DOMMANGET Maurice. Pseudonymes : Jean Prolo, Jean Social

Par Jean Maitron, Claude Pennetier

Né le 14 janvier 1888 à Paris (IXe arr.), mort le 2 avril 1976 à l’hôpital de Senlis (Oise) ; instituteur ; militant socialiste, communiste puis oppositionnel ; syndicaliste et libre-penseur ; secrétaire général de la Fédération unitaire de l’enseignement de 1926 à 1928 ; historien du mouvement ouvrier et socialiste.

Maurice Dommanget et son épouse Eugénie
Maurice Dommanget et son épouse Eugénie

Né à Paris, Maurice Dommanget passa son enfance à Chouy près de Neuilly-Saint-Front (Aisne) puis, après un court séjour à Compiègne (Oise), il revint à Paris en 1899. Sa famille paternelle venait de la Meuse et sa famille maternelle de Troyes (Aube). Son père, fils d’un coutelier, exerçait le métier de boucher. Lecteur du Radical, profondément anticlérical, il ne fit pas baptiser Maurice. Celui-ci obtint le certificat d’études puis fréquenta les cours complémentaires de la rue Montgolfier (IIIe arr.) et de la rue Pihet (XIe arr.). Reçu au brevet élémentaire il entra à l’école Turgot.

Maurice gardait la nostalgie du canton de Neuilly-Saint-Front ; il découvrit dans l’histoire et la géographie locale un moyen de vivre l’amour de sa contrée. Dès la classe de « fin d’études » il accumula de la documentation. Ainsi prit forme son premier livre, La Rivière d’Ourcq et ses affluents, 132 pages, publié après son succès au brevet supérieur. Les articles d’Aulard dans La Révolution française étaient ses lectures favorites. C’est dans cette revue que le collégien découvrit une étude sur Sylvain Maréchal, écrivain athée, ami de Babeuf. Maurice Dommanget pensa avoir trouvé sa voie : il serait l’historien de « l’homme sans dieu », pouvant ainsi marier son anticléricalisme déjà vif et sa soif de connaissance historique. La lecture du « Manifeste des Égaux » éveilla sa conscience sociale et politique : il jeta sur un cahier d’écolier les bases d’un livre sur Sylvain Maréchal.

Nommé instituteur suppléant dans l’Oise, il devint titulaire à Montataire où il adhéra à la section socialiste locale. Il prit également à titre individuel – l’Oise n’ayant pas de syndicat – sa carte de la Fédération des syndicats d’instituteurs. Il aurait organisé dans sa ville une des premières grèves d’enseignants. En juillet 1909, Dommanget publia son premier article dans le Travailleur de l’Oise puis il accomplit son service militaire à Montbéliard (Doubs), collaborant sous le pseudonyme "Jean Social" à la Franche-Comté socialiste. Il assista en uniforme à diverses réunions socialistes, en présida une autre, en civil cette fois, et participa pendant une permission à un congrès, au cours duquel il prit la défense de Frossard, soldat de sa garnison inquiété pour ses idées antimilitaristes. Libéré, il fut nommé à Morvilliers en octobre 1911 et reprit sa collaboration à La Franche-Comté socialiste (Jean Social) et au Travailleur de l’Oise (Jean Prolo).

Maurice Dommanget avait, dès sa première nomination, donné libre cours à sa passion pour la recherche historique. Il fit imprimer à ses frais La Révolution dans le canton de Neuilly-Saint-Front dont [Albert Mathiez-<121058], alors professeur à l’université de Besançon, fit un compte rendu élogieux dans les Annales de la Révolution française. À sa demande, Dommanget consacra un diplôme d’études supérieures à Sylvain Maréchal et en fit un livre, son meilleur livre affirmait-il. Mathiez aurait souhaité lui proposer une carrière universitaire, il refusa. Nostalgie de la province de son enfance et convictions syndicalistes révolutionnaires se conjuguaient pour le maintenir à son poste d’instituteur rural. S’il passa avec succès l’écrit du concours d’admission aux fonctions d’inspecteur primaire (il ne se présenta pas à l’oral), c’était pour mieux ébranler l’autorité de ses « supérieurs » et non pour quitter son poste.

