DEHERME Georges, Marie, Adolphe [Dictionnaire des anarchistes]

Par Jean Maitron complété par Rolf Dupuy et Dominique Petit

Maitron patrimonial (2006-2024)

Né le 17 avril 1867 à Paris (XVIIe arr.), mort à Bruxelles le 25 janvier 1937 ; ouvrier sculpteur sur bois, puis typographe ; anarchiste individualiste, fondateur des Universités populaires.

Georges Deherme est né de père inconnu à Paris, où il vécut ses premières années.
Il fréquentait assidûment, dès l’âge de quatorze ans, les réunions révolutionnaires où sa taille lui donnait plus que son âge. Il habitait alors chez sa mère, 9 rue Teissière à Marseille, et travaillait comme apprenti bijoutier chez « Mouton », fabricant, 5 marché des Capucins qui déclarait être « satisfait de son travail ». Il fréquentait alors le Cercle Esquiros où il était souvent avec Gaston Mazade et recevait à son domicile de nombreuses brochures et des exemplaires du Révolté qui était alors interdit et que lui expédiait Jean Grave.
Il vint se fixer ensuite à Paris et s’installa dans le quartier du meuble, rue du Roi doré.
En 1880, il assistait à une réunion organisée par le journal Le Prolétaire. Dans le courant de l’année 1881, il devint membre du Comité socialiste révolutionnaire du XIe arrondissement.
Il fut l’un des fondateurs du groupe éditant La Revue Antipatriotique Révolutionnaire (Paris, 2 numéros, octobre et novembre 1884) où Deherme écrivait : « Nous ne cesserons donc de faire partout et toujours une guerre acharnée aux préjugés et à ceux qui les maintiennent. Car nous croyons que ce sont eux qui mettent le plus d’entraves au but que nous poursuivons par la Révolution sociale qui renversera cette société pourrie qui n’est basée que sur l’assassinat légal et l’exploitation, pour la remplacer par une société égalitaire basée sur la paix et le travail, où chacun produisant selon ses forces et ses capacités, pourra consommer selon ses besoins et, pour nous résumer, par la Société Communiste Anarchiste. Vive la révolution sociale ! ».
Dans le prospectus annonçant cette revue, il se déclarait « convaincu de l’absurdité du patriotisme et résolu à combattre énergiquement le chauvinisme et tous les préjugés ».
Cette revue, dont le gérant était Le Bolloch, a peut être été à l’origine de la fondation en 1886 de la Ligue des Anti-patriotes par entre autres, Bidault, O. Jahn, Tennevin et Tortelier etc.
Il fut l’un des principaux organisateurs des meetings anarchistes en plein air.
Il était arrêté à l’occasion du meeting de la salle Lévis, le 24 novembre 1884.
En 1885, il se rendit à Marseille, où il passa plusieurs mois, faisant des tournées dans les départements environnants et fondant un groupe Le Droit social. Il collaborait à son journal Le Droit Social (Marseille, 2 numéros, 16 mai au 13 juin 1885), publiés par Alphonse Lauze, Etienne Bellot et Jean A . Joly ainsi qu’à Terre et Liberté (Paris, 18 numéros du 25 octobre 1884 au 21 février 1885) organe communiste anarchiste publié par Antoine Rieffel.
De retour à Paris, au mois de juillet 1885, il entretenait une correspondance suivie avec Pema (Fayna?), un compagnon de Nice. Il se serait adressé à lui pour obtenir des cartouches de dynamite et lui annonça qu’il avait l’intention de faire paraître des placards destinés à montrer la solidarité dans l’action de la province et de Paris. Les cartouches ne lui furent jamais adressées, sa mère ayant intercepté le courrier et répondu à sa place.
Au mois de mars 1886, il aurait fait part à Pema de son intention de poignarder M. de Freycinet, alors président du conseil. Mais malade et sans ressources, il fut recueilli et soigné par sa mère et ne put mettre son projet à exécution.
Il continua à fréquenter les groupes anarchistes, en particulier Les Libertaires du XXe et les Egaux du XIe, le Groupe cosmopolite et les réunions de la salle Rousseau, 131 rue St Martin.
