COLIN Madeleine [née MAURICE Marie-Madeleine]

Par Slava Liszek

Née le 23 juillet 1905 à Paris (XVe arr.), morte le 23 janvier 2001 à Valence-d’Agen (Tarn-et-Garonne) ; employée des PTT ; féministe ; résistante ; militante communiste et syndicale ; secrétaire confédérale de la CGT (1955-1969) ; directrice du mensuel féminin Antoinette (1955-1975).

Madeleine Colin
Madeleine Colin

Madeleine Colin vint au monde rue de la Croix-Nivert dans le XVe arrondissement de Paris, dans une famille de la petite bourgeoisie. Son père, issu d’une famille de petits paysans vosgiens, était fonctionnaire aux PTT, où il termina sa carrière comme chef du personnel. Sa mère, qui venait d’un milieu d’enseignants et de fonctionnaires, était femme au foyer. Un grand frère, né quinze ans auparavant, complétait cet entourage familial dans lequel la petite fille vécut une enfance heureuse et protégée.

Aucune tradition familiale ne peut expliquer les engagements ultérieurs de Madeleine Colin. Politiquement, son père se situait plutôt à droite (« nationaliste réactionnaire ») ; sa mère ne s’occupait pas de politique. C’est néanmoins elle qui marqua profondément le caractère de la future militante. Par son exemple de femme qui, « malgré sa condition subordonnée économiquement », n’offrait en rien l’image de la soumission, mais au contraire conservait une pleine autonomie de pensée et même d’action. Et aussi parce que c’est elle qui assura l’instruction de sa fille jusqu’à l’âge de huit ans, lui faisant connaître et aimer la poésie, le théâtre et en général les études. Très tôt, Madeleine Colin manifesta une grande indépendance d’esprit. Elle fut aussi amenée très tôt à réfléchir sur la marche du monde. Elle venait d’avoir neuf ans quand éclata la Première Guerre mondiale et cette « agression de folie et d’horreur » fut un événement décisif qui allait jouer « un rôle déterminant dans les choix [qu’elle fera] plus tard ».

« Répondeuse » mais bonne élève, Madeleine Colin voulait devenir institutrice et prépara donc le concours d’entrée à l’École normale. Mais, bien que reçue à l’écrit, sa candidature fut rejetée pour cause de « maigreur ». Comme il n’était pas question qu’elle ne travaille pas, elle passa le premier concours qui se présentait : celui de dame employée des PTT. L’ayant réussi, elle commença à travailler dans le central téléphonique « Gutenberg-Central-Louvre ».

Elle devait s’étonner ultérieurement, tout au long de ces années où elle se trouvait « dans de grandes concentrations de travailleurs », de n’avoir rencontré aucun militant qui eût essayé de l’intéresser à l’action syndicale ou politique. Ainsi, elle n’eut aucun écho de la lutte que des Dames des PTT (des téléphonistes, justement) menèrent entre 1924 et 1935 pour l’égalité des salaires féminins et masculins. Malgré des conditions de travail pénibles et un traitement peu élevé, elle ne songeait pas à revendiquer. Elle était jeune et « disposée à voir le bon côté des choses » : le temps libre laissé par les horaires alternés, les rapports souvent agréables avec les abonnés, etc.

À l’âge de dix-neuf ans, elle avait eu l’immense chagrin de perdre sa mère. Mais, depuis, ayant quitté la maison familiale, elle appréciait son indépendance et sa liberté de mouvement. En 1928, elle se maria avec un camarade d’enfance, devenu entre-temps artisan teinturier. Une petite fille, Francine, naquit deux ans plus tard. Grâce à l’aide de sa belle-mère, avec qui elle s’entendait à merveille, Madeleine Colin conciliait facilement ses obligations professionnelles et familiales. Sa vie se déroulait sans grands problèmes, ponctuée de beaucoup de sorties, de vacances d’été au bord de la Marne et même d’escapades un peu plus lointaines.

Cependant, des lectures (Henri Barbusse, Roland Dorgelès) ainsi que l’actualité continuaient à forger peu à peu ses conceptions politiques. Les émeutes fascistes du 6 février 1934, dont elle se trouva témoin, la réveillèrent « de son engourdissement tranquille » et lui firent définitivement choisir son camp. À partir de là, elle s’intéressa de plus en plus aux activités des mouvements antifascistes et pour la paix et, en 1935, devint résolument « Front populaire ».

La guerre de 1940 et l’occupation allemande amenèrent un tournant décisif, tant dans sa vie privée que sur le plan de l’engagement militant. Les péripéties de l’exode, de la mutation en province, puis du retour dans Paris occupé, conjuguées à l’épreuve de la séparation conjugale, achevèrent de désunir son couple, déjà largement fissuré. Le divorce fut prononcé aux torts réciproques, et Madeleine Colin obtint la garde de sa fille.

