EPIS Fabrizio, dit Fabrice, appelé Tchicho en privé. [Belgique]

Par Marie-Thérèse Coenen - Luc Roussel

Clusone (province de Bergame, Italie), 7 septembre 1948 – Bruxelles (Région de Bruxelles-Capitale), 9 janvier 2018. Ouvrier puis permanent de la Fédération jociste du Centre (pr. Hainaut), puis permanent à la JOC nationale, à la JOC européenne, membre de l’Équipe internationale de la JOCI pour l’Europe, permanent interprofessionnel de la Fédération de la CSC Brabant wallon et permanent syndical de l’Unité opérationnelle de la CNE de Bruxelles-Brabant wallon, en charge entre autres du secteur non marchand, secrétaire régional de la CNE, président du CIRÉ asbl.

Sa famille, ses études

La famille de Fabrizio Epis, dit Fabrice – dans ses carnets de la JOC, il utilise indifféremment le prénom Fabrizio ou Fabrice ; par la suite, c’est Fabrice qui s’impose –, est originaire de Clusone, dans la province de Bergame, en Italie. Clemente Epis, son père, né le 7 novembre 1921 à Clusone, arrive en Belgique en 1946. Il est directement embauché comme mineur au charbonnage de Saint-Vaast à La Louvière (pr. Hainaut, arr. La Louvière). Au début, il habite le château de Marcq, un phalanstère pour ouvriers migrants célibataires, situé sur la route de Péronne. Sa famille le rejoint au début des années 1950. Il l’installe rapidement dans la cité Reine Astrid à La Croyère (La Louvière). Après dix-sept ans de travail dans le fond, il est atteint par la silicose. Déclaré invalide, il est admis à la retraite en 1962. Suite à cette situation, la mère de Fabrice, Antonieta Oprandi, née à Hennige (Allemagne), le 19 janvier 1926, travaille comme ouvrière à la verrerie de Durobor, à Soignies (pr. Hainaut, arr. Soignies), pendant quelques années.

Fabrizio est le second d’une fratrie de six enfants avec Alessandro (Sandro), né le 31 janvier 1947, Louis, né le 2 janvier 1952, militant jociste à La Louvière, Viviane, décédée à la naissance en 1954, Claudy, né le 9 avril 1957, militant syndical à la Confédération des syndicats chrétiens (CSC) et pompier volontaire, Nadine, née le 1er septembre 1958, et Bruno, né le 7 février 1959, militant syndical à la CGSLB (Centrale générale des syndicats libéraux de Belgique).
Fabrice Epis épouse le 11 juillet 1970, Giuliana Iannazzone, née le 2 septembre 1947, militante de la JOCF (Jeunesse ouvrière chrétienne féminine) à Haine-Saint-Pierre (aujourd’hui commune de La Louvière), dont il se sépare en 1995. Ils ont deux enfants, Marco et Carina. De 1971 à 1975, le couple se voit confier la gestion d’un centre d’accueil, Notre foyer, situé rue Émile Herman à La Hestre (aujourd’hui commune de Manage, pr. Hainaut, arr. Charleroi). Fondée en 1968, cette asbl a reçu en donation cette maison pour accueillir une dizaine de jeunes filles de plus de 18 ans, placées par les juges de la jeunesse des arrondissements judiciaires de Charleroi et Mons avec la mission de les accompagner dans l’insertion professionnelle et familiale.
Plus tard, alors qu’il est permanent syndical dans le Brabant wallon, Fabrice Epis rencontre Éliane De Dobbeleer, kinésithérapeute et déléguée syndicale représentant la Centrale nationale des employés (CNE) à l’hôpital de Tubize et Nivelles (pr. Brabant wallon, arr. Nivelles). Cette militante sera successivement présidente de la CNE du Brabant wallon en 1992, vice-présidente et présidente de la CSC Brabant wallon. Depuis mai 2019, E. De Dobbeleer est présidente de la CSC Seniors du Brabant wallon. Après de longues années de vie commune, le couple se marie le 28 décembre 2017.

Fabrizio Epis fait ses études primaires d’abord à l’école communale, rue Pierard à La Louvière et ensuite à l’école communale de la Cité Reine Astrid, rue Gustave Brichant. Il suit les cours de catéchisme de l’abbé Jérôme, curé de la paroisse du Sacré Cœur à La Croyère, qui le repère comme un élève doué. Ce dernier demande aux parents Epis, de laisser Fabrice faire des études secondaires au Petit Séminaire à Profondeville (pr. et arr. Namur), comme première étape dans la formation à la prêtrise. Il lui trouve une « bienfaitrice » qui prend en charge sa scolarité ainsi que les frais de pensionnat. « Fabrice voulait devenir prêtre, il était dans cet état d’esprit », commente son frère Sandro. Il commence des humanités latines. Son père étant devenu invalide, il arrête ses études en 1962 pour aider financièrement sa famille. Il rejoint son frère Sandro, à la verrerie de Scailmont à Manage (pr. Hainaut, arr. Soignies).

De 1978 à 1982, Fabrice Epis suit, dans le groupe de Tubize (pr. Brabant wallon, arr. Nivelles), le cursus proposé par l’Institut supérieur de culture ouvrière (ISCO), sans finaliser le parcours par la défense d’un mémoire. Organisée par le Mouvement ouvrier chrétien (MOC) avec l’appui des Facultés universitaires Notre-Dame de la Paix de Namur (aujourd’hui UNamur), cette formation mobilise l’expérience des étudiants travailleurs et leur donne les outils pour être acteurs de changement. Organisée le samedi et un soir par semaine, elle est accessible aux travailleurs et travailleuses sans condition de diplôme, après un examen de maîtrise de la langue écrite et un test de connaissance minimum de mathématique.

