JUMEAU Joseph. Pseudonyme : HUBERMONT Pierre. [Belgique]

Par Jean Puissant

Maitron patrimonial (2006-2024)

Wihéries (aujourd’hui commune de Dour, pr. Hainaut, arr. Mons), 25 avril 1903 − Jette (aujourd’hui Région de Bruxelles-Capitale), 18 septembre 1989. Militant socialiste, journaliste au journal Le Peuple, écrivain sous le pseudonyme de Pierre Hubermont, fils de François Jumeau (père) et frère de François Jumeau (fils).

Second fils de François Jumeau et de Marie-Bernardine Abrassart, Joseph Jumeau, de santé fragile, perturbé par l’internement de sa maman alors qu’il a dix ans , termine l’école primaire avant de suivre les cours de l’école moyenne de Quiévrain (pr. Hainaut, arr. Mons) jusqu’en 1917, époque où on lui aurait interdit l’accès de l’école parce qu’il était chaussé de sabots. Il apprend ensuite la sténodactylographie à l’école industrielle. Il aide, de diverses manières, y compris manuellement (la construction d’une nouvelle maison du peuple à Wihéries), son père François, ancien ouvrier mineur, à la coopérative La Ruche boraine. Il seconde son frère aîné, François, pour réanimer la section locale de la JGS dans les années 1920 et joue, avec lui, dans la fanfare La Revanche. Il fréquente également le cercle dramatique, Les Amis de Sophocle.

Lors d’une interview avec l’écrivain et historien Carlo Bronne en 1934, Joseph Jumeau explique avoir lu tout ce qui lui tombait sous la main, notamment La Feuille littéraire (1910-1922) d’Arthur Boitte (Bruxelles) et de Gustave Fuss-Amoré (Paris), qui publie, pour dix centimes, deux fois par mois, sur huit pages au format journal, romans, pièces de théâtre, essais… Il écrit des poésies et envoie en 1920 un texte à L’Avenir du Borinage, l’organe de la Fédération boraine du POB. Il est publié et est engagé comme pigiste local. Déçu, il devient commis aux Chèques postaux à Bruxelles. L’expérience bruxelloise dure moins d’une année. Il revient travailler à L’Avenir avant d’être engagé à la rédaction du journal Le Peuple qui absorbe en août 1929 L’Avenir du Borinage devenu un organe hebdomadaire et une page régionale « Borinage » du quotidien socialiste national. C’est Antony Vienne*, fréquenté à Bruxelles, rédacteur au quotidien socialiste, devenu un ami, qui l’y a introduit. Jumeau y couvre l’actualité politique intérieure.

En 1923, Joseph Jumeau publie, sous le pseudonyme de Pierre Hubermont un recueil illustré de poésies à Paris. En 1927, il se lie avec Augustin Habaru, rédacteur au Drapeau Rouge, organe du Parti communiste de Belgique (PCB), et responsable depuis peu des pages culturelles du journal. Tous deux créent un groupe et une revue Tentatives, où paraît le Manifeste de l’équipe belge des écrivains prolétariens de langue française, réalisé avec Francis André, Albert Ayguesparse, Benjamin Goriély, « écrivains sortis du peuple, isolés au milieu de la cohue pulvérulente des gens de lettres… » Il publie une brochure, commandée par le Syndicat des ouvriers des cuirs et peaux, sorte de nouvelles, intitulées Les Cordonniers, publiée dans la collection « Vies » de l’Églantine, avec des illustrations de Rachel Tielemans, épouse d’Albert Ayguesparse. Augustin Habaru l’introduit à L’Humanité, organe du Parti communiste français (PCF), où il publie «La Terre assassinée» (février-mars 1928), texte préparatoire à son maître-ouvrage 10 hommes dans la mine en octobre 1930 à Paris. La critique en France, en Belgique est positive, un écrivain est né.
Joseph Jumeau collabore au Rouge et Noir, hebdomadaire « non-conformiste » de Bruxelles (1928-1936), qui réunit anarchistes, socialistes, pacifistes, nationalistes et sert de tribune aux écrivains prolétariens du Front littéraire de gauche. Jumeau, dit Pierre Hubermont, rangé parmi les marxistes par Jean-François Füeg (voir Sources), n’en fait pas partie (en raison de la présence de Charles Plisnier* ?). Il collabore activement au périodique mais aussi publie des textes littéraires dans Cassandre (1934-1940) de Paul Colin, croisé au Rouge et Noir.

