député républicain de Barcelone, Ángeles López de Ayala, directrice du Progresso de Barcelone et Quilici de Montjuic.

Au début du mois de mars 1901 son domicile fut l’objet d’une perquisition relatée dans la presse : "Dimanche dernier, dans l’après-midi, une vingtaine d’agents, commissaire central en tête, firent irruption dans la demeure d’un libertaire espagnol, le cordonnier Juan Esteve. Celui-ci a comme pensionnaires quatre ou cinq de ses compatriotes… Ce jour là ils étaient réunis une quinzaine... Les policiers perquisitionnant, bouleversant et saccageant, firent main basse sur tout ce qu’ils rencontrèrent : journaux, brochures, lettres privées et timbres poste... Depuis ce jour les pensionnaires et les amis d’Esteve ont subi interrogatoire sur interrogatoire... Quant à Esteve il a dû, pour éviter l’expulsion, quitter Marseille, y laissant sa femme et ses quatre enfants dont le dernier est né pendant qu’il était emprisonné à Montjuich" (L’Aurore, 9 mars 1901). Suite à cette perquisition, Esteve fut l’objet d’un arrêté d’expulsion le 13 mars suivant.

De retour à Barcelone, le 3 mai 1901 il participait, avec d’autres (Pau Isart Bula, Emili Junoy Gelabert, Alejandro Lerroux García, Ángeles López de Ayala et José López Montenegro), à une réunion en l’honneur des fusillés de Montjuic, tenue au Salon de la Serpentina à Barcelone et présidée par Eduard Valor Blasco et Mariano Castellote Targa.
Le 7 mai 1901 éclatait une grève quasi générale à Barcelone à l’appel de la Fédération Régionale des Travailleurs. A l’issue de cette grève, beaucoup d’anarchistes, dont Bonafulla, se firent arrêter et mettre en prison à bord du bateau-prison "le Pelayo", face au port de Barcelone. Le 31 mai alors que tous les prisonniers étaient relâchés, seul Bonafulla était maintenu en cellule. C’est Charles Malato qui donnait régulièrement des nouvelles des libertaires espagnols à travers des articles dans le journal L’Aurore.
Bonafulla fut relâché quelque temps plus tard puisqu’en juillet 1901 il participait à un meeting avec Theresa Claramunt.
Entre 1901 et 1902, il prit la parole lors de nombreux rassemblements à Barcelone contre la répression lancée dans différentes parties de la Péninsule (La Corogne, Saragosse et Séville) et fut emprisonné encore une fois à bord du "Pelayo" pour sa participation à la grève de février 1902.
Le 23 mars 1902, il signait, avec d’autres collègues (Francisco Cardenal, Josep Maria Carreras, Ignasi Clarià, Francesc Coret, Antonio del Pozo, Joan Fabres, Pau Ferla, José Fernández, Juan, Eugène Germain Martin, Anselmo Lorenzo, Montes, Jerónimo Otin, Josep Prats, Sebastià Sunyé, Jaume Vidal, Joan Vidal, Pere Vidal, etc.) détenus à la prison de Barcelone, une lettre dénonçant leur situation qui fut publiée dans différents journaux français avec le soutien de Charles Malato. Suite à cette lettre, ils étaient mis au cachot en mai 1902.
Le 23 mai 1902, il était libéré, mais le 4 juin, le capitaine général de Barcelone décrétait son expulsion de la ville, ce qui l’obligea à s’installer à Valencia (Pays valencien).

A partir du 7 septembre 1902, il participait à une tournée de propagande en basse Andalousie (La Línea, Montejaque, Jerez, Cadix, Carmona, Séville, Puerto Real, Morón et San Fernando) avec l’éminente anarchiste Teresa Claramunt Creus, en faveur de la libération des détenus accusés d’appartenir à la « Main noire ».
Tous deux furent les principaux animateurs du journal anarchiste barcelonais El Productor, dont il fut l’administrateur entre 1902 et 1904 et entre 1905 et 1906. Pour faire face aux dépenses occasionnées par ce journal, il créa une "Coopérative Intellectuelle", à laquelle collabora Mateu Morral Roca, pour collecter des fonds.
Le 28 novembre 1902 à Barcelone des anarchistes se réunissaient clandestinement et décidaient l’expulsion de leur groupe de Bonafulla (nous n’avons pas retrouvé la raison de cette expulsion).
Entre 1903 et 1904, il entretint une âpre controverse avec les journaux madrilènes Tierra y Libertat et La Revista Blanca, publiés par la famille Montseny. Joan Montseny Carret (Federico Urales) l’accusait de détourner de l’argent de la propagande et des activités en soutien aux prisonniers pour publier le journal El Productor.

En 1904, il fut emprisonné avec 14 autres personnes pour "crime de presse" et la même année il publiait le pamphlet « Antimilitarisme revendiqué par les signataires », une collection d’articles antimilitaristes qui avaient été poursuivis militairement. Ce fut cette année également qu’il administrait le Journal of Physiological and Experimental Pedagogy.
Entre 1907 et 1908, il dirigeait les journaux barcelonais El Rebelde et Páginas Libres, qui cessèrent de paraître après son emprisonnement en 1908.
En janvier 1909, il était emprisonné, accusé d’avoir signé des tracts clandestins au nom de son fils âgé de 10 ans.

Pour sa participation aux manifestations de juillet 1909 et à la « Semaine tragique », il fut déporté à Siétamo (Huesca, Aragon, Espagne).

