GUINGOUIN Georges

Par René Lemarquis

Né le 2 février 1913 à Magnac-Laval (Haute-Vienne), mort le 27 octobre 2005 à Troyes (Aube) ; instituteur ; militant communiste, exclu du Parti communiste en novembre 1952 ; « Préfet du maquis » ; Compagnon de la Libération ; conseiller municipal (6 mai 1945-13 janvier 1953), puis maire (17 mai 1945-octobre 1947) de Limoges.

Georges Guingouin en militaire
Georges Guingouin en militaire

Georges Guingouin était le fils d’un sous-officier de carrière au 138e RI tué à Bapaume le 28 août 1914 et d’une directrice d’école primaire fille d’un ouvrier porcelainier de Limoges (Haute-Vienne). Il n’avait pas connu son père qu’il considérait comme victime de l’incapacité des officiers (en particulier le général Ganeval). Il fit ses études à l’école primaire supérieure de Bellac (Haute-Vienne) puis à l’École normale d’instituteurs de Limoges (promotion 1931-1934). Dès cette époque, il était politiquement engagé et il fut le seul Normalien à participer à la grève du 12 février 1934 en réponse à l’émeute insurrectionnelle du 6 février. Il évoquait (en 1999) son professeur Marnet qui avait fait en 3e année d’EPS un cours d’économie politique où il découvrit « le rôle de la plus-value » et ses démêlés avec un professeur d’histoire en 2e année d’ENI au sujet de Robespierre. Ayant refusé l’examen de préparation militaire supérieure, il choisit, comme 2e classe, d’effectuer son service militaire à la 6e compagnie des secrétaires d’état-major stationnée à l’École militaire de Paris. Il fut nommé, en octobre 1935, instituteur à l’école mixte de Saint-Gilles-les-Forêts (Haute-Vienne).

Militant du Parti communiste auquel il avait adhéré, sans doute à cette époque, il devint secrétaire du rayon d’Eymoutiers groupant cinq cantons ruraux : Eymoutiers, Châteauneuf-la-Forêt, Saint-Léonard, Saint-Germain-les-Belles et Pierrebuffière. Fin 1935, son rayon proposa la candidature de son collègue Marcel Lenoble pour les législatives d’avril 1936. Le secrétaire régional, Citerne, lui fit savoir que cette candidature déplaisait à la direction nationale et qu’il ne fallait pas la soutenir. Guingouin maintint, dans son intervention au congrès fédéral, cette candidature qui fut approuvée et il organisa la campagne électorale dans la 2e circonscription de Limoges où Lenoble s’opposait à Vardelle, secrétaire fédéral SFIO. À l’issue du premier tour, Vardelle obtint 8 033 voix, Lenoble 6 403 voix contre 4 182 voix au candidat de droite Souchère. Lenoble s’étant désisté pour Vardelle, celui-ci fut élu. Nommé membre du comité fédéral puis du bureau de la « Région » limousine groupant les départements de la Haute-Vienne et de la Creuse, Guingouin assura de nombreuses réunions. Il fut en outre chargé d’écrire des articles de politique étrangère au moment de Munich dans l’hebdomadaire du Parti, Le Travailleur du Centre. Le 22 juillet 1937, il publia un bilan des progrès réalisés l’année précédente : les adhérents étaient passés de 97 groupés dans 5 cellules à 392 dans 14 cellules fin décembre.

