ZHANG Chuqiao 张楚翘 [C.C. Chang, CHANG Tsu-yao, TSANG Tsoo-ngoh, CHANG Tsu-nio, CHANG Tso-jao]

Par Alain Roux

Natif de l’Anhui, ; syndicaliste, le président du syndicat de la nouvelle usine Ewo à Shanghai en 1948.

Natif de l’Anhui, il était un disciple de *Bai Yushan, une puissante « tête de dragon » du Hong Bang, la « Bande Rouge », une filiale de la Triade. Sa carrière se construisit d’abord, de façon très classique, à partir de l’Amicale des ouvriers originaires de l’Anhui, où la Bande Rouge comptait de nombreux adeptes qui étaient employés dans les cotonières anglaises Ewo (Yihe), propriété de la célèbre entreprise Jardine and Matheson. Il accrut considérablement son influence quand il s’érigea à partir de janvier 1946 en défenseur des droits de tous les ouvriers de ces cotonnières devenus chômeurs après avoir été licenciés sans indemnité par leur employeur au lendemain de Pearl Harbour et de la prise de contrôle de la Concession Internationale de Shanghai par l’armée japonnaise. Le 9 janvier 1946 mille de ces chômeurs manifestent sur le Bund devant le siége de la Jardine en exigeant des indemnités de licenciements et la piorité à l’embauche dès que le travail reprendrait dans leurs anciennes usines. Quatre délégués furent choisis par les manifestants, dont Zhang Chuqiao. Tous étaient des responsables du syndicat de la I7° section des ouvriers du coton du quatrième arrondissement (Yangshupu) qui était donc massivement engagé dans cette action. Les syndiqués des deux usines Ewo formaient le noyau principal de ce syndicat qui comptait 30.000 adhérents répartis dans 22 usines. Comme les négociations entre ces quatre délégués ouvriers, quatre représentants de la direction, un cadre du BAS et un membre du consulat britannique, s’enlisaient, 200 « bamboos-coolies », ces robustes manutentionnaires qui formaient à l’occasion le service d’ordre du syndicat, occupèrent les locaux de la Jardine le 24 janvier. Expulsés par la police chinoise appuyée par un dérachement de « marines » américains, ils reviennent le 25, jour où les négociations avaient repris, pour être à nouveau dispersés par les forces de l’ordre. L’après-midi, 3.000 ex-ouvriers de Ewo, venus en cortége depuis Yangshupu, retenus quelque temps dans les jardins du Bund, envahirent en masse les bureaux du Bund. Deux des représentants du patronat s’enfuirent et se réfugièrent au consulat britannique tout proche en abandonnant leurs élégants manteaux. Les deux autres s’étaient cachès dans des placards. Dépités, les manifestants entreprirent le siége du batiment du Bureau des Affaires Sociales (BAS) situé non loin de là avenue Lin Sen, anciennement avenue Joffre. La police les dispersa avec vigueur. Le 28 un accord fut finalement signé. Zhang Chuqiao avait âprement défendu les revendications des ex-ouvriers – avec « arrogance » écrivit Davies, un des directeurs mis en fuite, dans un compte-rendu destiné aux actionnaires. Il avait fait preuve durant la négociation de réelles compétences, consultant les régistres, faisant intervenir des experts et un avocat d’affaire, multipliant des propositions chiffrées. Le patronat avait mis dans la balance ses difficultés de trésorerie : si l’indemnité à verser était trop forte, la firme, privée de ses liquidités, ne pourrait pas reprendre ses activités interrompues par la guerre. Zhang Chuqiao entraina dans l’action le syndicat des ouvriers du coton du troisième arrondissement où se trouvait l’usine Gongyi, qui appartenait elle-aussi à la Jardine. Il se fit épauler par un cartain Wang Ying, un des quatre négociateurs, qui se prévalut de son poste d’enquêteur au Ministère des Affaires Sociales, ce qui faisait de lui un proche de *Lu Jingshi et du juntong : ce dernier lança dans la bataille 500 anciennes « ouvrières de louage » (baoshengong) renvoyées par la firme en 1936 et en 1937 qui hurlèrent durant des heures sur le Bund. Ces jeunes filles avaient été recrutées dans les villages du nord Jiangsu par l’intermédiaire d’entrepreneurs de main d’œuvre appelés « chef-traiteurs » (baofan gongtou) qui avaient passé des contrats en les recrutant pour quelques années dans familles en versant quelques dizaines de yuan à leurs parents : ces entrepreneurs avaient reçu l’intégralité du salaire de ces ouvrières qui avaient été embauchées par leur entremise et à qui ils avaient fourni le vivre et le couvert ainsi qu’un peu d’argent de poche pour leurs rares sorties en ville sous escorte . Le directeur Davies avait mis fin à la veille de la guerre à ce système d’un quasi esclavage, non par humanisme, mais parce que ces ouvrières, mal nourries et logées dans des dortoirs bruyants et sans confort, formaient une force de travail d’une piètre qualité. N’ayant pas été recrutées directement, elles furent finalement écartées de l’accord négocié avec le syndicat. Cet accord était médiocre au vu de la mobilisation opérée : une indemnité de deux à trois semaines d’un salaire de base recalculé en fonction de l’indice officiel du coût de la vie fut versée à près de 10.000 anciens ouvriers dont une partie seulement avait été réembauchée. Mais Zhang Chuqiang avait montré ses muscles. Lors des négociations, il avait distribué autour de lui une carte de visite où, outre son titre de président du syndicat des ouvriers du coton de Yangshupu, il se présentait comme le chef du personnel de la cotonnière Zhenhua ( ?), le chef d’un département d’une des cotonnières nationalisées de la China Textile ( Zhongfang), et.... le président du syndicat des commis patissiers. Derrière les traits traditionnels d’un caïd-ouvrier (gonggunzi) qui avait recours au chantage et à la violence et était prêt à accepter ensuite des accords au rabais dont le patronat reconnaissant pouvait le récompenser, on pouvait discerner dans ses qualités de négociateur et son habileté à jouer d’un véritable art de la grève et de la manifestation de rue, certains traits d’une transition vers des agissements plus revendicatifs que mafieux. C’est ainsi que, quelques semaines après ce premier accord, Zhu Chuqiang appela le 16 février 1948 en tant que président du syndicat des ouvriers des cotonnières du 4° arrondisement (Shanghai-est) aux côtés de celui du 3° arrondissement ( Shanghai-ouest) à une grève perlée collective ( jiti taigong) pour obtenir une hausse des salaires et leur indexation sur l’indice du coût de la vie. Massivement suivie par plus de 100.000 ouvriers, marquée par des manifestations de rue de 20 à 30.000 ouvriers venus depuiis Yangshupu défiler sur le Bund ou sous les fenêtres du BAS ou de la Municipalité, cette grève aboutit le 22 février 1946, grâce à la médiation du Syndicat Général et du BAS, à un accord passé entre le patronat du textile, les responsables gouvernementaux des cotonnières ex-japonaises nationalisées ( Zhongfang ) et les représentants des syndicats des ouvriers du coton des 3° et 4° arrondissements, à un accord en dix-huit points qui était une sorte de convention collective de cette industrie. Outre la journée de travail limitée à 10 heures, un congé maternité de huit semaines, l’accord prévoyait l’indexation des salaires sur l’indice des prix du mois précédent et la priorité des anciens ouvriers à la réembauche, ce qui était à cette date les deux principales revendications de tous les ouvriers. De leur côté les syndicats s’engageaient à ne pas déclencher de grève sans avoir eu recours au préalable à la médiation et à l’arbitrage. L’autorité du BAS était formellment reconnue par tous les signataires. L’article 11 portait sans doute la marque de l’intervention de Zhang Chuqiao. « La direction reconnaît le statut légal des syndicats et assure des facilités pour permettre aux délégués syndicaux d’exercer leur mandat. Il y a deux responsables du syndicat par entreprise ». Durant les années suivantes, Zhang Chuqiao revint sans cesse sur cet article, d’autant plus que, dans les faits, seules les entreprises du coton du secteur nationalisée l’avaient respecté. Le 4 décembre 1946, lors d’une rencontre avec un des directeurs, il avait exigé – sans l’obtenir- le contrôle sur l’embauche des nouveaux ouvriers par le syndicat, assuré par la désignation d’un de ses amis comme chef du personnel et assorti d’une adhésion obligatoire de ces nouveaux ouvriers au syndicat : une sorte de « closed shop system » américain à la chinoise ! Le 4 mars 1947, rencontrant Davies, il lui avait dit : « que l’on n’était plus au temps des entrepreneurs de main d’œuvre et que le syndicat contrôlait bien les ouvriers et faisait respecter les règles fixées par la direction de l’usine ». En avril 1947, le syndicat avait demandé à la direction des entreprises Ewo « d’obtenir du BAS qu’il les aide à organiser leur syndicat sous la direction de Zhang Chuqiao », demande étrange qui renvoyait au mauvais état des relations entre le BAS et Zhang Chuquiao.
En effet, la nouvelle ambition de Zhang Chuqiao de faire du syndicat une force autonome – sans renoncer pour autant à tous ses traits de chef mafieux - indisposait de plus en plus *Lu Jingshi et ses lieutenants, qui étaient bien déterminés à rétablir un strict contrôle du GMD sur le monde du travail. En mars-avril 1947, quand Zhang Chunqiao avait relancé des troubles dans les usines Ewo qui avaient débouché sur une médiation, le représentant du BAS, *Gu Ruofeng, un proche de *Lu Jingshi, contesta le 23 avril sa présence à la table des négociations lors de la première réunion du comité qui en était chargé, en arguant du fait qu’il n’était pas travailleur à la Ewo, mais chef du personnel dans une autre entreprise : il ne pouvait donc n’être qu’un « conseiller » du syndicat et non un « négociateur ». Le lendemain une centaine de bamboo-coolies envahirent la salle pour imposer sa présence et molestèrent le chef du personnel : Zhang Chuqiao se vengeait à l’ancienne de sa perte de face. Au même moment où *Guo Ruofeng le poussait sur la touche, les lieutenants de *Lu JIngshi s’opposaient, dans divers conflits du travail, à *Wu Kaixian, tout en éliminant les partisans de * Zhu Xuefan de plusieurs directions syndicales, comme lors de la « réorganistion » du syndicat de la cotonnière anglaise Lunchang à Pudong le 27 juin. En 1948, Zhang Chuqiao n’était plus que le président du syndicat de la nouvelle usine Ewo : il avait dû réduire sa voilure. Il est vrai que, à cette date, le GMD commençait à perdre le contact à Shanghai avec le monde du travail.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article207290, notice ZHANG Chuqiao 张楚翘 [C.C. Chang, CHANG Tsu-yao, TSANG Tsoo-ngoh, CHANG Tsu-nio, CHANG Tso-jao] par Alain Roux, version mise en ligne le 10 octobre 2018, dernière modification le 5 novembre 2022.

Par Alain Roux

SOURCES : Roux 1991, surtout pages 1524-1530. Gros dossier de 470 pages aux Archives Municipales de Shanghai : Yongchang Yihe shachang (« Les cotonnières angalsie Ewo ») .

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