BLANC Louis [théoricien socialiste]

Par Jean Maitron

Né le 29 octobre 1811 à Madrid, mort le 6 décembre 1882 à Cannes (Alpes-Maritimes). Journaliste, historien et théoricien socialiste.

Louis Blanc
Louis Blanc

Sa famille était originaire du Rouergue ; son grand-père avait été guillotiné après la défaite des royalistes de Lyon ; son père était fonctionnaire au ministère des Finances dans l’Espagne de Joseph Bonaparte. Il avait obtenu ce poste grâce à un parent de sa femme, Corse comme elle, et secrétaire du roi Joseph.

Élève du collège de Rodez, grâce à une bourse royale, de 1821 à 1830, Louis Blanc arriva à Paris au lendemain des Trois Glorieuses. Il devint précepteur chez un grand industriel d’Arras, Hallette, qui possédait une des usines les plus modernes de France. Quel profit Louis Blanc tira-t-il de son contact, si réduit qu’il ait pu être, avec le prolétariat de l’industrie techniquement la plus avancée ? On ne saurait dire au juste. Toutefois, dans la suite, c’est beaucoup plus aux métiers artisanaux sans outillage onéreux qu’à l’industrie hautement mécanisée que Louis Blanc s’intéressera.

A Arras, en 1833-1834, Louis Blanc concourut pour un prix de cette Académie qui avait compté Robespierre parmi ses membres et dont le secrétaire Dubois de Fosseux avait été en correspondance avec Babeuf* avant la Révolution. Il emporta le prix. Il se lia également avec le rédacteur du Propagateur du Pas-de-Calais, le dynamique Frédéric Degeorges*.

Quand Louis Blanc quitta Arras pour Paris, Degeorges lui donna un mot de recommandation pour un des collaborateurs d’Armand Carrel* au National, mais le résultat ne fut pas immédiat. À la fin de 1834, Louis Blanc entra au Bon Sens, qui se situait à gauche du National, choisi par Rodde* de préférence à Cauchois-Lemaire. C’était un propagandiste démocrate dont la notoriété commençait et qui réclamait, en particulier, l’extension du droit de suffrage. Il collabora en 1835 à la défense des accusés du procès d’avril. Il fut alors sollicité par Carrel et collabora un peu au National.

En 1837, il chercha à regrouper l’opposition au moment des élections, afin que fussent présentées des candidatures communes à l’opposition dynastique et à l’opposition radicale, c’est-à-dire à l’opposition républicaine que les lois sur la presse, de septembre 1835, avaient contrainte d’abandonner cette étiquette. Après la retraite de ses fondateurs, il avait partagé en janvier 1837 avec Maillefer* la direction du Bon Sens, qu’il abandonna en 1838. Contrairement à l’ensemble de la gauche, favorable aux compagnies de chemin de fer privées, il se prononça, lui, en 1838, pour le monopole. Tandis qu’il préparait des ouvrages historiques importants, une Histoire de Dix Ans (1830-1840), qui paraîtra en cinq volumes de 1841 à 1844, une Histoire de la Révolution, qui paraîtra en 1847, Louis Blanc était rédacteur en chef de la Revue du Progrès politique, social et littéraire (1839-1842), puis éditeur avec Pierre Leroux* et George Sand* de la Revue indépendante (1841-1848).

La Revue du Progrès demandait le suffrage universel et l’élection d’une assemblée unique veillant à la « centralisation rigoureuse en tout ce qui touche aux intérêts communs de la société » et assurant la « répartition équitable entre les capitalistes et les hommes de main-d’œuvre » des produits que l’expansion de l’industrie rend plus abondants. Il y rédigea une critique des Idées napoléoniennes publiées par Louis Bonaparte. C’est aussi dans la Revue du Progrès que la brochure qui le rendit célèbre en 1839, Organisation du Travail, fut d’abord insérée.

Organisation du Travail, expression dont les fouriéristes lui disputaient la paternité, et qui était en fait le patrimoine commun à toutes les écoles socialistes depuis les saint-simoniens, proposait des coopératives ouvrières de production ; l’État ferait l’avance de tous les frais d’installation ; les coopératives rembourseraient sur leurs bénéfices auprès d’une caisse centrale qui rétribuerait le capital engagé, alimenterait un système d’assurances sociales et financerait de nouvelles coopératives. Le capital engagé par l’État et par les particuliers prêteurs de l’État serait également rémunéré par cette caisse centrale.