Surpris par le Pacte germano-soviétique, il pensa que « de la part de Staline c’était une ruse pour gagner un temps précieux ». Titulaire du fascicule de mobilisation n° 6, il fut rappelé aux armées avant la mobilisation et rejoignit le groupe de transport 120/24 avec lequel, en qualité de 2e classe, il participa à la « drôle de guerre ». Il avait pris soin avant de partir de détruire les archives du rayon et la liste des adhérents. C’est pendant cette période qu’il rencontra Henriette Montagne, institutrice à Nozay (Aube) où son régiment faisait étape, avec laquelle il se fiança. Le 18 juin 1940, blessé à l’arcade sourcilière et soigné à l’hôpital militaire complémentaire Sainte-Madeleine de Moulins-sur-Allier, il quitta volontairement cet hôpital pour éviter d’être fait prisonnier. De retour à Saint-Gilles-les-Forêts, il réorganisa clandestinement l’ancien rayon communiste et, en août 1940, rédigea un « Appel à la lutte ». En septembre 1940, ayant repris contact avec l’appareil clandestin du parti, il devint secrétaire fédéral responsable pour la Haute-Vienne, s’occupant plus particulièrement de l’édition de l’Humanité zone sud destinée à plusieurs départements. Depuis septembre 1940, Guingouin était révoqué de ses fonctions d’enseignant. Dès cette époque, il critiquait la décision de la direction du parti de faire reproduire le n° 9 de La Vie du Parti où on pouvait lire, dit-il, cette affirmation incroyable : « nous avons plus de possibilité d’action vu le transigement des occupants ». Ce fut un véritable coup d’assommoir ! En tant que secrétaire de mairie, il établit de faux papiers d’état civil mais, suspendu de fonction, craignant de graves difficultés, il « rendit la liberté » à sa fiancée dans une carte interzones du 8 décembre 1940.

En janvier 1941, il rédigea le premier numéro du Travailleur limousin clandestin dans lequel il ne formulait, écrit-il, aucune attaque contre de Gaulle et l’Angleterre, ce qui traduisait la différence de son analyse politique des événements avec les positions de la « direction nationale » du parti. Le 10 février 1941, l’interdépartemental Marchadier était arrêté porteur d’une fausse pièce d’identité établie par Guingouin. Le préfet de Haute-Vienne, accompagné de policiers, se présenta à son domicile d’où il s’était échappé à temps et un mandat d’arrêt fut lancé contre lui. Il continua à éditer des tracts à partir de la ferme de Madame Bourdarias, aidé par un ancien élève Louis Gendillou. Il quitta cette ferme pour aller « faire son travail dans les bois ». C’est ainsi qu’en avril 1941, il établit sa première planque dans une sapinière. Il eut la chance d’échapper deux fois aux gendarmes. Les policiers fabriquèrent alors une affaire de dénonciation à l’aide d’un faux témoignage qui permit l’arrestation de quelques camarades de Guingouin. Malgré des interrogatoires « musclés » suivis de condamnations, Anita, Coissac, Gendillou, Cueille… restèrent muets. Quant à Guingouin, il fut condamné par contumace, le 26 janvier 1942, aux travaux forcés à perpétuité par le tribunal militaire de la 20e division militaire siégeant à Périgueux.

La guerre s’était étendue avec l’agression hitlérienne contre l’URSS et Guingouin pensa qu’il était temps de passer à la résistance armée. Il s’efforça de se procurer des armes, entra même en contact, infructueux, avec un membre du BCRA. Avec quelques armes récupérées, il créa fin 1941 les premiers groupes armés en Haute Corrèze qu’il appela Francs-Tireurs. Responsable politique de la Haute-Corrèze, Guingouin créa les premières bases paysannes de l’organisation militaire, notamment, le maquis de la forêt de Châteauneuf-la-Forêt (Haute-Vienne). « J’étais fier de cette action entreprise quand en mars 1942 un des dirigeants du PC clandestin de la zone sud, Gabriel Roucaute prit contact avec moi ». Ce dernier lui déclara qu’il était dans l’erreur la plus complète, que c’était dans les villes que devaient être constitués les groupes armés. Après discussions, le désaccord subsistant, Roucaute le somma de quitter la Haute Corrèze et Guingouin affirmera qu’on envisagea même de le supprimer physiquement ! Il apprit aussi que Roucaute le qualifiait de « fou qui vit dans les bois ». Guingouin décida de rester avec ceux qu’il avait entraînés dans la lutte et il revint dans le secteur d’Eymoutiers pour y mener une action autonome. Ainsi eurent lieu : le 25 janvier 1943 l’enlèvement d’explosifs à la mine de Saint-Léonard, le 13 mars la destruction d’une pile du viaduc de Bussy-Varache, le 8 mai celle de l’usine Vattelez de régénération du caoutchouc de Palais sur Vienne, le 14 juillet un câble téléphonique reliant Bordeaux à Berlin fut sectionné. Les partisans étaient maintenant mieux armés suite à des parachutages, mieux vêtus et mieux organisés dans la première brigade de la Marche limousine. Pour obtenir l’appui de la population, Guingouin, appelé « Préfet du maquis », publia des arrêtés fixant les prix des denrées alimentaires, détruisant le matériel agricole qui permettait les réquisitions de foin et de blé, décidant du taux de blutage. Des embuscades furent tendues en plein jour et les maquisards procédèrent à des contrôles d’identité. Une situation de dualité de pouvoirs s’installait sous l’occupation étrangère. Et c’est la Haute-Vienne qui, en 1944, présenta le plus grand nombre de résistants armés : 8 000 hommes environ. Devenu chef départemental des FTPF de la Haute-Vienne, c’est lui qui assura le commandement des trois mouvements de résistance militaire – FTP, AS, ORA – formant les Forces françaises de l’intérieur de la D 4-R 5.