C’est vers 1910 qu’il rencontra Eugénie Germain, née le 15 août 1889 à Paris (Xe arr. ), institutrice à Méru qui devint sa épouse en août 1912 et qui le suivit, l’encouragea, participa à ses travaux et à son action militante. Ensemble ils signèrent en cette année 1912, le Manifeste des instituteurs syndiqués, ce qui leur valut une sanction disciplinaire.

Paradoxalement, la Première Guerre mondiale donna un nouvel élan à son œuvre historique. Il avait été nommé dans les services auxiliaires à Beauvais (Oise) et affecté à la surveillance de l’Hôtel de ville. Pendant ses heures de garde et celles des autres soldats qui lui cédaient volontiers leur tour, il se faisait communiquer les archives – par la suite détruites dans un bombardement. Il publia ainsi une monographie sur la Déchristianisation à Beauvais et dans l’Oise (1922). Avec Marcel Rigault, il fonda un groupe zimmerwaldien en relation avec Merrheim, Sébastien Faure et les militants de la Vie ouvrière.

Démobilisé, il reprit son poste et mena de front ses activités de militant socialiste, de syndicaliste, de journaliste et d’historien. Ses articles lui valurent des blâmes et deux censures (1920 et 1922) d’un inspecteur d’académie qui considérait les « violences de langage, impardonnables sous la plume d’un instituteur et d’autant moins excusables que Maurice Dommanget est un esprit cultivé qui sait la valeur des termes qu’il emploie et dont les violences sont voulues et calculées ». Il constitua, semble-t-il, un groupe de la fédération communiste des soviets dans l’Oise (Christiane Magry, mémoire de maîtrise, Paris I) puis adhéra au Parti communiste après le congrès de Tours (décembre 1920), et ne le quitta qu’en 1930.

Secrétaire du syndicat des instituteurs de l’Oise depuis 1919, Maurice Dommanget fit sa première intervention importante dans un congrès fédéral, à Paris, le 18 août 1920. Les militants furent frappés par la clarté de son exposé, la richesse du contenu et la fermeté de ses positions. Au congrès de Brest (5-7 août 1923), il se prononça pour une amélioration de la revue l’École émancipée en introduisant des articles scientifiques, littéraires, une rubrique « secrétaires de mairies », des pages réservées aux travaux de la campagne. Dommanget apparaissait alors comme un des militants communistes les plus influents dans le syndicalisme enseignant avec Louis Bouët et [joseph Rollo-<128482]. En avril 1924, Treint, secrétaire du Parti communiste, et le délégué de l’Internationale communiste sollicitèrent Bouët et Dommanget pour succéder à Monatte et Rosmer à la rédaction de l’Humanité : ils refusèrent.

Maurice Dommanget fut le porte-parole de la majorité communiste au XXe congrès fédéral de la FUE (19-21 août 1925). Face aux attaques de Josette Cornec et de Georges Thomas qui dénonçaient les fractions communistes dans le mouvement syndical, il présenta celles-ci comme « de simples organes de liaison ayant pour but de rendre effective l’obligation syndicale inscrite dans les statuts du Parti communiste, de parfaire l’éducation syndicale des communistes et de leur faire jouer, dans la CGT, la CGTU et les syndicats autonomes, le rôle qui leur échoit comme ennemis du capitalisme et adversaires du réformisme » (Le Syndicalisme dans l’Enseignement, t. 2, p. 280). Le congrès vota à l’unanimité la première partie de sa motion qui déclarait : « la gestion du bureau fédéral est conforme aux décisions du congrès de 1924 » mais la deuxième partie, affirmant que le bureau fédéral n’avait été subordonné à aucune organisation extérieure, ne reçut pas les voix de la minorité (138 voix et demi contre 30 et demi et 10 abstentions).

