Châtillon-d’Azergues (Rhône), lieu-dit Chez Léger, 19 juillet 1944

Par Jean-Sébastien Chorin

Le 19 juillet 1944, cinquante-deux détenus furent extraits de la prison de Montluc (Lyon, Rhône) et exécutés à Châtillon-d’Azergues (Châtillon, Rhône).

Monument commémoratif du massacre du 19 juillet 1944
Monument commémoratif du massacre du 19 juillet 1944
Source : Arch. Dép. Rhône, 31JC117.

Le 19 juillet 1944, cinquante-deux détenus furent extraits de la prison de Montluc (Lyon, Rhône) par les Allemands. Ces prisonniers furent conduits à Châtillon-d’Azergues (Châtillon, Rhône), au lieu-dit Chez Léger, en face du château Lassalle, et exécutés en bordure d’un sentier croisant l’actuelle route départementale 596.
Il n’y eu aucun témoin du massacre ; le lieu de l’exécution était éloigné d’environ 1 km de toutes habitations et, d’après un rapport de police du 16 janvier 1945, « Des barrages avaient été organisés par les exécuteurs, routes gardées et barrées. » Malgré tout, deux personnes assistèrent partiellement aux événements. La première d’entre elles, Antoine Seve, fut interrogée peu de temps après le massacre. Sa déclaration fut rapportée le 7 août 1944 par un inspecteur de police : « […] Monsieur Seve Antoine […] qui se trouvait à quelque distance du lieu de l’exécution a entendu entre 7h.05 et 8 heures trois rafales de mitraillettes suivies de coups par coups. Environ 20 minutes après, le même témoin vit trois camions et deux voitures de tourisme Citroën tractions avant qui débouchaient du sentier précité prenant la direction de Lyon. Ces véhicules étaient occupés par des Allemands en tenue et les voitures légères par des civils. Le témoin a précisé que parmi les hommes en tenue, certains portaient un uniforme bleu foncé semblable à l’uniforme des miliciens. Il paraît plus exact que ces militaires étaient des Waffen S.S. » Ce témoignage important permet de déduire que les cinquante-deux prisonniers furent divisés en trois groupes, exécutés à coups de mitraillettes et achevés un par un. Fait frappant, Antoine Seve évoque la présence d’hommes portant un uniforme bleu foncé. Peut-être s’agissait-il en effet de miliciens (les francs-gardes portaient une tenue noire), ou de Waffen-SS français « Schutzdienst » qui avaient un uniforme bleu marine avec brassard jaune portant le mot Schutzdienst, ou encore, peut-être, de GMR dont l’uniforme était bleu foncé. Une seconde personne, Marie-Louise Guillerme, propriétaire du café du Pont de Dorieux situé à 1,5 km environ du lieu-dit Chez Léger, fut interrogée le 13 janvier 1945. Son témoignage est très proche de celui d’Antoine Seve. Elle entendit vers 7 heures du matin « une violente fusillade » : « Je ne suis pas sortie, pensant que les patriotes du maquis se battaient avec les Allemands. Cette fusillade ayant duré 3/4 d’heure environ, nous nous sommes rendus sur les lieux, nous avons aperçu alors, une cinquantaine de cadavres criblés de balles. [...]. J’ai vu passer des voitures, sans pouvoir préciser le nombre ; elles étaient occupées par des individus en tenue noire ou bleu marine. Ils chantaient et riaient en traversant le hameau. Il y avait aussi, me semble-t-il, des soldats allemands. [...] ».
Le maire de Châtillon-d’Azergues fut alerté et se rendit sur place. Interrogé par la police le 12 janvier 1945, il évoqua les différentes versions qu’il avait entendues. On retrouve dans ce témoignage indirect quelques éléments récurrents (civils et militaires, Français et Allemands, et tenues sombres) : « Les gens racontaient que des Français venaient d’être fusillés soit par la Milice ou le P.P.F. soit par les Allemands. Je crois que personne n’a assisté à l’exécution, et tout ce qui pourrait se dire, ne sont que suppositions. Néanmoins certains affirment que des autos dans lesquelles se trouvaient des individus en tenue bleue marine ou noire, ainsi que des Allemands ont traversé le village après l’exécution : ce serait le village de Lozanne situé à 2 kilomètres environ du lieu de l’exécution » (précisons que Lozanne se trouve entre Châtillon et Lyon).
Le jour même du massacre, deux inspecteurs vinrent enquêter sur les lieux du drame. Ils constatèrent que les victimes étaient alignées les unes à côté des autres, sur une seule rangée, face contre terre. De l’aspect des blessures, ils déduisirent que ces hommes avaient été fusillés dans le dos. Ils notèrent également qu’ils avaient été achevés d’une ou plusieurs balles dans la tête avec une arme de gros calibre ayant parfois entraîné l’éclatement complet de la boîte crânienne. Ils trouvèrent des douilles de 9mm, calibre de la mitraillette Stern, et des douilles de 12mm, calibre du pistolet Colt, et estimèrent que cette dernière arme avait vraisemblablement servi à donner les coups de grâce. Les policiers remarquèrent également que les corps portaient des traces nettes aux poignets et conclurent que les victimes étaient attachées avec des menottes au moment de leur exécution.
Les cadavres furent transportés dans un hangar du château Lassalle. On ne trouva aucune pièce d’identité sur eux. Il fut tout de même possible d’identifier immédiatement deux victimes : Jean Berbatian, grâce à un peigne portant l’inscription « Berbatian Jean, 7, rue des Clercs à Vienne, Souvenir du Fort Montluc cellule 105 », et Louis Archer grâce à la découverte de son nom inscrit avec de la laine tricotée à l’intérieur de la ceinture de son pantalon. Au cours de la fouille, des morceaux de pain militaire allemand furent découverts dans les poches de quelques victimes.