Au travail

Après l’abandon des études, Fabrizio Epis est embauché comme gamin, dans l’équipe de son frère, à la verrerie de Scailmont. Cette entreprise emploie une majorité d’ouvrières qui taquinent souvent les jeunes sur leur vie sexuelle, en wallon, langage particulièrement cru et imagé. Fabrice n’échappe pas à cette forme de bizoutage. « Adolescent, Fabrizio était très prude » se rappelle Sandro, « mais il était déjà syndicaliste ». Par tradition, le gamin de verrerie doit préparer les cannes du souffleur, remplir les seaux d’eau avant l’arrivée du souffleur. Quand la cloche sonne, la place doit être prête pour que le travail de production puisse commencer. Pour les gamins, ce temps n’est ni comptabilisé, ni payé. Fabrice arrive donc à l’heure du signal ce qui désorganise tout le travail de l’équipe. À seize ans, pour gagner davantage, il se fait embaucher comme ouvrier à la chaîne à l’usine d’assemblage d’automobiles, ouverte en 1965, British Motor Corporation Leyland (BMC), qui cessera ses activités en 1981. Il y mène sa première action : « L’entreprise avait introduit le travail en deux équipes, de 6 à 14 heures et de 14-22 heures, sans prévoir de temps de pause pour déjeuner. Avec les copains de la chaîne de montage, nous avons décidé d’arrêter de travailler tous les jours à 11 heures pour manger, alors que la chaîne continuait d’avancer… Imaginez la désorganisation ! Ceci a été ma première action collective avec des jeunes travailleurs » (Témoignage écrit, 2016).

Le militant jociste

En 1965, Fabrizio Epis, en quête d’un local pour se réunir avec ses amis, rencontre l’abbé Navez, vicaire à Bois d’Haine, qui lui suggère de former un groupe JOC (Jeunesse ouvrière chrétienne). La pratique régulière de la révision de vie (RVO) et la méthode jociste, à savoir « partir du concret de la vie des jeunes », deviennent son école de formation. En janvier 1967, il participe à une session nationale d’études pour les militants travaillant à l’usine : « chacun racontait ce qu’il faisait, son action, son expérience, ses motivations ». En fin de session, l’intervention de Monseigneur Cardijn, déjà âgé, les galvanise par son enthousiasme : « c’est à ce moment que l’engagement dans l’entreprise et l’organisation des travailleurs a été pour moi, un choix de vie » (Témoignage écrit, 2016).
En janvier 1967, Fabrizio rejoint l’équipe fédérale de la région du Centre (pr. Hainaut) et prend en charge les sections de La Croyère, Haine Saint-Pierre, Houdeng et La Louvière. Il lance des groupes d’action au travail (GAT) dans les entreprises de la région (Kéramis, BMC, Boël, …) et contacte les écoles techniques et professionnelles, pour démarrer des groupes de la JOC et des Jeunes JOC, à l’Institut Saint-Gabriel à Braine-le-Comte (pr. Hainaut, arr. Soignies), à l’Institut technique Saint-Joseph de La Louvière, où son frère Louis étudie. Le 11 mai 1968, comme permanent fédéral, il organise avec la JOCF, un rassemblement des jeunes sur le thème « Temps libres, temps à vivre ». Ses parents participent à l’évènement et comprennent, écrit-il, « un peu mieux, son engagement militant ». C’est l’époque aussi où le mouvement jociste se mobilise pour l’obtention des crédits d’heures. Il organise dans les rues de La Louvière, une manifestation et mène des actions de sensibilisation pour que les jeunes travailleurs obtiennent aussi le droit d’aller se former, dans des conditions supportables.
L’abbé Jean-Marie Moreau, son ami et aumônier fédéral de la JOC de la région du Centre, l’accompagne dans son cheminement. Ils se retrouvent à Morlanwelz, chaque semaine tant pour faire le point sur son organisation de travail que sur son orientation de vie. Ce rôle des aumôniers dans la formation et l’encadrement de ces jeunes permanents inexpérimentés est souligné par d’autres anciens (« Témoignage de Freddy Ingenito », dans KABONGO P., La révolte des enfants de Cardijn, trente ans après…, Bruxelles, CARHOP, 2003, p. 47) et sera remis en question en même temps que les liens entre l’Église et le mouvement. En 1973, le Conseil national abandonne le titre d’aumônier et parle désormais d’accompagnateurs adultes. Désormais élus par les jeunes, leur cahier de charge est également précisé.

En 1969, des militants jocistes sont réprimés, emprisonnés et torturés au Brésil par la dictature militaire qui se dit pourtant « chrétienne ». La JOCI appelle toutes les JOC nationales à se mobiliser. En Belgique, la JOC et la KAJ (homologue flamand de la JOC) organisent le 29 juin 1969 une première mobilisation. Interdite par les autorités, elle est sévèrement réprimée. Ce fut pour beaucoup et pour Fabrizio en particulier, un « baptême politique ».

Fabrice Epis se marie le 11 juillet 1970. Il participe, avec son épouse, Guiliana, du 17 au 26 juillet 1970, au pèlerinage de la JOC/F wallonne et bruxelloise, à Rome. Ce pèlerinage a pour objectif de rassembler mille jeunes, de rencontrer le pape et lui apporter les revendications des jeunes travailleurs et travailleuses. L’expérience est enrichissante pour les jeunes, tant lors de la préparation que pendant le séjour romain, mais ce sera la dernière manifestation de la JOC/F comme mouvement d’action catholique spécialisée.

Fabrice rejoint l’équipe nationale de la JOC le 17 août 1970. Le 11 septembre 1970, le Bureau international de la JOC apprend que plusieurs dirigeants nationaux de la JOC brésilienne sont arrêtés, torturés et accusés « d’activités subversives et principalement d’organiser des plans de guerre ». Des démarches sont entreprises auprès de la Conférence épiscopale du Brésil et auprès des ambassades pour obtenir leur libération. Rien n’y fait. Une journée européenne d’action de solidarité avec la JOC du Brésil est lancée pour le 17 octobre. Des manifestations sont organisées dans diverses villes d’Europe. En Belgique, la JOC lance en solidarité, dès le jeudi 15 octobre et jusqu’au samedi 17, une grève de la faim suivie par trois dirigeants, un membre de la KAJ, Fabrice pour la JOC et Marlyse Strasser de la JOC européenne. D’autres les rejoignent. Prolongeant cette mobilisation, la JOC européenne organise du 29 octobre au 1er novembre 1970, une rencontre de coordination à Rome, « l’Euro rencontre JOC - Brésil - Rome », qui rassemble des délégués de dix pays européens. La délégation sollicite naturellement, une audience avec le Pape Paul VI, qui n’aboutit pas. Finalement Monseigneur Villot, substitut du Secrétaire d’État au Vatican, accepte de les recevoir. Les jocistes demandent que l’Église condamne fermement le coup d’État et la dictature brésilienne. Le Vatican reste muet. Pour les jocistes, qui, lors du pèlerinage Rome 70, se proclamaient être « mouvement d’Église de tous les jeunes travailleurs, étudiants et apprentis » (Rome 70, Bruxelles, JOC, 1969-1970), cette attitude déçoit et marque un tournant dans des relations déjà difficiles entre l’organisation et l’Église. La prise de conscience des enjeux politiques internationaux : la guerre au Vietnam et la campagne de solidarité du Brésil (1969), le renversement du régime d’Allende au Chili (1973), etc., sont autant d’évènements qui donnent à réfléchir sur l’exploitation ici et là-bas et sur le sens des luttes à mener. La JOC radicalise ses positions.

