GLEIZES Albert, Léon

Par Nicole Racine et Gwenn Riou

Né le 8 décembre 1881 à Paris (Xe arr.), mort le 23 juin 1953 à Saint-Rémy-de-Provence (Bouches-du-Rhône) ; peintre ; participa à l’Abbaye de Créteil ; collaborateur de Clarté (1919-1921).

Photographie d’Albert Gleizes, vers 1920 par Pierre Choumoff, ©CC
Photographie d’Albert Gleizes, vers 1920 par Pierre Choumoff, ©CC

Né d’Elisabeth-Valentine Comerre (1852-1932) et de Sylvain-Raymond Gleizes (1852-1926), dessinateur et directeur d’atelier de dessin industriel pour tissus d’ameublement, Albert Gleizes entra comme apprenti dans l’entreprise familiale vers 1899. Il exposa pour la première fois au Salon d’Automne de 1903.

Albert Gleizes, qui devait s’affirmer en 1912 comme théoricien du cubisme (avec Du "Cubisme", s’était, dès 1905, intéressé au sort de l’artiste dans la société moderne.

À cette date, il participa aussi, avec René Arcos notamment, à la fondation de l’Association Ernest Renan. Cette organisation, qui s’inspirait des « Samedis populaires » de Gustave Khan, devait permettre un rapprochement entre les ouvriers et intellectuels – en particulier les artistes. Gleizes pensait, en effet, que les artistes, les intellectuels et les travailleurs étaient des alliés naturels qui devaient lutter ensemble contre les inégalités systémiques.

Il s’investit également dans l’éducation populaire et notamment, toujours en 1905, pour les Universités populaires. L’idée que, pour sauvegarder son indépendance, l’artiste devait avoir un métier, le conduisit ensuite à participer à l’expérience de l’Abbaye de Créteil, « association fraternelle d’artistes », un communauté littéraire et artistique fondée sur le mode du phalanstère, dont il fut un des fondateurs à la Noël 1906 avec Charles Vildrac, René Arcos, Georges Duhamel, Alexandre Mercereau, Henri-Martin Barzun.

Jusqu’à sa dissolution en 1908, ce groupe devint le siège de l’unanimisme littéraire. Animés d’un militantisme certain, les membres de l’« Abbaye » affirmaient que le poète est solidaire de la société et souhaitaient en cela rompre avec le symbolisme afin de créer un langage artistique issu de l’âme collective.

Albert Gleizes vécut l’aventure de l’Abbaye de Créteil jusqu’à la fin et il y composa de nombreux dessins et peintures. De 1909 à 1920, Albert Gleizes se fit connaître comme peintre cubiste. En 1910, il exposa pour la première fois au Salon des Indépendant et décida de ne plus participer au Salon de la Société nationale des Beaux-Arts. La même année, il rencontra Jean Metzinger et Robert Delaunay chez Alexandre Mercereau. C’est également à cette période qu’il rencontra Fernand Léger. En 1911, il participa à la révélation du cubisme en exposant au Salon des Indépendants et d’Automne aux côtés de Fernand Léger, Jean Metzinger, Roger de La Fresnaye, etc. L’année suivante, il participa à l’exposition de la « Section d’Or » avec Marcel Duchamp, Raymond Duchamp-Villon, Jacques Villon, Francis Picabia, etc. et s’affirma effectivement comme théoricien du cubisme en écrivant, avec Jean Metzinger, Du "Cubisme".

Mobilisé en 1914, réformé en 1915, le 8 septembre, il épousa Juliette Roche (1884-1980), une peintre et écrivaine française, fille du ministre de la IIIe République Jules Roche, influencée par Maurice Denis et Sérusier, puis associée aux mouvement cubiste puis Dada (Francis Picabia). Jean Cocteau (filleul de son beau-père) et Alexandre Mercereau furent ses témoins à l’église de St Honoré d’Eylau (Paris, 16e arr.). La même année, le couple partit pour New York. Albert Gleizes y retrouva Marcel Duchamp et y resta jusqu’en 1919.

De retour en France, attiré par le communisme naissant, il se rapprocha du journal puis de la revue Clarté et de ses principaux animateurs (Henri Barbusse et Paul Vaillant-Couturier. Au sein de l’équipe rédactionnelle, il retrouva Charles Vildrac et René Arcos et côtoya Jean-Richard Bloch, Léon Bazalgette, Jacques Mesnil, Clara Zetkin, etc. Il publia en 1920 une série d’articles, intitulée « Vers une époque de bâtisseurs » dans laquelle il souhaitait démontrer le sens révolutionnaire du cubisme et appelait à un renouveau artistique dans la société. Pour lui, l’émancipation politique devait aller de paire avec une libération artistique puisque tous deux participaient à l’affranchissement de l’Homme. En plus de ses textes, la revue publia entre 1921 et 1922 quelques-uns de ses dessins.

À la même époque (au début des années 1920), il réalisa un projet de décoration murale pour une des gares de Moscou (les études sont conservées au musée de Grenoble).