Il était membre du groupe anarchiste "Avenir", qui avait publié une publication portant ce nom, groupe qui s’était dissous en 1910.

Du 30 octobre au 1er novembre 1910, il a été délégué du centre ouvrier "Luz del Porvenir" à Bujalance (province de Cordoue, Andalousie, Espagne) au congrès ouvrier qui décida la création de la Confédération Nationale du Travail (CNT). Il y donna son avis sur l’organisation paysanne et y fut élu membre du Comité.

En 1911 il était de nouveau à Marseille où le 20 avril il fut condamné à trois mois de prison pour infraction à l’arrêté d’expulsion de 1901.
Ayant été faussement accusé d’être un indicateur, durant plusieurs années, il semblerait qu’il n’ait plus exercé aucune activité.
Au début des années 1920, à Marseille, il était membre, avec d’autres collègues (Pedro Mosquera Pich, Pedro Sayas Gamiz et Jullian Valles ), du Comité Pro-Presos, et en 1921 il participait aux réunions de l’Union anarchiste (UA) aux côtés de Sayas et de Mosquera.
Il fut sans doute l’un des dirigeants du Comité Pro Presos avant d’être expulsé ; J.Valles lui succéda.

Le 2 avril 1922, avec Jullian Valles il représenta le Comité Pro Presos de Marseille lors du congrès de la Fédération Anarchiste du Sud-est (voir Mosquera). Le 18 juin 1922, il participa au nom du comité Pro Presos à une réunion organisée par le Groupe d’Études Sociales de Saint-Henri et présidée par Pierre Couissinier ayant pour but de faire connaître les procédés de la réaction espagnole vis-à-vis des ouvriers. En juillet 1922, il vint retirer à la gare une caisse en provenance d’Espagne et contenant des brochures de propagande en langue espagnole, La Patria, El crimen de Chicago et Entre campesinos. La caisse était adressé à José Maria Marco qui deux mois plus tôt s’était rendu à Barcelone afin de remettre aux défenseurs des prisonniers politiques espagnols la somme de 1500 francs récoltée à Marseille pour le Comité Pro Presos. En août 1922, Esteve fut présent à une réunion compte rendu des dispositions prises contre la répression et le capitalisme par le Comité Pro Presos.

En septembre 1922, il fit partie de la dizaine d’anarchistes réunis au Bar Bruno afin d’organiser une campagne de propagande dans la ville de Marseille, en dehors de toute collaboration avec les partis politiques, pour agir contre la répression organisée par la réaction mondiale et obtenir la libération de tous les prisonniers politiques.

Le 26 novembre 1922, il représenta les anarchistes espagnols du Pro Presos au congrès des délégués des groupements anarchistes adhérents à la Fédération Anarchiste du Sud à Nîmes.
En raison de son activité libertaire, cette même année 1922, il lui fut décrété son expulsion de la France.
De retour en Espagne, il devint membre, à Barcelone, de la Commission nationale des relations anarchistes (CNRA) nouvellement créée.
Il fut, une nouvelle fois, arrêté et emprisonné.
Le 5 février 1923, il était arrêté, avec sur lui des pamphlets anarchistes, à Montpellier (Languedoc, Occitanie) pour "violation du décret d’expulsion".

Dans les premières années de la dictature de Primo de Rivera, âgé de plus de 70 ans , il fut instituteur dans une école rationaliste de Gracia (Barcelone) et en septembre 1923 fut une nouvelle fois emprisonné. Traducteur en espagnol de Cafiero et d’Elisée Reclus, Joan Baptista Esteve, qui fut toujours un partisan de l’amour libre et un anticlérical convaincu, décéda le 23 novembre 1925.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article156539, notice ESTEVE MARTORELL Juan Bautista [dit BONAFULLA Leopoldo] [Dictionnaire des anarchistes] par Rolf Dupuy, Thierry Bertrand, Françoise Fontanelli Morel, version mise en ligne le 3 mars 2014, dernière modification le 27 juillet 2021.

Par Rolf Dupuy, Thierry Bertrand, Françoise Fontanelli Morel

ŒUVRE : Las huelgas y la autoridad, 1901 ; Criterio libertario, Barcelone, 1905. — Generación libre. Los errores del neomalthusianismo, 1905 ; Hacia el porvenir, 1905 ; Los dos polos sociales , 1906 ; Idealismo y societarismo, 1909 ; La familia libre, 1910. — La revolucion de julio en Barcelona, 1910 ; La justicia libre, 1910. (liste non exhaustive)

SOURCES : Arch. Dép. Bouches-du-Rhône, 1 M 805 rapports 1.251 du 30/03/1922 et 2.917 du 9/07/1922, n°3.014 du 15/07/1922, 1 M 1787 rapport du 8/08/1922.— Manuel Buenacasa, El movimiento obrero español. 1886-1926. Historia y critica, Ediciones Jucar, Madrid, 1977 (réédition de l’original de 1928).— René Bianco, Le mouvement anarchiste à Marseille et dans les Bouches-du-Rhône 1880-1914, Aix-Marseille I, 1977.— Manuel Iñiguez, Enciclopedia historica del anarquismo español, Fundacion de Estudios Libertarios Anselmo Lorenzo, 2001.— Françoise Morel, Le mouvement anarchiste marseillais dans l’entre-deux-guerres, maîtrise, Aix-Marseille I, 1997.— site internet www.estelnegre.org.

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