SAUVAGE Théophile

Par Henri Manceau

Né le 23 juin 1877 à Pouru-Saint-Rémy (Ardennes), mort le 10 décembre 1951 à Levrézy (Ardennes) ; ouvrier métallurgiste à Monthermé ; syndicaliste révolutionnaire, secrétaire de l’Union départementale des syndicats ouvriers.

Théophile Sauvage fut jusqu’en 1914 un militant ardennais de premier plan. Il était à la fois nécessaire et difficile de militer vers 1903 dans l’usine du Champ-du-Trou, de Monthermé, peuplée d’ouvriers « nationalistes », et où l’on voyait s’ériger la fortune de l’industriel-propriétaire, patron de combat des laminoirs qui fit bâtir les cent cinquante logements de la Vinaigrerie, dispensés de contributions pendant quinze ans, les frais de construction étant au compte des investissements. Tel fut le milieu où se confirmèrent les convictions syndicales de Théophile Sauvage pendant les grèves des laminoirs de Laval-Dieu (1903). Militant ardennais de premier plan jusqu’en 1914, accusé d’esprit anarchiste par la fraction politique, il nous a dit, dans des propos où nous frappèrent son élocution claire et sa phrase élégante, son bon sens d’homme du peuple : « Non, nous n’étions pas libertaires. Pourquoi libertaires ? Nous n’avions pas le temps de nous perdre dans les théories. Seules les questions pratiques, du travail et du pain, nous concernaient. Mais nous devions nous battre des semaines pour conquérir deux sous par jour d’augmentation. Avouez que l’injustice est révoltante. Et nous polémiquions contre les parlementaires, l’armée, les juges, les patrons, parce qu’ils nous faisaient la vie dure. »
Secrétaire du syndicat des métaux de Monthermé et du cercle « La Lumière », Sauvage s’opposa en 1905 aux députés Lassalle et Poulain, dont la politique était, selon lui, en contradiction avec les principes socialistes, et fit sortir son syndicat de la fédération.
Les 14 et 15 avril 1907, dans Mohon où travaillait Taffet, secrétaire du syndicat de la Métallurgie, se réunit un congrès constitutif d’une union départementale des syndicats à laquelle on songeait depuis 1905. Th. Sauvage en fut le principal promoteur et en fut désigné comme secrétaire provisoire. Le but ? Réaliser l’unité syndicale, substituer les vastes groupements d’industries aux fédérations de métiers, appliquer la motion apolitique du congrès d’Amiens de 1906, intensifier la propagande syndicale.
Taffet, secrétaire de l’union des syndicats ouvriers des Ardennes, ayant été arrêté en février 1908, l’organisation végéta. Elle se transforma en fédération syndicale ouvrière des Ardennes en avril 1911, qui réunit une trentaine de syndicats, 4 000 à 5 000 membres, et constitua une bibliothèque d’une cinquantaine de volumes. Son siège était à Monthermé et Sauvage en fut élu secrétaire. Le secondèrent Gilbert, secrétaire adjoint, Laigent, Mailfait et Trésignier, administrateurs. C’est au congrès de 1911 tenu à Mohon que fut votée une motion décidant de répondre à une déclaration de guerre par une déclaration de grève générale, dans le même sens que celle votée au congrès de Toulouse de 1910.
Sauvage soutint toutes les grèves du nord des Ardennes : métallurgie, ardoisières. Avec lui, en mai 1911, l’union organisa des conférences contre les retraites ouvrières. Les premières journées d’émeutes de la vie chère, en septembre 1911, aboutirent à la grève générale du 12. Ce jour-là, en accord avec Dumoulin, de la CGT, Th. Sauvage lança au syndicat un nouvel ordre de grève générale en vue d’une augmentation des salaires de 30 %. De Monthermé, une jeune fille porta discrètement les télégrammes à la poste de Charleville, cependant que Sauvage partait dans le Sedanais prendre contact avec Labbé. Le 13, la police arrêtait Dumoulin à Charleville, Sauvage à Monthermé à sa descente du train ; il était accusé d’atteinte à la liberté du travail et de violation de domicile pour avoir incité, le 11, les ouvriers de l’usine du Champ-du-Trou à marcher sur la Préfecture. La nouvelle de l’arrestation de Sauvage s’étant répandue, tous les ouvriers de la vallée quittèrent l’atelier pour aller le libérer à la prison de Charleville, mais une charge brutale de dragons, à l’entrée de la ville, les fit reculer. Sauvage, emprisonné depuis le 13 septembre, fut traduit