Les contacts se multiplient sur le plan européen et international. Les jeunes mettent désormais l’accent sur les questions de développement Nord/Sud, sur des problématiques de coopération et d’éducation plutôt que sur une approche évangélique. La JOC wallonne se recentre sur le caractère ouvrier du mouvement. Il ne s’agit plus de partir des réalités vécues par les jeunes et de transformer par des actions, leur vie, mais de se poser la question du pourquoi est-ce ainsi et comment changer cela à la racine. Il faut une alternative au capitalisme par la mise en place d’une société socialiste autogestionnaire. Tous ne suivent pas cette approche. Le mouvement traverse une crise qui aboutit à l’exclusion d’un permanent national, Freddy Ingenito. Même s’il n’exprime pas clairement sa position dans ses carnets – ce sont ses notes personnelles – Fabrice Epis s’oppose à cette exclusion lors la réunion du Secrétariat général, le 28 décembre 1970. Après une discussion en interne, Freddy Ingenito est réintégré le 14 janvier 1971, mais ces tensions laissent des traces. Elles se soldent par la désaffiliation de trois fédérations (Verviers, Thuin, Mouscron) qui forment une interfédérale jociste, laquelle refuse la mise à distance avec l’Église et le tournant idéologique du mouvement. La CSC met fin au mandat octroyé à la JOC/F pour former les jeunes délégué.es et lance sa propre organisation, les Jeunes CSC. La JOC n’est désormais plus la jeunesse du syndicat chrétien. Cette décision fragilise l’équilibre financier déjà précaire de la JOC/F d’autant plus que les organisations mutuellistes suspendent également leurs subsides au profit de leur propre mouvement Jeunesse et Santé. Si en octobre 1969, la correspondance jociste se termine encore par « Amitiés jocistes- Unité d’action et de prière », en 1973, le Secrétariat national signe tout simplement : « Unis dans la lutte ». Après le 1er mai 1974, il est même question de retirer à la JOC/F, la reconnaissance d’organisation membre du mouvement ouvrier chrétien.
Fabrice participe de ce changement et témoigne : « L’organisation d’un pèlerinage à Rome a eu pour effet de poser des questions internes sur le rôle de l’Église, sur le lien Église-JOC, sur la place des aumôniers, sur le caractère chrétien de la JOC. Les premières divergences apparurent entre nous. Nous voulions être plus indépendants, plus engagés sur l’aspect ouvrier » (Témoignage écrit, 2016). À l’occasion du 1er mai 1971, axé sur la liberté et l’unité de la jeunesse ouvrière, Fabrice note dans son carnet : « Quel but dans la lutte que nous menons ? Ne devons-nous pas lutter plus clairement pour une société de type socialiste et chacune de nos étapes irait vers la réalisation d’une telle société ? » (Fonds des anciens et anciennes de la JOC/F, Fabrice Epis, carnet JOC-SG, 1970-1971, SG du 10 au 12 février 1971, point 10) Pour la JOC, fêter le Premier mai est une innovation. Pour Fabrice, il ne s’agit pas seulement de la fête du travail, mais bien d’un jour de lutte pour la promotion de la classe ouvrière.

Comme permanent national, Fabrice Epis est en charge de trois fédérations : Bruxelles, La Louvière, Mons. Plus tard, il aura la responsabilité également du Brabant wallon. Il mène une action vis-à-vis des jeunes adultes et travaille en réseau avec les Équipes populaires et Vie féminine, mais il met surtout son énergie dans l’action vis-à-vis des jeunes immigrés. Il publie dans le journal de la JOC, des articles sur l’histoire de l’immigration, édite des brochures comme support à la réflexion des sections locales : Que sommes-nous ?, Pourquoi sommes-nous en Belgique ? De retour en Italie, nous sommes « lo straniero » ; en Belgique, nous sommes l’Italien. Il y analyse le système migratoire comme nécessité vitale pour le capitalisme d’avoir une main-d’œuvre docile et corvéable à merci et la difficulté des sociétés d’accueil de prendre la mesure de cette double exploitation. Il met l’accent sur les difficultés des jeunes migrants de la « deuxième génération » au niveau de l’enseignement, du travail, mais aussi des droits politiques et sociaux ainsi que le peu de soutien des organisations syndicales et le manque d’intérêt des partis politiques. La plupart de ces jeunes n’ont pas la nationalité belge et donc pas de droit de vote. À La Louvière, il participe aux discussions qui aboutissent à l’installation d’un conseil consultatif des immigrés en 1971, composé de représentants élus par les résidents étrangers. L’objectif de ces conseils dont le premier est installé en 1968 à Cheratte (Liège), est de favoriser la participation des étrangers à la démocratie locale, mais leurs avis n’ayant aucun caractère contraignant pour les autorités publiques, ils tombent rapidement en léthargie.

