Par Jean Reynaud
Maitron patrimonial (2006-2024)
Né le 26 mai 1918 à Marseille (Bouches-du-Rhône), mort le 23 janvier 2000 à Marseille ; instituteur ; militant communiste ; secrétaire départemental du SNI des Bouches-du-Rhône en 1960-1961.
Fils d’une ouvrière modiste marseillaise et d’un paysan bas alpin devenu ouvrier serrurier aux ateliers de chemin de fer à Marseille, militant de la CGTU, Alfred Bizot passa son enfance dans l’école primaire où sa grand-mère maternelle était concierge. Sur les traces de son frère aîné, Denis Bizot, élève de l’école primaire supérieure Pierre Puget, il fonda en 1935 le premier cercle d’étudiants communistes, membre de la Fédération des jeunesses communistes et adhéra au comité antifasciste des étudiants affilié au mouvement Amsterdam-Pleyel. Reçu à l’École normale d’instituteurs d’Aix en Provence en 1936, il adhéra au Parti communiste français en 1937. Délégué au congrès de la Fédération des jeunesses communistes à Paris en juillet 1937, il fut actif lors de la grève contre les décrets-lois, le 30 novembre 1938. Sorti en juillet 1939 de l’École normale, le 16 septembre, mobilisé à Montpellier, il entra en octobre à l’école militaire de Saint-Maixent pour y recevoir une formation d’officier de réserve. Il bénéficia de deux permissions, l’une pour passer son CAP d’instituteur, l’autre pour se marier avec Andrée Gonfard. Affecté comme officier à Aubagne, il fut chargé de plusieurs missions militaires, notamment l’accompagnement au front de bataillons de tirailleurs algériens et sénégalais. Le 10 juin 1940, envoyé à l’école militaire des Sables d’Olonne, pour suivre une formation complémentaire (aviation) qui fut interrompue par l’arrivée de l’armée allemande ; s’enfuyant, il rejoignit son cantonnement d’Aubagne.
Quelques semaines après, il reçut la visite du dernier secrétaire national de l’Union des étudiants communistes et, au début décembre 1940, accueillit chez lui le dirigeant clandestin de la Fédération des jeunesses communistes, Pierre Georges (futur Colonel Fabien). Le but de cette rencontre était d’organiser le recrutement et la formation de groupes de protection issus des Jeunesses communistes. Il s’agissait aussi de diffuser les tracts, les affiches et de multiplier les inscriptions murales pour lutter contre la propagande du gouvernement de Vichy.
Démobilisé, Bizot fut nommé instituteur à Salon (mars-juillet 1941) puis à Lançon pour l’année scolaire suivante ; enfin il rejoignit à Marseille l’école Bernard Cadenat. Le Syndicat National des Instituteurs ayant été dissous, Alfred Bizot, avec d’autres camarades, mit en place les structures syndicales d’opposition au mouvement vichyssois avec la création du Front national de l’enseignement au sein du Front national de lutte pour la libération et l’indépendance de la France et organisa sa fusion avec le Comité national des Instituteurs (CNI), organisation qui avait deux groupes forts à Marseille (Endoume et Saint-Antoine). Il devint un des responsables du Conseil départemental du CNI qui regroupait de nombreux enseignants, et publiait notamment un journal Lou Mestre d’Escolo. Son pseudonyme était alors Marthe. Il participa aussi plus tard au combat armé comme membre des Francs-Tireurs et Partisans Français. Alfred Bizot contribua à fédérer les différentes unités militaires de la Résistance et fut promu officier des Forces Françaises de l’Intérieur. À la fin de l’année 1943, il devint responsable militaire des Milices Patriotiques, sous le nom de capitaine Roubaud, créées par le Conseil national pour la Libération nationale. Responsable de la moitié de Marseille (les secteurs Sud et Est), rédacteur de tracts et d’appels pour le recrutement d’officiers de réserve, il créa des sections dans les grandes entreprises marseillaises pour mobiliser les ouvriers – hôpitaux, ateliers de Marseille-Prado, forges et chantiers de la Méditerranée, Électricité de Marseille, Régie des tramways,…- et des sections dans les quartiers pour sensibiliser les Marseillais à l’insurrection. Ces milices, composées principalement de communistes et de syndicalistes, devaient réaliser les conditions matérielles et psychologiques pour l’insurrection. Leurs attaques contre des soldats ennemis, des policiers ou gendarmes de Vichy pour récupérer armes et munitions se multiplièrent préparant ainsi les combats de la libération.
L’action de Bizot fut déterminante à partir du 24 mai 1944, date de la grève générale pour le pain déclenchée par la CGT clandestine. Le 21 août, il rassembla ses sections MP à la Capelette : plusieurs centaines de patriotes armés marchèrent sous son commandement vers la préfecture qu’ils prirent d’assaut vers 16 heures avec les forces d’un autre cortège parti de la caserne des douanes. Il devint membre du comité insurrectionnel qui dirigea la lutte dans toute la ville. Il se rendit en tant qu’officier de liaison au PC des troupes françaises qui arrivaient sur Marseille et, avec le commandant Lucien Bernard, il accueillit le Général de Montsabert. Les forces alliées entrèrent dans Marseille. Mais dans les quartiers du Racati, du Merlan, de la zone portuaire, de Notre-Dame de la Garde, la résistance allemande fut grande et les batteries allemandes tirèrent au canon sur la préfecture et la ville. La reddition totale de Marseille n’eut lieu que le 28 août. Bizot, capitaine FFI, avait alors sous son commandement plus de quatre mille miliciens patriotes.
