BRAEKMAN Philippe.

Par Jean Neuville

Maitron patrimonial (2006-2024)

Ouvrier bronzier puis contremaître, militant syndical, secrétaire de l’Association libre des ouvriers monteurs et tourneurs en bronze de Bruxelles (pr. Brabant, arr. Bruxelles ; aujourd’hui Région de Bruxelles-Capitale), cofondateur de la Commission syndicale (socialiste).

Philippe Braekman – il existe plusieurs orthographes du nom de Braekman – est cité pour la première fois au bas d’un rapport sur le minimum de salaire, rapport qu’il présente comme délégué du Cercle de propagande et d’études à l’assemblée annuelle de la Fédération du bronze de Bruxelles qui se tient le 3 janvier 1897 au local de cette fédération, À l’Ancienne Bourse, 19, Grand’Place à Bruxelles.

Dans ce rapport, Philippe Braekman insiste sur le fait que « minimum ne signifie pas maximum » et que, par conséquent, la fixation d’un minimum ne doit pas être utilisée pour empêcher des salaires plus élevés. Déjà à cette date, il rencontre l’objection patronale de la concurrence étrangère : « il ne faut pas que les patrons nous disent que c’est par la concurrence de l’étranger qu’ils sont obligés de ne pas introduire dans le régime actuel l’établissement d’un minimum de salaire. » Il fournit alors de nombreux éléments sur la situation salariale des bronziers en France et aux États-Unis, la compare avec les salaires des bronziers bruxellois, ce qui lui permet de conclure que « ce sont les bronziers belges qui arrivent en dernier lieu pour les salaires ».

Philippe Braekman confirme là une constatation que le ciseleur Pierre Lhoest* a fait dans son rapport du 18 juillet 1885 sur la visite des délégués mouleurs, ciseleurs, monteurs-tourneurs et doreurs-brunisseurs à l’Exposition universelle d’Anvers de 1885 : « La moyenne du salaire de nos bronziers est moindre, d’après les renseignements recueillis à l’exposition, que celle des autres pays. Le prix des denrées et objets de consommation de toute nature est, à peu de choses près, le même partout. D’où vient cette inégalité de salaire ? Surtout lorsque l’on tient compte que nos ouvriers ne pensent pas être spécialisés comme à Paris, Londres, etc ; il faut qu’ils soient habiles dans toutes les branches qui concernent leur industrie. Doit-on l’attribuer à la concurrence effrénée de nos fabricants ou bien à l’âpreté qu’ils mettent à rançonner le travailleur ? »

Les membres du Cercle d’études et de propagande se spécialisent chacun dans un sujet. C’est ainsi qu’on verra Philippe Braekman, à la séance du 23 octobre 1897 de l’Association des monteurs et tourneurs, aborder une nouvelle fois un problème salarial. Dans un rapport qu’il y présente, ses conclusions sont que la journée de dix heures ne peut être dépassée que si le patron consent à payer 50 % de salaire supplémentaire.

