RÉGÈRE Dominique, Théophile, dit Régère de Montmore

Né le 15 avril 1816 à Bordeaux (Cadanjac) ; mort le 3 novembre 1893 à Paris (Xe arr.) ; vétérinaire, puis rentier ; membre de l’Internationale ; élu membre de la Commune de Paris ; déporté en Nouvelle-Calédonie.

Dominique Régère fit ses études de vétérinaire à l’école d’Alfort où il entra en 1834. À sa sortie, il vint à Bordeaux prendre la succession de son père. Marié le 4 août 1853 à Caudéran, le couple eut quatre enfants.

Fondateur en 1848 de la Tribune de la Gironde, il fut bientôt noté par la police comme « socialiste incorrigible ». Il fut, en 1852, placé sous surveillance en vertu d’une décision de la Commission mixte de la Gironde pour avoir fait partie de la Solidarité républicaine et dut s’exiler à Londres en 1853. Il regagna Paris en 1855 et y connut Lefrançais et Millière. De 1863 à 1870, il habita La Brède, dans une petite propriété lui appartenant. Il ne revint à Paris qu’en juin 1870 et logea, 83, rue de la Verrerie.

Capitaine au 248e bataillon de la Garde nationale pendant le Siège de Paris, Dominique Régère adhéra, ainsi que son fils Henri, à l’Internationale, section du Panthéon (cf. Arch. PPo., B a/439, pièces 5171-5172). Membre du Comité d’armement du Ve arr., il participa également à la fondation du Comité républicain de défense du Ve arr. qui le délégua au Comité central des Vingt arrondissements dont il fut à plusieurs reprises le secrétaire. Il fut encore membre actif du club de l’École de droit et du club démocratique-socialiste du Ve arr., émanations du Comité local de défense. Compromis (?) dans l’affaire du 31 octobre 1870, il fut quelque temps détenu, mais bénéficia d’un non-lieu. En janvier 1871, il fut l’un des signataires de l’Affiche rouge élaborée par les délégués des 20 arrondissements, proclamation au peuple de Paris pour dénoncer le gouvernement du 4 septembre qui avait failli à sa mission de défense nationale.

Délégué à la mairie du Ve, le 23 mars, il fut élu membre de la Commune le 26, par 7 469 voix sur 12 422 votants et 21 632 inscrits. Avec Bestetti, Pierre Bisson, Bonnard, Boyenval, Duvivier, Larmier, Charles Longuet, Marchand, Piéron, Édouard Roullier et Treillard, il appartenait au Comité démocratique socialiste du Ve arr. À la Commune, il siégea à la Commission des finances, mais il entra en conflit avec Jourde et démissionna le 5 avril. Il vota pour le Comité de Salut public.
Il fut arrêté le 13 juillet 1871 (le 19 juin, d’après un autre document), alors qu’il était caché, sous un faux nom, dans un hôtel de la rue Choiseul, et comparut devant le 3e conseil de guerre le 2 septembre suivant.

Son attitude devant ses juges fut jugée sévèrement par certains (cf. Da Costa, La Commune vécue, t. III, p. 198). Certes, il allégua la pression exercée sur lui par ses électeurs du Ve, il nia beaucoup de faits, d’actes signés par lui et déclara même que Paris avait eu affaire les derniers jours à des hommes « ivres de poudre et de misère » (Gazette des Tribunaux, 16-17 août 1871). L’expression n’est pas infamante. Il n’en est pas de même de celles reproduites par le Journal de Genève du 18 août : « Le peuple ivre de vin, ivre d’eau-de-vie, ivre de misère ! », et par G. Bourgin : « Des hommes ivres de sang, de vin et déchaînés » (La Commune 1870-1871, p. 404). Régère prétendit avoir empêché l’incendie du quartier du Panthéon et fit état de ce que, catholique pratiquant, il avait fait faire la première communion d’un de ses fils à Saint-Étienne-du-Mont, quelques jours avant l’entrée des troupes versaillaises. Dans une lettre adressée de la prison de Versailles à Thiers, le 2 août 1871 (cf. Notes justificatives), il écrivait : la Commune « est aussi innocente des horreurs qui ont flétri sa cause que des faits du 18 mars où elle n’était pas encore née, et où, laissez-moi vous le dire, l’attitude des hommes du 4 septembre eût pu avoir plus d’énergie au début ». Ce qui est certes une piètre défense de la Commune. Mais il y a plus grave et, le 25 août, s’adressant au président du 3e conseil de guerre devant lequel il allait comparaître quelques jours plus tard, il l’informait comme suit :

« À plusieurs reprises, vous avez exprimé le regret que l’on n’eût pas conservé les procès-verbaux réguliers adoptés à chaque séance de la Commune et la sténographie des séances. Je crois pouvoir vous dire que ces utiles documents n’ont pas été détruits. Il dépend de vous qu’ils arrivent dans vos mains.