Fabrice Epis participe à la première rencontre nationale de la « Gioventu’ operaia cristiana » (GiOC), du 1er au 3 mai 1970 à Monteporzio Catone, près de Rome, point de départ de la JOC italienne. Pendant trois ans, il participe aux camps-écoles, en Italie, avec Stefano Colombo et Sergio Regazzoni de la JOC suisse. Ce dernier, secrétaire de la JOC européenne depuis la fin 1969, influencera fortement la suite de l’engagement de Fabrice. Délaissant l’approche géographique nationale traditionnelle, il tisse des liens entre les militants des diverses JOC. Sa langue maternelle étant l’italien, il trouve naturel de se préoccuper des migrants italiens en Belgique. Il se rend à Charleroi, à La Louvière...

Le phénomène de l’immigration étant européen, Fabrizio Epis organise, avec ses homologues des JOC nationales, des rencontres européennes des immigrés où les jeunes se retrouvent. Ils ont, comme dénominateur commun, leurs origines et un parcours d’immigration dans des pays comme la France, l’Allemagne, le Grand-Duché de Luxembourg, l’Italie, l’Espagne, le Portugal… Des contacts avec les jocistes de ces deux pays où sévissent encore des dictatures militaires, il prend conscience de la nature profonde d’un système qui ne tolère aucune liberté. En prolongation de ces rencontres, Fabrice Epis participe à la Conférence des présidents de la JOC internationale, qui se tient à Zeist (Pays-Bas), du 29 août au 9 septembre 1971 et dont l’objet est justement d’approfondir à partir des orientations prises au Conseil de Beyrouth (1969), les méthodes d’actions pour mobiliser les jeunes : « dorénavant, la priorité sera donnée au rassemblement de jeunes d’après leur occupation ou leur statut. On réunira par exemple les étudiants entre eux, les employées de maison entre elles, les apprentis entre eux, les travailleurs des grandes entreprises entre eux… des actions locales nationales et internationales seront également organisées en catégories. L’engagement politique des militants sera privilégié. Les groupes de paroisse ne seront plus le seul moyen d’organiser les jeunes travailleurs » (HARI A. et alii, JOCI. Jeunesse ouvrière chrétienne internationale. 75 ans d’action, Strasbourg, 2000, p. 82. (Fondation internationale Cardijn ; CARHOP, fonds des anciens et anciennes de la JOC/F, Fabrice Epis, Carnets immigration 1970-1971).

Comme responsable de l’action immigrée, Fabrice Epis organise des groupes de filles et de garçons qui sont apprentis, jeunes travailleurs et travailleuses, employées de maison ou étudiants par nationalité : les Italiens évidemment, mais aussi les Espagnols, les Portugais, les Grecs ou des jeunes issus des pays de l’Est. Il tente également de constituer des équipes de jeunes Marocains à Bois-du-Luc (Houdeng-Goegnies, aujourd’hui commune de La Louvière), ou Turcs, à Cheratte (Liège) et envisage des contacts avec la KAJ. En novembre 1971, il fait le point sur son action et précise ses objectifs. Il faut, écrit-il, « mener une lutte anticapitaliste pour démolir les valeurs et les situations du capitalisme qui sont fondamentalement opposées aux intérêts de la personne humaine et aux intérêts de la classe ouvrière », et, « construire une nouvelle société par la formation, l’éducation, l’action et l’organisation ». Il considère que l’immigration est « un des problèmes les plus importants de la société, l’un des plus collectifs, l’un des plus catastrophiques. » Il faut, conclut-il, « être contre tout ce dont les gens sont victimes et c’est le cas de l’immigration. La lutte contre l’immigration forcée fait partie intégrante des luttes ouvrières » (CARHOP, fonds JOC/F, Secrétariat national, Action immigrée, 1970-1975). Fabrice Epis forme, avec la permanente européenne espagnole, Pépita Villa, un duo dynamique chargé de l’animation de ces jeunes, « exploités » comme ouvriers, ouvrières ou employées de maison, sans bagage professionnel, orientés quasi systématiquement vers l’enseignement technique et professionnel ou prenant le chemin du travail dès l’âge de quatorze ans. Pour eux, il ne s’agit pas de faire du travail social, mais de mobiliser la méthode jociste sur leur réalité avec le « voir-juger-agir » et œuvrer à leur émancipation, « par eux, pour eux et avec eux ».
Cette action spécialisée de l’immigration se structure de manière transversale dans les différentes fédérations et réunit pour la première fois, le 13 mars 1971, un comité national d’action immigrée. Fabrice Epis anime également un groupe de permanents fédéraux (FLTI), tous et toutes immigré.e.s, qui se retrouvent chaque mois. Ils approfondissent les causes des migrations, les conséquences sur leur vie, les règlementations qui régissent leur droit de séjour et de travail, leur rôle dans l’économie capitaliste avec l’aide d’universitaires comme Michel Quévit ou Bruno Ducoli. Franciscain italien, ce dernier met en avant la langue et la culture comme outil d’émancipation. Les contacts sont réguliers entre eux.

En février 1973, Fabrizio Epis lance avec Luigia [ ?] et Mario [Gotto], un journal, le Gioventu operaia, Foglio di collegamento dei gruppi JOC « Immigrati » E Universita operaia ( Jeunesse ouvrière. Bulletin de contact des groupes JOC immigration et de l’Université ouvrière). Ce bulletin répond à une attente de nombreux militants et militantes. Il ouvre ses colonnes aux témoignages de vie, aux actions et échanges d’information entre jeunes issus de l’immigration. L’équipe rédactionnelle souligne toutefois que ce journal ne pourra vivre que si chacun y contribue et le diffuse autour de lui et termine par les mots :« Uniti per la liberazione della classa operaia (unis pour la libération de la classe ouvrière) » (LUIGIA, MARIO, FABRIZIO, « Éditorial », Gioventu operaia. Foglio di collegamento dei gruppi JOC « Immigrati » E universita Operaia, n° 1, 15 février 1973, p. 1).