Mais l’apport essentiel du militant Philippe Braekman est probablement dans le cadre de la mutation des « techniques syndicales » de la fin du XIXe siècle. L’esprit corporatif est en effet très vivace chez les bronziers. C’est probablement la raison de la dislocation du « syndicat unique », créé le 5 juillet 1865 sous l’appellation d’Association libre des compagnons bronziers. En février 1869, elle se scinde en trois sociétés de maintien de prix : l’Association libre des compagnons ciseleurs, l’Association libre des monteurs et tourneurs en bronze et l’Association libre des mouleurs en bronze. Le lien fédératif assez vague qui subsiste entre ces associations se brise en 1873 pour réapparaître en 1885 à la suite de la crise et disparaître à nouveau en 1889. Ce n’est qu’en 1896 qu’une Fédération du bronze est reconstituée. Entretemps, l’Association des mouleurs et tourneurs s’est affiliée au Parti ouvrier belge (POB) en février 1895, celle des ciseleurs fait de même – après moultes discussions – en mars 1895. C’est à cette époque que les techniques de maintien de salaire par la limitation de la main-d’œuvre en refusant la formation d’apprentis apparaissent comme inefficaces. Dans son histoire de la Fédération du bronze, Albert Daver semble l’avoir perçu clairement : « 1897 est l’année pendant laquelle les bronziers commencent à s’apercevoir qu’il ne suffit pas de décréter l’hérédité professionnelle comme principe réglementant l’apprentissage, et que toutes les mesures de protection sont inutiles, qu’elles n’ont jamais été d’une grande efficacité, car la très grande majorité des ouvriers ne sont pas fils de bronziers ». C’est précisément en 1897 que Philippe Braekman propose, avec Pierre De Munter, d’organiser les apprentis et de mieux régler l’apprentissage. Dès le 3 janvier 1897, un membre du Cercle d’étude et de propagande, Philippe Vierendeels, présente un rapport sur la réglementation de l’apprentissage dans lequel il propose d’« obliger tous les jeunes gens rentrant dans un de nos ateliers à se faire inscrire dans une section d’adhérents… ». C’est chose faite la même avec la fondation de la Section des adhérents du bronze. Ce n’est probablement pas une réussite car, sept ans plus tard, est remise sur le métier. Mais grâce à l’initiative, notamment de Philippe Braekamn, on est passé de la technique de la limitation de l’apprentissage à l’organisation spéciale pour les apprentis « pour que », dit Vierendeels, « lorsqu’ils seront en âge d’être ouvrier, qu’ils sachent déjà quels sont leurs devoirs ».

L’influence de Philippe Braekman doit avoir atteint un degré assez appréciable. En 1897, il est délégué au Congrès du POB. Il en est de même en 1898, année où il est nommé secrétaire de l’Association libre des ouvriers monteurs et tourneurs en bronze parce que, dit A. Daver, il jouit « d’une certaine popularité ». C’est à partir de 1898 que, selon A. Daver, « la vie des syndicats est entièrement concentrée dans celle de la Fédération du bronze et des organismes du Parti ouvrier ». En 1899, délégué de la Fédération du bronze au Congrès du POB, Braekman présente, avec L. Coenen*, militant de la Section des adhérents confiseurs de Bruxelles, un rapport sur les sections d’adhérents.

Outre l’aspect recrutement pour lequel les sections d’adhérents sont précieuses, Philippe Braekman développe une argumentation en faveur de sa préoccupation quasi permanente : la réglementation de l’apprentissage. « L’institution de sections d’adhérents nous permettra ainsi de résoudre avec plus de facilité, pensons-nous, une question capitale pour chaque corps de métier : la réglementation de l’apprentissage, question très délicate, à étudier au plus tôt. Par les rapports qui existeront alors entre patrons et syndicats et d’autre part avec les écoles professionnelles (commissions mixtes), les apprentis seront admis et pourront se former d’après les besoins de chaque industrie, car il est indéniable que le surcroit de bras et le machinisme ont déjà voué à des chômages forcés nombre de travailleurs. »

Il est certain que Philippe Braekman est un des fondateurs de la Commission syndicale (coordination interprofessionnelle nationale) du POB le 4 juillet 1898. Habituellement, on ne cite que les délégués du Conseil général du parti désignés pour en faire partie. On omet de citer les neufs délégués des fédérations de métiers (que Corneille Mertens* appelle erronément « fédérations syndicales régionales » existant « dans les environs de Bruxelles » (sic) dans le cahier n°1 de la Bibliothèque syndicale internationale-Amsterdam, 1925). En réalité, il s’agit de délégués des fédérations de métiers dont les sièges sont situés dans l’agglomération bruxelloise, et qui sont énumérées dans les premiers statuts de la Commission syndicale. C’est ainsi que s’y trouvent : Guillaume Solau* pour la Fédération des bronziers et Braekman délégué de la Fédération des métallurgistes ?