La polémique s’engagea contre Louis Blanc sur ce rôle qu’il assignait à l’État, les uns repoussant toute intervention de l’État pour des raisons de principe, les autres jugeant utopique une intervention de l’État, tel qu’il était, sans révolution politique préalable. L’organisation du travail impliquant une sorte de sécurité sociale, en particulier une couverture des risques de chômage, le grand public ouvrier d’avant 1848 et de 1848 aura tendance à la confondre avec la notion de sécurité sociale du temps qui était celle du « droit au travail ».

Collaborateur de La Réforme dès sa fondation, en 1843, Louis Blanc fut un des animateurs de la campagne des Banquets de 1847, d’autant plus qu’il était dans sa gloire toute neuve d’auteur de l’Histoire de la Révolution, robespierriste, et d’une lecture entraînante.

Secrétaire du Gouvernement provisoire le 24 février 1848, ainsi que l’ouvrier Albert*, Louis Blanc, comme Albert, fut rapidement élevé sur le même plan que les membres du Gouvernement provisoire. Le 1er mars, il présidait, assisté par Albert, la Commission du Gouvernement pour les Travailleurs, au Luxembourg. La Commission du Luxembourg, comme on dit, délibérait. Elle fut même la seule assemblée délibérante, jusqu’à l’ouverture de l’Assemblée constituante, dont la presse pouvait donner des comptes rendus. Et cela paraissait scandaleux à tous ceux qui regrettaient les débats des chambres censitaires.

L’attribution à Louis Blanc de la paternité des ateliers nationaux fut une iniquité du « parti de l’ordre » de 1848. Les ateliers nationaux ont été sciemment transformés par les adversaires de Louis Blanc au Gouvernement provisoire, en une entreprise de travaux publics en partie vains, pour en finir par la même occasion avec ce que Louis Blanc, depuis Organisation du Travail, nommait des « ateliers sociaux ». De ces ateliers sociaux, quelques-uns furent créés en mars 1848 sous son impulsion et sous la forme de coopératives de production de tailleurs confectionnant des uniformes pour la garde nationale, de selliers-bourreliers travaillant aux buffleteries, etc. Leur gestion se révéla souvent rentable, et ces coopératives de production seront liquidées plutôt qu’elles ne mourront en 1850, sans avoir évidemment, durant leur existence, rien changé au régime économique en général.

Élu l’un des derniers député de la Seine à l’Assemblée constituante, le 23 avril 1848, Louis Blanc ne fera plus partie d’aucun gouvernement. Ce qu’il demanda au début de mai en annonçant la dissolution de la Commission du Luxembourg à la Constituante, c’était la création d’un ministère du Travail. Il n’obtint pas satisfaction. Déjà, le parti de l’ordre l’accusait d’être complice des événements du 15 mai, alors qu’il n’avait participé à rien et qu’il désapprouvait l’invasion de l’Assemblée par les manifestants. Mis en accusation après les Journées de Juin, il monta à la tribune pour la dernière fois avant 1871. Il y affirma la moralité et la valeur objective du socialisme comme aboutissement logique de la formule républicaine, Liberté, Égalité, Fraternité. Puis, sans attendre le verdict, il s’exila en Angleterre, en passant par la Belgique.

De Londres, il animait une revue publiée à Paris, Le Nouveau Monde (15 juillet 1849-1er mars 1851). Il gagnait sa vie grâce à divers travaux littéraires, rassemblait les matériaux de son Histoire de la révolution de 1848, et s’efforçait, en 1852, de réunir les proscrits d’opinion socialiste dans une Union socialiste avec Étienne Cabet et Pierre Leroux. Il vécut aussi quelques temps à Jersey.

En 1859, furent publiées à Lausanne des Lettres et protestations sur l’amnistie du 17 août 1859 de Louis Blanc, Victor Hugo, Pierre-Joseph Proudhon, Hetzel*, Victor Schoelcher, Edgar Quinet*, le colonel Charras, Félix Pyat, V.-B. Bernard, de Marseille, Théophile Bronsin et Ernest Cœurderoy.