Quant à l’engagement militant, l’occasion s’en présenta avec l’arrivée dans son bureau d’un jeune technicien dont les idées sur la situation générale étaient fort « intéressantes et vivifiantes ». Peu à peu, il lui demanda, en secret, de menus services : il faisait partie de la Résistance. Grâce à lui, elle découvrit aussi ce qu’étaient le communisme et les communistes. D’apprendre « que de tels hommes (et femmes) existent, capables de semblables sacrifices pour l’indépendance de leur pays et pour la liberté, fut pour [elle] une révélation et la naissance d’un grand espoir dans l’être humain ». C’est avec enthousiasme qu’elle décida de les aider de son mieux. Au bout de quelque temps, les circonstances aidant, ses relations avec son camarade communiste devinrent plus intimes. Leur liaison allait durer douze ans.

Madeleine Colin prit donc, à partir de 1942, une part active dans la Résistance, puis dans les combats pour la libération de Paris. En 1945, elle confirma son engagement en adhérant au Parti communiste et à la CGT. « Tout naturellement », elle contribua alors à la constitution d’une section syndicale CGT dans son bureau des PTT. Elle fit de même, par la suite, dans tous les bureaux où elle eut à travailler.

L’action militante d’abord facile, dans le climat propice de la Libération, devint plus périlleuse à partir de 1947, dans le contexte de la Guerre froide et de la répression politique et syndicale. C’est ainsi que Madeleine Colin fut suspendue de ses fonctions pendant trois mois, sans traitement, puis mutée dans un autre quartier, pour avoir participé à la grève contre le plan Marshall. Quelque temps après, le fait d’avoir distribué des tracts et des circulaires au cours d’une action pour la prime de fin d’année lui valut d’être déplacée d’office dans le petit central de Claye-Souilly (Seine-et-Marne), à 30 km de Paris. Ces sanctions ne firent qu’attiser son ardeur ; son efficacité à convaincre ses collègues et à recruter fut vite remarquée.

L’ascension de Madeleine Colin dans les responsabilités syndicales fut rapide. Dès 1949, elle fut membre de la commission exécutive du syndicat parisien des PTT (responsable des femmes). En 1950, elle fut élue à la commission exécutive de la Fédération, et entra également dans celle de l’Union des syndicats ouvriers de la région parisienne ; en 1952, elle entra au bureau fédéral en tant que « secrétaire des femmes ». L’année suivante, elle fut élue membre (suppléante) de la commission administrative confédérale. En 1952 et 1953, elle était également membre du comité fédéral de la Seine du PCF.

Lors de la grande grève de la Fonction publique, et notamment des personnels des PTT, durant l’été 1953, Madeleine Colin se retrouva tout naturellement au cœur de l’action. En même temps, elle observait et analysait ce qui se passait. Des milliers de femmes, dans les centres de chèques postaux en particulier, avaient cessé le travail pour participer au mouvement. La plupart d’entre elles n’avaient jamais fait grève et ne connaissaient rien à l’action syndicale. Les vieux militants étaient impressionnés. À la réunion du comité confédéral national de la CGT qui se tint à la rentrée (30 septembre-1er octobre 1953), Madeleine Colin fit une intervention très applaudie et très remarquée, dans laquelle elle expliquait « le changement historique que représentait l’entrée dans l’action de ces jeunes travailleuses du milieu employé ». Selon elle, c’est à ce moment-là que les dirigeants de la CGT, et notamment Benoît Frachon*, eurent l’idée de la « faire monter » au bureau confédéral. Dix-huit mois plus tard, au XXXe congrès confédéral de la CGT (juin 1955), elle fut élue secrétaire confédérale. On lui confia, comme tâche essentielle, la responsabilité des femmes, ce qu’elle trouva tout naturel : elle avait toujours travaillé en milieu majoritairement féminin et, en tant que militante, s’était spontanément intéressée aux problèmes spécifiques des femmes salariées.

Dans ses nouvelles fonctions, Madeleine Colin remplaça Olga Tournade*, de la Fédération des travailleurs des Métaux, secrétaire confédérale depuis 1949 et responsable des questions féminines. Le nombre de femmes au bureau confédéral restait inchangé : deux sur treize membres, l’autre femme étant (depuis 1951) Germaine Guillé*, de la Fédération de l’Alimentation, chargée des questions internationales.