À ce moment, Philippe Braekman habite rue de Thy, n°42 à Saint-Gilles. Il est d’ailleurs cosignataire pour le bureau de la Commission syndicale, avec P. Lallemand*, trésorier, et Alphonse Octors*, secrétaire, du premier rapport de celle-ci au Congrès du POB en 1899. Braekman signe avec le titre d’« archiviste », sorte de bibliothécaire puisque, selon les statuts, l’archiviste « tiendra la comptabilité des ouvrages achetés, sortis et rentrés ainsi que des périodiques ». À chaque congrès du parti, il doit faire rapport « sur la situation de la bibliothèque de la Commission ».

À partir de la fin du siècle, nous perdons la trace de Philippe Braekman. A. Daver nous apprend qu’étant devenu contremaître en 1901, il démissionne de ses fonctions de secrétaire syndical et ensuite, « après une dispute avec un membre », il n’est plus membre du syndicat. L’objet de cette dispute n’est pas connue mais il n’est pas exclu que son passage à la contre-maitrise ait été perçu – cas fréquent à l’époque – comme une forme de trahison, de passage « dans l’autre camp ». Albert Daver qui succède à Philippe Braekman dans les fonctions de secrétaire, s’est plaint d’avoir subi ce genre de suspicion, la militance syndicale conduit à la contre-maîtrise : « Ce fut dans de telles conditions que je fus appelé au secrétariat ; la méfiance des ouvriers vis-à-vis des dirigeants de nos syndicats était grande. Le compagnon Solau, lui-même, n’échappa pas à la suspicion vindicative : on nous accusait de ne chercher que notre intérêt, on disait que, dans les délégations, notre but principal était de briguer les places de contremaître ». En tout cas, Braekman n’assume plus la fonction d’archiviste à la Commission syndicale.

Au quatrième Congrès syndical, Jules Destrée* propose de créer une section syndicale dans la bibliothèque de la Maison du peuple, « afin d’éviter les doubles emplois ». Philippe Braekman est à ce moment bibliothécaire à la Maison du peuple. C’est peut-être la solution proposée pour pallier l’absence d’ « archiviste».

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/braekman-philippe/, notice BRAEKMAN Philippe. par Jean Neuville, version mise en ligne le 17 novembre 2014, dernière modification le 17 novembre 2014.

Maitron patrimonial (2006-2024)

Par Jean Neuville

SOURCES : Règlement de l’Association libre des compagnons bronziers, sous la devise « Travail et solidarité », s.l., 1865 – Fédération du bronze, Rapports présentés par les délégués du Cercle de propagande et d’études à l’assemblée annuelle de la Fédération tenue le 3 janvier 1897, Bruxelles, 1897 – LHOEST, P., «Rapport des délégués des associations corporatives des mouleurs, ciseleurs, monteurs-tourneurs et doreurs-brunisseurs de Bruxelles, lu en séance du 18 juillet 1885», dans Exposition universelle d’Anvers, 1885. Recueil des rapports des ouvriers délégués par la ville de Bruxelles, Bruxelles, 1885 – VANDERVELDE, É, Enquête sur les associations professionnelles d’artisans et ouvriers en Belgique, t. I, Bruxelles, 1891 – Comptes rendus des Congrès du POB et des Congrès de la Commission syndicale, 1898-1902 – DAVER, A., Histoire des syndicats des ouvriers bronziers, Gand, 1906 – NEUVILLE, J., Naissance et croissance du syndicalisme, t. I : L’origine des premiers syndicats, Bruxelles, 1979 (Histoire du mouvement ouvrier en Belgique, 8) – PUISSANT, J., «Bronziers d’hier, d’avant-hier et le mouvement social dans Fabrique d’art», Cahiers de La Fonderie, 28-29, Bruxelles, 2003.