Quand Fabrice Epis est membre du Secrétariat européen de la JOC de 1973 à 1977, il continue dans le même esprit et lance un réseau de jeunes ouvriers travaillant dans les filiales européennes de la multinationale Philips.
En avril 1975, au Ve Conseil international de la JOC à Linz (Autriche), Fabrice Epis est élu permanent de l’équipe internationale, en responsabilité du continent européen, pour un mandat de deux ans. Ce conseil confirme les nouvelles orientations de la JOCI et redéfinit l’identité du mouvement : « partir de la réalité, de la vie personnelle quotidienne et collective des jeunes travailleurs, de leurs valeurs, réactions, aspirations du sens plus profond de la vie… » (Déclaration de principes de la JOC adoptée à Linz, 1975. La JOCI la remet régulièrement à jour : voir « Linz 1975 »). Ce mandat élargit son horizon. Il participe au stage de formation internationale à Accra, au Ghana, en septembre 1974. En prélude au séminaire, en août, il visite la JOC au Sénégal. Il a aussi l’occasion de faire deux voyages en Amérique latine, en octobre 1975 et en mai 1977, lors de la rencontre internationale de l’équipe de la JOCI.
Dans son témoignage écrit de 2016, Fabrice Epis souligne la chance qu’il a eu d’avoir fait partie de l’équipe des permanents immigrés italiens et espagnols en Europe et précise l’apport de la JOC dans sa militance : « la volonté de faire un travail de masse et pas un travail uniquement pour militants, toujours chercher à initier des nouveaux à l’action collective : mon engagement syndical a été très orienté par ce choix ; l’importance de la participation, de l’apprentissage à l’organisation, l’option pour l’autogestion : faire, faire avec, faire faire ; la recherche constante de l’autonomie, de l’indépendance, d’un regard critique permanent ; la tâche d’éducation dans chaque action développée, l’éducation par l’action ; apprendre à se grouper, à cerner les revendications, à organiser des actions collectives, à obtenir des résultats, des changements. Inscrire ces actions dans une perspective d’une société égalitaire ; les contacts internationaux et les rencontres concrètes de militants d’autres pays sont essentiels dans tout mon engagement. Des personnes rencontrées à la JOC ont été des exemples, des accompagnateurs et aussi quelques aumôniers ont été de ceux-là. »

Son engagement syndical

En 1977, la page de la JOC se tourne. Fabrice Epis revient à La Louvière. Normalement, la trajectoire professionnelle d’un permanent jociste est d’entrer au syndicat chrétien, mais à la Fédération CSC de La Louvière, sa candidature est rejetée, car il est étiqueté comme gauchiste, internationaliste prônant la lutte des classes. Après une période de chômage, c’est un ancien jociste, Raymond Coumont, devenu secrétaire fédéral de la CSC du Brabant wallon, qui le recommande comme coordinateur de l’Oasis asbl. Ce foyer d’accueil pour migrants, initié en 1972, par Jean-Marie Paquay, secrétaire fédéral du MOC du Brabant wallon, accueille des travailleurs marocains célibataires des établissements Henricot, à Court-Saint-Etienne. En 1978, l’Oasis, outre l’hébergement d’une cinquantaine d’ouvriers, est aussi un centre de service avec un dispensaire médical, un service social, une boutique de droit, et organise des cours d’alphabétisation. Face à la demande toujours croissante d’hébergement et la difficulté récurrente pour les migrants de trouver un logement, l’idée germe de fonder une union ou coopérative des locataires. Elle serait l’interface entre les propriétaires qui refusent de louer leur bien à des « étrangers » et les membres de l’Union. Cette coopérative serait gérée par les locataires, des militants du mouvement ouvrier et les permanents de l’Oasis. Le centre de service se maintiendrait avec quelques chambres de transit. L’expérience s’arrête en 1983 suite au rachat des bâtiments par l’Institut Saint-Jean-Baptiste de Wavre, leur voisin.

En 1979, Fabrice Epis devient permanent interprofessionnel à la Fédération CSC du Brabant wallon pour préparer les élections sociales et lancer des nouvelles équipes syndicales dans les entreprises. Il est responsable du secteur ouest à savoir la région de Tubize. Il doit assurer le paiement du chômage et le suivi des actions et des réunions avec les délégué.es de tous les secteurs. Il est de tous les combats : les grèves aux Forges de Clabecq (Tubize), les manifestations ou occupations d’usine comme celle à l’usine textile de Fabelta Tubize et d’autres encore, comme à l’hôpital de Tubize.
Fabrice Epis s’investit dans l’action des sans-emploi qui en est à ses débuts. Il met en place des comités de chômeurs et de chômeuses, organise des délégations de files de pointage, et lance en 1981 un bulletin, La carte rouge. Au début, il donne la priorité à l’information des droits des chômeurs, à leur défense et à l’organisation de mobilisations pour dénoncer les mesures prises par le gouvernement pour réduire l’allocation de chômage et « faciliter » les exclusions. Il lance un plan de formation pour les accompagnants des chômeurs et chômeuses appelé.es à se justifier à l’ONEm (Office national de l’emploi). Il n’hésite pas de passer à l’action, si nécessaire, et organise, le 9 mars 1982, l’occupation de la maison communale de Nivelles pour dénoncer les mesures iniques du gouvernement. À partir de ce réseau de militant.es, il soutient de multiples initiatives, dites de petites débrouilles, qui prennent des formes diverses en fonction des compétences et des besoins des personnes : des équipes de SOS Dépannage, un restaurant pour écoles à Rixensart, des bourses de vêtements, une centrale d’achats, des haltes-garderies, un groupe DÉCO (défense en matières économiques) dont l’objectif est d’aider les personnes surendettées ou les chômeurs à régler leurs litiges avec les créanciers (banques, sociétés de logement, compagnie de gaz et électricité), un atelier voiture, un atelier « réparation » d’objets divers, un centre de conseil d’économie d’énergie, etc.
Ce travail syndical n’est pas facile, car le public est changeant, sauf pour les plus ancrés dans le chômage et les plus âgés exclus de fait du marché du travail. Malgré cela, les comités obtiennent une reconnaissance dans les instances syndicales et participent à la vie syndicale et au mouvement social. Fabrice, dans son rapport d’activités de 1983, souligne l’importance que revêt cette participation des sans emplois au sein de la CSC, tant pour l’action locale que pour la fédération régionale, mais, écrit-il, « notre participation suppose qu’on y exprime les résultats de notre travail, qu’on y défende nos revendications, qu’on y apporte nos points de vue » (Fonds MOC Brabant wallon, dossier Action chômeurs, 1980-1987. Évaluation et plan de travail de Fabrice Epis, 1983). Dans ce champ d’action, Fabrice apporte toute la richesse de son expérience jociste et sa vision du changement social attendu.