Les inspecteurs de l’Identité judiciaire de Lyon photographièrent les corps, relevèrent les signalements et empreintes, et prélevèrent des fragments de vêtements. Les cadavres et prélèvements furent numérotés de 1 à 52, et les numéros furent reportés sur les cercueils. Deux infirmières de la Croix-Rouge et des bénévoles (Marie-Louise Guillerme notamment) procédèrent au nettoyage des corps. Le 21 juillet, les victimes furent inhumées au cimetière d’Amancey à Châtillon-d’Azergues. Leurs cercueils, superposés deux par deux, furent placés dans une large tranchée afin de faciliter les futures exhumations. Sur cinquante-deux victimes, quarante-six furent reconnues formellement au cours des mois suivants. En 1957, les corps de Marcel Richard, du sergent FFI Marcel Robert, du sous-lieutenant FFC Armand Fradin, des deux victimes présumées Édouard Bonnard* et Lucien Dahan*, et des quatre personnes non identifiées, furent transférées à la nécropole nationale de la Doua (Villeurbanne, Rhône). Les corps de Robert Blanchet*, Jacques Cahen et Charles Weiller demeurent inhumés à Châtillon-d’Azergues.
Le monument des 52 fusillés fut érigé à Châtillon-d’Azergues et inauguré le 7 octobre 1945. Il porte les noms des massacrés et l’inscription traduite en plusieurs langues « Ici le 19 juillet 1944 au matin 52 patriotes extraits des geôles de Montluc furent lâchement assassinés par les Allemands. Leur forfait accompli ils partirent en chantant ».
Dans les archives du Mémorial de l’Oppression, on trouve un article de presse publié semble-t-il en septembre 1944. Il apporte des détails complémentaires sur les circonstances du massacre, sans que l’on sache, malheureusement, quelles en sont les sources ni l’éventuelle part fictionnelle : « Devant un petit bois d’acacias, en face du château Lasalle, en bordure de la route n°496, au lieu-dit " Les Grenadière ", le convoi stoppa. C’était le 19 juillet dernier à 6 h. 40 du matin. Le convoi, qui venait de Lozanne et se dirigeait sur l’Arbresle, comprenait un car rouge aux issues barricadées par des planches et des barreaux de fer, une voiture pénitentiaire, gardée par des Allemands en armes, une auto de tourisme transportant deux ou trois personnes et deux camionnettes dans lesquelles se trouvaient mêlés civils et miliciens lesquels plaisantaient bruyamment. » « Assez loin en avant et en arrière des Allemands en surveillance faisaient faire demi-tour aux véhicules de passage. Et lorsque la fusillade commença à crépiter, ils expliquèrent : - Terroristes attaquent fermes… La fusillade éclata à 7 heures et se termina vingt-cinq minutes plus tard. A ce moment le convoi fit demi-tour et retourna sur Lozanne. A soixante mètres derrière, environ, arrivaient deux camions chargés de G.M.R. en armes. Au bruit de l’effroyable exécution, les gens des alentours, terrorisés, se calfeutrèrent chez eux. Lorsque le silence fut revenu, ils sortirent prudemment de leurs maisons et cherchèrent à se rendre compte de ce qui venait de se passer. Puis enhardis, ils s’avancèrent vers le bois et y pénétrèrent. Le spectacle était horrible : cinquante-deux corps gisaient pêle-mêle, criblés de balles. On remarquait surtout que les têtes avaient éclaté sous les balles de revolver tirées à bout portant ou sous les coups de crosse. Plusieurs de ces malheureux avaient dû tenter de s’enfuir car des traces de sang furent relevées assez loin en avant du lieu de la tuerie. Mais les blessés avaient été aussitôt rejoints et ramenés auprès des premiers cadavres. On ramassa sur place des balles de mitrailleuses de 9 m/m et de 11 m/m et des balles de revolver. Les témoins s’étant ressaisis firent immédiatement prévenir les autorités, et vers 18 heures, en présence de la police judiciaire, les corps furent transportés au château Lasalle. Deux infirmières arrivèrent également et furent aidées bénévolement par Mme Guilherme, du Pont-de-Dorieux, pour la toilette funèbre. Tâche affreuse, étant donné l’état pitoyable des corps. Le service de l’Identité judiciaire prit des photographies et releva les empreintes digitales ainsi que les détails vestimentaires aux fins d’identification. A ce jour, seize des suppliciés ont été reconnus. Arrêtés dans plusieurs régions, ils avaient été groupés au fort Montluc. […]. Le lendemain, les corps furent mis en bière et transportés au cimetière de Châtillon où l’absoute fut donnée par le curé de la commune et où l’inhumation eut lieu. Les Allemands par cet effroyable massacre, avaient voulu venger deux membres de la Gestapo exécutés à Lyon par des patriotes. [...] »
Que le massacre du 19 juillet ait été ou non un acte de représailles de la police allemande, la responsabilité des hommes de la Gestapo lyonnaise ne fait aucun doute. Le 20 décembre 1945, le professeur Mazel, délégué régional du Service de recherche des crimes de guerre ennemis (SRCGE), mit en cause nommément les responsables de la police allemande dans une lettre au général gouverneur militaire de Lyon : « Il résulte des renseignements recueillis que les personnes assassinées étaient des détenus politiques amenés sur les lieux de l’exécution du Fort Montluc à Lyon. Le crime a été ordonné et exécuté par les Services de la Gestapo de cette dernière ville. J’ai adressé […] une documentation sur l’organisation des services de police allemande dont les chefs responsables étaient le Kommandeur Knab et le SS Hauptsturemführer Barbie. J’estime donc qu’il y a lieu à ouverture d’information pour assassinats et complicité contre [les] sus-nommés et tous autres membres de la Gestapo. »