Le congrès de Grenoble (6-8 août 1926) fut marqué par un rapprochement entre la minorité et une majorité qui avait pris ses distances avec la direction du Parti communiste. Dommanget apparaissait comme l’artisan de la reconstitution du Bloc fédéral. Le syndicat de la Seine aurait souhaité sa désignation au poste de secrétaire fédéral permanent à Paris (l’ancien secrétaire, Joseph Rollo, n’était pas permanent). Il déclara nettement que s’il était choisi comme secrétaire fédéral, il ne serait pas permanent et continuerait à mener de front dans son village ses tâches professionnelles et syndicales. Le congrès l’élut à l’unanimité : « L’émotion fut à son comble quand Dommanget, au pied de la tribune, se leva le visage en larmes pour remercier le congrès. Alors le congrès debout entonna l’Internationale. Dommanget qui, sous des dehors durs, cache une forte émotivité, avoua par la suite à des camarades qui ne s’expliquaient pas son émotion, qu’il avait été particulièrement sensible à la confiance que lui accordaient ceux-là même qu’il avait combattus dans la Fédération » (Le Syndicalisme dans l’Enseignement, t. 3, p. 7). Le bureau comprenait en outre Victorien Barne (Seine, secrétaire corporatif 1er degré), Carlier (Oise, secrétaire à la propagande), Yvonne Clavel-Orlianges (Seine-et-Marne, relations internationales et caisse de solidarité), Molinier (Seine, secrétaire corporatif 2e et 3e degré), Thénevaut (Seine-et-Oise, trésorerie) et Vaquez (Oise, pédagogie). Réélu au congrès fédéral de Tours en août 1927, Dommanget laissa le secrétariat à Jean Aulas en août 1928 et resta un animateur de la majorité fédérale qui, dès cette date, fut l’objet de vives attaques du PCF et le l’IC. Lorsqu’en 1930 la rupture avec la direction communiste fut consommée, Dommanget contribua à la création de l’Opposition unitaire au sein de la CGTU. Ce courant regroupant des communistes oppositionnels, des trotskistes, publia le Combat unitaire, mais les querelles de fractions affaiblirent l’OU dans le printemps 1931.

Invitée, à Moscou par Losovsky, secrétaire de l’Internationale syndicale rouge, une délégation de la fédération unitaire composée de Jean Aulas, Maurice Dommanget, Gilbert Serret et Jean Cornec, quitta Paris le 8 août 1931. Trois passeports avaient été refusés par les autorités françaises, Dommanget avait jugé plus prudent de ne rien demander. Les services de l’ISR devaient leur fournir des faux papiers. Ils attendirent à Berlin jusqu’au 18 août, sans résultat, et conclurent que l’ISR ne souhaitait plus leur présence en URSS (Jean Cornec, Instituteurs, p. 223-233).

L’intervention de Dommanget constitua un des grands moments du congrès fédéral de Bordeaux (août 1932) : « servi par une éloquence puissante », il fit une analyse de la situation économique et sociale pour mieux démontrer les erreurs de l’IC, puis, avisant dans la salle le secrétaire confédéral Marcel Gitton, il le somma de justifier immédiatement les attaques personnelles contre les militants de la Fédération unitaire. La puissance de sa plaidoirie laissa Gitton sans voix. En août 1934, à l’issue du congrès de Montpellier, Maurice et Eugénie Dommanget, Gilbert et France Serret, Jean et Suzanne Aulas, Lagrange et Lèbre rendirent visite à Léon Trotsky alors logé discrètement à Domène (Isère) chez Laurent Beau, militant de la Fédération. L’entrevue eut lieu à Noyarey chez Raoul Faure. Trotsky souligna l’urgence de l’unité syndicale et souhaita que les enseignants rejoignent en nombre le Parti socialiste SFIO pour y renforcer la tendance révolutionnaire. La discussion n’aboutit pas à un accord et l’exilé russe en conçut quelque amertume.

Dommanget participa aux activités du Comité de vigilance des antifascistes de Beauvais. Un discours prononcé dans le cadre à Sérifontaine (Oise) lui valut de nouvelles sanctions à l’automne 1935. Le conseil départemental le censura – pour la troisième fois – par sept voix, contre six et une abstention. La fusion syndicale réalisée dans l’enseignement le 27 décembre 1935 éloigna Dommanget des postes de direction. Il reprit alors avec passion son œuvre historique – qu’il n’avait jamais complètement abandonnée – et donna à la presse militante, en particulier l’École émancipée, revue de la tendance révolutionnaire, des articles où il alliait avec bonheur culture historique et polémique politique.

Révoqué par le gouvernement de Vichy, Dommanget travailla comme courtier d’assurances et, en 1944, participa avec Marcel Valière et Marcel Pennetier à la reconstitution de la tendance syndicaliste révolutionnaire « Les amis de l’École émancipée ». Il fut réintégré à son poste après la guerre et prit bientôt sa retraite à Orry-la-Ville (Oise). Il milita à la Libre-pensée, écrivit pour la presse syndicale, notamment à l’École libératrice qui publiait ses articles sur les grandes questions d’histoire, mais, surtout, se consacra à son œuvre historique. Spécialiste de Babeuf, de Blanqui et des blanquistes, il fut aussi l’historien des symboles, des chants, des drapeaux. Dans son bureau devenu un véritable musée Blanqui, Dommanget travailla jusqu’à sa dernière année à un recueil d’études sur Jean Jaurès, en méditant, lui l’athée militant, sur les « faiblesses » déistes du tribun socialiste auquel il vouait une grande admiration.