En 1921, Albert Gleizes devint membre du Comité directeur des Unions intellectuelles fondées par Charles de Rohan. Pendant près de dix ans, il participa aux activités de cette organisation internationale en donnant ou en assistant à des conférences en Allemagne, en Pologne, en Espagne ou au Royaume-Uni. Vers 1924, le Bauhaus (où certaines idées voisines
des siennes étaient mises en pratique) lui demanda d’écrire un nouvel ouvrage sur le cubisme. Le livre parut en 1928 en Allemagne (Albert Gleizes, Kubismus, Bauhausbücher 13, Munich, Albert Langen Verlag).

Au cours des années 1920, la NEP lancée par Lénine, l’industrialisme et le
matérialisme soviétique rebutèrent Albert Gleizes qui s’éloigna du communisme et de son application en URSS. En 1927, il fonda, au village de Sablons, face à Serrières-d’Ardèche, un comité d’artistes et d’artisans à Moly-Sabata (Isère), « Groupes agricoles et artisanaux ». Artistes et artisans travaillaient ensemble à l’idée de l’art social. Cette réminiscence de
l’Abbaye de Créteil était effectivement fondée sur le principe de l’abolition de la distinction entre l’art et les métiers manuels. À Moly-Sabata, la ville, le commerce et l’industrie étaient dénoncés, en revanche, les travaux agricoles et les métiers manuels étaient exaltés.

L’année 1927 fut également marquée par la rencontre entre Albert Gleizes et René Guénon, un métaphysicien convertit à l’Islam. Ils partageaient tous deux le même sentiment sur la société contemporaine. En effet, en 1927, Albert Gleizes avait déjà écrit une partie de son ouvrage La Forme et l’Histoire et René Guénon venait de publier La Crise du Monde Moderne. Dans ces deux livres, la critique du monde moderne, la tradition, le retour à l’Homme et à la terre occupaient une place importante.

L’activité littéraire et l’expérience communautaire d’Albert Gleizes allaient de pair avec sa création picturale. Aussi, il continua à réaliser des œuvres picturales héritées du cubisme et frôlant l’abstraction. Il rejoint ainsi en 1931 le groupe « Abstraction-Création » fondé par Auguste Herbin, Jean Hélion et Georges Vantongerloo.

En 1935, il devient membre du comité d’honneur de l’« Association Art mural » créée par Saint-Maur, qui était affiliée à la Maison de la culture (dirigée par Louis Aragon). Il participa ainsi à restaurer cet art collégial par excellence qu’est l’art mural. Dans ce travail, Albert Gleizes se tourna vers le modèle corporatiste médiéval et notamment vers l’art roman qui, selon lui, exprime à la fois la force du collectif et la force spirituelle. Il exposa alors aux trois salons organisés par l’association en 1935, 1936 et 1938. Son appétence pour les grands projets collectifs l’amena également à réaliser des décors pour les Pavillons de l’Air, des Chemins de fer et celui de l’Union des Artistes modernes lors de l’Exposition internationale de 1937.

Aux alentours des années trente-quarante, Albert Gleizes s’installa dans son domaine des Méjades à Saint-Rémy-de-Provence, où il continua à développer ses idées sur le lien entre l’art, l’artisanat et les travaux agricoles.

La religion devint également progressivement un élément important, si ce n’est central, dans la pensée d’Albert Gleizes. Lui qui avait « retrouvé » Dieu en 1918, fit sa première communion en 1941. Ses œuvres furent ainsi de plus en plus marquées par cette inspiration religieuse. Il peint en 1943 le triptyque Crucifixion, Christ en Gloire, Transfiguration (musée des Beaux-Arts de Lyon). La même année, il écrivit Spiritualité, rythme, forme (publié en 1946). La rencontre d’Albert Gleizes avec Dom Angelico Surchamp après la Seconde Guerre mondiale, son influence sur l’atelier de peinture de l’Abbaye de la Pierre-qui-Vire ainsi que sur la revue Zodiaque, firent de l’artiste un des acteurs principaux du renouveau de l’art sacré dans la seconde partie du XXe siècle.

Albert Gleizes est enterré à Serrières dans l’Ariège, lieu d’origine de son père, et où son beau-père, Jules Roche, a été maire et est, comme sa fille Juliette, également enterré.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article74781, notice GLEIZES Albert, Léon par Nicole Racine et Gwenn Riou, version mise en ligne le 27 novembre 2022, dernière modification le 7 décembre 2022.

