REVILLE Louise [Dictionnaire des anarchistes]

Par Rolf Dupuy, Dominique Petit

Née vers 1853. Publiciste, oratrice anticléricale et antimilitariste, féministe et anarchiste parisienne.

Louise Réville était depuis 1878, selon ses termes, « une modeste journaliste de province ».
Elle arriva à Paris probablement aux alentour de 1898 : « le hasard des circonstances de ma vie, m’amène à Paris, isolée et triste, ruinée mais capable de travailler et de vivre de peu ».
Dans sa correspondance avec Céline Renooz, elle évoqua durant cette période une vie difficile : « je suis liée à un compagnon de misère », et « les soucis de la vie matérielle, les rancœurs de la vie maritale ».
Louise Réville, que Han Ryner qualifia de « féministe vaillante et incorrecte » (cf. Le massacre des amazone), était à la fin des années 1890 l’une des animatrices avec Jacques Prolo et Jeko de la Ligue anticléricale et l’une des rédactrices du journal La Fronde. Née dans un milieu bourgeois et élevée selon des principes religieux, elle s’était peu à peu affranchie de tous ces préjugés et disait qu’après avoir professé des idées républicaines et socialistes, elle était "enfin arrivée à des conceptions révolutionnaires" sans être affiliée toutefois à aucune école.

Le 20 juin 1898, après la condamnation d’Etievant, elle avait été l’une des oratrices d’un meeting tenu à la salle de l’Harmonie, rue d’Angoulême, où, après avoir rappelé son opposition à la peine de mort et aussi à la propagande par le fait, elle avait parlé avec admiration d’Etiévant "en l’excusant du crime que l’injustice des hommes lui a fait commettre". Dans cette réunion qui était semble-t-il sa première apparition dans un meeting anarchiste, elle avait également déclaré : "Je reconnais les idées généreuses qui animent les compagnons, mais j’estime que pour être anarchiste il faudrait être un homme parfait et s’inspirer de conceptions élevées pour l’amour de l’humanité". Selon le rapport d’un indicateur, elle avait été "très applaudie par les anarchistes qui ne désespéraient pas de la voir passer complètement à l’anarchie".
Le 21 juin 1898, Louise Réville publia dans la Fronde, un article intitulé Note d’une féministe, sur une visite à l’asile d’Ivry. Le jour-même, Marguerite Durand la directrice du journal reçut une lettre signée A. Réville, professeur au Collège de France, indiquant que sa femme portait les mêmes noms et prénoms et demandant si la signataire ne pouvait modifier son patronyme, d’une manière ou d’une autre.
Le 3 août 1898, elle écrivit à la famille Dreyfus, souhaitant une entrevue dans le but d’organiser des conférences et d’écrire une série d’articles pour La Fronde autour de l’affaire.
Le 22 août 1898, elle adhéra à la Société néosophique de Céline Renooz et entretint une correspondance avec elle.

Fin 1898 ou début 1899, elle avait adressé un article au Cri de Révolte critiquant l’alliance de Sébastien Faure et de Malato avec le directeur de L’Aurore E. Vaughan et où elle se montrait favorable à l’organisation d’une attaque générale contre la bourgeoisie cléricale et militaire, plutôt que de s’occuper de l’affaire Dreyfus. L’article fut refusé par Petit le responsable de la rédaction du journal.
Le 14 décembre 1898, Louise Réville rencontra la naturienne Rolande (Léonie Fournival) lors d’une réunion salle Rosnoblet. Rolande annonça la sortie pour le 10 janvier 1898, du journal hebdomadaire Le Cri de la femme, avec pour collaboratrices Louise Réville, Mme Farge, etc... Mais le journal ne sortit jamais.
Le 20 décembre, au café 69 rue Blanche, Louise Reville évoqua les droits de la femme que seule l’anarchie ferait reconnaître et se déclara individualiste.

Le 1er mars 1899 elle fut l’oratrice d’une réunion organisée salle de l’Alcazar, 90 avenue de Choisy, à laquelle assistèrent une cinquantaine de personnes et où elle fit une critique des lois scélérates de 1893, déclarant que "toutes les lois étaient scélérates". A cette même réunion Roubinaud fit une intervention où il critiqua sévèrement "les libertaires marchant à la remorque des capitalistes juifs".
En avril 1899 elle annonça la fondation d’un journal féministe de combat, L’Action féminine dont le siège se trouvait 33 rue Jacob où elle tenait une permanence chaque mardi après-midi. Elle expliqua que ce journal durerait car elle avait trouvé un millier de francs : « Je ne ferai pas comme Rolande, qui en désespoir de cause a quitté Paris et est à Londres, secrétaire d’un avocat ».
Le 3 avril 1899, elle écrivit à Céline Renooz : « J’ai eu une imprimerie et un journal à moi,et, matériellement, au moins, je connais tout ce qui s’y rattache.
J’ai crée, du reste, avec une demoiselle qui fournit l’argent, une petite feuille bi-mensuelle l’Action féminine. Elle paraîtra le 1er mai et nous avons un petit local 33 rue Jacob ».

