MANIÈRE Léonie, née Deschamps Marie, Léonie (prénom usuel)

Par Axel Barenboim, Justinien Raymond, Jean-Louis Robert

Née le 11 avril 1826 à Marey-sur-Tille (Côte-d’Or) ; morte le 4 novembre 1887 à Paris (Xe arr.) ; institutrice à Paris ; communarde ; militante socialiste, féministe.

Léonie Manière avait épousé un grand marchand de bois de la Côte d’Or. Cependant, en 1880, à une femme qui lui avait dit que le prolétaire devait gagner assez d’argent pour que sa femme, comme la bourgeoise, ne travaille pas, elle répondit vigoureusement en affirmant sa liberté : « Je suis née indépendante, j’ai vécu indépendante. »
En 1866, à 40 ans, veuve, Léonie Manière passa le brevet d’institutrice dans l’académie de Paris. En juillet 1870 elle avait ouvert au 5 rue d’Aubervilliers une institution destinée aux jeunes filles sur « les bases du programme fixées par la dernière assemblée des libres penseurs. »
Pendant la Commune elle créa une école atelier au 38 rue de Turenne. Elle écrivait au Vengeur, le 3 avril 1871, pour exposer son programme : créer un atelier-école remplaçant l’ouvroir religieux, dans le cadre de l’État ou de la Commune. Il prendrait des élèves âgées de douze ans, leur donnerait une formation théorique et pratique ; parmi les maîtresses, on trouverait des ouvrières, mêlées à d’autres plus intellectuelles. « L’échange de connaissances qui aurait lieu entre ces diverses intelligences, s’exerçant côte à côte, constituerait un milieu très favorable à un enseignement progressiste entièrement dégagé de préjugés. » Le 14 avril, elle écrivait à la Révolution politique et sociale précisant son projet d’école professionnelle pour jeunes filles en indiquant qu’elles devraient toucher une rétribution. Dans ses Mémoires, Louise Michel écrit qu’elle « avait soumis un plan pour faire disparaître les religieuses de l’enseignement. »
Le 16 avril, la veuve Manière fut arrêtée à Sèvres ; elle fut trouvée porteuse de journaux de la Commune et de onze affiches de l’Appel de la Commune de Paris aux départements. Elle ne fut cependant pas condamnée, mais partit quelques années en province, notamment à Lure d’où elle envoyait des courriers à la presse républicaine.
À compter de 1876, Léonie Manière de retour à Paris devint une militante des causes socialiste, féministe et de l’éducation professionnelle. Ses responsabilités , bien que peu connues, en font une des figures militantes les plus importantes au tournant des années 1870 et 1880. Elle fut souvent secrétaire d’organisations où ses capacités et son dynamisme faisaient merveille.

Elle assista comme déléguée aux séances du congrès ouvrier de France qui se tint à Paris du 2 au 10 octobre 1876. Intervenant le 6 octobre sur « Apprentissage, enseignement professionnel », elle demanda « l’égalité d’enseignement pour les hommes et les femmes et le développement d’écoles professionnelles par les chambres syndicales. »
Léonie Manière fit partie des trois femmes poursuivies (avec Marie Bonnevial, institutrice, et Floch, lingère) pour la tentative d’organisation d’un Congrès socialiste international à Paris, en septembre 1878 à l’occasion de l’exposition universelle, à côté de Jules Guesde et de Gabriel Deville. Elle était déléguée d’un groupe d’institutrices. Elle fut relaxée.

En mars 1879, Léonie Manière fut secrétaire du comité central socialiste de secours aux amnistiés et non amnistiés qui préconisait l’amnistie totale et organisait les collectes d’aide aux anciens communards. En octobre 1881, salle Graffard, à une réunion du Parti ouvrier, elle protesta vigoureusement contre la conquête de la Tunisie, appelant à la révolte des casernes car conclut-elle « tous les peuples sont frères. »

De 1877 à 1883, Léonie Manière fut secrétaire de l’Union des travailleurs, la coopérative qui gérait le journal Le Prolétaire. Elle joua dès lors un rôle considérable dans le financement du journal socialiste. Le 21 juillet 1883, lors d’une réunion des actionnaires de la coopérative, elle insista pour que le journal reste quotidien en s’appuyant sur les groupes socialistes « sans distinction d’écoles. » En effet si Léonie Manière fut proche du Parti ouvrier, elle semble s’être défiée des oppositions entre les groupes. Elle militait surtout dans le groupe socialiste des Écoles, un groupe très ouvert qui agissait au quartier latin contre la droite et le boulangisme. Elle fut d’ailleurs, quelques années, fleuriste rue Monge. Léonie Manière participa aussi en 1880 à la création d’un Magasin coopératif des ouvriers affranchis.