La Libération approchait. Le 6 avril 1944, Hitler avait relevé du front russe la division Waffen SS Das Reich pour l’envoyer dans le centre de la France. Quand, le 9 juin, la division que dirigeait le général Lammerding et qui avait commis des atrocités dans la région, reçut l’ordre de gagner immédiatement le front de Normandie, elle fut retardée suite à l’arrestation du commandant Kämpfe opérée pendant 48 heures par les maquisards. Ce retard facilita beaucoup les opérations des troupes alliées débarquées dans leur avancée en Normandie, de l’avis même d’Eisenhower. Les semaines suivantes, des parachutages massifs d’armes eurent lieu et un combat s’engagea les 17-18 juillet sur les pentes du Mont Gargan contre une brigade allemande avec artillerie et couverture aérienne. Les pertes allemandes furent supérieures à celles des maquisards.

En août se posa la question de la libération de Limoges qui donna lieu à un nouveau conflit entre Guingouin et son parti. Le 2 mai 1944 avait eu lieu une réunion des responsables régionaux de la Résistance. Pierre Girard y représentait le PC, le responsable de la zone sud étant Léon Mauvais. Un ordre de mobilisation était prévu. Léon Mauvais envoya Molinier qui transmit l’ordre de prendre les chefs-lieux de la Creuse, la Corrèze et la Haute Vienne. Mais ce qui s’était passé à Tulle et à Oradour-sur-Glane amena Guingouin à surseoir à la prise de Limoges en exposant les deux tactiques possibles : ou l’attaque frontale, sachant que Meier, chef de la Gestapo, se proposait de fusiller les résistants emprisonnés, ou l’encerclement en engageant des pourparlers avec le général allemand Gleiniger dont il obtint la capitulation qu’il reçut des mains du capitaine Stoll le 21 août. Guingouin apparut alors comme le libérateur de Limoges, mais il avait désobéi en refusant de prendre des risques suicidaires. Il devint officiellement lieutenant-colonel commandant de la 4e brigade FFI.

Tandis que ses hommes continuaient le combat dans les « poches » de l’Atlantique ou sur les rives du Rhin, Guingouin fut grièvement blessé au cours d’un accident de voiture le 20 novembre 1944 et hospitalisé à Limoges. Maurice Thorez, de retour de Moscou, venu à ce moment à Limoges, ne daigna pas lui rendre visite à l’hôpital. Après une longue convalescence, il fut réformé en avril 1945. Il allait poursuivre le combat mais sur le plan politique et non sans conflits avec le Parti.

Désigné comme secrétaire fédéral à l’organisation au congrès de mars 1945, il fut proposé par toutes les cellules de Limoges comme tête de liste UPRA pour les élections municipales d’avril-mai 1945. Le texte de présentation des candidats fut l’objet de discussions. Jean Chaintron, préfet de Haute Vienne et membre du comité central du PC, lui demanda de ne pas faire allusion à son refus d’obéir à l’ordre de Mauvais (devenu secrétaire national à l’Organisation) de s’emparer de la ville. Guingouin obtint que figure sur le texte : « cependant il a la sagesse en juin 1944 de ne pas essayer de prendre Limoges à l’instar de Guéret en Creuse occupé par les hommes de l’Armée secrète, de Tulle en Corrèze, bien qu’il en ait reçu l’ordre ». C’était, écrit Marc Ferro, une manière de mettre en doute l’infaillibilité du Parti. Au premier tour, cette liste arriva en tête avec 20 294 voix contre 16 903 à la liste SFIO et 9 668 à la liste MRP. Au second tour, l’élection demeura triangulaire mais la liste UPRA arriva en tête et fut élue en entier le 6 mai, Guingouin devenant maire de Limoges le 17 mai.