En même temps il collaborait aux journaux La Révolution cosmopolite et l’Insurgé et fonda le groupe éphémère des Décadents, avec Lucas, Rieffel et Roussel, il participa à la fondation du journal L’Autonomie individuelle.
Deherme avait adhéré au syndicat des sculpteurs sur bois et à la coopérative La Moissonneuse. Autodidacte, il lisait beaucoup, en particulier les oeuvres de Proudhon, mais aussi celles d’autres sociologues, de moralistes et des ouvrages scientifiques.
Arrêté le 21 avril 1887, devant la caserne du Château d’Eau, au moment où il placardait des affiches de la Ligue antipatriote aux conscrits, signées par les Conscrits révolutionnaires de France, il fut déféré à la cour d’assises de la Seine. Condamné par défaut le 21 juillet suivant, à un an de prison et 500 francs d’amende, il fit opposition, sa peine fut réduite le 31 décembre à un mois et 50 francs.
En 1889, Deherme se tint un peu à l’écart. Il aurait alors fourni quelques articles au journal l’Egalité.
Il fut obligé de quitter Paris pour faire son service militaire. Incorporé pour 3 ans au 79e régiment d’infanterie, en garnison à Nancy, il ne devait être libéré que le 16 août 1892.
Deherme fut cofondateur en 1892, avec Paul Desjardins, Buisson, Charles Gide, G. Séailles, de l’Union pour l’Action morale qui deviendra l’Union pour la Vérité. Il collaborait à l’époque à L’En Dehors (1891-1893) de Zo d’Axa.
Le 10 octobre 1892, il reparut à une réunion du Cercle International, rue Aumaire.
Il fréquenta aussi les réunions des Egaux du 11e, 12e et 20e arrondissement, ainsi que l’établissement de Constant Martin 3 rue Jonquelet.
Le 4 décembre 1892, dans une réunion à la salle Mas, 166 rue de Charenton, la parole lui fut retirée parce qu’il avait déclaré que la Révolution devait être pacifique.
De concert avec Carteron et Schæffer, il fonda un groupe d’études sociologiques Le Progrès social qui se réunissait 5 rue Keller.
Le 21 février et le 6 mars 1893, il faisait deux conférences qui n’eurent pas un grand succès.
Au mois d’avril 1893, il publia comme gérant, un journal intitulé Le Réveil national puis Le Réveil du faubourg, organe socialiste républicain des intérêts généraux de la région de l’Est de Paris, qui n’avait aucun caractère anarchiste.
En octobre 1893, il fit une demande d’emploi à la préfecture de la Seine. Il disait alors ne plus s’occuper de politique.
Le 7 janvier 1894, Deherme assistait à une réunion anarchiste salle Lexellens où il engagea les anarchistes à s’affilier aux groupes socialistes, en attendant que les mesures de répression soient un peu moins dures et à une autre réunion, le 5 février, salle Léger, 108 rue du Temple.
En mars 1894, il travaillait comme employé aux écritures, chez un fabriquant de produits pharmaceutiques.
Le 7 mars 1894, le préfet de police délivrait un mandat de perquisition et d’amener à son encontre.
Le 9 mars 1894, à 6 h du matin, le commissaire du quartier de la Folie Méricourt, se présentait chez lui, 4 rue Chevreul, au 6e étage. Le logement ne comprenait qu’une seule pièce, éclairée par une fenêtre donnant sur la rue. Il était arrêté, sous l’inculpation d’association de malfaiteurs. La perquisition opérée à son domicile fut infructueuse. Lors de son interrogatoire par le commissaire, il déclara : « depuis que je suis sorti du régiment, je n’ai fréquenté aucune réunion anarchiste. Je suis individualiste et je ne partage nullement les théories anarchistes ».
Il déclara devant le juge d’instruction Henri Meyer : « j’appartiens à l’école d’Herbert Spencer » et se qualifia d’ « évolutionniste individualiste ».
Le 10 mars 194, il était incarcéré à la prison de Mazas. Le juge d’instruction reçut une lettre de sa femme, évoquant l’état très grave de son « mari et qu’il ignore »
Le 6 avril, il était mis en liberté. Le 6 juin 1895, le juge Meyer prononçait une ordonnance de non lieu, concernant l’association de malfaiteurs.
Il participa ensuite au quotidien anarchiste individualiste La Renaissance (Paris, 24 décembre 1895 au 27 juillet 1896) fondé par Paul Martinet.