« Lorsque, le 24 mai, à 3 heures, je dus chercher un abri pour ma femme et pour moi, je pris dans l’hôtel garni de M. Allhaus, 312, rue des Blancs-Manteaux [IVe arr.] une chambre où je restai sans broncher jusqu’au 5 juin.

« Cette chambre, n° 7, au premier, était justement celle que venait de quitter Amouroux qui, après Ulysse Parent, avait été secrétaire de la Commune [...]

« Je n’ai pas à vous dire quel intérêt ces documents offriraient au Conseil. Il en est un bien important pour moi. On y trouverait, vers le 12 mai, et dans une discussion incidente, un discours de moi en faveur des otages, le seul, je crois, qui eût été prononcé à la Commune.

« J’ai l’honneur d’être, Monsieur le Colonel, votre bien respectueux serviteur.

D. Th. Régère. »

C’est le 17 mai que Régère prononça non un discours, mais quelques mots pour demander le renvoi au lendemain du vote concernant les otages. Il ne fut d’ailleurs pas le seul (cf. P.V. Commune, op. cit., t. II, p. 387).

Son attitude devant les juges fut digne. Un rapport du 6 novembre 1871 l’estime « provocante », et le général de Ladmirault, commandant la première division militaire, écrivait le 31 octobre 1871 : « Régère est connu depuis vingt ans dans le parti du désordre ; il a participé à toutes les mesures violentes prises contre la religion et les prêtres, et son attitude à l’audience a été constamment détestable ; il ne mérite pas d’être l’objet d’une mesure de clémence. » (Arch. Nat., BB 24/730).

Que penser de Régère ? Reproduisons encore ce portrait que Charles Longuet nous en a laissé dans la préface qu’il écrivit, le 2 décembre 1900, à La Guerre civile en France de son beau-père Karl Marx (cf. pp. 114-115, édition de 1925, librairie de l’Humanité).

« Dans les séances de la Commune, il était d’un révolutionnarisme à faire frémir. Dans la vie privée, c’était un homme des plus doux et des plus courtois, catholique pratiquant, même pendant la Commune, et plus tard en Nouvelle-Calédonie où il fut autorisé à emmener son plus jeune fils [...]

« Ce fut ce singulier Communard et ce catholique plus étrange encore qui, dans la matinée du mercredi 24 mai, m’apprit qu’il était fortement question de fusiller l’archevêque et quelques autres prêtres. Il n’en paraissait pas autrement ému. À une objection que nous lui fîmes — Vallès m’accompagnait — il me répondit : « Ah ! que voulez-vous ? Ce sont des ennemis politiques. »

« Devant le conseil de guerre, ce farouche fut doux comme un mouton, se donnant des airs de conciliateur et même d’homme d’ordre. Grâce à cette attitude et aux attestations envoyées à son avocat, le courageux Dupont de Bussac, par un certain nombre d’ecclésiastiques, ce propriétaire communard, ce vétérinaire professant, en toute sincérité, j’en suis convaincu, la religion de sa noble clientèle, ne fut condamné qu’à la déportation dans une enceinte fortifiée, tandis que les autres membres de la majorité de la Commune se voyaient condamner à mort et aux travaux forcés à perpétuité. »

On aurait encore une idée incomplète — et injuste — de l’homme, si l’on omettait de prendre connaissance de quelques lettres de sa main qui se trouvent à son dossier des Archives nationales.

Dominique-Théophile partit pour la Nouvelle-Calédonie en compagnie de son fils Gontran, âgé de douze ans, laissant en France sa mère et sa femme qui se fit institutrice près de Bordeaux pour élever un fils d’une dizaine d’années et une fille de trois ans.

En déportation, il fut, au dire de Balsenq (cf. Actualité de l’Histoire, n° 5-6 : « En dépouillant les archives du général Eudes » par J. Maitron), « délaissé et mis de côté par tout le monde » (lettre du 29 novembre 1872).

Cependant, le 14 mai 1877, Régère écrivait au ministre de la Marine et des Colonies (ces lettres sont reproduites intégralement dans Le Mouvement social, n° 37, oct.-déc. 1961)  :

« Le soussigné, membre de la Commune de Paris, condamné à ce seul titre par le 3e conseil de guerre à la déportation dans une enceinte fortifiée,

« À l’honneur d’exposer les faits et les considérations qui suivent :

« Hier, 13 mai, il a été officiellement informé que le Gouvernement, sollicité sans doute par des amis bienveillants, serait disposé à améliorer son sort par une grâce ou commutation quelconque.

« Le soussigné ne peut que se montrer absolument reconnaissant envers ceux de ses amis qui, au gouvernement ou au dehors, se sont spontanément intéressés à lui.

« Pourtant, il ne saurait accepter et encore moins solliciter une mesure gracieuse, quelle qu’en fût la nature.