Cependant ses rapports avec le parti ne s’amélioraient pas et le franc-tireur Guingouin demeurait suspect aux yeux de la direction. C’est ainsi qu’il ne fut pas proposé pour siéger au comité central lors du Xe congrès national qui se tint à Paris du 26 au 30 juin 1945 et qu’il ne figura pas sur la liste conduite par Marcel Paul à l’élection du 21 octobre 1945 pour la 1re Assemblée nationale constituante. Enfin à l’assemblée des élus municipaux communistes de France le 12 novembre suivant, il fut l’objet d’une violente attaque de la part d’Auguste Gillot. Finalement, il fut relevé de son poste de secrétaire au congrès fédéral du 16 décembre 1945, restant toutefois membre du bureau fédéral. Deux ans plus tard, aux élections municipales du 19 octobre 1947, il perdait la municipalité de Limoges au profit de Betoulle qui avait été maire avant 1939, demeurant cependant conseiller municipal. Il ne fut pas candidat aux élections législatives de 1945. En 1951, il figura en troisième ligne sur la liste communiste, ce qui lui laissait peu de chances d’être élu (élections au scrutin de liste proportionnel).

Au cours de l’année 1952, ses désaccords avec le PC reparurent, provoqués par la remise en question de son attitude en août 1944. Le 28 octobre 1949, il lut et remit à Maurice Thorez, en présence de Mauvais, un rapport demandant un débat sur les erreurs commises pendant la guerre. Aucune discussion de ce rapport n’eut lieu devant la commission centrale de contrôle politique. Waldeck Rochet le mit en présence d’un ultimatum : « Georges Guingouin accepte-t-il la décision de la direction du Parti de considérer que toutes les questions se rapportant à la période de la clandestinité et de la Libération sont tranchées et que les décisions prises par le Parti à l’époque ne doivent pas être remises en cause ? » Dans une réunion du comité fédéral départemental à laquelle participait Waldeck Rochet, Guingouin fut relevé de ses fonctions au comité fédéral départemental et au comité de section. Privé de toute fonction rétribuée, il demanda sa réintégration dans l’enseignement et fut nommé instituteur au Vistrat, commune de Saint-Laurent-les-Églises (Haute-Vienne). Redevenu simple adhérent, sa cellule, lui ayant donné raison, fut dissoute et il fut exclu par une autre cellule le 10 novembre 1952. Le comité fédéral publia le 12 novembre dans L’Écho du Centre (quotidien du parti communiste à Limoges) un texte stigmatisant les « prétentions sans bornes » de Guingouin qui prétend avoir été à l’origine des premiers groupes FTP en Haute Vienne et qui ment en affirmant avoir sauvé Limoges. Ce texte esquissait même une justification des actions de Tulle et Guéret c’est-à-dire de l’ordre de Mauvais. Début 1953, le 13 janvier, il démissionnait du conseil municipal de Limoges et, le 15 mars, de l’Association des anciens FTP qui allait l’exclure le 22 mars suivant. En octobre, il abandonnait ses fonctions d’instituteur en Haute-Vienne et prenait un poste au pays de sa femme à Montiéramey (Aube).

Guingouin n’était pas pour autant au bout de ses peines et, le 24 décembre 1953, il fut convoqué devant le juge d’instruction de Tulle (Corrèze) au sujet d’affaires de meurtres non élucidées à l’époque de la Résistance , arrêté et incarcéré à la prison de Brive (Corrèze). En fait, l’offensive contre Guingouin avait commencé dès fin 1945 lorsque Jean-Louis Vigier, directeur du journal L’Époque (grand résistant, philosoviétique mais anticommuniste selon Marc Ferro), y publia un article titré : « Banditisme et lâcheté : le soviet limousin ». Guingouin le poursuivit en diffamation mais à l’audience du tribunal correctionnel, le 18 mars 1946, le Garde des Sceaux Teitgen fit état d’une information contre X à propos des crimes imputés à Guingouin par L’Époque et demanda de surseoir au procès. Malgré la défaillance inattendue de Joë Nordman, l’avocat conseillé par Chaintron, Guingouin gagna son procès en mai 1947, la Cour relevant la perfidie et la mauvaise foi de Vigier.