Le premier numéro du journal sortit début mai 1899, Maximilienne Biais en était la directrice et y publiait un article en forme d’éditorial : Pour quoi l’action ?, Louise Réville quant à elle s’adressait Aux révolutionnaires et Astié de Valsayre s’interrogeait : En as-tu assez ?
L’Action féminine se proposait de s’occuper particulièrement de la création de syndicats ouvriers mixtes. Un comité de propagande avait été institué à cet effet.
Dès le 21 mai, le journal organisa un meeting anticlérical et antimilitariste, salle d’Arras. Ces deux thèmes devenaient même prédominants puisque à l’occasion de l’annonce d’une réunion, l’Action féminine était qualifiée de Groupe anticlérical et antimilitariste.

Le 28 mai au Père Lachaise, derrière la couronne de l’Action féminine, défilèrent les déléguées des principaux groupes de femmes révolutionnaires.

Le numéro 3 du journal paru début juin 1899, comprenait un article de Maximilienne Biais sur le Féminisme sentimental et un autre de Louise Réville sur le Travail des femmes.
Le 9 juin 1899, le Groupe féminin d’action anticléricale et antimilitariste, s’était réuni dans les bureaux de l’Action féminine afin de se structurer et de prévoir l’organisation de futurs meetings.
Le numéro quatre de l’Action féminine sortit à la mi-juin 1899, avec des vers de Louise Michel, et un article de Maximilienne Biais sur le Féminisme économique. Mais le 27 août, les membres des Jeunesses socialistes révolutionnaires, libertaires et communistes qui se réunissaient dans les locaux du Journal du Peuple déménagèrent à la cloche de bois les meubles de L’Action féminine qu’ils transportèrent rue Victor Considérant.

Louise Réville correspondait à cette époque avec Maria Roda qui venait de contribuer à la fondation d’un groupe anarchiste féminin appelé Gruppo Emancipazione della Donna (Groupe d’émancipation des femmes) à Paterson (USA).

Le 30 juin 1899, lors d’une causerie à la salle de l’Alcazar, elle engagea les femmes à faire de la politique, à élever leurs enfants dans les principes socialistes révolutionnaires, à leur apprendre à haïr le cléricalisme et le militarisme qui sont "les deux chancres de la société". Le 16 juillet suivant, lors d’une réunion publique organisée salle des Omnibus, rue de Belleville, par le syndicat des irréguliers du travail, elle expliqua comment elle était devenue anarchiste suite "aux mensonges et turpitudes" de la société actuelle et dénonça "le socialisme actuel comme le plus grand ennemi de l’anarchie", avant de conclure sur l’émancipation féminine et de rappeler que la femme "devait être considérée comme l’égale de l’homme".

Le 18 juillet 1899, Louise Réville écrivit à la secrétaire de rédaction de la Fronde, une curieuse lettre, montrant que son statut dans le journal semblait bien précaire : « J’ai l’honneur de vous adresser un article, je vous serai vraiment reconnaissante de l’insérer. J’ai dit à mes interlocutrices de Levallois que la Fronde l’accueillerait sans doute, et j’ai promis d’envoyer un certain nombre d’exemplaires. Je vous laisse, Madame, la latitude de le publier sans signature, ou tel qu’il est, ou avec un pseudonyme nouveau : Lucie ; vous pourriez également modifier ce qui vous plaira. Je vous remémore, Madame que je suis la pauvre petite ancienne journaliste de province qui a été 15 jours correctrice du supplément de la Fronde, qui a écrit dans un petit journal L’Action féminine, mort aussitôt après avoir vu le jour, et qui, enfin a des opinions à la fois très féministes et très avancées ».
Le 28 juillet 1899, elle écrivit à Céline Renooz qu’elle ne pouvait l’aider plus et à propos de sa situation financière : « si je n’avais pas besoin de gagner ma vie, en partie (j’ai mon mari qui gagne notre pain) »

A la mi-octobre 1899, à la réunion du groupe de Grenelle, où l’on traitait des conséquences de l’affaire Dreyfus, Louise Réville déclara que les anarchistes « s’étaient déshonorés en prenant parti pour Dreyfus », estimant avec d’autres que les anarchistes ne devaient être ni pour, ni contre les juifs.

