HUBERT Émile, Victor, Léon [Dictionnaire des anarchistes]

Par Jean Maitron, Jean-Luc Pinol, Rolf Dupuy, Guillaume Davranche

Né à Ambrières (Mayenne) le 18 juin 1874, mort début mai 1940 ; terrassier ; anarchiste et syndicaliste.

Émile Hubert
Émile Hubert
La Bataille syndicaliste du 2 juillet 1913.

Émile Hubert fut une figure majeure du syndicat des terrassiers de la Seine entre 1911 et 1927, et notamment l’un des principaux porte-parole de la minorité pacifiste et révolutionnaire de la CGT pendant la Grande Guerre.

Fils d’un ouvrier charpentier victime d’un accident de travail, il avait commencé à travailler dès l’âge de 11 ans dans une ferme de Mayenne. Puis, après avoir été garçon boucher, il gagna Paris vers l’âge de 15 ans et devint terrassier. Adhérent du syndicat CGT des terrassiers en 1904, il en devint le secrétaire en 1911.

Du 7 au 11 avril 1912, il assista au congrès fédéral du bâtiment à Bordeaux. Du 16 au 23 septembre 1912, il fut délégué au congrès confédéral CGT du Havre.

En tant que secrétaire des terrassiers de la Seine, Émile Hubert fut arrêté par la police à son domicile, 8, rue Leclus, à Clichy, le 1er juillet 1913, dans le cadre de la 3e affaire du Sou du soldat. Il s’agissait, pour le gouvernement, de faire porter à la CGT et à sa caisse de solidarité, le Sou du soldat, la responsabilité des mutineries du printemps 1913 dans les casernes de l’armée française.

Avec Hubert furent arrêtés : Georges Yvetot, secrétaire de la section des bourses de la CGT ; Charles Marck, trésorier confédéral ; Etcheverry, ex-secrétaire de l’union des charpentiers de la Seine ; Montarou, secrétaire du syndicat des travailleurs des omnibus de la Seine ; Guillemin, ex-trésorier du syndicat des terrassiers de la Seine ; Morin, trésorier du syndicat des terrassiers de la Seine ; Guillaume Le Dû*, ex-secrétaire du syndicat des terrassiers de la Seine ; Viau, secrétaire de la chambre syndicale de la maçonnerie-pierre ; Gautier, secrétaire de la chambre syndicale des charpentiers en bois ; Clovis Andrieu, secrétaire de la chambre syndicale des charpentiers en fer ; Vincent, secrétaire du syndicat des terrassiers de Seine-et-Oise ; Hervier, secrétaire de la bourse du travail de Bourges ; Varnat, secrétaire des dockers de Nantes ; Lebon, trésorier des dockers de Nantes ; Tesson, secrétaire des métallurgistes de Valenciennes ; Batas, secrétaire de la bourse du travail de Saint-Malo ; Giron, secrétaire-trésorier du syndicat du bâtiment de Rouen ; Jean Marie, du syndicat des mineurs d’Épinac (Saône-et-Loire) ; Eugène Jacquemin et Jean Labbat*, de la Fédération communiste anarchiste.

Inculpés au titre de la loi de 1894 sur les « menées anarchistes », les militants devaient comparaître non devant les assises, mais devant la 9e chambre du tribunal correctionnel. La défense souleva l’incompétence du tribunal, et la question arriva devant les juges les 19 et 20 novembre 1913, alors que la foule ouvrière manifestait aux abords du palais de justice.

Entre-temps, certaines poursuites avaient été abandonnées, certains dossiers (Jacquemin et Labbat) avaient été dissociés et d’autres ajoutés. Si bien que sur les 22 militants arrêtés en juillet, 18 comparurent : Yvetot ; Marck ; Hubert ; Morin ; Andrieu ; Gauthier ; Etcheverry ; Montarou ; Louis Marchand, trésorier du syndicat du bâtiment de la Seine ; Vincent ; Tesson ; Thomas, secrétaire des dockers de Nantes ; Réaud, des dockers de Nantes ; Batas, Giron, Jean Marie et Viau.

Le 27 novembre 1913, le tribunal correctionnel se déclara compétent pour juger l’affaire. Les militants firent appel. Le 26 décembre, la cour d’appel confirma la compétence du tribunal correctionnel, mais accepta la mise en liberté provisoire de l’ensemble des prévenus.

