THORN Jean-Pierre, William

Par Daniel Richter

Né le 24 janvier 1947 à Paris (XIIe arr.) ; cinéaste engagé réalisateur de films sur l’action ouvrière et syndicale, l’immigration et les banlieues (à partir de 1965) ; militant politique de la mouvance maoïste (1968-1970) ; militant syndical CFDT à l’Alsthom savoisienne à Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis) (1972-1977) ; conseiller audiovisuel de la CFDT (1983-1984) ; militant associatif à l’Association du cinéma indépendant pour sa diffusion (ACID) et à la Société des réalisateurs de films (SRF).

Jean-Pierre Thorn

Jean Pierre Thorn fut le fils de Jacques Thorn, né le 17 avril 1924, cadre technique au sol d’Air France, et de Liliane Dianoux née le 8 mars 1922, décédée le 3 janvier 2005. Celle-ci exerça l’activité professionnelle d’assistante sociale avant de rester au foyer pour élever ses trois enfants. La carrière de son père se déroula longtemps en Afrique et Madagascar. À la retraite il vécut à Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône). Une de ses grands-mères avait appartenu au Parti radical-socialiste et sa mère était porteuse d’un héritage protestant rigoriste et humaniste.

Jean-Pierre Thorn vécut, petit, six ans au Cameroun où il fréquenta l’école primaire. Après un an à Antibes (Alpes-Maritimes), il suivit le cycle du secondaire, de la cinquième à la seconde, à Abidjan (Côte d’Ivoire). Son père fut muté à Alger en 1962 et, compte tenu des événements qui marquèrent la marche vers l’indépendance algérienne, sa mère vint à Aix-en-Provence. Jean-Pierre Thorn y poursuivit sa scolarité en première, terminale (baccalauréat de sciences expérimentales en 1964) puis propédeutique à la Faculté des lettres (1964-1965). Il y obtint le certificat d’études littéraires générales (section classique, latin, géographie). Ensuite il s’inscrivit de 1965 à 1969 à la Faculté des lettres et sciences humaines de Paris. Il suivit durant l’année 1968-1969 le séminaire de Roland Barthes à l’EPHE (École pratique des hautes études) à Paris avec pour objectif une thèse en sémiologie sur le thème « Marxisme-léninisme et théorie du montage d’Eisenstein » à partir des écrits théoriques du cinéaste russe. Quelques années auparavant le film Le cuirassé Potemkine l’avait fasciné lorsque son père l’avait projeté à ses enfants.

Dans le cadre des activités soutenues par la FFACE (Fédération française des associations chrétiennes d’étudiants) dénommée plus communément « la fédé » dans les milieux protestants, Jean-Pierre Thorn mit en scène deux pièces de théâtre de Bertolt Brecht, Les fusils de la mère Carrar en 1965 et Sainte Jeanne des abattoirs en 1966. Il tourna son premier film, un court-métrage À mon amie en 1965 sur les amitiés et amours lycéens qui fut projeté devant un millier de spectateurs à Aix-en-Provence. Il rencontra, d’un côté, le cinéaste Alain Resnais (1922-2014) qui le mit en contact avec le producteur de la « nouvelle vague » Pierre Braunberger (1905-1990), d’un autre, le réalisateur Joris Ivens (1898-1989). Il en découla un second court-métrage Emmanuelle (ou Mi-vie), racontant des amours lycéens sur fond de la guerre du Vietnam. Le film obtint le premier prix au festival d’Évian (Haute-Savoie) en 1967, présidé alors par Joris Ivens.