À compter de 1876, Léonie Manière multiplia aussi les projets concernant l’éducation professionnelle et l’apprentissage, en particulier des filles. Elle les présenta dans le journal Les Droits de l’homme. Les syndicats devaient être étroitement associés à cet enseignement qui devait être intégral et s’appuyer sur les grands principes des Lumières. En 1876 elle lança une éphémère société pour l’enseignement civique.

Toutes ces activités étaient associées à une action féministe croissante. En 1880, Léonie Manière fonda l’Alliance collective des femmes destinée à créer des ateliers où les femmes apprendraient à développer leurs pleines capacités. En 1883, elle était secrétaire de la société pour l’instruction professionnelle des femmes. Elle travaillait en lien avec Jules Allix qui avait reformé sur le modèle de 1870-1871 un comité de femmes.
En août 1885, elle fut choisie avec cinq autres femmes pour figurer sur une liste socialiste, la « liste fédérale socialiste. » Cette liste apparaissant en concurrence avec celle du Parti ouvrier, elle annonça son retrait de celle-ci quelques jours avant le scrutin en octobre.

Les journaux de droite attaquaient vivement Léonie Manière, allant jusqu’à l’injure lorsque Le Gaulois la traita de « bossue. » [Les Droits de l’homme la décrivaient comme une femme « au visage grave, aux vêtements de deuil, aux cheveux gris ». Jean-Baptiste Clément l’évoqua comme une femme d’initiative et de dévouement (…) tantôt furieuse et n’y tenant plus, tantôt joyeuse et enthousiaste comme si elle venait d’arborer le drapeau rouge à l’Hôtel de Ville. »
Léonie Manière mourut à 61 ans, 20 rue des Marais, Xe arrondissement. Ses obsèques furent civiles. Elle avait multiplié ses adresses parisiennes entre 1876 et 1887 (61 rue du Faubourg-Saint-Denis, 24 rue Rodier, 15 rue Monge, 7 rue Béranger, 93 boulevard Beaumarchais, 7 rue Saint-Victor…)

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article209617, notice MANIÈRE Léonie, née Deschamps Marie, Léonie (prénom usuel) par Axel Barenboim, Justinien Raymond, Jean-Louis Robert, version mise en ligne le 14 décembre 2018, dernière modification le 23 mai 2022.

Par Axel Barenboim, Justinien Raymond, Jean-Louis Robert

SOURCES : État-civil de Marey-sur-Tille ; État-civil de Paris Xe ; L’Avant-Garde, IIe année, n° 38, 4 novembre 1878, pp. 2-3. — Arch. PPo., B a/ 1 035. — Enquête parlementaire sur l’insurrection du 18 mars 1871. — Compte rendu du congrès ouvrier de 1876. — Claudine Rey, Annie Gayat, Sylvie Pepino, Petit dictionnaire des femmes de la Commune, Édition Le Bruit des autres, 2013 (sous le nom de Marie Deschamps) ; Patrick Kay Bidelman, The founding of the Liberal Feminist Movement in France, 1858-1889, Greenwood Press, 1982. — D. Barry, Women and Political Insurgency : France in the Mid-Nineteenth Century, Springer, 25 mars 1996. — Michel Cordillot (coord.), La Commune de Paris 1871. L’événement, les acteurs, les lieux, Ivry-sur-Seine, Les Éditions de l’Atelier, janvier 2021. — Jean-Baptiste Clément, « La revanche des communeux – Petites silhouettes », Le Cri du Peuple, 28 juillet 1886. — Les Droits de l’homme, 17 octobre et 23 novembre 1876. — Le Prolétaire ; Le Gaulois, 24 octobre 1881 ; Le Bien public, 1er août 1877 ; Le Réveil, 5 janvier 1878 ; La Lanterne, 25 septembre 1878 ; Le Temps, 25 octobre 1881 ; A. Tansard, « Chronique parisienne », Journal de Saint-Quentin, 13 août 1889 ; La Libre pensée, 16 juillet 1870 ; La Justice, 11 septembre et 24 octobre 1880.

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