« Ses motifs sont tout personnels, et il ne blâme en rien ceux qui suivent une autre voie.

« Atteint autrefois par les Commissions mixtes, et cela très iniquement, il a involontairement subi la douloureuse faveur, d’être gracié par le gouvernement né le 2 décembre.

« Il lui serait trop pénible, au moment où triomphent les principes auxquels il a voué sa vie, d’être à nouveau pardonné par la République et par ses amis politiques mêmes [...] »

Un an plus tard, le 8 mai 1878, il décrivait ainsi sa situation et celle de son fils à sa mère alors âgée de 81 ans :

« [...] Vous dites, chère et vieille mère, que vous ne me croyiez pas si malheureux... Sachez donc que je vous cache, à vous et à tous, les plus tristes de mes misères, les plus amères de mes privations.

« Je le fais d’abord par orgueil ; je ne veux pas être plaint, même des miens ; je ne veux affliger personne.

« On se gênerait, peut-être, on se priverait pour m’envoyer linge, provisions, luminaire, tout ce qui me manque.

« Je ne veux pas de cela.

« Mais au milieu de ces privations atroces, que j’ignorais, moi habitué à une vie aisée, je ne suis pas malheureux. On ne l’est jamais quand la conscience vous approuve. Et elle me dit que j’ai fait mon devoir. L’honnête homme dont vous portez le nom, mon digne père, n’eût pas fléchi devant la brutalité et l’injustice. Il n’eût pas demandé grâce à ceux qui avaient tous les torts.

« Non, je ne suis pas malheureux, mais seulement bien inquiet, je souffre en songeant à Gontran qui s’est dévoué pour moi et partage cette vie misérable que je ne soupçonnais pas en l’amenant ici. Je souffre de notre alimentation trop restreinte, et bien que, les jours de bœuf, je lui laisse toute ma viande et partie de mon pain, je crains que l’horrible faim ne le tourmente [...]

« Les livres manquent pour son instruction ; j’en achète un tous les mois, selon mes moyens ; mais je n’ai pu encore avoir à cause du prix un dictionnaire Latin-Français, et il traduit Virgile sans dictionnaire [...]

« Je suis valide, j’aime fort le travail et je ne me décourage pas, bien que l’avenir me rende très anxieux, en raison de mon peu de ressources. Mais Dieu m’aidera ; jamais il ne nous a abandonnés, malgré de rudes épreuves.

« Faites comme moi, chère mère, ayez foi en lui, priez-le de nous réunir bientôt.

« Gontran et moi vous embrassons du fond du cœur vous et tous ceux que notre sort intéresse.

« Votre fils respectueux.

D. Th. Régère ».

La lettre ci-dessus parvint au garde des Sceaux. Le fonctionnaire qui la transmit accompagna son envoi des lignes suivantes :

« [...] une des lettres les plus curieuses que j’aie rencontrées dans ces tristes dossiers.

« La présence du fils âgé de 18 ans élevé par son père en exil dans des idées de révolte et d’orgueil donne à ce récit un caractère saisissant.

« Sauf l’envoi d’un dictionnaire latin, je ne vois pas ce que nous pouvons faire. »

La peine de Régère ne fut adoucie qu’en déportation simple, et le 27 novembre 1879. Il fut rapatrié, sans doute avec son fils, par le Navarin, fin 1880-début 1881. Dans une lettre à Pyat, directeur de la Marseillaise, parue dans ce journal le 17 janvier 1881, Régère, de Poitiers et en route pour Bordeaux, écrivait le 9 de ce mois : « Ce sera l’honneur de mon nom d’avoir été membre de cette grande Commune de Paris qu’on a si indignement assassinée et qu’un avenir prochain glorifiera. »

Il mourut le 3 novembre 1893 et fut enterré civilement — nous ignorons à la suite de quelle évolution — au cimetière de Pantin.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article174003, notice RÉGÈRE Dominique, Théophile, dit Régère de Montmore, version mise en ligne le 16 juin 2015, dernière modification le 8 septembre 2022.

SOURCES : Arch. Nat., BB 24/730, n° 3945, BB 27 et H colonies 98. — Arch. Min. Guerre, 3e conseil. — Arch. PPo., B a/931, pièce 74. — M.D.Th. Régère, ex-maire du Panthéon et membre de la Commune. Notes justificatives, par Mmes Régère, sa mère, et sa femme. Paris, Rodière, s. d. , in-8° pièce. Bibl. Nat., 8°, Lb 57/2582. — J. Dautry et L. Scheler, Le Comité central républicain des Vingt arrondissements, Paris, 1960. — J.O. Commune, 31 mars. — Murailles... 1871, op. cit., pp. 128 et 149.

ICONOGRAPHIE : G. Bourgin, La Commune, 1870-1871, op. cit.., p. 227. — Bruhat, Dautry, Tersen, La Commune de 1871, op. cit., p. 134. — Arch. PPo., E a 54-7.

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