En 1953, la droite, voyant que « même le parti l’abandonne », put passer à l’offensive pour mettre en cause la Résistance. « Une étrange coalition entre des hommes que tout oppose a monté un complot sordide contre Guingouin », dira Françoise Seligmann au 81e congrès de la Ligue des droits de l’Homme. Déjà attaqué par la direction stalinienne du PC, il avait contre lui le munichois SFIO Le Bail ulcéré de son échec aux élections municipales, la droite réactionnaire et les vichystes de tous bords. L’ancien maquisard était poursuivi par des policiers dont certains l’avaient déjà poursuivi sous l’Occupation et par des magistrats qui avaient été les uns suspendus à la Libération, d’autres qui avaient condamné Guingouin aux travaux forcés en 1943. Un faux témoin aurait vu par une lucarne Guingouin présider un conseil décidant l’assassinat de deux agriculteurs ! L’accusation s’effondrait quand le 23 février 1954 la radio démentait une tentative de suicide à la prison de Brive. L’avocat de Guingouin était informé qu’ayant eu un « accès de fureur », on avait transporté son client non à l’hôpital de Brive mais dans une prison de Toulouse. Sa femme alertée le trouva quasiment mourant et il fut transféré à l’hôpital psychiatrique Marchant de Toulouse (Haute-Garonne). On apprit plus tard par un témoin ce qui s’était passé le 23 février à Brive : deux gardiens l’avaient frappé à coups de matraque en particulier derrière la nuque. C’est alors que la presse écrivit qu’il avait perdu la raison ! Les médecins indiquèrent que « son état inspirait de réelles inquiétudes pour sa vie ». Transféré de nouveau à la prison de Brive (7-8 mai), il fut mis en liberté provisoire le 14 juin. Inculpé d’assassinats le 31 janvier 1956, la procédure dura encore cinq ans. L’opinion fut alertée par Claude Bourdet (France Observateur du 3 février 1955). Le Conseil de la Résistance de Haute-Vienne publia un numéro spécial du journal Notre Flamme. Emmanuel d’Astier de la Vigerie intervint à l’Assemblée Nationale le 9 mars, mettant en cause « certains magistrats, certains policiers, une certaine presse, certains parlementaires derrière lesquels il y a les responsabilités gouvernementales ». Des comités de défense se constituèrent dans le Limousin et d’autres soutenus par la Ligue des droits de l’Homme et le SNI. Le fils d’un fusillé, Roland Dumas, fut adjoint à la défense. Il fallut attendre le 19 novembre 1959 pour que le substitut Thomas déclarât enfin qu’il ne comprenait pas « comment des poursuites avaient pu être engagées contre Guingouin ». Le non-lieu fut prononcé mais aucune enquête judiciaire n’eut lieu pour trouver les origines de cette magouille policière.

Le militant tenta quelques essais pour reprendre pied sur le terrain politique. Le 27 mars 1957 par exemple, il donna son adhésion au Mouvement communiste démocratique et national d’Auguste Lecœur et Pierre Hervé, et, au mois d’octobre suivant, il lança Le Peuple limousin, mensuel régional du mouvement qui dut cesser sa parution après cinq numéros. En 1961, il fit une tentative auprès du secrétaire général du Parti communiste et Maurice Thorez l’informa par lettre du 16 novembre 1961 que « toute la question [de son cas] serait revue par la Commission centrale de contrôle politique ». On lui offrit, affirma-t-il, « de le réintégrer dans le Parti, moyennant son silence »  : « Léon Feix et Pierre Doize vinrent me voir, m’offrant la carte du Parti sous condition de renonciation à ma tentative d’amener la direction du PC à faire son autocritique. J’ai maintenu ma position. » Le conflit continuait ; le parti ayant « perdu » le rapport de 1949, il décida alors de saisir le congrès, et c’est ainsi qu’en vue du XVIIe congrès (Le Havre, 1964), il établit un rapport qu’il fit transmettre par le secrétaire fédéral de l’Aube. Dans une lettre au présidium du congrès, Guingouin demanda la présentation de ce rapport, déclarant à propos des méthodes employées contre lui à l’époque de son exclusion : « Nul doute que si ce dernier [le parti] avait détenu le pouvoir ce gêneur [Guingouin] aurait connu un sort analogue à… Toukhatchevski qui fut exécuté. » Le présidium n’accéda pas à sa demande. Ce rapport « ne fut pas distribué aux congressistes et resta ignoré. »