Bizot participa à la reconstruction du Parti communiste français et du nouveau syndicat des instituteurs, le SNI, à partir du CNI clandestin et de son comité directeur dont il faisait partie avec six autres enseignants. Après la Libération, il choisit de rester dans l’armée et se désengagea de ses activités politiques et syndicales. Il faisait partie, sous inspiration FFI, de la section spéciale d’information économique auprès de l’État-Major de la XVe Région pour aider la reprise de l’économie régionale (il enquêta alors sur les activités du patronat marseillais). Après la dissolution de cette section, il fut affecté comme officier de sécurité militaire au contrôle du rapatriement, fut témoin d’une épuration qu’il jugea insuffisante, puis, siégea au tribunal permanent des forces armées à Marseille. Il eut à juger les engagés militaires FFI qui désertaient pour ne pas combattre en Indochine. Muté dans une unité militaire dans les Basses-Alpes, constatant que l’armée au service du peuple dont il avait rêvé, restait une armée de classe, il démissionna en 1946. Il reprit son métier d’instituteur et retrouva la section départementale du SNI et sa commission exécutive.
Nommé à l’école de la Capelette, il se partagea entre son activité professionnelle, enseignement et soutien scolaire bénévole, et sa vie militante syndicale et politique. Au sein du bureau de la section départementale du SNI, pendant une dizaine d’années, et de la section départementale de la Fédération de l’éducation nationale, il contribua à promouvoir un mouvement « cégétiste », initié dans les Bouches-du-Rhône, futur courant Unité et Action au niveau national. Il s’engagea également pour la défense du personnel enseignant qu’il représenta dans les instances paritaires académiques tout au long de sa vie professionnelle. Il participa à de nombreux congrès nationaux du SNI et de la FEN.
Bizot, secrétaire politique de la section du PCF du Ve arrondissement de Marseille (quartier Baille), anima les « équipes de choc » impulsées par la municipalité à direction communiste, pour divers travaux d’intérêt public, comme la reconstruction des routes. Il participa, en 1947, à plusieurs actions impulsées par le PCF contre les nervis du milieu marseillais financés par les autres partis politiques, ainsi qu’à l’organisation d’une grève des instituteurs à la fin de 1947 ou à des actions impulsées par les organisations d’anciens résistants. Lors du congrès départemental des anciens FFI-FTPF, à Marseille, le 20 mai 1951, il prit la parole et fut élu au comité directeur. Le 2 mars 1952, il fut un des orateurs du meeting en faveur des « 34 de Barcelone ». Au titre de l’Association nationale des anciens combattants de la Résistance, il siégea au comité d’organisation des manifestations du 14 juillet en 1953 et en 1954. Il s’éleva aussi en novembre 1953 au nom du comité des anciens combattants contre la Communauté européenne de défense. Il fut membre de la commission nationale des enseignants communistes.
En 1959, en pleine guerre d’Algérie, élu secrétaire général de la section départementale du SNI, poste qu’il occupa jusqu’en 1962, Bizot lutta pour préserver la laïcité de l’école menacée et fut un artisan de la campagne de pétitions laïques contre la loi Debré. Il lutta pour défendre les libertés démocratiques et le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Il fut un organisateur, avec le mouvement ouvrier, de multiples manifestations contre les attentats et agissements de l’OAS.
En 1963, Bizot fut nommé directeur de l’école de la Rouguière où il exerça jusqu’à sa retraite en 1973.
Retiré à La Palud-du-Verdon, il continua à militer au sein du PCF et à prendre une part active à toutes ses campagnes. Il participa également à la défense des sites naturels, en s’opposant à l’installation du camp militaire de Canjuers et à la construction d’un barrage supplémentaire dans les gorges du Verdon.
Bizot, dans une contribution lors du colloque organisé par l’Institut d’histoire sociale CGT, rappela, en 1987, sa propre expérience de la Résistance et de la Libération, la rattachant aux luttes révolutionnaires à Marseille : la Commune de Paris, le Front populaire, la Résistance, la grève « du pain au mois de mai 1944 massacrée par les bombes américaines qui n’étaient pas innocentes », rappelant que l’insurrection de la libération à Marseille « a eu un caractère économique que n’a pas eu l’insurrection parisienne ». Il publiait à certaines occasions dans le quotidien La Marseillaise des articles évoquant l’esprit de la Résistance.
Le Monde (30-31 janvier 2000), publiant l’annonce de son décès, indiquait : « Instituteur honoraire. Officier FFI. Responsable militaire des milices patriotiques du secteur Sud de Marseille. Fondateur du Mouvement de la Résistance chez les enseignants des Bouches-du-Rhône. Ancien secrétaire général du SNI dans les Bouches-du-Rhône. Vétéran du PCF ». Ses obsèques se déroulèrent à La Palud-du-Verdon, commune dont sa fille, Madame Gastaldi, était maire communiste et conseillère générale en mars 2001.
Trois années après, le 17 septembre 2003, son épouse Andrée décéda. Elle avait accompagné son mari dans toutes ses luttes et joué notamment un rôle actif dans la Résistance, au cours de laquelle elle avait assuré le secrétariat du journal Lou Mestre d’Escolo. Elle avait été l’une des deux femmes à participer à la prise de la préfecture. Depuis le début des années 1980 et jusqu’à sa mort, elle avait poursuivi son engagement associatif et politique en étant la cheville ouvrière et l’animatrice du foyer rural de La Palud-sur-Verdon.
Maitron patrimonial (2006-2024)
Par Jean Reynaud
SOURCES : Arch. comité national du PCF. — Bulletin de la section du SNI 13. — Institut CGT d’histoire sociale. — Renseignements fournis par son épouse et ses deux filles. — Notes de Jacques Girault et de Gérard Leidet.