Monographie en cours de rédaction



Liste des victimes identifiées :
ARCHER Louis
AUGOYAT René
BANETTE Félix Amédée
BEAUVOIR Antoine Marcel
BERAUD Paul Pascal Jules
BERBATIAN Jean
BEY Joseph Séraphin
BLANCHET Robert
BOSCONO Edmond Jules
BOURRAT Marius
BRATEL Gerhard
BRUKARZ Kelman
BRUYERE Adrien Joseph
CAHEN Jacques Gabriel
DALEZMAN Berek
DEDIEU Jules
DENIS Eugène
EMIR Barouh
EMIR Joseph
EMIR Marco
FRADIN Armand Francisque
GAILLARD Antoine Honoré
GIMET René
GOUTMANN Marius
GUIAMIER Jean Louis
KERARMEL ou KERAMEL Yves, Philippe (de)
KURTH René
LAMY Raymond
LEREAH Moïse
LIEB Charles Pierre Victor
LISCIA Lucien
MAURY François Joseph
OLLAGNIER Louis Roger Antoine
PLANAS Antoine Daniel
RICHARD Marcel
RICOTTI Ernest Albert
ROBERT Marcel
ROGES Jean Joseph
SAMSON Samuel
SAMUEL Jean Simon
SCHUH René
SIBERT Fernand René Eugène
VACHER Joanny
VUILLET André
WAJNRYB Maurice
WEILLER Charles



Liste des victimes non identifiées :
INCONNU 1
INCONNU 2
INCONNU 3
INCONNU 4



Liste des victimes présumées :

BONNARD Edmond ou Edouard
DAHAN Lucien

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article186012, notice Châtillon-d'Azergues (Rhône), lieu-dit Chez Léger, 19 juillet 1944 par Jean-Sébastien Chorin, version mise en ligne le 9 octobre 2017, dernière modification le 16 avril 2021.

Par Jean-Sébastien Chorin

Monument commémoratif du massacre du 19 juillet 1944
Monument commémoratif du massacre du 19 juillet 1944
Source : Arch. Dép. Rhône, 31JC117.
Cimétière d'Amancey
Cimétière d’Amancey
Photographie : Gérard Rambaud

SOURCES : Arch. Dép. Rhône, 3808W880, 3460W3 (Parquet de Villefranche), 3808W25.— Tal Bruttmann, Bruno Fouillet, Antoine Grande, Les 52 de Châtillon-d’Azergues, internés de Montluc, fusillés le 19 juillet 1944, 2015.— Liliane et Fred Funchen, L’Uniforme et les armes des soldats de la guerre 1939-1945, tome 3, 1974.— Mémorial Genweb.

rebonds ?
Les rebonds proposent trois biographies choisies aléatoirement en fonction de similarités thématiques (dictionnaires), chronologiques (périodes), géographiques (département) et socioprofessionnelles.
Version imprimable