Arrivé à Paris au début de 1968, Jean-Pierre Thorn s’engagea dans un comité Vietnam de base. Sympathisant de l’UJCML (Union des jeunesses communistes marxistes-léninistes), il diffusait leur journal Servir le Peuple. Au printemps 1968, il partit en reconnaissance en Bretagne avec le futur réalisateur Jean Lefaux (1943-2005) en vue d’un tournage sur la « guerre du chou-fleur » lorsqu’éclatèrent les grèves de mai-juin. Il fut immédiatement partie prenante des « États généraux du cinéma français » à Paris et, sur l’impulsion du réalisateur Chris Marker (1921-2012), fit partie de la « commission production » qui réunit des dizaines de techniciens en « grève active » pour aller filmer les ouvriers, paysans et étudiants en lutte. Il décida de sortir du Quartier latin pour filmer en usine.

Par le biais d’un étudiant membre de l’UJCML, « établi » à Renault Flins, il suivit le conflit dans cet établissement. Aux prix de difficultés de tournage puis de montage non négligeables (caméras adéquates, quantité de pellicules disponible, tirage des négatifs en Belgique), il en sortit le film Oser lutter, oser vaincre en 1969. Quatre copies furent tirées clandestinement grâce au réalisateur Jean-Luc Godard. Se voulant porteur du message maoïste, le film n’échappa pas aux très vives controverses qui agitaient les organisations prochinoises en France. L’original du film fut volé après une projection à Aubergenville (Yvelines), commune où se trouve Renault-Flins, et Jean-Pierre Thorn eut droit à un « procès » organisé par une partie de ses camarades dans les locaux de l’École normale supérieure de Saint-Cloud (Hauts-de-Seine). En conséquence, il existe deux versions du film, le long-métrage de Jean-Pierre Thorn et une seconde plus courte intitulée Flins 68-69, continuons le combat présentée par « les cinéastes révolutionnaires prolétariens » membres de la GP (Gauche prolétarienne, maoïstes de la cause du peuple).

Pris dans les débats et scissions qui marquèrent les différentes sensibilités maoïstes dans la France post-soixante-huitarde, Jean-Pierre Thorn devint durant quelques mois en 1969-1970, l’un des principaux responsables de « Ligne rouge », mais il s’en distancia rapidement pour échapper à son dogmatisme. En mars 1969, après le montage d’Oser lutter, oser vaincre, il se rendit à Madagascar avec sa compagne. Ce voyage connut une triste issue puisque celle-ci fut ensuite emportée par le paludisme qu’elle avait contracté. Secoué par ce décès et les ruptures idéologiques, Jean-Pierre Thorn décida de vivre lui-même la condition ouvrière. Il travailla quelques mois comme manutentionnaire dans des PME du textile dans le quartier du Sentier à Paris, puis il fut embauché à l’Alsthom savoisienne à Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis), filiale de la CGE (Compagnie générale d’électricité), le 21 avril 1971, au « magasin général ». Cet établissement comptait environ 1 200 salariés. Il y fut successivement OS2 magasinier puis, en avril 1976, O3 magasinier et enfin, en décembre 1977, P1 magasinier. Il arrivait dans un contexte de restructuration avec la fermeture de l’établissement voisin de Delle-Alsthom Saint-Ouen en 1972, dans lequel la CFDT était implantée depuis 1968 sous l’impulsion de Daniel Benard.

Convaincu par les positions des métallurgistes cédétistes, avec notamment Bernard Loup*, l’un des principaux militants du SCEE (syndicat de la construction électrique et électronique), à l’occasion des grèves menées par les ouvriers maghrébins de Pennaroya à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) et Gerland (Rhône) en 1971 et 1972, il décida avec deux autres ouvriers de créer une section syndicale CFDT à l’Alsthom savoisienne. De 1972 à la fin 1977, Jean-Pierre Thorn fut tout à la fois délégué du personnel et délégué syndical, intégrant la commission exécutive du syndicat de la métallurgie CFDT du 93 Nord en formation dont Bernard Loup était le secrétaire général. S’appuyant tout particulièrement sur les immigrés et les femmes, la CFDT Alsthom savoisienne accrut son audience dans le premier collège aux élections des délégués du personnel, passant de 15 % à quasiment 40 % entre 1972 et 1977. Tout au long de ces années, les relations entre la CGT, majoritaire à l’Alsthom savoisienne, et la CFDT furent très difficiles avec, suivant les moments, de vives polémiques, Jean-Pierre Thorn étant plusieurs fois nommément pris à parti dans des tracts.