Rentré en France après le 4 septembre 1870, Louis Blanc fut élu à l’Assemblée nationale le 8 février 1871. Il vota, avec les députés républicains, contre la cession des terres d’Alsace et de Lorraine à l’Empire allemand, mais il se sentait isolé. Les jeunes républicains de la bourgeoisie le considéraient, à soixante ans, comme un « vieillard » de 1848, largement responsable de l’échec. Il était non moins étranger à la Commune qu’il réprouva ouvertement. Très vite pourtant, il demanda pour les Communards des mesures de clémence. Dirigeant impatiemment toléré par les plus jeunes de ce que, dans les Chambres de la Troisième République commençante, dont il faisait partie (il mourut député en 1882), l’on appelait le « parti radical », parti démocratique bourgeois qui n’avait pas encore définitivement rompu avec le socialisme ouvrier, Louis Blanc jugea insuffisamment démocratique la Constitution de 1875, réclama la diminution du temps de service militaire et la suppression de toutes les faveurs que réservait encore aux fils de « notables » la loi de 1872. Il fit aussi campagne contre le cléricalisme.

En 1881 il fut l’un des fondateurs de la « Ligue de l’intérêt public - Société protectrice des citoyens contre les abus » créée à l’initiative du docteur Edmond Goupil, un de ses anciens compagnons d’exil à Jersey.

Quand il mourut, la véritable direction du « parti radical » était déjà passée dans les mains de Georges Clemenceau, son benjamin de trente ans.

Nul ne lisait plus les articles et brochures socialistes de Louis Blanc, pas même cette Organisation du Travail, plusieurs fois réimprimée avant 1848, mais Louis Blanc conservait et conserve encore aujourd’hui son intérêt comme historien de la Grande Révolution, des dix premières années du règne de Louis-Philippe, et de la révolution de 1848.
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Pour la Commission du Luxembourg, voir entre autres : Amand Antoine*, Ance Nicolas*, Blum Isaac.*, Boissière Christophe*, Brissac Pierre*, Brunereau Louis*, Cabut Louis*, Chipron Victor*, Thomas Colin, Delhomme Louis*, Delit Joseph*, Denis Joseph*, Drevet Jean-Pierre, Duchêne Georges*, Duhamel Antoine*, Duhamel Mathias*, Dujardin Pierre*, Frossard Edmond*, Gardèche Jean-Henri*, Gautier*, Lafaure*, Lagarde Jean-Baptiste*, Lavoye Louis, Lucas Narcisse*, Malarmé Jules*, Malmenayde Charles*, Meny Godefroy*, Milon Louis-Nicolas*, Parmentier*, Pecqueur Constantin*, Percheron*, Petit François*, Poussot Joseph*, Raboulin Edmé*, Rouillard*, Vidal François*

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article26722, notice BLANC Louis [théoricien socialiste] par Jean Maitron, version mise en ligne le 20 février 2009, dernière modification le 10 novembre 2022.

Par Jean Maitron

Louis Blanc (années 1860)
Louis Blanc (années 1860)
cc Collection Jaquet
Louis Blanc
Louis Blanc

ŒUVRE : Histoire de Dix ans (1830-1840), Paris, Pagnerre, 1841-1844, 5 vol., diverses rééditions, 1846 à 1877. — Histoire de la Révolution française, Paris, 1847. — l’Organisation du Travail, Paris, 1839 — Histoire de la révolution de 1848 Paris, 1870, 2 vol. Catéchisme des socialistes, Paris, bureaux du Nouveau Monde, 1849, 34 p. — Réponse à M. Thiers, Paris, Librairie du Progrès, octobre 1848, 4 p. In-folio. — La Révolution de Février au Luxembourg, Paris, Michel Lévy, 156 p. En collaboration avec Constantin Pecqueur et François Vidal. — Almanach des corporations nouvelles (participation), Paris, Bureau de la Société de la presse du travail, 1852, 192 p. — Louis Blanc, Cabet, Pierre Leroux, Union socialiste. Acte de société, Londres, mai 1852, 4 p.

SOURCES : Louis Renard, Louis Blanc. Sa vie. Son œuvre, Paris, Hachette, s. d. (1922 ?). — Jean Vidalenc, Louis Blanc, Paris, 1948 (Collection du Centenaire). — Notes de Gauthier Langlois.

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