BRUNET Émile, Lucien. Pseudonyme : Émile BERBER.

Par Jean Puissant

Maitron patrimonial (2006-2024)

Bruxelles (pr. Brabant, arr. Bruxelles, aujourd’hui Région de Bruxelles-Capitale), 8 juin 1863 – Bruxelles, 10 mai 1945. Avocat, jeune garde libéral, député socialiste de l’arrondissement de Charleroi (pr. Hainaut), président de la Chambre des représentants, ministre d’état.

Issu d’une famille bourgeoise, commerçante par son père, haute magistrature par sa mère, Émile Brunet poursuit des études classiques puis des études de droit à l’Université libre de Bruxelles (ULB). Il est docteur en droit en 1883. Stagiaire au cabinet de Paul Janson, Émile Brunet entame une brillante carrière d’avocat talentueux, juriste précis, orateur de qualité. Il est élu bâtonnier de l’ordre des avocats de Bruxelles en 1911.

Proche de la pléiade des avocats libéraux progressistes et socialistes, Émile Brunet participe, comme jeune garde libéral, au Congrès national de ce mouvement, présidé par Léon Furnémont, en 1885, puis au Congrès libéral progressiste de 1887 qui devait aboutir à la création d’un parti progressiste. En avril 1893, Brunet fait partie du petit groupe qui entoure la délégation envoyée chez Paul Janson pour obtenir l’appui du grand leader radical à la grève générale en faveur du suffrage universel. Elle en sort avec la proposition de se rallier au suffrage plural, ce que fait la direction du Parti ouvrier belge (POB).

En 1889, Émile Brunet figure parmi les avocats qui participent au bureau d’aide juridique mis en place par la Fédération du POB de Bruxelles. En 1893, il s’associe au groupe de libéraux progressistes intitulé, La Justice, du nom de leur organe, publié de 1893 à 1895, qui défend le principe du suffrage universel pur et simple. Tous ceux-ci, y compris Brunet, adhèrent au POB en 1894. Il est particulièrement lié à Jules Destrée* qui le poussera à accepter en 1912, époque du cartel national libéral-socialiste, une place sur la liste socialiste de l’arrondissement de Charleroi.

Député suppléant, Émile Brunet remplace, le 25 juillet 1912, Paul Pastur* qui a choisi le mandat provincial. Son rôle parlementaire est essentiellement législatif. Il rédige, en son nom et pour le groupe parlementaire socialiste, de nombreuses propositions de loi comme : la loi réglementant le port du titre d’avocat, la loi permettant aux femmes, docteurs en droit, de prêter serment et d’exercer la profession d’avocat, la loi sur les loyers, la loi instituant la journée des huit heures, la loi relative à la modification du taux d’intérêt légal et conventionnel, la loi relative à l’amnistie des délits commis à l’occasion de faits de grèves à la suite des événements de 1936. Il reste député jusqu’à son décès.

Durant la Première Guerre mondiale, Émile Brunet quitte la Belgique et s’installe à Paris où il poursuit diverses activités judiciaires, administratives et patriotiques. Il participe au Comité belge et est membre du deuxième conseil de guerre. Il préside en 1916 la commission de recrutement, le jury chargé de procéder à l’examen d’instituteur, de la vérification des certificats d’études moyennes. Surtout, il participe à la fondation du Foyer du soldat, à Paris, qui permet aux soldats permissionnaires de trouver dans la capitale française, repos et délassement. L’institution est financée par les British gifts for belgian soldiers, créés à Londres par Émile Vandervelde et par la Croix rouge américaine. En accord avec les mandants, le foyer est réservé aux soldats syndiqués avant guerre, ce qui provoque les critiques « conservatrices » qui y voient un avantage inqualifiable pour les syndiqués socialistes, de loin les plus nombreux en 1914.