en correctionnelle en octobre. On lui reprocha d’avoir parlé à Nouzon, le 6 septembre, de la grève générale en cas de guerre ; d’avoir été avec les manifestants de Château-Regnault débaucher les ouvriers du Champ-du-Trou (Monthermé) en forçant une barrière et en pénétrant dans l’atelier. En fait, il avait appelé les manifestants au calme : « J’ai suffisamment conscience de mon rôle de militant de la classe ouvrière, dit-il à la cour, pour éviter de faire appel aux mauvais instincts des individus ; je préfère m’efforcer de les rendre meilleurs en développant leur éducation ouvrière et en faisant naître chez eux des sentiments élevés ». Mais une grande peur s’était emparée de la bourgeoisie. Le bruit d’un complot avait couru selon lequel la vallée serait mise à feu et à sang avec l’aide des ouvriers du bassin de Longwy. Sauvage fut condamné en octobre 1911 à six semaines de prison.
Homme d’organisation, d’esprit positif, Sauvage fit édifier en 1911 le bâtiment de la Bourse du Travail de Monthermé, Maison du peuple qui était à la fois centrale de l’Union départementale, maison de la Coopérative ménagère, dont il fut administrateur avec permanence concernant les accidents du travail, les lois sociales, bureau de placement et de chômage, bibliothèque, salle de cinéma. La construction de l’immeuble coûta 25 000 f. Sauvage acheta un appareil de cinéma (1912) à la firme Pathé, achat couvert par des bons de vingt francs placés auprès des militants : « Nous choisissions les films ; nous n’allions pas prendre ceux qui nous faisaient tort. » Par ailleurs, une collecte de lait était faite dans le canton de Tourteron pour Monthermé au nom de la coopérative, pour remédier à la hausse des prix.
En dehors du travail revendicatif, Sauvage participa à la lutte contre le militarisme et la guerre, dès 1910, avant les émeutes de la vie chère. En août de cette année, les Pupilles de Charenton avec Guilbaut donnèrent une audition sur la place de Monthermé : le chœur chanta Gloire au 17e de Montéhus. Des soldats cantonnés à Monthermé accoururent pour entendre les enfants. « C’est humain », disait Th. Sauvage. Sur-le-champ, un capitaine du 91e fit arrêter Th. Sauvage et Molitor, le maire. Après quoi, Guilbaut fut traduit devant la cour d’assises des Ardennes le 17 mai 1911, mais acquitté.
La lutte s’intensifia en décembre 1912 et Sauvage prit la parole en de nombreuses occasions. En 1913, il participa très activement à la lutte contre les trois ans.
Lors du conseil de révision à Monthermé, fin avril 1913, une journée fut préparée par les syndicats et Th. Sauvage. Le préfet fut accueilli par le drapeau rouge des Jeunes gardes syndicalistes et par la musique jouant la marche des Jeunes Gardes. Un cortège de cinq cents à six cents personnes se forma qui se heurta aux gendarmes sur le pont. Procès-verbal fut dressé contre Sauvage et Jevais notamment, traduits en correctionnelle le 28 mai. Th. Sauvage fut condamné à huit jours de prison et 5 f d’amende, peine portée à un mois en appel à Nancy.
Le 1er mai 1913, six cents citoyens et citoyennes de Monthermé se réunirent devant la Maison du Peuple, puis défilèrent accompagnés de drapeaux rouges, derrière Sauvage et Motilor, le maire.
Th. Sauvage avait pris part aux XIVe, XVe et XVIIIe congrès nationaux corporatifs — 8e, 9e et 12e congrès de la CGT — tenus respectivement à Bourges, septembre 1904, Amiens, octobre 1906 et au Havre, septembre 1912.
Chargé de famille, ce militant prit un petit commerce à Château-Regnault après 1918 et ne milita plus, tout en se tenant au courant de l’actualité sociale.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article85477, notice SAUVAGE Théophile par Henri Manceau, version mise en ligne le 30 mars 2010, dernière modification le 17 décembre 2017.

Par Henri Manceau

SOURCES : Arch. Nat. F7/ 13 567 et F7/ 13 599, rapport du 5 juin 1912. — Archives de la fédération socialiste des Ardennes. — La Bataille syndicaliste, 7 et 20 octobre 1911, 27 avril 1912. — La Voix du Peuple, 12 mai 1912. — Le Socialiste ardennais. — L’Humanité, 7 août 1913. — Entrevues de Henri Manceau avec Th. Sauvage. — Notes laissées à Henri Manceau par Th. Sauvage.

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