La section syndicale CFDT Alsthom savoisienne Saint-Ouen se distinguait par ses interventions sur des terrains sociétaux et internationaux marqués. En septembre 1973, elle se joignit à l’appel à la grève générale des travailleurs arabes lancé par le MTA (Mouvement des travailleurs arabes) contre une série d’attentats racistes à Marseille (Bouches-du-Rhône). En mars 1974, elle se joignit aux actions de protestation contre l’exécution d’un militant anarchiste par les autorités franquistes en Espagne. En 1975, elle fêta dans son local l’entrée des Khmers Rouges à Phnom Penh (Cambodge) et la chute de Saigon (Vietnam). Durant son « établissement » à l’Alsthom, Jean-Pierre Thorn abandonna la caméra à une exception notable. En 1973, il tourna l’une des premières luttes, victorieuse de surcroît, d’ouvriers sans papiers dans une entreprise de Nanterre (Hauts-de-Seine) pour, tout à la fois, leur régularisation administrative et la reconnaissance de leurs droits en tant que salariés. Il en sortit le moyen-métrage La grève des ouvriers de Margoline produit par le collectif Cinélutte et diffusé ensuite par les Comités de défense de la vie des travailleurs immigrés et par la librairie de la CFDT, Montholon services.

En janvier 1975, dans un courrier signé Jean-Pierre Thorn, la CFDT de l’Alsthom savoisienne Saint-Ouen alerta l’inspection du travail sur des entraves au fonctionnement des élus délégués du personnel et des discriminations touchant au droit syndical, Houmad Lazaar étant particulièrement visé. Une procédure judiciaire (affaire CFDT et Thorn c/Alst Sav) devant le tribunal de grande instance de Bobigny (Seine-Saint-Denis) fut engagée. Le jugement en date du 15 mars 1977 condamna six personnes (trois agents de maîtrise, le chef de fabrication, le chef du personnel et le chef d’établissement) à des amendes allant 800 F à 2 000 F, la société Alsthom savoisienne étant déclarée civilement responsable, tandis que les prévenus devaient 5 000 F de dommages et intérêts au syndicat CFDT.

Le 27 mars 1977 commencèrent des grèves tournantes soutenues par la CGT et la CFDT de l’Alsthom savoisienne Saint-Ouen sur les salaires et le temps de travail. Le conflit dura neuf semaines et s’envenima au fil du temps faute de négociations. À l’occasion d’un incident, la direction de l’Alsthom engagea une procédure de licenciement à l’encontre de trois militants CFDT dont Jean-Pierre Thorn, lesquels menacèrent d’entreprendre une grève de la faim. Un reportage de la chaîne de télévision FR3 amena la direction d’Alsthom savoisienne à retirer les trois licenciements. L’échec de la grève et les questions liées aux pratiques syndicales entraînèrent un très vif débat interne dans la section syndicale en novembre 1977. Jean-Pierre Thorn et deux autres militants signèrent une « lettre ouverte aux syndiqués CFDT de l’Alsthom » dans laquelle ils mettaient en cause l’attitude et les positions gauchistes sectaires de militants politiques qui avaient pris le contrôle de la section syndicale. En réponse, un texte intitulé « Contribution au débat dans la section », avec quatre signataires, parmi ceux-ci Robert Kissous, mettait en exergue la priorité à la lutte des classes et à la dénonciation des réformismes.

