KEUFER Auguste

Maitron patrimonial (2006-2024)

Né le 20 avril 1851 à Sainte-Marie-aux-Mines (Haut-Rhin), mort le 30 mars 1924 ; ouvrier typographe ; secrétaire général de la Fédération française des travailleurs du Livre (1884-1920) ; premier trésorier de la CGT (1895-1896) ; positiviste.

Le plus grand militant du Livre et l’un des plus importants de la CGT, l’une des plus fortes personnalités du mouvement ouvrier de la Troisième République, Keufer eut un rayonnement comparable à celui des chefs des tendances opposées, Victor Griffuelhes et Alphonse Merrheim.

Auguste Keufer avait eu une jeunesse pauvre ; orphelin, il suivit les cours des Frères de la Doctrine chrétienne puis fit son apprentissage de compositeur à Sainte-Marie-aux-Mines ; il alla ensuite à Lons-le-Saunier (Jura) où il s’initia par les cours de Laffitte à la foi positiviste qui le guida toute sa vie et explique (avec son tempérament d’Alsacien) son moralisme syndical. Il opta pour la France, vint à Paris à la fin de 1871 travailler à l’imprimerie Lahure et adhéra au syndicat au début de 1872. Il entra dans l’action militante après la grève parisienne de 1878. Il se maria cette même année avec une compatriote, née comme lui à Sainte-Marie-aux-Mines et qui lui fut une aide précieuse dans son action syndicale. Il en eut sept enfants, dont cinq vécurent. Il appartint au Cercle des prolétaires positivistes, dont il eut la présidence en 1880 après Isidore Finance. Délégué au congrès du Havre, il alla avec les modérés à la Salle Franklin. Mais les positivistes rompirent presque aussitôt avec les barberettistes. Ni mutualiste ni collectiviste, Keufer était socialiste positiviste et le resta. Il prit part au congrès constitutif de la Fédération du Livre en 1881, à Paris, et y défendit le réformisme contre Jean Allemane typographe. Il entra au Comité central de la Fédération dont le premier secrétaire général fut Mantel (octobre 1881-mai 1884). Celui-ci eut une gestion désastreuse et Keufer sauva la Fédération qu’il présida d’abord (octobre 1882-octobre 1883) entre deux présidences d’Alary (octobre 1881-octobre 1882 et octobre 1883-octobre 1884). Le dernier président fut Fénard (octobre 1884-octobre 1885). Alary succéda à Mantel comme secrétaire général (mai-novembre 1884) et Giobbé à Alary (novembre-décembre 1884).

Keufer, trésorier de juin 1884 à décembre 1885, succéda à Giobbé comme secrétaire général en décembre 1884 et conserva cette fonction jusqu’en janvier 1920. Il eut successivement comme secrétaires adjoints Henri Clavel (janvier-juillet 1905), Charles Burgard (juillet 1905-janvier 1912) et Claude Liochon (janvier 1912-janvier 1920), qui lui succéda comme secrétaire général. Après Keufer les trésoriers furent pendant la période : A. Lefèvre (janvier 1886-octobre 1887), Claude Gaule (janvier 1888-mai 1917). Les trésoriers adjoints furent Henschel (janvier-décembre 1885), Cordova (janvier 1886-octobre 1896), Blatri (octobre 1896-avril 1901), Guénard (avril 1901-avril 1905), Paul Charmant (avril 1905-décembre 1911), E. Énot (janvier 1912-juin 1913). G. Bouguin, qui lui succéda, fut tué à la guerre en 1916. Beaucoup de ces militants étaient positivistes.