Ces diverses activités font de Émile Brunet le deuxième ministre socialiste, sans portefeuille, du gouvernement du Havre (département de la Seine Maritime, France) à partir du 1er janvier 1918, renforçant ainsi la présence de la gauche au Conseil des ministres, poste qu’il occupe jusqu’à la formation du premier Gouvernement Delacroix le 21 novembre 1918. Le 9 novembre 1918, avec Émile Vandervelde, il présente sa démission pour protester contre l’attitude du ministre de la Guerre, le catholique Armand De Ceunick, à l’égard d’une grève des ouvriers des usines de munitions belges à Gravelle, près du Havre. Le ministre considère les grévistes comme des soldats mutins. Le ministre, libéral, des Affaires étrangères, Paul Hymans, explique que les deux ministres socialistes quittent alors la salle du conseil. Le gouvernement est inquiet de voir s’ouvrir une crise à la veille de la fin des hostilités. Vandervelde intransigeant, Émile Brunet négocie avec ses collègues. On tente de dénouer la crise, par la proposition de Henri Carton de Wiart, d’envoyer trois ministres au Havre en mission d’arbitrage. La rupture n’est pas rendue publique et l’ensemble du gouvernement démissionne le 21 novembre 1918.

Après la triomphale victoire du POB aux premières élections au suffrage masculin universel pur et simple en 1919, à Charleroi en particulier, le POB obtient un quatrième poste ministériel au gouvernement et présente Émile Brunet à la présidence de la Chambre contre le conservateur modéré, Henri Carton de Wiart. Avec l’appui de voix libérales et celle d’un des deux représentants des anciens combattants, Brunet est élu. Il affirme d’emblée une indépendante autorité sur les travaux de la Chambre qu’il contribue à réformer, notamment dans l’organisation des commissions permanentes.

Les ministres socialistes du troisième gouvernement d’union nationale démissionnent le 19 octobre 1921, à la suite de l’incident dit du « fusil brisé ». Par solidarité, Émile Brunet quitte la présidence de la Chambre, ce qui provoque les critiques de ses amis, fâchés de voir ainsi leur échapper un élément de pouvoir capital dans le contentieux politique. Représenté comme candidat à la présidence de la Chambre à la suite des élections non favorables au POB, Brunet exprime à Louis Bertrand ses doutes, le 11 décembre 1921 : « … nous semblons escompter les bulletins favorables des députés cléricaux et libéraux. La position du président sera intenable. Le socialiste à qui on impose, dans ces conditions, la charge de la présidence, sombrera sous les huées de son parti… Des amis, pour justifier la combinaison qu’ils préconisent, veulent bien me blâmer, peut-être plus que ne l’ont fait les cléricaux et les libéraux, d’avoir donné ma démission lorsque nos ministres ont quitté le gouvernement. Les témoignages de sympathie que des groupes socialistes m’ont donné à l’occasion, prouvent que l’âme socialiste ne comprendrait pas qu’à cette heure, je remontasse au fauteuil alors que nos quatre camarades demeurent à leur banc de député. »

Émile Brunet est pourtant réélu à la présidence de la Chambre, à l’unanimité moins vingt-trois abstentions en raison « du prestige de sa magistrature présidentielle » comme le qualifie le ministre catholique, Van Cauwelaert. C’est le premier exemple d’un président choisi dans l’opposition à la Chambre. Le choix n’est pas nécessairement seulement personnel mais symbolise l’intégration progressive et croissante du POB dans les institutions politiques du pays à l’issue de la guerre, intégration dont Brunet est certainement l’un des éléments de proue.
Réélu en 1925, Émile Brunet démissionne définitivement cette fois, le 6 août 1928, sans doute en raison de la tactique d’obstruction systématique pratiquée par le groupe parlementaire socialiste, – retourné dans l’opposition en 1927 –, en particulier en matière de défense. À plusieurs reprises, il menace de démissionner pour protester contre certaines pratiques des partis politiques. Cette fois, il annonce également sa démission comme député mais il la retire sous la pression de la fédération de Charleroi afin de ne pas laisser croire qu’il pourrait y avoir un différend politique avec le POB.