Le 26 mars 1914, enfin, la 9e chambre du tribunal correctionnel de la Seine prononça la condamnation par défaut des inculpés. Marck et Réaud furent acquittés ; Yvetot fut condamné à un an de prison et à 100 francs d’amende ; Tesson, Montarou, Morin, Hubert, Dalstein, Viau, Gauthier, Thomas, Marchand, Vincent, Andrieu et Giron récoltèrent huit mois de prison et 100 francs d’amende. Les condamnés firent opposition, mais il semble que la déclaration de guerre empêcha la procédure d’aller à son terme.

Du 13 au 17 avril 1914, Émile Hubert fut délégué au congrès du bâtiment, à Paris.

Il fut un opposant à la guerre de la première heure. Lors de l’assemblée de crise de l’union des syndicats de la Seine, le 28 juillet 1914, salle de l’Égalitaire, il fut le seul, avec Jean-Baptiste Vallet*, à plaider pour que la CGT soit fidèle à ses engagements en faveur de la grève générale (rapport de police du 31 octobre 1914, Arch. Nat. F7/13348). Après la déclaration de guerre, il fut arrêté pour avoir déclaré, selon un rapport de police cité par Jean-Jacques Becker : « la guerre était du brigandage, elle a été voulue et cherchée depuis quatre ans par notre gouvernement. Poincaré avait été la préparer en Russie, en Angleterre, l’Allemagne ne cherchait pas la guerre, Poincaré n’était pas un républicain, mais un nationaliste et le plus grand bandit qu’il y avait en France. » Lors de son procès devant le deuxième conseil de guerre de la Seine, le 17 octobre 1914, il fut défendu par Pierre Laval. Il ne fut condamné qu’à un mois de prison car les propos rapportés furent considérés comme relevant d’une conversation et ne constituant donc pas un délit.

Mobilisé, Émile Hubert fut affecté au chantier du camp retranché de Paris, à Longjumeau. Le syndicat des terrassiers de la Seine, dont il était toujours le secrétaire, était alors le fer de lance de la résistance à la guerre au sein de la CGT, et maintenait l’action revendicative à un haut niveau, obtenant des augmentations de salaire et le monopole de l’embauche. Le 22 mars 1915, Hubert fut réformé. Le 1er mai 1915, les terrassiers furent une des seules corporations à faire grève.

Du 5 au 8 septembre 1915 se tint, en Suisse, la conférence de Zimmerwald, première manifestation internationale de l’opposition ouvrière à la guerre.

Le 7 novembre 1915, la Fédération des Métaux convoqua à la bourse du travail de Paris une réunion rassemblant tous les syndicalistes opposant à la guerre. Celle-ci fut présidée par Émile Hubert, et il en sortit un appel à « ceux qui sont restés fidèles aux nobles idées de fraternité humaine » et « croient toujours à la nécessité des relations et de l’action internationale des travailleurs », dont Hubert fut un des cosignataires. Cet appel eut quelque écho et, le 21 novembre 1915, une centaine de syndicalistes se réunirent à la Maison des syndicats et décidèrent la constitution du Comité d’action internationale (CAI, voir Paul Veber).

Le 19 décembre, dans une assemblée commune du syndicat des terrassiers et du syndicat du bâtiment de la Seine, Hubert déclara : « J’aime mieux être fusillé pour avoir défendu ce principe [de paix] que d’être tué en défendant le coffre-fort des capitalistes. »

En janvier 1916, le CAI s’autodissout pour former, avec les minoritaires socialistes, le Comité pour la reprise des relations internationales (CRRI). Puis, en son sein, les libertaires poussèrent les syndicalistes révolutionnaires à reprendre leur autonomie, et le Comité de défense syndicaliste (CDS) fut formé, dès avril 1916. Hubert fut un de ses animateurs.

Le 24 mai 1917 il forma, au nom de l’union des syndicats de la Seine, un comité de soutien aux grèves des midinettes, où il fut actif avec ses camarades Boudoux et Lepetit, mais aussi avec des syndicalistes majoritaires. Le 6 juin 1917, au siège de la CGT, il tint un discours à tendance pacifiste devant 2 000 ouvrières en grève des usines d’armement. Le lendemain, lors d’une réunion du conseil de la 18e région du bâtiment, qui dégénéra en bagarre, Hubert traitant Chanvin, le secrétaire fédéral, de « briseur de grèves ».

La nouvelle de la révolution d’Octobre l’enthousiasma. Le 25 novembre 1917, il en parla dans une assemblée des terrassiers, évoquant les liens d’amitié qu’il avait noués avec Trotsky du temps du CRRI.

Le 25 mars 1918, Hubert fut délégué par le CDS à la conférence intercorporative du Centre et du Sud-Est tenue à Saint-Étienne.