Daniel Charneux, Claude Duray et Léon Fourmanoit (voir Sources) soulignent la proximité de Joseph avec son frère François, ce qui n’est pas mis en cause. Cependant, rien ne permet de penser que Joseph partage la radicalité politique de son frère en 1932-1935, même s’il est incontestablement critique à l’égard du Parti ouvrier belge (POB) ? C’est ce que souligne son article dans Monde en 1929, consacré aux sociétés capitalistes au sein du parti, publié à la suite d’une séquence agitée du Congrès national de juillet 1929 durant lequel certains intervenants dénoncent vivement les pratiques du Vooruit (En Avant) de Gand (Gent, pr. Flandre orientale, arr. Gand). Pierre Hubermont les rejoint après avoir expliqué la mécanique en route depuis 1905, à l’origine d’un cartel « textile » de sociétés anonymes, y compris coloniales. L’évolution a entraîné la création de la Banque belge du travail (BBT) qui intègre dans ses relations et son réseau financier les grandes coopératives du pays, voire les trésoreries de syndicats. « Nous pensons », conclut Hubermont, « qu’en fin de compte, le plus fort sera le maître ». Et « le plus fort, dans la situation présente, c’est l’argent » écrivent les auteurs de la biographie qui lui est consacrée en 2021 (Voir Sources). La sœur de Joseph Jumeau-Pierre Hubermont, Adolphone dite Addy (1949, voir Sources), citée par cette biographie, décrit son indignation lors de la faillite de la BBT en 1934. De nombreux ouvriers épargnants des coopératives socialistes vont y perdre tout ou partie de leurs économies, en particulier dans le Borinage, situation qui n’est pas étrangère aux échecs électoraux du POB dans les années qui suivent. Addy Jumeau, pour qui, selon elle, son frère a été victime, de tout temps, de l’hostilité de Louis Piérard* dans la région, prétend également qu’un certain nombre de ses articles se sont vus refuser la publication dans Le Peuple, ce qui contribue à amplifier son aigreur généralisée. Une lettre de Joseph Jumeau à Émile Vandervelde* en 1935 critique le POB qui a décidé de défendre la candidature de Piérard à la direction de l’Institut national de radiodiffusion (INR) plutôt que la sienne. Léo Moulin*, côtoyé lors de l’aventure du Rouge et Noir, écrit à son propos : « Tendre, rêveur, délicat, fragile, Hubermont parviendra à se brouiller avec beaucoup de monde » (FÜEG J.-F., voir Sources).

En novembre 1930, Joseph Jumeau participe au Congrès de l’Union internationale des écrivains révolutionnaires à Karkhov (URSS), où Louis Aragon s’en prend vivement à Henri Barbusse ce qui le déçoit profondément, tout comme l’attaque contre « le Social traître », Émile Vandervelde*, « patron » du POB et président de l’Internationale socialiste. Joseph Jumeau explique être intervenu au congrès pour expliquer que ce sont le POB, les dockers d’Anvers (Antwerpen, pr. et arr. Anvers), É. Vandervelde qui ont refusé l’envoi d’armes et de munitions à la Pologne contre l’URSS et organisé l’aide aux affamés de la patrie du socialisme. Il refuse de modifier le texte de son livre pour permettre une adaptation cinématographique (alors qu’il a été adapté aux États-Unis). Il en revient, si ce n’avait été le cas antérieurement, anticommuniste. En 1938, aux congrès des socialistes wallons de janvier et juin, il intervient sur les questions culturelles.

Mobilisé au service de santé de l’armée, Joseph Jumeau est démobilisé le 1er aout 1940 à Montpellier (département de l’Hérault, France) et revient à Bruxelles le 4 août. Il aurait rencontré Henri De Man qui lui explique espérer faire reparaître Le Peuple, mais que cela ne sera sans doute pas le cas. Après avoir collaboré à Radio Bruxelles, Jumeau rédige une chronique hebdomadaire sur des questions sociales, « Lettres à un jeune ouvrier », dès sa parution du Nouveau journal de Paul Colin, et ce jusqu’au 1er novembre 1941, date de sa démission motivée par un désaccord avec Colin. Au travers de 250 articles, il y traite de questions sociales, mais aussi de la Wallonie. En octobre 1941, il devient secrétaire général de la Communauté culturelle wallonne, institution qui est en fait un organisateur culturel wallon, éditant un mensuel Wallonie. Elle est présidée par le sculpteur Wasterlain qui se distingue des Amis du grand Reich allemand (AGRA). Le 1er novembre 1941, il devient directeur politique de La Legia, quotidien censuré, mis en place par le personnel de La Meuse, journal disparu avec la guerre. Ses textes d’ordre culturel, sociologique, prétendent défendre un nouveau socialisme dans une Europe dominée par l’Allemagne nazie, mais comportent également de manière constante des attaques antisémites, antimaçonniques, anti-bolchéviques, caractéristiques de la presse collaborationniste.