Découragé, Jean-Pierre Thorn démissionna de ses mandats syndicaux et refusa d’être présenté aux élections. Bien qu’ayant diffusé des années dans l’usine le journal La Chine en construction, il prenait de plus en plus ses distances vis-à-vis de ce qui se passait en Chine compte tenu des éliminations de Lin Piao et de la « bande des quatre » et de ce qui était dit de la réalité de la révolution culturelle. Il ne supportait plus les comportements des militants CFDT de sa section syndicale membre du PCMLF (Parti communiste marxiste léniniste de France). Il partit de l’usine en avril 1978. Il tomba malade, fut hospitalisé durant un mois, puis se sépara de son épouse et quitta le pavillon familial loué au milieu des usines Chausson de Gennevilliers (Hauts-de-Seine).

À l’occasion de la préparation du dixième anniversaire de mai-juin 1968, les cinéastes qui avaient filmé durant les événements se retrouvèrent. Un programme, « Mai 68 par lui-même », avec douze films furent diffusés au cinéma Saint-Séverin à Paris. Jean-Pierre Thorn fut chargé de la coordination de la distribution, il rechercha des salles indépendantes partout en France et accompagna la tournée des films qui fut un succès. Lorsqu’en octobre 1979, il fut averti qu’une grève avec occupation commençait à l’Alsthom Saint-Ouen, devenue Alsthom UNELEC département savoisienne, Jean-Pierre Thorn n’eut pas d’hésitation. Il mobilisa les ressources possibles pour filmer. Il fut aidé par le réalisateur Bruno Muel qu’il avait connu en 1968, par Chris Marker et par la société de production « les films de la Lanterne ». Ainsi aboutit Le dos au mur. La direction de l’Alsthom voulut saisir le film mais l’avocat Georges Kiejman assura la défense pour qu’il n’en fût rien. Le film ne convenait ni à la direction de la CGT Alsthom et au PCF, ni à une partie des composantes de l’extrême gauche notamment l’Humanité rouge à la tête de la section CFDT Alsthom Saint-Ouen. Il fallut une pétition parmi le personnel de l’usine pour que la mairie de Saint-Ouen acceptât de fournir une salle pour la première projection destinée à tous les salariés de l’établissement. Le visionnage dans certaines régions, en particulier dans le midi de la France, donna lieu à des accrochages verbaux et écrits, Jean-Pierre Thorn étant accusé de « désespérer Billancourt » et d’une campagne anticommuniste. Jean-Pierre Chevènement, le leader de l’aile gauche du PS, fit venir le film à Belfort durant la campagne des présidentielles de 1981. Durant un an, la revue syndicale Résister (1980-1986) accompagna la diffusion du film.

Dans la foulée du film Le dos au mur, Jean-Pierre Thorn fut recruté sur un contrat à mi-temps entre mai 1983 et mai 1984 par le secteur information de la confédération CFDT en tant que conseiller audiovisuel. Il travailla sous la responsabilité de Gérard Carles, secrétaire confédéral à la communication, avec Mireille Amiel, Guy Lorant, Lucien Masclet, Catherine Bouillard, Jean Halbrand et François Vidal. Il assura entre autres pour la CFDT la coordination de quatre émissions télévisées, « Expressions directes », de dix minutes chacune. Lui-même en réalisa deux, celle consacrée à la Sécurité sociale puis celle relative à la réduction du temps de travail, « Le temps choisi », en collaboration avec le metteur en scène brésilien Augusto Boal et sa troupe pastichant le « petit théâtre de Bouvard ». L’émission la plus connue fut celle de Chris Marker intitulée « 2084 » à l’occasion du centenaire du syndicalisme. Il fut à l’initiative des rencontres « Audiovisuel et mouvement ouvrier » à Nantes (Loire-Atlantique) en 1984 et à Saint-Nazaire (Loire-Atlantique) en 1986 avec un catalogue d’une centaine de réalisations établi par l’ORAVEP (Observatoire des ressources audiovisuelles pour l’éducation permanente). À cette occasion, il conçut avec d’autres techniciens et réalisateurs (Bernard Baissat, Dominique Cabrera, Yolande Joseph, Alban et Geneviève Poirier) le projet d’un magazine vidéo intercomités d’entreprise « CANAL CE » dont le numéro zéro fut financé par un appel d’offres intitulé « 52 minutes pour une télévision locale » que le gouvernement de gauche avait mis en place en 1983. L’expérience fut renouvelée à l’occasion du « Forum CE » au parc de la Villette à Paris avec l’ambition de faire circuler dans les comités d’entreprises les DVD relatifs aux conditions de travail et à la mémoire ouvrière, l’irruption de la vidéo légère grand public ayant rendu possible une appropriation du langage des images par le monde syndical. Mais, dans les faits, le modèle économique qu’il souhaitait ne prit pas. Seule une cinquantaine de CE diffusèrent ces magazines dans leur médiathèque d’entreprise.