Georges Guingouin « se consacra dès lors à sa tâche d’éducateur ». Il prit sa retraite en 1969.

Les attaques contre Guingouin reprirent en avril-mai 1985 à partir d’un numéro du Crapouillot s’appuyant sur le livre de Robert Aron (Histoire de la Libération de la France), dont des historiens comme Peter Novick ont pourtant montré les erreurs, et sur un rapport national de la gendarmerie de mars 1946 qui amalgamait, pour compter les victimes de 1944, les exécutions des collaborateurs et celles des résistants par les Allemands ou la Milice (c’est ainsi que les 642 victimes d’Oradour-sur-Glane sont comprises dans ce bilan !). Une plainte fut déposée par Guingouin qui reçut le soutien de tous les membres du conseil général de la Haute-Vienne en dépit de leurs divergences politiques.
Georges Guingouin fonda en 1987 l’Association des amis du musée de la Résistance de Limoges qui émettait régulièrement un bulletin et participait à de nombreuses commémorations, dont la dernière en 2002 fut celle des combats victorieux de juillet 1944 sur les flancs du Mont Gargan. Dans ses allocutions et articles, non seulement Guingouin rendait hommage à ses compagnons de lutte, dénonçait les inexactitudes historiques, mais aussi analysait et commentait l’actualité. En 1998, il inaugura lui-même à Magnac-Laval la première rue qui portait son nom, et à Eymoutiers le premier établissement scolaire, le collège Georges-Guingouin.

Le 25 janvier 1998, Robert Hue, secrétaire national du PCF, prononçait un discours où il citait d’anciens communistes, dont Guingouin, injustement sanctionnés, et le 6 février, dans une lettre publiée le 13 dans l’Humanité, il écrivait à Guingouin : « Je tiens à vous confirmer à vous personnellement combien le PC reconnaît la gravité du tort qu’il a fait… Nous savons quels procédés ont été utilisés et mesurons toute l’injustice que représente votre exclusion. » Le 30 janvier 2003, enfin, Marie-Georges Buffet, qui avait succédé à Robert Hue, lui souhaitait un bon anniversaire pour ses quatre-vingt-dix ans et réaffirmait que Guingouin avait été victime et avait injustement souffert des erreurs de son parti. Elle rappelait que toutes les exclusions politiques antérieures étaient nulles et non avenues.

Ces deux lettres condamnaient les procédés et l’exclusion, mais ne faisaient aucune allusion au contenu du rapport de 1949 dans lequel Guingouin demandait une autocritique de la politique du parti en 1939-194040 et 1944.

Dans les dernières interventions de Guingouin, citons le 21 novembre 2002 un exposé à la conférence-débat réunissant les professeurs d’histoire de l’Aube. Il signa en 2004, pour le 60e anniversaire du programme du CNR, un appel « Créer c’est résister, résister c’est créer » avec, entre autres, Lucie Aubrac et Raymond Aubrac, Stéphane Hessel, Maurice Kriegel-Valrimont, Germaine Tillion… Ils appelaient à une insurrection pacifique contre les moyens de communication de masse qui ne proposent pour notre jeunesse que la consommation marchande, le mépris des plus faibles et de la culture, la compétition à outrance les uns contre les autres.

Enfin, le 2 juin 2005, Guingouin recevait la cravate de commandeur de la Légion d’honneur et rappelait le mot de De Gaulle : « Limoges capitale du Maquis ».