Depuis 1978, Fabrice Epis est étudiant au groupe ISCO à Tubize. En juin 1981, Ewa Deptua, une professeure à l’Université de Lublin, qui a des relations avec l’Université catholique de Louvain, leur donne cours et les informe sur ce qui se passe en Pologne. Le groupe interpelle le secrétaire du MOC, Jean-Marie Paquay, afin d’organiser la solidarité avec le syndicat polonais Solidarność. Le coup d’État du 13 décembre 1981 retarde le projet. Les premiers convois partent le 5 janvier 1982. Les camions sont chargés de biens de première nécessité, une couverture humanitaire qui camoufle des produits illicites (encre d’imprimerie, papier, radios en ondes courtes …). Fabrice participe à ces voyages de soutien. Trente ans plus tard, il recevra, le 25 janvier 2012, avec sept autres compagnons, Jean-Marie Paquay, Éliane De Dobbeleer, René-Paul Malevé, Mario Gotto, Pierre Gréga, Georges Bristot, Tadeusz Oruba*, le diplôme d’honneur et la médaille de reconnaissance délivrée par le Centre européen de solidarité, « pour les 30 ans de la naissance de Solidarność et la mise en œuvre de l’opposition démocratique en Pologne dans la lutte pour la liberté et la démocratie ».

En 1986, Fabrice Epis devient permanent à la Centrale nationale des employés (CNE) pour la région (aujourd’hui appelée unité opérationnelle - UOP) de Bruxelles-Brabant wallon , en responsabilité des secteurs du non marchand (personnel des hôpitaux, maisons de repos, aides familiales, etc.). Il en est le secrétaire principal de 2002 à sa retraite en 2013. Les élections sociales sont des moments clés dans l’agenda syndical. En 2004, comme secrétaire principal de l’UOP de Bruxelles-Brabant wallon, Fabrice pointe les enjeux de l’exercice : diminuer le nombre d’entreprises sans élection, proposer au vote des candidats et candidates représentatifs de la diversité culturelle et sociale d’une région comme Bruxelles : « C’est capital pour la CNE d’être représentative pour les travailleurs habitant Bruxelles nous permettra de prendre à bras le corps les enjeux de la région, telle que l’emploi et le chômage, la mobilité, les problèmes caractéristiques d’une grande agglomération, ceux de la pauvreté, et. … dans certains secteurs tels que le non marchand, un nombre élevé de jeunes, hommes et femmes, issus des deux rives de la Méditerranée, se portent candidat, une chance à saisir pleinement » (EPIS F., « Les enjeux de la CNE Bruxelles-Brabant wallon pour les élections sociales », Le droit de l’employé, n° 4, avril 2004, p. 15).

Fabrice Epis est avant tout un homme d’action. Il signe peu d’articles faisant état d’une grève ou d’un dossier qu’il suit plus particulièrement, mais quelques négociations méritent d’être épinglées.

Dans le secteur non marchand, après une mobilisation importante fin des années 1980 et 1990, du personnel des hôpitaux portant sur des revendications salariales, mais aussi qualitatives (réduction du temps de travail à 35 heures, diminution de la charge de travail, respect de l’emploi dans les fusions et restructuration, aménagement du temps de travail progressif pour les travailleurs et travailleuse âgées de plus de 45 ans, etc.), la question se pose de l’extension de ces acquis dans le secteur ambulatoire : maisons médicales, centres de santé mentale, planning familial, service social ou de toxicomanie…. Aucune de ces structures ne peut aligner suffisamment de travailleurs pour avoir une délégation syndicale, un conseil d’entreprise et un comité de sécurité et d’hygiène. La proposition syndicale, négociée entre autres par Fabrice Epis et acquise en 1998, porte sur la création de délégations syndicales itinérantes, compétentes pour toutes les institutions d’un même secteur, appelées délégations syndicales intercentres, élues par les travailleurs du secteur. Cette nouvelle forme de d’organisation de la représentation syndicale se donne comme priorités, d’une part, l’amélioration du statut du personnel et de ses conditions de travail et, d’autre part, la définition et la mise en œuvre des objectifs sociaux des institutions qui les occupent. Pour Fabrice Epis, le syndicat ne peut scinder ces deux aspects. Il doit s’impliquer dans le questionnement lié à la politique du secteur et refuser de s’enfermer dans le seul débat budgétaire. Il vise à la qualité du service, mais aussi à tous les enjeux d’une politique de la santé articulée autour du patient.

Fabrice Epis développe cette stratégie pour les petites « maisons de repos », relevant du secteur privé et signe, en 2006, une convention collective qui permet la mise en place d’une délégation syndicale, suivant un nombre dégressif de travailleurs : de 50 travailleurs en 2006 à 20 en octobre 2009. En vue des élections sociales de 2008, il organise des nouvelles équipes syndicales dans plus de 50 maisons de repos à Bruxelles et en Brabant wallon, quitte à déposer des recours devant les tribunaux du travail. Sur les 191 mandats du secteur, la CSC en remporte 135 pour les employés, cadres, ouvriers et jeunes, succès qu’il commente dans Le droit de l’employé : « à nous maintenant d’organiser le syndicalisme, d’obtenir des améliorations des conditions de travail et de faire respecter les droits des travailleurs. » (EPIS F., « Succès impressionnant dans les maisons de repos, une priorité… et un succès », Le droit de l’employé, juin 2008, p. 7). Il relance avec ses équipes, une nouvelle campagne en vue des élections de 2012 avec le slogan : « Saint-Nicolas ne passe qu’une fois par an, mais la CNE est à vos côtés toute l’année ».