Parmi toutes ces activités Jean-Pierre Thorn fut amené à travailler avec des militants CGT comme Jean-Michel Leterrier, devenu plus tard responsable de la politique culturelle de son organisation. La confédération CFDT estima qu’il y avait incompatibilité avec les missions qu’elle lui avait confiées. Elle ne renouvela pas le contrat.

À l’occasion d’une présentation du film le Dos au mur à Lyon, Jean-Pierre-Thorn prit connaissance du suicide d’une responsable CGT de l’Union départementale du Rhône, Georgette Vacher, peu après l’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981. Il apprit qu’elle avait expliqué son geste dans une dernière lettre : « C’est la fin d’une grande histoire d’amour avec la classe ouvrière, je suis le dos au mur. » Il écouta les cassettes audio qu’elle avait enregistrées durant plusieurs années et lut sa correspondance. À partir de là, il voulut en faire un film car au portrait individuel singulier d’une militante d’abord religieuse, puis ouvrière chez Calor, devenue permanente syndicale dans les années 70, se juxtaposait en toile de fond l’histoire du mensuel féminin de la CGT Antoinette et de la radio « Lorraine Cœur d’Acier » à Longwy (Meurthe-et-Moselle), tous deux remis au pas par la confédération CGT. Il mit cinq ans pour parvenir à réaliser cette première fiction Je t’ai dans la peau (1989), qu’il situa à Marseille (Bouches-du-Rhône) et non à Lyon avec, d’une part, des actrices et acteurs professionnels connus et, d’autre part, des militants et militantes jouant leur propre rôle comme Françoise Arnaud de la commission féminine du Rhône et des syndicalistes CGT de Longwy comme Marcel Donati, Michel Olmi ou Velia di Sebastino, mis à mal par leur organisation. Chantal Rogerat, ex-rédactrice en chef d’Antoinette, est citée dans le générique comme conseillère.

Après les difficultés rencontrées par la diffusion en salles de Je t’ai dans la peau, Jean-Pierre Thorn se tourna vers la banlieue et les expressions musicales du Hip Hop vécues comme synonymes de révoltes contre les injustices, de volonté de vivre et de s’en sortir et d’espoir émancipateur. Sur cette base, il devint parrain du fanzine urbain, Le magazine fumigène, lancé en 1998 à partir d’une MJC d’Hérouville-Saint-Clair (Calvados). Après le moyen-métrage Génération Hip Hop en 1993, trois films documentaires long métrage illustrèrent cette orientation, Faire kiffer les anges en 1997, On n’est pas des marques de vélo en 2002 et 93 la belle rebelle en 2011.