En avril-mai 1918 il fut membre de la commission administrative du journal La Plèbe (voir Louis Alignier) qui réunissait syndicalistes, libertaires et socialistes opposés à la guerre. Il fut également membre du comité de L’Entraide chargé de l’aide aux prisonniers. Le 26 mai 1918, alors que le syndicat des terrassiers préparait un mouvement revendicatif, il prévenait l’assemblée du syndicat : « la presse bourgeoise nous accusera sans doute de rechercher la désorganisation du pays, nous serons qualifiés d’antipatriotes ».

Du 10 au 13 juillet 1918 à Paris, Émile Hubert fut délégué au congrès du Bâtiment par le syndicat des terrassiers de la Seine et le syndicat du bâtiment d’Alger. Il y fut le porte-parole de la minorité pacifiste avec Jean-Baptiste Vallet* et Jean-Louis Thuillier. Il y déclara notamment : « Peu importe d’être sous la botte d’un capitaliste allemand, américain ou français : ce sont tous des voyous qui exploitent le monde du travail. » Il s’en prit également au bureau fédéral : « J’accuse les membres fédéraux d’être plus outranciers en chauvinisme que les royalistes et les impérialistes... J’invite mes camarades et les ouvriers sincères à ne jamais oublier l’action dégoûtante des capitalistes américains qui sont aussi voyous que les capitalistes boches ou que nos représentants. »

En octobre 1918, il soutint la grève des midinettes, y tenant des discours pacifistes.

Il n’épargna pas non plus le manque de combativité de la classe ouvrière et, lors d’un meeting le 22 janvier 1919, déclara ne plus vouloir se fatiguer « pour une bande de lâches et d’avachis qui n’ont pas le courage de faire un geste de révolte quand ils crèvent de faim. La bourgeoisie a raison d’exploiter la classe ouvrière puisque celle-ci ne sait même pas se défendre ».

En juin 1919, alors que la grève des métaux parisiens venait de commencer, la question de son extension au bâtiment fut posée, lors du conseil syndical du bâtiment du 7 juin. En tant que secrétaire des terrassiers, Émile Hubert écarta cette option, et proposa d’envoyer plutôt un ultimatum à la confédération pour qu’elle appelle à l’élargissement.

Après octobre 1920, Émile Hubert fut un animateur des Comités syndicalistes révolutionnaires. En décembre 1921, il était membre du comité central des Amis du Syndicaliste révolutionnaire, l’organe des CSR sorti à la veille de la scission confédérale.

Après la scission confédérale de décembre 1921, il milita à la fédération CGTU du bâtiment. Lors du congrès de la fédération, en juillet 1923 il fut le délégué des terrassiers et soutint la majorité hostile au parti communiste.

En mai 1924, il appartint au Groupement de défense des révolutionnaires emprisonnés en Russie (voir Jacques Reclus).

Après avoir rompu avec la CGTU, il fut membre du syndicat autonome des terrassiers de la Seine et participa à plusieurs réunions organisées par la CGT-SR. Toutefois, en avril 1927, il se montra favorable à un retour dans la CGT.

Vers 1930 il s’installa à Houilles où il semble avoir cessé tout militantisme.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article156569, notice HUBERT Émile, Victor, Léon [Dictionnaire des anarchistes] par Jean Maitron, Jean-Luc Pinol, Rolf Dupuy, Guillaume Davranche, version mise en ligne le 24 février 2014, dernière modification le 5 juillet 2022.

Par Jean Maitron, Jean-Luc Pinol, Rolf Dupuy, Guillaume Davranche

Émile Hubert
Émile Hubert
La Bataille syndicaliste du 2 juillet 1913.

SOURCES : Arc.Nat. F7/13005, 13005, 13053, 13647, 13650, 13652 et 13657 — AD Yvelines 16M46, 4M30, 4M31 — Arch. PPo BA/1605 — comptes rendus des congrès cités — La Vague du 21 février 1918 — Robert Brécy, Le mouvement syndical en France, 1871-1921 Mouton & co, 1963 — René Bianco, « Un siècle de presse... », op. cit. — Jean-Louis Robert, Les Ouvriers, la patrie et la révolution, Annales littéraires de l’université de Besançon, 1995 ― Boris Ratel, « L’anarcho-syndicalisme dans le bâtiment en France entre 1919 et 1939 », mémoire de maîtrise d’histoire sociale, université Paris-I, 2000. — Jean-Jacques Becker, 1914, Comment les Français sont entrés dans la guerre, Presses de la fondation nationale des sciences politiques, 1977.

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