CHATAGNER Jacques, Marie, Joseph

Par Yvon Tranvouez

Né le 2 novembre 1918 à Issoire (Puy-de-Dôme), mort le 15 septembre 2007 à Paris (XIVe arr.) ; normalien et agrégé des lettres, professeur ; membre du Mouvement de la paix ; directeur d’une suite de publications catholiques de gauche : La Quinzaine (1950-1955), Le Bulletin (1955-1957), la Lettre (1957-1987) et Il est une Foi (1988-1992).

Fils de François, Marius Chatagner ajusteur-tourneur et de Marguerite Jehan, dactylo, Jacques Chatagner fréquenta d’abord l’école primaire laïque. Grâce à une bourse, il fit des études secondaires au lycée Michelet de Vanves. Khâgneux au lycée Henri-IV à la fin des années 1930, il y fut marqué par l’influence de certains professeurs, dont Roger Pons*, l’un des maîtres à penser de la Paroisse universitaire. C’est à la même époque que quelques camarades de classe, dont Jacques Dousset*, futur animateur de "Jeunesse de l’Église", l’attirèrent à la Jeunesse étudiante catholique. Boursier de licence en 1938, admis à l’École normale supérieure de la rue d’Ulm en 1939, il y fut élève, après la parenthèse de la guerre en 1939-1940, de 1941 à 1945. En septembre 1942, il fit un stage à l’École nationale des cadres d’Uriage, où il rencontra notamment Gilles Ferry et François Le Guay*, qu’il allait retrouver plus tard à Jeunesse de l’Église puis à La Quinzaine. C’est aussi à Uriage qu’il fit la connaissance d’Hubert Beuve-Méry.

Il épousa le 1er février 1945 à Paris (Ve) Nicole Fauchet, fille d’une antiquaire. Reçu à l’agrégation des lettres en 1945 (classement spécial), il fut d’abord affecté au CNRS, puis détaché à la direction des œuvres sociales au ministère de l’Éducation nationale.

Depuis la Libération, Jacques Chatagner participait à la plupart des initiatives qui s’étaient fait jour à l’avant-garde du catholicisme français. Actif avant tout au sein de Jeunesse de l’Église – le groupe de réflexion du père Maurice Montuclard, dominicain, qui s’installa au Petit-Clamart (Seine, Hauts-de-Seine) en 1946 – il était aussi en contact avec la Paroisse universitaire. Proche de l’Union des chrétiens progressistes (UCP), qui rassemblait depuis 1947 des compagnons de route du Parti communiste, il appartenait encore au « Mouvement », un groupe informel et quasi clandestin d’une cinquantaine de membres, dont beaucoup s’étaient connus pendant la guerre et qui étaient liés par une forte amitié, des convictions communes et une espérance révolutionnaire dont ils pensaient que la concrétisation dépendait de l’évolution des rapports entre chrétiens et communistes. Mais l’itinéraire personnel de Jacques Chatagner dut beaucoup à Stanislas Fumet, qui l’introduisit dans l’équipe de rédaction de Temps Présent, où il fit ses premières armes de journaliste et gagna la confiance d’Ella Sauvageot*, l’administratrice de l’hebdomadaire. On le retrouva donc fin 1950 dans l’équipe des jeunes laïcs qui entouraient les pères Desroches* et Robert*, deux dominicains, aux origines de Quinzaine, le bimensuel créé par Ella Sauvageot, pour servir de tribune aux militants chrétiens favorables à l’appel de Stockholm et marginalisés par l’ensemble de la presse catholique. Lorsque l’archevêque de Paris exigea, en février 1951, le changement du titre – il rappelait trop Sept, ce fut désormais La Quinzaine -– et le retrait des dominicains, ce fut à Jacques Chatagner que « la patronne » confia sans hésiter la direction du journal. Il était en effet l’homme de la situation, aussi bien inséré dans le courant chrétien progressiste que dans le mouvement missionnaire, excellant, par ses qualités personnelles, à exprimer l’unité de l’équipe, et sachant, par son sens du possible, maintenir les contacts nécessaires avec une hiérarchie sourcilleuse.