À la suite de la chute du Gouvernement Poullet-Vandervelde (coalition catholique-socialiste) en 1926, le roi Albert Ier charge Émile Brunet d’une mission de formation d’un gouvernement tripartite dont il est d’ailleurs partisan mais il abandonne suite à l’opposition des partis conservateurs à la désignation d’un chef de gouvernement socialiste, de celle du parti libéral à un gouvernement qui ne serait pas essentiellement technique.

Durant cette période, Émile Brunet n’abandonne pas ses activités au barreau qu’il poursuit activement ensuite. En 1928, il est le président d’honneur de la commission préparatoire des festivités du centième anniversaire de l’Indépendance. En 1938, il devient membre du Conseil d’administration de l’ULB, fonction que l’occupant allemand lui interdit en 1940.

Après la Première Guerre mondiale, Émile Brunet fait partie du Conseil supérieur des dommages de guerre, de la Commission supérieure du deuxième Congrès international de la protection de l’enfance. Il se consacre à l’époque à l’Œuvre nationale des orphelins de guerre, à l’Œuvre nationale des orphelins des victimes du travail et à l’Œuvre nationale des invalides de la guerre. En 1925, il crée le home de Bredene pour jeunes débiles mentaux. Il est l’un des fondateurs de la Ligue nationale contre le péril vénérien. Il refuse toute décoration.

Situé à la droite du POB après la guerre, « patriote modéré », Émile Brunet siège dans un comité de soutien à la Pologne en 1920. La même année, lors d’une conférence à Braine-l’Alleud (aujourd’hui pr. Brabant wallon, arr. Nivelles), il défend l’idée de la formation d’un état rhénan tampon. En 1921, au Conseil général du POB, il soutient une motion qui n’exclut pas à priori l’idée d’occuper la Ruhr pour contraindre l’Allemagne à s’acquitter des réparations. Sa désignation comme formateur en 1926 tient compte de cette particularité.

Grand bourgeois, socialiste modéré, ferme partisan du système parlementaire, Émile Brunet est qualifié par De Standaard en 1928 de « l’homme le plus représentatif du régime parlementaire ». Délégué de Bruxelles à l’Assemblée wallonne (1912-1914, 1921-1940), signataire du compromis des Belges en 932, il préside le premier Congrès des socialistes wallons en 1938 à Liège.

Patriote affirmé pendant la guerre, Émile Brunet apparaît donc comme une personnalité modeste mais centrale dans l’évolution du POB durant la première décennie qui suit la guerre. Sa démission, en 1928, ouvre une période d’opposition plus nette de la part du POB durant la période 1928-1935. Il est fait ministre d’état le 2 avril 1925.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/brunet-emile-lucien-pseudonyme-emile-berber/, notice BRUNET Émile, Lucien. Pseudonyme : Émile BERBER. par Jean Puissant, version mise en ligne le 5 mars 2012, dernière modification le 17 juin 2024.

Maitron patrimonial (2006-2024)

Par Jean Puissant

ŒUVRE : Instructions pour la défense gratuite des indigents devant les juridictions répressives, Bruxelles, 1913 – Aux étudiants belges. Matérialisme et spiritualisme, par Émile Berber, étudiant à l’ULB, Bruxelles, 1883, 65 p. – Calomnies allemandes. Les conventions anglo-belges, Paris, 1915 et ouvrages de droit.

SOURCES : HYMANS P., Mémoires, 2 vol. édités par F. Van Kalken et J. Bartier, Bruxelles, 1958 – BERTRAND L., Histoire de la démocratie et du socialisme depuis 1830, t. 2, Bruxelles, 1907 – VANDERVELDE E., Souvenirs d’un militant socialiste, Paris, 1939 – ABS R., «Brunet Émile», dans Biographie nationale, (38), col. 42-50 – CLAEYS M., VAN HAEGENDOREN,M., 25 jaar belgisch socialisme, Anvers, 1967 – Notice réalisée par Van Wildenrode, section Journalisme de l’Université libre de Bruxelles, 1981 – COLIGNON A., «Brunet Émile», dans Encyclopédie du mouvement wallon, t. I, Charleroi, 2000, p. 204 – (icono) portrait par Van Rijsselberghe, Chambre des représentants, Bruxelles.