La Fédération du Livre est véritablement l’œuvre de Keufer. Ses adversaires lui reprochaient un tempérament autoritaire, son réformisme, des méthodes qu’ils appelaient de corruption, mais lui reconnaissaient l’honnêteté personnelle et un sens organisateur hors de pair. Il eut des difficultés avec le syndicat parisien qui était révolutionnaire, et une scission se produisit en 1886. La Fédération du Livre avec ses congrès quinquennaux fut très centralisée. Le syndicalisme de Keufer qui rédigeait presque seul au début la Typographie française, allait dans le sens du travaillisme anglais ou du syndicalisme socialiste allemand contre la violence et l’impulsivité. En août 1886, Keufer fut délégué à la conférence internationale de Paris (broussiste en majorité, ce qu’il n’était pas). Il fut en 1895 le véritable fondateur avec Eugène Guérard de la première CGT qui ne vécut que par le Livre et les Chemins de Fer. Nommé membre de la commission provisoire et trésorier de la CGT par le congrès constitutif de Limoges en septembre 1895, il présenta le rapport financier au deuxième congrès tenu à Tours en septembre 1896, mais son nom est absent de la liste des délégués. Il fut remplacé comme trésorier par Garcin. Il fut délégué à tous les congrès de la CGT comme à ceux du Livre. L’influence ministérielle des frères Dubuisson, positivistes, fit que les ministères du Commerce, puis du Travail, furent souvent occupés par des fonctionnaires positivistes, parfois anciens militants ouvriers : Fontaine, directeur de l’Office du Travail, puis Finance et Fagnot. Keufer entra avec Finance au Conseil supérieur du Travail dont il devint vice-président. Il approuva donc l’expérience Alexandre Millerand en 1899, comme l’expérience René Viviani en 1906 mais il ne suivit pas ces hommes dans leur évolution. Membre du Parti socialiste, mais apolitique et tolérant sur le plan syndical, il donna son appui aux anarchistes au congrès de Londres en 1896 et s’opposa à leur éviction au congrès international de 1900. Ses interventions les plus importantes aux congrès de la CGT eurent lieu à Bourges et à Amiens. En 1904, à Bourges, il réclama en vain le vote par tête et la proportionnelle syndicale qui eût donné la majorité aux gros syndicats réformistes contre les petits groupes anarcho-syndicalistes ou syndicalistes révolutionnaires. Il condamna l’action directe à propos des manifestations du 1er mai et eut une algarade avec Émile Pouget et Villeval dont il avait mis en cause les opinions anarchistes. À Amiens, en 1906, bien que socialiste, il déposa une motion qui spécifiait que la CGT « n’a pas plus à devenir un instrument d’agitation anarchiste et antiparlementaire qu’à établir des rapports officiels ou officieux, permanents ou temporaires, avec quelque parti politique ou philosophique que ce soit. » Signèrent cette motion (cf. c. rendu, p. 157) : Pierre Coupat, E. Guernier, Hamelin, Jusserand, A. Keufer, Limousin, Liochon, Malardé, Masson, L. Richard, Richon, L. Rousseau, H. Sellier, Sergent, Thévenin, Traut, E. Valentin. Il la retira pour rallier la motion Victor Griffuelhes syndicaliste-révolutionnaire dite Charte d’Amiens et faire repousser la motion du guesdiste Victor Renard. L’indépendance du syndicalisme, qui ne signifiait pas la même chose pour Keufer et Victor Griffuelhes, avait donc triomphé dans une équivoque durable. Keufer, qui attaqua vigoureusement à Amiens les conceptions antipatriotiques d’Yvetot, participa cette même année au congrès du « Sillon ». Il donna à Louis Niel un entier soutien en février 1909 et il appartint au Comité d’union syndicaliste formé à cette date pour regrouper les réformistes. Sans sympathie pour Victor Griffuelhes, il s’entendit avec Léon Jouhaux, dont les adversaires disaient qu’il lui servait de plume. Il évoluait de son côté et, devant la guerre, préconisa une collaboration étroite avec le Parti socialiste. Sur le plan syndical, il continuait sans succès sa campagne en faveur de la « proportionnelle syndicale ». Il prit naturellement parti pour l’union sacrée dès la déclaration de guerre. Un de ses fils fut tué le 10 août 1914 et un autre interné par les Allemands. Il fit désormais partie de la nouvelle majorité confédérale et fut traité de « patriotard alsacien » par ceux qu’il accusait lui-même de « défaitisme ». Il fut délégué à la Conférence syndicaliste majoritaire interalliée de Leeds en 1916 et donna à Léon Jouhaux un soutien constant, notamment à la conférence nationale de Paris en décembre 1916 et au congrès de Paris en juillet 1918. Il s’inquiétait en même temps des menaces que le ministère Clemenceau faisait peser sur la République et appelait à la défense républicaine dans un grand article de la Bataille (12 mars 1918). Il ne négligeait pas le problème du Livre et, au congrès fédéral de mars 1917, présenta un rapport sur l’apprentissage. Au congrès de Nancy, il remporta un triomphe et intégra les syndicats d’Alsace-Lorraine dans la Fédération qui, dès 1919, lui vota une retraite importante.