En décembre 1963, il écrivit à Marcel Pennetier qui lui proposait de soutenir un appel de la tendance SR (gauche du PSU : « Votre tentative est intéressante et nécessaire. J’ai vu dernièrement le fondateur et animateur du PSU de Senlis, PUGET (EE). Il en est dégoûté. Prigent est venu faire une conférence à Creil. Il paraît que c’était du socialisme à la sauce bourgeoise d’un bout à l’autre. Les camarades de l’Oise qui ont tout de même une autre formation, en étaient écœurés. Je ne peux pas signer votre appel. En dehors de la L[ibre] P[ensée] et de l’EE, je me tiens en dehors des groupes, suivant leur action et les réunissant synthétiquement : à partir des libertaires (ou prétendus tels car eux aussi s’affaissent) jusqu’au PSU. Il m’arrive d’envoyer un article à l’un ou à l’autre rappelant le passé. Je ne veux pas aller plus loin. Tu vois mon attitude. » (Orry-la-Ville, 31 décembre 1963, papier de Marcel Pennetier).

Hospitalisé à Senlis le 1er mars 1976, il mourut de vieillesse le 2 avril et fut enterré le 7 avril à Orry, en présence de deux cents amis, libres penseurs, militants de l’École émancipée, historiens dont Albert Soboul. La presse d’extrême gauche commenta longuement la disparition de cet historien militant (voir en particulier Rouge quotidien des 7 et 9 avril 1976). Dans [l’Humanité du 7 avril 1976, Jean Bruhat tint à préciser : « En dépit de ce qui nous a séparés, Maurice Dommanget est pour nous l’historien qui a contribué à exalter les grandes luttes menées par le peuple français depuis la Jacquerie jusqu’à la Commune ».

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article22830, notice DOMMANGET Maurice. Pseudonymes : Jean Prolo, Jean Social par Jean Maitron, Claude Pennetier, version mise en ligne le 25 octobre 2008, dernière modification le 28 juin 2022.

Par Jean Maitron, Claude Pennetier

Maurice Dommanget et son épouse Eugénie
Maurice Dommanget et son épouse Eugénie

ŒUVRE : Nous ne pouvons énumérer ici la cinquantaine d’ouvrages et les centaines d’articles signés par Maurice Dommanget. Il donnait sa bibliographie complète en tête de ses livres. Ses études inédites, sa correspondance, ses notes, sa documentation constituent le Fonds Dommanget déposé à l’Institut français d’histoire sociale (Archives nationales). Une bibliographie plus complète établie par Laurence Bénichou a notamment été déposée au CRHMSS, la bibliographie sélective est parue dans les Actes du colloque international de Beauvais.

SOURCES : Arch. PPo., cabinet du préfet, dossier n° 50. — Bulletin communiste, 1921 et 3 octobre 1924. — Cahiers du Bolchevisme, 1928 et mai 1930. — La Raison, n° 206, mai 1976. — Rouge, 9 avril 1976. — Le Monde, 3 mai 1973 et 6 avril 1976. — L’Humanité, 7 avril 1976. — La Libre-pensée des Bouches-du-Rhône, n° 47-48, avril-juillet 1981. — L. Bouët, Les militants du syndicalisme universitaire. Ceux de la relève, Avignon, s.d. — Le Syndicalisme dans l’enseignement, op. cit. — Jean Cornec*, Josette et Jean Cornec*, instituteurs, Paris, Clancier-Guénaud, 1981. — Jean-Louis Rouch, Prolétaire en veston : une approche de Maurice Dommanget*, « Les Monédières », Le Loubanel, Treignac, 1984 (publication d’un mémoire de maîtrise). — Notes de Maurice Dommanget. — Renseignements fournis par Georges Vedel, son exécuteur testamentaire. — Interview de Maurice Dommanget par Claude Pennetier, février 1974. — Actes du colloque international Maurice Dommanget 1888-1976, citoyen, pédagogue, historien, Beauvais, 6 et 7 mai 1994.

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