L’immigration allait constituer un pôle permanent des engagements de Jean-Pierre Thorn. En juin 1998, il apporta son soutien actif à la grève de la faim entreprise par l’anthropologue Emmanuel Terray avec 29 sans papiers du troisième collectif, déboutés de la circulaire Chevènement, à l’église des Batignolles à Paris. Le film On n’est pas des marques de vélo raconte l’histoire d’un danseur Hip Hop devenu « double peine » qui, après un emprisonnement consécutif à une affaire de stupéfiants, avait été expulsé vers la Tunisie, pays qu’il ne connaissait pas et qui, réussissant à revenir, se retrouva « clandestin à vie » alors que ses parents avaient depuis acquis la nationalité française. Compte tenu de la campagne contre la « double peine » menée par la CIMADE, la LDH, le GISTI et le MIB (Mouvement de l’immigration et des banlieues), le ministre de l’Intérieur d’alors, Nicolas Sarkozy, accepta de visionner le film ainsi que celui du réalisateur Bertrand Tavernier Histoire de vies brisées (2001). Il en découla, sinon une disparition totale de la « double peine », une réduction significative des situations où elle pourrait intervenir (loi de novembre 2003), avec entre autres la régularisation de Bouda et de son frère Mahrez, les deux protagonistes du film. Le documentaire Allez, Yallah (2004-2006) suivit une caravane de femmes des deux côtés de la Méditerranée dont l’objectif était de combattre la montée de l’intégrisme religieux avec pour corollaire le rétrécissement de l’espace accordé aux femmes dans les ghettos urbains et la remise en cause de leurs droits à l’égalité.

L’échec de la distribution commerciale de Je t’ai dans la peau, les problèmes incessants liés à la recherche du financement d’un film, la frilosité de plus en plus évidente des chaînes de télévision vis-à-vis des documentaires d’auteurs qui sortent des sentiers battus, amenèrent Jean-Pierre Thorn à intervenir pour défendre la possibilité d’un cinéma indépendant et l’existence d’un réseau de salles indépendantes. Il fut, en novembre 1991, l’un des rédacteurs du manifeste des cinéastes de France, intitulé « Résister ». Cent quatre-vingts cinéastes dont Luc Béraud, Claudine Bories, Robert Guediguian, Gérard Mordillat, Bertrand Tavernier, portèrent ce texte. Ce combat permit d’obtenir un appui du CNC (Centre national du cinéma) pour la création d’une Agence du cinéma indépendant pour sa diffusion (ACID) dont le rôle est de réaliser un travail d’action culturelle dans les régions pour soutenir la sortie des films indépendants marginalisés économiquement par la faible place qui leur est accordé du fait de la concentration abusive des grands circuits de distribution et d’exploitation. Jean-Pierre Thorn fut de 1992 à 1995 le président de cette association qui négocia avec le festival de Cannes la possibilité de présenter, dans une section parallèle, une sélection de films qu’elle soutenait ensuite auprès des petits exploitants.

Il s’impliqua de 1992 à 2013, en tant que membre actif du conseil d’administration, dans la SRF (Société des réalisateurs de films) qui avait vu le jour en 1968. Se montrant solidaire des techniciens du cinéma, il prit ses distances en juin 2013 lorsque la majorité de la SRF mit en cause la convention collective du cinéma et demanda en mars 2014 au Conseil d’État d’annuler son extension. Il décida alors d’adhérer à la CGT spectacle pour continuer à défendre cette convention.

Jean-Pierre Thorn intervint dans le conflit (2012-2014) du cinéma Méliès à Montreuil (Seine-Saint-Denis) lorsque la maire de la ville, Dominique Voynet, décida de muter quatre salarié(e)s et de licencier son directeur Stéphane Goudet en place depuis 2002. Il fut l’un des cinéastes cosignataires de la tribune parue dans le journal Libération le 14 février 2013, évoquant un « immense gâchis ». Le changement de majorité municipale en 2014 entraîna une issue positive au conflit du Méliès devenu le plus grand cinéma d’Art et d’essai d’Europe.