Arrêté après la guerre, bien que l’auditeur militaire ait requis la peine de mort, , à l’instar de trois autres responsables du journal, Joseph Jumeau est condamné le 6 novembre 1945 par le Conseil de guerre de Liège à la détention à perpétuité, à la saisie de ses revenus de La Légia et cinq millions de francs d’amende. Le jugement tient compte d’une atténuation de responsabilité de 25% (rapport d’expertise) dû à son passé familial et sa propension à la dépression. La peine sera ensuite ramenée à seize ans de prison. Il est libéré sous conditions le 20 novembre 1950.

Joseph Jumeau travaille ensuite dans une société de recouvrement de créances jusqu’à sa retraite en 1968. Il écrit toujours mais sans être publié sauf par le biais du courrier des lecteurs de Vlan, l’hebdomadaire publicitaire gratuit bruxellois, où il s’en prend, par exemple à Arthur Haulot*, et, sous le pseudonyme de Pierre Lapierre, dans Combat, l’organe du Mouvement populaire wallon (MPW), d’avril à juin 1961.

La poursuite des activités de Jumeau pendant la Seconde Guerre mondiale relève sans doute d’impératifs économiques et professionnels. D’autres l’ont fait, mais des journalistes plus nombreux encore ont « brisé leur plume » pour ne pas travailler sous autorité allemande. Lui-même à la fin de son procès dit « avoir été emporté par des forces intérieures incoercibles… » (CHARNEUX D. et al, voir Sources, p. 199). Sensation d’avoir été victime d’insuffisante reconnaissance dans son parti, dans le milieu littéraire, sensation persistante d’infériorité de classe, par rapport à Charles Plisnier* par exemple, sans doute, mais les propos tenus dans ses textes parus dans la presse collaborationniste relèvent bien de l’idéologie « de l’Ordre nouveau » imposée par l’occupant allemand, que personne ne lui demandait de défendre avec constance et un incontestable talent.

Joseph Jumeau-Pierre Hubermont peut se prévaloir d’un réalisme neuf se séparant du modèle naturaliste » (ARON P., voir Sources). Restent donc une œuvre, relativement abondante, qui sans être à proprement parler autobiographique, se nourrit intimement de son expérience familiale et sociale (CHARNEUX D. et al, voir Sources, p. 81) et une question : comment dans un milieu ouvrier, manifestement conscient et combatif mais peu instruit, a grandi cet intérêt précoce de Joseph Jumeau pour la littérature ? Enseignant, donateur à la bibliothèque de la coopérative, la maman qui a fréquenté longuement les « sœurs du Sacré Coeur » ? Seule une relecture attentive de cette œuvre pourrait éventuellement permettre de répondre à la question. Selon sa sœur Addy, son livre de chevet (à quelle époque ?) est Réflexions sur la violence de Georges Sorel, Paris, 1908.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/jumeau-joseph-pseudonyme-hubermont-pierre-belgique/, notice JUMEAU Joseph. Pseudonyme : HUBERMONT Pierre. [Belgique] par Jean Puissant, version mise en ligne le 14 novembre 2022, dernière modification le 19 juin 2024.

Maitron patrimonial (2006-2024)

Par Jean Puissant

ŒUVRE (concernant notre propos) : « La Terre assassinée », L’Humanité, Paris, février-mars 1928 − Les cordonniers, Bruxelles, L’Églantine, 1929 (collection « Vies ») − 13 hommes dans la mine, Paris, octobre 1930 ; réédition, Bruxelles, « Espaces Nord »-Labor, 1993 (préface de Michel Gheude, lecture de Jacques Cordier) − Hardi ! Montarchain, Paris-Bruxelles, L’Églantine, 1932 (paru en feuilleton dans Le Peuple) − « Première descente », Tout, 15 janvier 1932 − Marie des pauvres, Paris, Rieder, 1934.

SOURCES : JUMEAU A., Bon sang ne peut mentir, s.l., 1949 − ARON P., La littérature prolétarienne en Belgique francophone depuis 1900, Bruxelles, 1995, p. 70 et sv − PUISSANT J., L’évolution du mouvement ouvrier socialiste dans le Borinage, réédition, Bruxelles, 1993 − FÜEG J.-F., Le Rouge et le Noir, la tribune non-conformiste des années trente, Ottignies-Louvain-la-Neuve, Quorum, 1995 − CHARNEUX D., DURAY C., FOURMANOIT L., Pierre Hubermont. Écrivain prolétarien. De l’ascension à la chute, Bruxelles, MEO, 2021.