Pour la seconder dans l’activité « en direction des femmes », Madeleine Colin allait disposer d’un organisme non statutaire et informel (mais néanmoins efficace) composé d’une vingtaine de militantes, assumant par ailleurs des responsabilités aux plus hauts niveaux dans les fédérations et à la commission administrative de la CGT : la Commission féminine confédérale ou Collectif féminin. En effet, depuis la Libération, des militantes, de plus en plus nombreuses, veillaient à ce que les revendications particulières des travailleuses (droit au travail, égalité des salaires, accès à tous les emplois) soient prises en charge par l’organisation. Sous l’impulsion de secrétaires confédérales comme Marie Couette* (1946-1949), puis d’Olga Tournade, des commissions féminines se constituaient petit à petit dans les fédérations, les unions départementales et même dans certains syndicats. Depuis quelques années, la proportion de femmes dans les instances dirigeantes (confédérales et fédérales surtout) s’était sensiblement accrue. Tout cela ne se faisait pas facilement ; les obstacles étaient nombreux : manque de disponibilité des femmes, réticences des hommes, etc. Mais les militantes avaient des atouts. Comme Madeleine Colin l’avait très vite compris, « les militants masculins du mouvement ouvrier n’étaient pas fondamentalement différents de l’ensemble des hommes : le paternalisme, le machisme, ils le portaient en eux depuis la naissance ». Toutefois, ils soutenaient l’action des militantes parce qu’ils avaient conscience (tout au moins aux plus hauts niveaux) que sans les femmes (50 % de la population, 37 % des actifs) ils ne pourraient pas atteindre les objectifs sociaux et politiques qu’ils avaient fixés à leurs organisations.

Une des toutes premières actions de Madeleine Colin, en arrivant au bureau confédéral, fut le lancement d’un magazine syndical féminin susceptible de faire contrepoids à « l’idéologie de classe » et aux conceptions rétrogrades concernant les femmes véhiculées par la presse féminine à gros tirages. Déjà, sur les instances des militantes, la CGT publiait, depuis juillet 1952, un petit mensuel destiné aux femmes salariées, La Revue des travailleuses. Mais on commençait à trouver ce bulletin trop étriqué et pas assez attrayant. Après maintes discussions, le premier numéro d’un journal plus ambitieux sortit en novembre 1955. On lui donna pour titre Antoinette (en référence à l’héroïne du film récent de Jacques Becker, Antoine et Antoinette). Madeleine Colin allait assurer la direction de ce journal pendant vingt ans. Sans atteindre, évidemment, les tirages de la presse féminine, Antoinette s’imposa rapidement comme une incontestable réussite, atteignant 100 000 exemplaires dans les années 1970. Les qualités journalistiques de sa directrice (souci de clarté, de proximité avec le lecteur) n’y étaient probablement pas étrangères.

Responsable de l’activité « en direction des femmes », directrice d’Antoinette, Madeleine Colin s’investit totalement dans sa tâche. S’occuper des femmes ne lui sembla jamais secondaire ou dévalorisant. Au contraire, c’était une mission essentielle, prioritaire, et elle la revendiquait comme telle. Certes, de même que les autres militantes, elle se heurta plus d’une fois au sexisme de ses camarades masculins, à leur condescendance ou tout au moins à leur paternalisme. Mais elle sut, semble-t-il, ne pas se laisser démonter. Son autorité naturelle, sa culture, ses connaissances - et son élégance ? - devaient en imposer à plus d’un.

Madeleine Colin contribua beaucoup au développement de l’activité de la CGT « en direction des femmes ». À partir de 1955, le secteur féminin de la CGT se développa considérablement et, dans l’ensemble de l’organisation, les questions relatives aux femmes furent plus régulièrement abordées, à tous les niveaux. Des manifestations publiques, avec des milliers de participants et des personnalités d’horizons divers, furent organisées, telles que « Les Assises pour la réduction du temps de travail des femmes », en 1965 (qui firent la « une » de la presse à grand tirage) ; ou encore « La rencontre nationale pour l’égalité des salaires et la promotion des femmes », en 1967. Parmi les acquis de cette période, il en est un dont Madeleine Colin fut particulièrement heureuse : le remboursement intégral du congé de maternité, obtenu en 1970, au bout de quinze années de campagne obstinée.

En 1956, un an après son élection au bureau confédéral de la CGT, Madeleine Colin fut élue suppléante au comité central du PCF. Là, au sein de la commission des femmes, elle se heurta à diverses reprises à des conceptions qu’elle trouvait trop conformistes, parce qu’elles privilégiaient l’aspect privé, familial de la vie et des aspirations des femmes, au détriment de leur droit au travail, à l’indépendance et à l’égalité. Elle ne resta qu’un an au CC, car en 1957 le nombre de responsables CGT dans ces instances fut réduit. Mais elle continua d’être invitée à la commission des femmes.