Le dernier combat syndical de Fabrice Epis vise le personnel des ambassades. Ce secteur particulièrement opaque bafoue les droits les plus élémentaires de leur personnel et certaines situations peuvent être même qualifiées d’esclavages : personnes soumises à un travail non rémunéré, dans des conditions de logement indécentes, avec état de dépendance totale par rapport à leur employeur. La première assemblée qui se tient en mars 2011, décide de fonder une Union interSyndicale du personnel des ambassades. Cette initiative, création conjointe des syndicats employés chrétiens, CNE-LBC (Landelijke bedienden centrale, aujourd’hui Puls) et, socialiste (SETCa (Syndicat des employés, techniciens et cadres)-BBTK (Bond van bedienden, technici en kaderleden), se met au travail. Tout est à faire : élaborer un cahier de revendications, constituer une représentation, informer les travailleurs du secteur, développer un service de défense juridique, faire des actions collectives pour sensibiliser aux problèmes et faire des propositions de changement de la législation avec les ministères concernés (l’Emploi et Travail, les Affaires étrangères, le Commerce extérieur et la Coopération au développement), et enfin, mettre en place une commission paritaire compétente qui puisse négocier des conventions collectives. L’InterSyndicale élit son bureau et présente aux représentants des ministères, des témoignages sur leurs conditions de vie et de travail ainsi que leur cahier de revendications. Ces derniers s’engagent à installer une commission du personnel des missions diplomatiques, chargée de faire des propositions de législation afin de garantir un statut social légal et d’élaborer un code de bonne conduite à soumettre à toutes les directions de missions diplomatiques. Comme premier résultat engrangé, la commission des Bons offices est installée en 2013 auprès du ministre de l’Emploi et du Travail. La pression sur les autorités politiques se poursuit avec deux journées de grève, les 13 et 14 mai 2014, en soutien aux travailleurs du consulat du Brésil, en grève à Bruxelles et dans 17 villes du monde ainsi qu’une journée de grève menée courageusement par la représentation espagnole, le 16 octobre 2017. L’InterSyndicale réunit encore deux assemblées générales les 25 mai 2013 et le 20 mai 2015, qui rencontrent chaque fois une participation importante et une écoute attentive de la part des ministres concernés. Finalement, la proposition de loi, plusieurs fois amendée, est adoptée le 15 janvier 2018 et entre en vigueur le 15 février 2018.

Le 9 janvier 2018, la maladie emporte Fabrice Epis. La présidente de l’InterSyndicale, Frédérique Vial, lui rend un hommage en ces termes : « Nous, les travailleurs des ambassades, consulats, représentations permanentes et missions diplomatiques, lui serons toujours reconnaissants pour tout ce qu’il a fait pour nous. Il avait l’enthousiasme et la volonté qui faisaient déplacer des montagnes. Grâce à lui, nous avons obtenu une existence légale et des droits que l’on nous refusait depuis si longtemps. Fabrice est aussi à l’initiative de la commission des Bons offices. Sans lui et sa pugnacité, elle n’aurait jamais vu le jour. Il en était la clef de voûte. Le sort a voulu qu’il ne puisse pas voir une de ses plus belles réussites : l’amendement de la loi de 1968 qui nous permettra, enfin, d’être repris dans une commission paritaire. Cette victoire est la sienne « .

Le fil rouge de l’engagement social de Fabrice Epis est et reste la JOC. Il garde des liens d’amitié forts avec ceux et celles avec qui il a travaillé, mais pas seulement. Il reste mobilisé, malgré ses multiples responsabilités syndicales, sur des projets dont il partage les valeurs et qui rencontrent ses préoccupations.
Ainsi, en août 2000, quand la presse annonce la création pour la fin de l’année d’un syndicat de la vie quotidienne, Fabrice Epis fait partie du groupe fondateur. Ce syndicat d’un genre nouveau ambitionne de s’occuper prioritairement de causes telles que la défense des citoyens et des usagers, l’amélioration des transports publics, la lutte contre la malbouffe, le sort des enfants cancéreux, les nuisances environnementales ou le droit de vote des étrangers. Ces questions sont négligées par les organisations « traditionnelles », basées davantage sur le travail. Initié par Mario Gotto, directeur de la Coordination et initiatives pour réfugiés et étrangers (CIRÉ) et porte-parole du Mouvement de régularisation des sans-papiers, ce projet-citoyen est porté par des responsables francophones de mouvements associatifs comme Philippe Laurent, fondateur de MSF-Belgique et créateur du Mouvement de la société civile, Benoît Scheuer, fondateur de Survey & Action et créateur d’un Observatoire de prévention des ethnismes, Denis Lambert des magasins du monde Oxfam. « Fabrice », précise Mario Gotto, « était parmi les fondateurs du Syndicat de la vie quotidienne (SVQ). C’est un projet que nous avions depuis la JOC. Nous avons toujours pensé qu’il fallait agir sur tous les domaines de la vie et pas seulement dans le domaine professionnel. C’était une des caractéristiques de la JOC d’avoir une approche globale de la vie et de l’action. » L’idée, précise Mario Gotto, dans des entretiens au journal Le Soir (voir Sources) et dans Le Monde (voir Sources), « est de montrer que tous ces combats font partie d’un seul enjeu fondamental : la qualité de la vie. Trop souvent, les gens sont isolés dans leur combat. Ils manquent de relais. … Nous voulons créer du lien, des alliances citoyennes entre tous ces groupes. Nous croyons très fort en la pédagogie de l’action et du débat. Dans un combat social, il faut défendre à la fois l’intérêt particulier et l’intérêt général. La solidarité est à ce prix. C’est la raison pour laquelle je tiens au nom de “syndicat” qui nous relie au mouvement social. L’utiliser, c’est le réhabiliter, en désignant un nouvel endroit de combat : la vie quotidienne ». Ce projet, pourtant bien accueilli par la gauche politique ne se concrétisera pas, chacun étant happé par leurs responsabilités respectives ».

Dans le domaine de la défense des réfugiés et le droit des étrangers, Fabrice Epis accepte la proposition que lui fait Jean-Marie Paquay, lors de son propre départ à la retraite, de s’investir dans le CIRÉ. Il devient membre de l’assemblée générale de l’asbl et occupe, à titre personnel, la présidence du 17 avril 2007 au 19 juin 2012.