Selon Liochon, la Fédération du Livre, qui avait en 1884 62 sections et 6 000 membres, groupait en 1920, au départ de Keufer, 230 sections et 22 000 membres. Keufer célébra encore le culte positiviste en janvier 1924 en tant que vice-président de la Société positiviste. Son fils aîné, Auguste, militant syndical, fondeur de caractères, mourait le 26 janvier. Lui-même disparut quelques semaines plus tard, à l’âge de soixante-treize ans, d’une affection pulmonaire. Le président de la République, Millerand, adressa ses condoléances. Keufer était alors vice-président de la Société positiviste internationale, vice-président de la Société d’enseignement populaire positiviste, président du Cercle des Prolétaires positivistes, membre du Conseil national du Travail, du Comité consultatif des Arts et Manufactures, du Conseil supérieur de l’Enseignement technique, vice-président de l’Association française pour la Société des Nations. Ses obsèques, payées par la Fédération française des travailleurs du Livre, eurent lieu le 1er avril 1924 au cimetière de Montrouge (Seine). Sept discours furent prononcés, dont ceux de Liochon, secrétaire de la Fédération française des Travailleurs du Livre, de Auguste Largentier, secrétaire de la chambre syndicale des typographes de Paris, de Million, secrétaire adjoint de la CGT. Une plaque fut apposée sur sa tombe le 30 mars 1925 par la Fédération du Livre. La Société positiviste avait honoré Mme Keufer par une grande cérémonie en 1907. Keufer, grand militant réformiste, n’a jamais dissocié sa religion comtiste et sa foi syndicaliste : une de ses études les plus importantes : « La crise syndicaliste », fut publiée conjointement dans le Mouvement socialiste et dans la Revue positiviste internationale (1910).

 

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/keufer-auguste/, notice KEUFER Auguste par , version mise en ligne le 2 novembre 2010, dernière modification le 7 octobre 2024.

Maitron patrimonial (2006-2024)

ŒUVRE : Les Abus des adjudications au rabais (Cercle des prolétaires positivistes). — Les Deux méthodes syndicalistes, Paris, 1905. — Le catalogue des imprimés de la Bibliothèque nationale, t. 81, recense seize autres ouvrages.

Articles dans La Revue syndicaliste, n° 1, 15 mai 1905, Bibl. Nat. 8° R 21 195. — L’Action ouvrière, n° 1, 14 octobre 1919, Bibl. Nat. Jo 15 259. — La Clairière, n° 1, 1er août 1917, Bibl. Nat. 8° R 32 III. — L’Information sociale, 1918-1935, Bibl. Nat. Jo 40 662. — La Revue du Travail, n° 1, 15 octobre 1919, Bibl. Nat. 8° R 33 151. — Pages libres. — Le Mouvement socialiste. — La Bataille. — Le Peuple. — La Revue positiviste internationale. — La Typographie française. — L’Imprimerie française. — La Revue occidentale.

SOURCES : B. Georges, D. Tintant, M.-A. Renauld, Léon Jouhaux, op. cit., Paris, 1962. — M. Harmel « Auguste Keufer », Les Hommes du jour, 27 août 1910 (portrait par Delannoy). — Auguste Keufer, Société positiviste internationaliste, Paris, 1925. — L’Imprimerie française, 16 avril 1924. — R. Brécy, Le Mouvement syndical en France, op. cit. La CGT, 1925, p. 53. — Revue positiviste internationale, 1924. — G. Lefranc, Le Mouvement syndical sous la Troisième République, Paris, 1967.