Au XXXVIIe congrès confédéral (novembre 1969), Madeleine Colin fut remplacée au Bureau confédéral par Christiane Gilles*. Elle avait alors 64 ans et réclamait déjà depuis quelque temps d’être déchargée de cette fonction. Mais elle restait directrice d’Antoinette - et une directrice très présente ! Parallèlement, elle avait entrepris des recherches sur l’histoire des femmes salariées, leurs luttes, leur organisation dans la CGT. Le résultat de ces recherches fut un ouvrage publié en 1975 aux Éditions sociales : Ce n’est pas d’aujourd’hui. Femmes, syndicats, luttes de classe. Ce livre de 250 pages apportait un très grand nombre d’informations sur l’histoire sociale des femmes en France, une histoire à l’époque quasiment ignorée, du moins en ce qui concerne la période postérieure à 1914. C’est aussi en 1975, en décembre, que Madeleine Colin prit finalement sa retraite en laissant la direction d’Antoinette à Christiane Gilles. Elle continua toutefois de s’intéresser de près à la vie de la CGT et à celle de son journal féminin.

À partir de l’automne 1977, après l’échec du Programme commun, des désaccords apparurent au sein du bureau confédéral concernant l’orientation générale de la CGT. Ces désaccords eurent d’importantes répercussions à la direction d’Antoinette, et aboutirent à un conflit qui opposa, au printemps 1982, la direction et la rédaction du journal à la direction de la CGT. La rédactrice en chef du journal, Chantal Rogerat*, et son administratrice, Simone Aubert, furent licenciées du jour au lendemain. En signe de protestation, toute l’équipe rédactionnelle se mit en grève. En riposte, la copie du journal fut saisie et le numéro en cours confié à des journalistes de La Vie ouvrière réquisitionnés. Madeleine Colin, pour sa part, écrivit au bureau confédéral afin d’exprimer son indignation devant les méthodes employées et pour demander que son nom fût retiré du « pavé administratif » du journal.

Le gâchis qui fut fait du travail qu’elle avait accompli avec tant de conviction et de persévérance pendant vingt ans affecta beaucoup Madeleine Colin. Mais elle garda confiance dans l’avenir. Dès 1982, elle créa, avec plusieurs autres militantes et des personnalités féministes, le Club Flora Tristan, dont l’objectif était d’impulser des recherches en associant des travailleuses et des intellectuelles. Cependant, des désaccords à la fois politiques et dans les méthodes de travail l’amenèrent à en démissionner trois ans plus tard.

Toujours pleine d’énergie, à quatre-vingts ans passés, elle entreprit d’écrire ses mémoires. La difficulté de trouver un éditeur, en cette fin des années 1980 où le féminisme et le syndicalisme étaient passés de mode, ne la découragea pas. Et c’est à compte d’auteur qu’elle fit paraître, en 1989, un petit livre passionnant et plein d’enseignements inestimables : Traces d’une vie dans la mouvance du siècle.

Madeleine Colin passa ses dernières années aux côtés de son amie de très longue date, Madeleine Vignes*. Ce fut une période heureuse : malgré un âge avancé, elle restait amoureuse de la vie, s’intéressait à tout, fit de nombreux voyages, et eut la joie de voir grandir ses trois petits-enfants et les enfants de ceux-ci.

Elle mourut dans la maison de Madeleine Vignes, à Valence-d’Agen (Tarn-et-Garonne), le 23 janvier 2001, à l’âge de 95 ans.

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Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article20320, notice COLIN Madeleine [née MAURICE Marie-Madeleine] par Slava Liszek, version mise en ligne le 25 octobre 2008, dernière modification le 2 septembre 2020.

Par Slava Liszek

Madeleine Colin
Madeleine Colin

ŒUVRE : Ce n’est pas d’aujourd’hui. Femmes, syndicats, luttes de classe, Éditions sociales, 1975. — Traces d’une vie dans la mouvance du siècle [autobiographie], Paris, auto édition Madeleine Vignes, 1989 et Éditions Syllepse, 2007.

SOURCES : Arch. comité national du PCF. — Congrès confédéraux de la CGT de 1955 à 1969, comptes rendus in-extenso. — Congrès de la Fédération CGT des PTT. — Le Travailleur parisien, organe de l’Union des syndicats ouvriers de la région parisienne. — Le Peuple. — La Revue des travailleuses. — Antoinette. — Madeleine Colin, Traces d’une vie..., op. cit. — Interview de Madeleine Colin par Margaret Maruani et Marie-Noëlle Thibault, in Le Féminisme et ses enjeux, Centre confédéral FEN-EDILIG, 1988, p. 89-93. — Slava Liszek, La CGT et la défense des femmes salariées de 1944 à 1968, DEA, Paris VII, 1997. — Henri Sinno, « Madeleine Colin, une grande dame », Les Cahiers de l’institut CGT d’Histoire sociale, n° 77, mars 2001, p. 23.

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