Nouvellement retraité en 2013, Fabrizio Epis accepte la proposition de la JOC internationale de constituer un réseau de soutien qui réunit des anciens et des anciennes de la JOC. Dans ce cadre, il participe à la séance d’ouverture du XIVe conseil de la JOCI, qui se déroule les 24 au 26 septembre 2016, à Herzogenrath (Aix-la-Chapelle, Allemagne). Cette séance est spécialement dédicacée à la rencontre entre différentes générations de jocistes. Fabrice Epis joue le jeu et met par écrit son parcours de jociste et l’impact sur sa carrière professionnelle de syndicaliste, ce qui nous donne un très beau témoignage. Il devient conseiller dans l’Association internationale Cardijn – anciennement la Fondation internationale Cardijn –, installée en 2016, dont l’objectif est de préserver l’héritage de Cardijn et d’assurer la continuité de son projet. Il s’agit essentiellement de soutenir la stabilité et l’autonomie financière de projets portées par des mouvements et des groupes de jeunes travailleurs. En totale harmonie avec ses engagements, il exprime le souhait que chacun et chacune qui souhaitent lui rendre hommage, verse une contribution à l’Association internationale Cardijn, à son intention.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article220595, notice EPIS Fabrizio, dit Fabrice, appelé Tchicho en privé. [Belgique] par Marie-Thérèse Coenen - Luc Roussel, version mise en ligne le 22 novembre 2019, dernière modification le 27 septembre 2023.

Par Marie-Thérèse Coenen - Luc Roussel

ŒUVRE : Collaboration à la presse jociste, à La carte rouge – Avec LUIGIA, MARIO, « Éditorial », Gioventu operaia. Foglio di collegamento dei gruppi JOC « Immigrati » E universita Operaia, n° 1, 15 février 1973, p. 1 – AVEC MEIRE B., « Le syndicat et la petite entreprise de santé », Santé conjugée, n°5, juillet 1998, p. 3-6 – Dans Le droit de l’employé : notamment « Les enjeux de la CNE Bruxelles-Brabant wallon pour les élections sociales », n° 4, avril 2004 ; « Succès impressionnant dans les maisons de repos, une priorité… et un succès », n° 6, juin 2008 ; « Le personnel des ambassades s’organise », n° 4, avril 2011 ; « Enfin du concret pour le personnel des ambassades », décembre 2011.

SOURCES : CARHOP, fonds des anciens et anciennes de la JOC/F, fonds Fabrice Epis, 3 boites (fonds déposé par Éliane De Dobbeleer, portant essentiellement sur l’engagement de Fabrizio Epis à la JOC (nombreux carnets personnels) avec une partie icono-photographique) : voir particulièrement le témoignage écrit de Fabrice Epis, Belgique wallonne, JOC-1967 à 1977, [2016] ; le carnet JOC-SG, 1970-1971, SG du 10-12 mars 1971, point 3 congrès du 1er mai ; les carnets immigration, 1970-1971 ; les carnets JOCI, stage de formation internationale à Accra, au Ghana, [1974] – CARHOP, fonds JOC/F, sessions d’études, action au travail, 1965-1979. Session nationale de l’action au travail, Ter Nood, 11-15 janvier 1967 ; Secrétariat national, action immigrée, [s.d.] ; Secrétariat national, action immigrée, 1970-1975 – CARHOP, fonds JOC/F, Fédération JOC du Centre, boite n° 2, farde 3.11, Équipe fédérale du Centre, carnet anonyme, 1964-1969 – CARHOP, fonds Luc Roussel, JOC/F, boite JOCI, note sur l’évolution historique de la JOC internationale, mai 1988 – CARHOP, fonds MOC Brabant wallon, dossier Action Chômeurs, 1980-1987 – Rome 70, Bruxelles, JOC, 1969-1970 – PANCIERA S., « Les conseils consultatifs communaux des immigrés », Courrier hebdomadaire du CRISP, Bruxelles, n° 963, 1982 – « Le mouvement ouvrier face à la crise polonaise », Infor-moc. Organe d’information du Mouvement ouvrier chrétien du Brabant wallon, n° 8, janvier 1983, p. 8-9 – « Pas d’emploi et tant de choses à faire : à Wavre et environs les chômeurs passent à l’action », Infor-moc. Organe d’information du Mouvement ouvrier chrétien du Brabant wallon, n° 9, mars 1983, p. 6 – La carte rouge, n° 4, [1983] – DENIS P., « La JOC depuis 1970. Histoire d’une mutation », La revue nouvelle, n° 12, décembre 1986, p. 507-517 – « Vers la création d’un Syndicat de la vie quotidienne en Belgique », Lemonde.fr, 6 août 2000, mis en ligne le 6 août 2000 – ROUSSEL L.et alii, La JOC en Europe. L’heure de la classe ouvrière, Bruxelles, JOCI-Secrétariat européen, 2000 (Fondation internationale Cardijn) – KABONGO P., La révolte des enfants de Cardijn, trente ans après…, Bruxelles, CARHOP, 2003, p. 47 – WYNANTS P., « De l’Action catholique spécialisée à l’utopie politique. Le changement de cap de la JOC francophone (1969-1974) », Cahiers d’histoire du temps présent, n°11, 2003, p. 101-118 – SNAKKERS N., « Le meilleur outil de recrutement, c’est la rencontre ! », Bulletin des militants de la CNE, décembre 2011, p. 13 – DE VOGELAERE, J.-P., « Les huit de Lublin », Le Soir (édition Brabant wallon), 26 janvier 2012 – DE BOECK P., DORZÉE H., VAES B., « Il y a quinze ans dans le journal "Le Soir" : "la vie quotidienne se syndique" », lesoir.be, mis en ligne le 3 août 2015 – Site de l’Intersyndicale Mission diplomatique : « Hommage à Fabrice Epis » – Renseignements de Mario Gotto, fournis par courriel, 3 juin 2019 – Renseignements de Marlyse Thommen et de Lidia Miani, collègues de Fabrice Epis à la JOCI, fournis par courriel, 3 juin 2019, (par courriel) – Rencontre avec Sandro Epis, 10 juin 2019 – Données aimablement transmises par Joëlle VAN PÉ du CIRÉ asbl, 22 juin 2019 – COENEN M.-T, ROUSSEL L., Fabrizio, Fabrice, Epis. De la JOC à la CNE : un engagement constant, Bruxelles, CARHOP, 2019.

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