Georges Guingouin avait perdu son épouse le 23 avril 2004. Ils avaient eu trois filles : Michèle, vice-présidente des Amis du musée de la Résistance de Haute Vienne, Claude et Joëlle.

Le 5 décembre 2005, le conseil municipal de Limoges décidait qu’une avenue de la ville porterait le nom de Georges Guingouin.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article87199, notice GUINGOUIN Georges par René Lemarquis, version mise en ligne le 1er avril 2010, dernière modification le 9 avril 2022.

Par René Lemarquis

Georges Guingouin en militaire
Georges Guingouin en militaire

ŒUVRE : Documents et récits sur la libération de la ville de Limoges, s.d. 40 p. — Documents sur le maquis limousin, Limoges, 1946. — La dynamite des mines de Saint-Léonard, Limoges, 1946, 44 p. — Nouvelle de prison. Limoges, 1954 (préface de Jean Cassou) . — Quatre ans de lutte sur le sol limousin, Hachette-Littérature, 1974, 287 p. (repris par les éditions Lucien Souny).
MÉDIAS : Radio : voir ci-dessus émissions de France culture. — Filmographie : Lou Grand de Michel Taubmann, 1984. — Guingouin 1er maquisard de France, FR3 Limoges Poitou-Charentes, Une série de films de 52 mn édités par FR3 Limoges sur la Résistance en Limousin, en particulier Petite Russie de Patrick Séraudie et Georges Chatain.
ART : Tableau Le Cyclope : hommage à Georges Guingouin par Paul Rebeyrolle 1987. — "Le Grand Georges", téléfilm de Patrick Rotman, FR3, 2013.
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SOURCES : Notes d’Ant. Perrier. — Autobiographie de Georges Guingouin, 9 p. dactylographiées. — Presse nationale, Le Monde notamment, 1953-1954. — Bulletin du Comité de soutien à G. Guingouin. — G. Guingouin et G. Monediaire, G. Guingouin. Premier maquisard de France, Éd. Lucien Souny, 1983. — Michel Taubmann, L’affaire Guingouin, Éd Lucien Souny, 1994. — Marc Ferro, Georges Guingouin, notre Cincinatus. — Georges Guingouin, les écrits et les actes, Le Temps des cerises, 2006. — Communisme et Résistance de Georges Guingouin, actes du colloque du 24 mars 2007 à Limoges, Le Temps des Cerises. — Déposition de Ponteix à la police, 1er octobre 1941. — Journal officiel, débats parlementaires, séance du 9 mars 1951 p. 739. — Notre Flamme, mars 1956— France Observateur, 3 février 1955. — Communiqué du bureau du SNI de l’Aube, 1959. — Témoignage signé Maroselli du 14 octobre 1955 sur le matraquage à la prison de Brive. — Comité de soutien de G. Guingouin présidé par Raymonde Barataud, n° 3, février 1986 (historique des exécutions). — Le Bulletin des Amis du Musée de la Résistance de Limoges (qui depuis 2009 s’intitule Per lou Grand en référence à Guingouin son président fondateur) a publié de nombreux textes de souvenirs, récits, interviews qui sont une mine d’informations, en particulier : la brochure supplément de 1999 pour le 55e anniversaire de la libération de Limoges (texte de Geneviève Huttin : La parole inouïe de Georges Guingouin ), texte de l’émission de France culture du 24 avril 1996 (Le pays d’ici : Guingouin avec Roger Magadoux et Roland Castro,n° 35). — Texte de l’émission de France culture du 15 au 19 mars 1999 (À voix nue : entretien avec Geneviève Huttin, n° 46) , intervention de Françoise Seligmann au 81e congrès de la Ligue des droits de l’Homme le 4 juin 2001, le n° 65 de 2004 : hommage à Henriette Montagne- Guingouin. — Le Monde, 2 avril 2004, 30-31 octobre 2005. — Lettre de Michèle Guingouin. — Elsa Ebenstein, Mémoire de DEA sur la municipalité Guingouin à Limoges. — Fabrice Grenard, Une légende du maquis. Georges Guingouin, du mythe à l’histoire, Vendémiaires, 2014.

PHOTOGRAPHIES : Recueil de photos de 1931 à 2005. édité par les Amis du Musée de la Résistance.

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