Le 18 novembre 1899, lors d’une réunion salle des Tableaux, rue d’Avron, elle exposa qu’il fallait à tout prix détruire l’idée de patrie chez les jeunes, leur démontra que les casernes étaient des bagnes, que les soldats étaient les esclaves des officiers.
Le 4 janvier 1900, elle avait participé aux cotés de Prost, Girault, Pflug, Regis et Libertad à un meeting de protestation contre les condamnations de militants arrêtés lors de la manifestation en août 1899 contre le Fort Chabrol et accusés d’avoir pillé l’église Saint Joseph. Elle participait également aux réunions du groupe Les Iconoclastes animé par Janvion.
Le 10 mars 1900, à la bibliothèque des Trimardeurs dans le 15e arrondissement, elle fit une conférence sur Max Stirner.

À l’automne 1900, elle participait aux réunions tenues au café Leborgne, 36 rue de Vandamme, autour du petit groupe animé par Amiot.
Le 8 décembre 1900, Louise Réville participa avec Astié de Valsayre, Dubois-Dessaule et Liard-Courtois à une conférence publique anticléricale et antimilitariste, salle Lafont, au profit de la Bibliothèque ouvrière des Quatre-Chemins.
Le 26 novembre 1900, elle écrivit à Céline Renooz : « j’ai le grand regret de ne pouvoir aller vous entendre le mardi, au ladies club, pour ne pas perdre hélas, les 5 ou 6 f que je gagne en faisant un dur labeur d’écriture chaque jour – je vous l’avoue – de même les samedis soirs je suis rarement libre, parce que c’est le soir où ont lieu les réunions diverses que je fréquente depuis deux ans ry où je fais connaître mes idées personnelles et quelque fois les vôtres ».

En décembre 1900, à l’initiative de la Maison du peuple, 47 rue Ramey, Louise Réville fit partie d’une commission préparatoire à un congrès des organisations parisiennes pour résister aux assauts de la réaction sur Paris. Elle fit la proposition suivante : « Le but du congrès est de réunir durant plusieurs jours, des délégués de groupes socialistes, de syndicats, de sociétés coopératives, de sociétés de libre pensée, antimilitaristes, féministes et de groupes d’études sociales pour examiner les meilleurs moyens de combattre les idées cléricales et réactionnaires et faire triompher l’esprit démocratique ». Cette proposition fut adoptée.

Le 21 décembre 1900, fut fondée la Fédération des syndicats féminins qui élisit son comité, composé de Pauline Savari (secrétaire générale), Louise Réville et Diane Savelli (secrétaires adjointes) et des déléguées, Louise Ruben, Hubertine Auclert, Vera Starkoff, J. Bornier et Verlain. Les adhésions étaient reçues au siège social, 4. boulevard Malesherbes, et au secrétariat 10 rue Antoine Roucher (XVIe arrondissement).
Le 23 février 1901, elle participa à la Bourse du travail, à une réunion de soutien à la grève de la couture, et y prit la parole pour encourager les grévistes à persister dans la lutte.

En 1901 et 1902, elle assista régulièrement aux réunion du groupe Les Naturiens

Au printemps 1902, elle était, aux côtés de Libertad, Girault et Butaud, à la campagne abstentionniste lors des élections. À cette occasion le 21 avril 1902, Libertad improvisa une conférence sur l’impériale d’un tramway, « gesticulant des bras et des béquilles » et « finissant par embrasser Henriette et Mme Réville », selon un rapport de police.
Lors d’une réunion abstentionniste le 9 mai 1902, Louise Réville prit la parole et prononça un discours sur les droits des femmes : « La femme qui travaille, n’est pas suffisamment payée, car son salaire seul ne peut pas la faire vivre et elle est obligée de se prostituer pour ne pas mourir de faim. Et lorsque je parle ainsi, je ne vise pas seulement celles qui vendent leur corps au plus offrant, mais aussi celles qui s’unissent librement ou légalement à un homme pour que celui-ci leur apporte ce qui leur manque, en agissant ainsi, elles ne font que se vendre ».

Le Journal du 26 septembre 1902, la qualifia « comme étant une des oratrices les plus écoutées dans les meetings anarchistes ». Il est vrai qu’elle prononça un nombre incalculable de conférences devant les auditoires les plus divers.