Par Nicole Racine et Gwenn Riou

Photographie d'Albert Gleizes, vers 1920 par Pierre Choumoff, ©CC
Photographie d’Albert Gleizes, vers 1920 par Pierre Choumoff, ©CC
Albert Gleizes, Du Cubisme, Paris, Éd. Figuière, 1912 (publié en anglais et en russe en 1913, nouvelle édition en 1947). ©fondationgleizes.fr
Albert Gleizes, Du Cubisme, Paris, Éd. Figuière, 1912 (publié en anglais et en russe en 1913, nouvelle édition en 1947). ©fondationgleizes.fr
Les premiers membres de l'Abbaye de Créteil en 1907. Au premier plan en partant de la gauche : Charles Vildrac, René Arcos, Albert Gleizes, Henri-Martin Barzun, Alexandre Mercereau ; au second plan : Georges Duhamel, Berthold Mahn, Jacques d'Otémar photographié par Dornac. ©CC
Les premiers membres de l’Abbaye de Créteil en 1907. Au premier plan en partant de la gauche : Charles Vildrac, René Arcos, Albert Gleizes, Henri-Martin Barzun, Alexandre Mercereau ; au second plan : Georges Duhamel, Berthold Mahn, Jacques d’Otémar photographié par Dornac. ©CC

ÉCRITS : « Vers une époque de bâtisseurs », Clarté, n° 13, 20 mars 1920, p. 3 ; n° 14, 3 avril 1920, p. 4 ; n° 15, 17 avril 1920 ; n° 19, 26 juin 1920, p. 3 ; n° 32, 11 septembre 1920, p. 4. — « Le Groupe de l’Abbaye, la Nouvelle Abbaye de Moly-Sabata », Cahiers Américains, Paris, New-York, n° 6, hiver 1934, p. 253-259. — « Moly-Sabata ou le retour des Artistes au Village », Sud Magazine, Marseille, n° 1021, 1 er juin 1932. — Vie et mort de l’Occident chrétien, Sablons, Ed. Moly-Sabata, 1930, 220 p. — Homocentrisme : ou le retour à l’homme chrétien suivi de Le rythme dans les arts plastiques, Sablon, Ed. Moly-Sabata, 1937, 189 p. — Art et religion, Art et science Art et production, Chambéry, Editions Présence, coll. Vers une conscience plastique, 1970, 161 p. — Dom Angelico Surchamp, Marcel Michaud, Albert Gleizes, Le cubisme et son dénouement dans la tradition. Vers la signification, à propos d’Albert Gleizes. L’itinéraire pictural et spirituel d’Albert Gleizes, Lyon, Audin, s.d., 36 p.

SOURCES : Ch. Sénéchal, L’Abbaye de Créteil, A. Delpeuch, 1930, 151 p. — Présence d’Albert Gleizes. Préf. de Jean Cassou. Abbaye Ste-Marie de la Pierre qui vive, 1951, 71 p. — Albert Gleizes, Atelier de la Rose, 1954, 137 p. — Cahiers Albert Gleizes, n° 1, 1957, 40 p. (Souvenirs d’A. Gleizes sur le cubisme, 1908-1914. Exposition A. Gleizes à Londres en 1956). — A. Gleizes 1881-1953, musée Calvet, Avignon, printemps-été 1962, 20 p. — A. Gleizes, 1881-1953, musée Roybet-Fould, du 6 novembre au 20 décembre 1971, Courbevoie. Préface par René Jullian, 1971, 27 p. — Données du site Généanet. — Notes de Renaud Poulain-Argiolas. — Christian Briend (dir.), Albert Gleizes : Le cubisme en majesté, catalogue de l’exposition, Museu Picasso, Barcelone, 28 mars-5 août 2001 ; Musée des Beaux-Arts de Lyon, 6 septembre-10 décembre 2001, Paris, Barcelone, Lyon, Réunion des Musées Nationaux, 2001, 235 p. — Jean Cassou (pref.), Daniel Robbins, Albert Gleizes, 1881-1953. Exposition rétrospective, catalogue de l’exposition, Musée national d’art moderne, Paris, 15 décembre 1964-31 janvier 1965, 79 p. — Pierre Alibert, Gleizes : biographie, Paris, Editions Michele Heyraud, 1990, 253 p. — Jean Chevalier, R. Indlekofer (préf.), Albert Gleizes et le Cubisme, Bâle, Basilius Press, 1962, 120 p. — Michel Massenet, Albert Gleizes, 1881-1953, Paris, Somogy Editions d’art, 1999,
119 p. — Daniel Robbins, Albert Gleizes : 1881-1953, a retrospective exhibition, catalogue de l’exposition, New York, Solomon Guggenheim Museum, 1964, New York, 1964, 134 p. — Josette Rasle, Serge Fauchereau, Christian Briend, et al., Gleizes, Metzinger : Du Cubisme et après, catalogue de l’exposition, Paris, L’Adresse - Musée de la Poste, 7 mai-22 septembre 2012, Lodève, Musée de Lodève, 22 juin-3 novembre 2013, Paris, Beaux-Arts de Paris, Editions du Ministère de la Culture et de la Communication, 2012, 163 p. — Peter Brooke, Albert Gleizes : for and against the twentieth century, New Haven, Yale University Press, 2001, 333 p. — Geneanet.

ICONOGRAPHIE : Ch. Sénéchal, L’Abbaye de Créteil, op. cit. — Présence d’A. Gleizes, op. cit.

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