Contraint lui-même d’exercer des « petits boulots » dans le cinéma entre les trop longues périodes séparant le tournage de deux films, Jean-Pierre Thorn s’engagea depuis son début, en 2003, dans le conflit des intermittents du spectacle. Dans ce cadre, il mit en cause les positions prises par la confédération CFDT. Ayant perdu son statut d’intermittent, il prit sa retraite au 1er janvier 2009 tout en souhaitant continuer à tourner des films.

Jean-Pierre Thorn s’était marié avec Verena Vogt le 1er juin 1974 dont il divorça le 2 juillet 1987. Il éleva les deux enfants de celle-ci, nés en 1966 et 1968 : Pierre Quartier devenu professeur, responsable de service rhumatologie, immunologie et hématologie pédiatrique à l’hôpital Necker à Paris et Marie Quartier psycho-praticienne et formatrice spécialisée en souffrance scolaire à Lyon, fondatrice du réseau Orfeee (Observatoire, recherche et formation pour une écologie de l’esprit à l’école). À partir de 1995, il vécut avec Françoise Arnaud, paysagiste et décoratrice de cinéma d’auteurs ancienne militante CGT, membre de la commission féminine du Rhône, qui avait été responsable de la production florale aux Espaces verts de la ville de Vénissieux.

Après Aix-en-Provence, Jean-Pierre Thorn vécut successivement à Paris de 1966 à 1971, à Gennevilliers (Hauts-de-Seine) de 1971 à 1987, à Lyon de 1989 à 1995, puis à partir de 1996 à Paris (XIe arr.).

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article182471, notice THORN Jean-Pierre, William par Daniel Richter, version mise en ligne le 11 juillet 2016, dernière modification le 17 avril 2019.

Par Daniel Richter

Jean-Pierre Thorn

ŒUVRE : Principaux films : Oser lutter, oser vaincre, Flins 68, DVD 2008 Éditions Montparnasse (1968). — La grève des ouvriers de Margoline, DVD 2009 Éditions Montparnasse (1973). — Le dos au mur, DVD 2007 Scope Éditions (1980). — Je t’ai dans la peau, DVD 2014, Film Flamme (1990). — Génération Hip Hop (1995). — Faire kiffer les anges (1996). — On n’est pas des marques de vélo, DVD Sony Music (2002). — Allez Yallah ! DVD 2006, L’Harmattan Vidéo (2004-2005). — 93 la belle rebelle, DVD Blaq Out (2007-2010).

SOURCES : Jean-Pierre Thorn, Oser lutter, oser vaincre, Nouvelles presses Parisiennes, 1972. — Promouvoir l’utilisation de l’audiovisuel par la CFDT, rapport de la mission d’étude confiée à Jean-Pierre Thorn par le secteur information confédéral, octobre 1983. — Jean-Pierre Thorn, Filmer la grève, propos recueillis par Pierre Vincent Cresceri et Stéphane Gatti, la Parole errante à la Maison de l’arbre, 2008. — Jean-Pierre Thorn, 93 la belle rebelle, Loïc Ballarini lectures, les comptes rendus en ligne 15 février 2011. — Dissidences, 3, printemps 2012, entretien avec Jean-Pierre Thorn, Un cinéma au service du peuple, propos recueillis par Fréderic Thomas. — Séminaire du 16 décembre 2013 à la BNF cycle « vidéo des premiers temps » : vidéos et organisations ouvrières avec les exemples de COLIMA-SON, des rencontres « Audiovisuel et mouvement ouvrier » de Nantes et Saint-Nazaire en 1984 et 1986 et d’UNICITÉ. — Entretien de Jean-Pierre Thorn et Serge Daney 1990, Cinéma hors capital, 3, avril 2014. — Je t’ai dans la peau de Jean-Pierre Thorn, film Flamme/livre DVD, Cinéma hors capital, 3, avec filmographie complète de Jean-Pierre Thorn (p. 199). — Entretien avec Jean-Pierre Thorn le 16 janvier 2016. — Archives du SYMNES CFDT, emboîtages Alsthom, Bourse du Travail de Saint-Denis.

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