Le 1er octobre 1902, à la mairie de Saint Sulpice se réunissait le groupe La Solidarité des femmes, en présence de Louise Réville et Mme Kaufman. Il y fut décidé d’assister aux obsèques de Zola mais n’étant pas assez riche, de ne pas acheter une couronne mais de porter une immortelle rouge.

Au début des années 1900 Louise Reville collabora à L’Aube nouvelle (Alès, 1900-1901) et participait aux activités du Cercle d’études sociales de Paris qui publiait le Bulletin de l’harmonie.

En 1903 elle donnait des causeries au groupe Les Iconoclastes qui était alors animé notamment par Libertad et Renard.
Le 23 juillet 1903, elle fit une conférence sur Nietzsche, prononcée dans le cadre des Causeries populaires des 10e et 11e, Salle Vermillet, 41 rue Fontaine-au-roi. Une discussion eut lieu ensuite entre Libertad et Louise Réville d’une part et Georges Renard et Gibier, d’autre part, sur l’une des théories de Nietzsche relative à l’infériorité de la femme.
En mai 1904, elle était adhérente de la Solidarité des femmes fondée par Eugénie Potonié-Pierre.

Elle collabora également à L’Ennemi du peuple de Janvion (1903-1904) et au Pétard (1904) dont le gérant était Claude Lafond.

En décembre 1907, Louise Réville fut au centre d’une polémique : Le Libertaire la prit à partie à propos d’une visite qu’elle avait faite à Henriette Roussel à la prison Saint-Lazare, lui annonçant que son avocat Me Bozon l’avait chargée de lui dire qu’il se refusait à la défendre. Henriette Roussel écrivit à son avocat qui nia avoir tenu de tels propos. Le Libertaire conclut : « Entre l’affirmation de Bozon et les propos de de la Réville, il n’y a pas à hésiter. Mais que penser de cette dernière et dans quel but a été commise cette mauvaise action ? On se le demande. » Dans une réponse publiée dans l’hebdomadaire anarchiste elle affirma ne pas avoir dit à Henriette Roussel que Me Bozon ne la défendait plus. Mais la polémique rebondit dans le journal l’anarchie qui évoquant l’incident ajouta : « Il court des bruits tendancieux contre Réville. Que ceux qui savent quelque chose le formulent en termes clairs, disent des faits précis et prouvés, et qu’alors on la chasse des groupements à coups de pieds dans le postérieur. Mais si l’on ne sait rien, que l’on ne s’amuse pas avec des ragots de concierge ou d’avocat ».

En 1907 elle participait à des réunions du groupe La Jeunesse Libre où elle se montrait favorable à l’entrée dans les syndicats. À cette même époque elle assistait également - avec entre autres Henriette Roussel et Libertad - aux réunions des Causeries du XIe arrondissement tenues au 5 cité d’Angoulême où elle discourait sur l’amour libre. A l’automne 1907, avec notamment Anna Mahé, Henriette Maitrejean, André Deblasus et Augusta Weber, elle allait au parloir de la prison de la Santé pour y voir Libertad, Bouviat et Lacour.

En décembre 1907, au congrès régional anarchiste de Dorignies (Nord), son féminisme électoral fut vivement combattu par l’unanimité des présents.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article201346, notice REVILLE Louise [Dictionnaire des anarchistes] par Rolf Dupuy, Dominique Petit, version mise en ligne le 4 avril 2018, dernière modification le 19 juin 2021.

Par Rolf Dupuy, Dominique Petit

SOURCES : Arch. Nat. F7/12723 — APpo BA 1497, BA 1498, BA 1508 — Bianco : 100 ans de presse anarchiste — Le Libertaire 8 et 22 décembre 1907 — L’anarchie 12 décembre 1907 — Revolutionary Women by Anarchist Federation — Le Radical 2 mai 1899 — Le Rappel 6 mai 1899— XIXe Siècle 21 mai 1899 — L’Aurore 28, 29 mai, 3, 9, 19 juin 1899, 8, 17 décembre 1900 — La Lanterne du 23 juillet 1903 — La France 26 décembre 1900 — L’Intransigeant 22 février 1901 — Les Temps nouveaux 21 décembre 1907 — Archives de la Fronde. Bibliothèque Marguerite Durand. Paris — Musée d’art et d’histoire du judaïsme. Inv. 97.17.033.049 Document d’archives. — Collection de livres, périodiques sur la condition sociale de la femme et le mouvement féministe, collection Gerritsen, Giard et Brière, 1900 — Notes de Nicole Cadène. — Bibliothèque historique de la ville de Paris. Fonds Bouglé Renooz C 4 et Kauffmann boîte 1.

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