Les choses se gâtèrent pour La Quinzaine en 1952. Pour Jacques Chatagner aussi : son activité militante fut jugée incompatible avec sa fonction administrative. Nommé professeur au lycée de Chartres (Eure-et-Loir), il obtint en 1954 une chaire de classes préparatoires au lycée Michelet (il allait passer plus tard au célèbre collège Stanislas où il termina sa carrière). Après l’arrêt de l’expérience des prêtres-ouvriers en 1954 et la condamnation de La Quinzaine par le Saint-Office en février 1955, Jacques Chatagner fit partie de ceux qui se refusèrent à désespérer de l’Église alors que d’autres s’éloignaient ou rejoignaient les rangs du Parti communiste. Il fut donc le maître d’œuvre du Bulletin mensuel, lancé à l’automne de la même année, pour poursuivre une réflexion moins dépendante des sollicitations de l’actualité politique. Obligé de le saborder en 1957 pour éviter une nouvelle condamnation imminente, il relança immédiatement une simple Lettre ronéotypée, de manière à maintenir un lien minimal entre les lecteurs.

À la faveur du changement de climat lié à l’avènement de Jean XXIII et à Vatican II, la Lettre devint une revue qui développait toutes les virtualités politico-religieuses de l’esprit conciliaire, et ses locaux du 68 rue de Babylone furent, en Mai 68 et dans les années qui suivirent, l’un des principaux lieux où s’exprima la contestation catholique de gauche. Inamovible directeur, ou mieux vaut dire infatigable militant, Jacques Chatagner resta l’un des rares, avec André Mandouze, à représenter pour longtemps la génération de l’après-guerre. L’engagement contre les guerres d’Indochine et d’Algérie, puis contre celle du Vietnam, représentait pour lui le même combat, fidèle du Mouvement de la paix, dont il fut secrétaire national.

Membre du Syndicat national de l’enseignement secondaire, il adhéra au Parti socialiste unifié et appartenait à la sixième section en 1959 alors qu’il demeurait dans le XIVe arrondissement de Paris.

Quand la Lettre disparut en 1987, pour laisser place à Il est une Foi, une nouvelle formule recentrée sur les problèmes religieux, Jacques Chatagner passa un peu au second plan de la revue. Cet ultime avatar des publications de la société « Temps Présent » échoua en 1992, victime notamment de la concurrence de Golias, lancé à Lyon en 1985 par Christian Terras. Toujours sur la brèche, Jacques Chatagner devint alors l’un des animateurs du collectif « Droits et Libertés dans les Églises », puis du « Réseau des Parvis », qui fédéra un certain nombre d’associations de chrétiens hostiles à l’évolution restauratrice du pontificat de Jean-Paul II.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article19585, notice CHATAGNER Jacques, Marie, Joseph par Yvon Tranvouez, version mise en ligne le 25 octobre 2008, dernière modification le 15 février 2022.

Par Yvon Tranvouez

ŒUVRE : Innombrables articles dans les journaux et revues qu’il a dirigés ou auxquels il a collaboré.

SOURCES : Arch. Nat., 581AP/108. — J.-O. Boudon, Les Chrétiens et le Mouvement de la paix en France (1948-1953), mémoire de maîtrise d’histoire, Paris IV, 1985. — Y. Tranvouez, Catholiques et communistes. La Crise du progressisme chrétien, 1950-1955, Le Cerf, 2000. — S. Rousseau, La Colombe et le napalm. Des chrétiens français contre les guerres d’Indochine et du Vietnam, 1945-1975, CNRS Éditions, 2002. — J. Sauvageot, Ella Sauvageot. L’audace d’une femme de presse, 1900-1962, Éd. de l’Atelier, 2006. — Martine Sevegrand, Temps Présent : une aventure chrétienne (1937-1992), t. 1 : Un hebdomadaire (1937-1947), Éd. du Temps Présent, 2006. — Etat civil. — Notes de Jacques Girault.

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