Mais Georges Deherme fut avant tout le fondateur et le propagandiste des Universités populaires animées, au moins au début, par des anarchistes. Afin d’encourager la culture populaire et pour servir de lien entre les universités, il fondait la revue La Coopération des idées (revue est mensuelle, 1896-1900, hebdomadaire 1900-1901, puis à périodicité variable).
Avec quelques amis de tendances diverses, et des adhérents d’un groupe de Montreuil, Deherme ouvrit en avril 1898 un local situé, 17-19, rue Paul-Bert (XIe arr.) où, après avoir créé une petite société coopérative, il installa la première Université populaire. L’objet de l’université était, en faisant appel aux travailleurs libres, non enrôlés dans un parti ou dans un groupement, de former des administrateurs de coopératives et de syndicats, une élite prolétarienne « noyau vivant de la future société ».
Transférée faubourg Saint-Antoine, la Coopération des Idées U.P. est inaugurée en octobre 1899. Peu après la fondation de la première université, Deherme créait une Société des universités populaires en mars 1899, dont le catholique Mazel fut le premier secrétaire et que dirigèrent par la suite Gabriel Séailles, professeur à la Sorbonne, en tant que président, et Charles Guieysse, officier d’artillerie démissionnaire et administrateur de l’École des Hautes études sociales, en tant que secrétaire général. Plusieurs coopérateurs se formèrent ou se perfectionnèrent dans ces universités. Proudhonienne avec Deherme, la Société des UP allait devenir marxiste-syndicaliste avec Guieysse. Deherme rompit avec elle et créa en 1901, une fédération des UP qui avait pour but de réaliser l’idée reprise plus tard par Albert Thomas sous la forme de Comité national des loisirs.
À partir de 1900, Deherme mena une active propagande dans sa revue, dans « l’Almanach de la coopération », et dans d’autres publications en faveur du Palais du Peuple. Une coopérative fut constituée dont Raphaël Barré, membre de la Chambre consultative des Associations ouvrières de production et directeur de sa banque, fut le président et Deherme le directeur. Un Comité de patronage fut constitué, mais, en 1907, l’oeuvre échoua ; elle sera reprise plus tard sous une forme non coopérative.
En 1901 il collaborait à l’organe individualiste L’Homme (Paris, 7 numéros du 5 avril à août 1901) fondée par G. Renard et Raoul Alas-Luquetas et qualifiée par H. Zisly « d’individualisme bourgeois ».
Entre 1902 et 1907 il était membre avec G. Butaud, E. Zisly, E. Armand, M. Kugel, Ardouin, etc… de la société pour la création et le développement d’un milieu libre en France et aurait participé au milieu libre de Vaux.
Cependant Deherme avait ouvert sa revue aux coopérateurs. Plusieurs jeunes disciples de Gide y collaborèrent, en particulier Daudé-Bancel. En 1899, il avait été élu au Comité central de l’Union coopérative. Succédant à Soria démissionnaire, il accepta en 1902 le secrétariat général qu’il conserva jusqu’au 1er février 1903, date à laquelle il fut remplacé à ce poste par son ami Daudé-Bancel. Deherme prit énergiquement parti contre la Bourse des coopératives socialistes et défendit l’indépendance de la coopération contre les ingérences politiques.
Le rôle coopératif de Deherme s’arrêta là ; il resta quelques années encore attaché au mouvement, mais il devait consacrer le reste de sa vie à l’étude du positivisme et abandonna les idées libertaires. (Voir sa notice complète dans le Maitron).

 

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/deherme-georges-marie-adolphe-dictionnaire-des-anarchistes/, notice DEHERME Georges, Marie, Adolphe [Dictionnaire des anarchistes] par Jean Maitron complété par Rolf Dupuy et Dominique Petit , version mise en ligne le 26 février 2014, dernière modification le 7 octobre 2024.

Maitron patrimonial (2006-2024)

Par Jean Maitron complété par Rolf Dupuy et Dominique Petit

SOURCES : J. Gaumont, Histoire de la coopération, op. cit. — J. Peyroulx, La Pensée de Georges Deherme, 1937. — L’En-Dehors, n° 305, avril 1937 (article d’E. Armand). — Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier…, op. cit. — Arch. Dép. Marseille M6/3344, 3390, 3392, 3393 & IIM3/31. — Appo BA 1476. — R. Bianco, Le mouvement anarchiste à Marseille…., op. cit. — R. Bianco, Un siècle de presse…, op. cit. — Notes de Thierry Bertrand et de Marianne Enckell. — Fichier Bertillon. — État-civil Paris. — Arch. de Paris D.3 U6 carton 49. — La Révolte, 14 janvier 1888. — Lucien Mercier, Les Universités populaires, Paris, 1986